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2 mars 2017 4 02 /03 /mars /2017 05:55

C’est en 1895 dans le Pays Bigouden que débute l’épopée de la comtesse Hortense de Penarbily et de son fils Gonzague. Âgée de quarante-neuf ans, Hortense est veuve. En son manoir, elle maintient un certain standing en accueillant des hôtes payants. Gonzague et sa sœur Bérénice furent éduqués par une préceptrice galloise. À vingt-huit ans, bilingue, Gonzague s’affiche étudiant en droