Kââ fut assurément un écrivain singulier et libre qui mérite d’être réédité, lu et apprécié
par les lecteurs actuels. Pourquoi ne fut-il pas reconnu comme un grand maître du roman noir ? Peut-être parce que ses histoires sont plus cyniques que réalistes, parce que son jeu avec la mort
est souvent dérangeant ? C’est pourtant bien cette ironie mordante dans des cascades de scènes noires qui fait tout l’intérêt de ce défunt auteur (1945-2002). En ce sens, il fut nettement plus
novateur que certains auteurs de la veine “néo-polar” des années 1980 (qui ont aussi leurs qualités). Nous vivons dans un monde cynique, poussons cette idée jusqu’à l’outrance, tel
pourrait être le message de Kââ. En guise d’hommage, évoquons ici ses premiers titres.
“Silhouettes de mort sous la lune blanche”(Fleuve Noir 1984; Le Masque 2001; Pocket 2003). Avec Straub et les trois frères Vila, le héros a attaqué un convoi de fonds
à Saint-Cloud. Le jeune Vila paniquait, il a dû l’abattre. Straub est gravement blessé. Il le ramène et le soigne dans sa maison isolée, en Auvergne. Alfred Vila et son deuxième frère les
cherchent, pour les tuer et récupérer le butin. Il prépare leur défense. Il élimine Detwiller, un ami trop peu sûr. Il équipe une Land Rover, pour leur fuite. Il amasse des armes de précision.
Straub va mieux. Corinne, la veuve de Detwiller, les rejoint. Le premier affrontement avec les Vila vire au carnage. Alfred s’en tire. ’autre frère est tué, ainsi qu’un
gendarme trop curieux. Le trio se cache durant trois jours dans la Land Rover, évitant ou éliminant les gêneurs. Straub propose une halte chez un ami anar, dans une ferme. Quand l’anar et ses
copains envient le butin, ça tourne au massacre. Corinne maîtrise bien son arme et y prend goût. Notre héros se procure des faux papiers à Carcassonne, sans laisser de témoin.
Le trio s’installe aux Saintes-Maries-de-la-Mer où, en cette saison, on les repèrera moins aisément. Il apprend que son
fournisseur d’armes a été tué par Alfred Vila. Ce dernier est soupçonné par la police pour toute cette hécatombe. Notre homme officialise sa nouvelle identité andorrane, puis s’arrange pour
obliger Vila à se découvrir. Aux Baux-de-Provence, le trio tue les comparses, mais Alfred s’échappe encore. L’hôtel de luxe de l’anglais Johnston accueille le trio. Le fourbe Johnston contacte le
truand Genovesi, allié de Vila. La belle King les accompagne, quand le trio est contraint à un départ précipité. Ils se planquent en Italie, dans la maison de Straub. Après un détour par la
Suisse, notre héros revient à temps pour affronter l’Anglais et ses sbires. Il découvre que Vila, à bout d’argent, prépare un braquage à Gérardmer, dans les Vosges…
« Lorsque j’ai expédié mon premier manus’ [ce roman] au Fleuve Noir en 1984, je devais avoir le sentiment confus
d’une liberté que je ne trouverais pas ailleurs » disait Kââ dans Fleuve Noir, 50 ans d’édition populaire de J.Raabe (Bilipo, 1999). Car c’est bien en toute liberté que l’auteur
nous raconte cette tumultueuse aventure de desperados sillonnant les routes françaises, trahis par tous, laissant de sanglantes traces de leur passage. C’est du pur roman noir, ironique et
violent. De la Littérature Criminelle destinée au plus large public, tel était le but de Kââ.
Il publie ensuite “La Princesse de Crève”, puis “Mental” (Fleuve Noir, 1984 et 1998). Il s’appelle Hugues Cinquante. C’est un artiste peintre de nationalité suisse résidant à
Belle-Île, au port de Sauzon. Ce n’est pas sa véritable identité : “Un nom ridicule soulève paradoxalement moins l’attention qu’un nom quelconque. On s’étonne d’un nom aussi bizarre sans se
demander le moins du monde s’il est vrai ou faux. Il ne vient pas évidemment à l’esprit des services de police que quelque un ait pu choisir comme pseudonyme un nom aussi grotesque.” En réalité,
il est tueur à gages. Il est contacté par une visiteuse allemande, Renata. Il accepte de l’accompagner en voiture outre-Rhin, tout en remarquant qu’ils sont suivis durant tout le voyage. Le
couple arrive à Neuenbürg, où Cinquante rencontre ses nouveaux employeurs chez un aristocrate. Ces gens représentent la société Intro AG, un groupe industriel aux méthodes troubles. Sa mission
sera d’éliminer un certain “Mental”, qui fait planer une menace sur une douteuse transaction en cours. Cinquante ne dispose d’aucune information sur ce personnage fantomatique, mais il est obligé
d’accepter ce qu’il devine déjà être un jeu de dupes. “Je ne me demandais même pas comment commencer une enquête sur un individu dont tout le monde ignorait tout: c’était absurde. Dans ce petit
jeu, l’important n’était évidemment pas là, et ce que j’avais à découvrir c’était indiscutablement le rôle que je devais y jouer, et dont j’ignorais tout.” Karola, la fille de l’aristocrate,
demande à Cinquante de préserver son père dans toutes ces magouilles.
Pour la protéger, il l’envoie se cacher chez lui à
Belle-Île.
À Munich, Hugues Cinquante contacte son ami Patrick Brabant, qui lui fournit une arme neuve et puissante. Des agresseurs
prennent Cinquante pour cible, avant de s’attaquer à Brabant et à sa jeune compagne Amanda. Il intervient pour aider le couple, mais doit aussi abattre Patrick Brabant qui cherchait à fuir seul.
Amanda et Cinquante se mettent à l’abri. “Je gère la catastrophe paisiblement, répondis-je à mon Surmoi lequel, comme on sait, a parmi ses nombreuses tâches, celle de protéger le sujet.”
Cinquante s’invite chez Renata, mais celle-ci vient d’être éliminée dans son bain par Mental. Les deux hommes se font face, et se reconnaissent. Quelques jours plus tôt, ils ont joué ensemble au
bridge, partageant une bonne soirée. Bien qu’ils soient adversaires, Cinquante éprouve une sympathie certaine pour Mental. D’ailleurs, son principal ennemi est plutôt le citoyen suisse Paul
Gruber. De retour à Paris, Cinquante interroge sévèrement son contact Sergueï au sujet de ce Suisse. C’est probablement en faisant alliance avec Mental que Cinquante dénouera l’imbroglio de la
situation, et dévoilera les secrets des membres de la société Intro AG…
Son quatrième roman : “Il ne faut pas déclencher les puissances nocturnes (et bestiales)” (Fleuve Noir 1985, Le Masque 2003). Puisqu'il en possède une, appelons-le
Jaguar. Bruno, un de ses copains devenu flic, se fait buter peu après leurs retrouvailles. Le commissaire Tourouvre des R.G., beau-père de la victime, le savait en danger. Deux types à
moto abattent le flic partenaire de Bruno. Jaguar rattrape le tueur. Ce qui le met sur la piste d'Ahmed, celui qui a éliminé Bruno. Le commanditaire d'Ahmed est un nommé Vuidos, qui fait des
photos pornos homos. Celui-ci est en contact avec Le Villain, connu de la justice, qui semble être son patron. Les deux tueurs sont bientôt supprimés. Valentin "le Toulousain", un truand pas net,
apprend à Jaguar ce qu'organise Le Villain : des combats mortels de gladiateurs, sur lesquels on parie. Avec sa complice Karen, il fait ensuite chanter les riches parieurs. Trahi par Valentin,
Jaguar espère que le commissaire sera son allié. Les mêmes personnes lui font du chantage pour une autre histoire, avoue-t-il. Plusieurs témoins sont successivement exécutés. Jaguar hésite à
continuer.
Lâché par le policier, Jaguar entraîne sa jeune maîtresse Danielle dans sa sanglante aventure. Ayant éliminé Valentin, le
couple se réfugie chez Sam Perez. Ce viticulteur bourguignon reste leur seul ami sûr. Mais la bande dirigée par le nommé Carvallo est déjà sur leurs traces. Jaguar, Danielle et Sam peuvent se
replier dans un mas de Clermont-L'Hérault. Ils savent que les truands ne tarderont pas à les y cerner. Ils se préparent à affronter leurs adversaires, pour un inévitable carnage…
D’autres romans noirs de Kââ, au Fleuve Noir (sauf *) : "Respiration de la haine"
(1986), "On commence à tuer dans une heure" (1986), "La fiancée du vieux renard" (1987), "Rendez-vous à Forbach" (1988), "Trois chiens morts" (1992), "Le marteau" (1994), "Petit Renard"
(*1995 et 2002, Le Masque), "Criant de vérité" (1995), "Vingt-quatre mille années" (1996), "On a rempli les cercueils avec des abstractions" (1998), "Et puis les chiens
parlaient" (1998). Dans les collections Gore, Kââ signait sous le pseudonyme de Corsélien et de Behemoth.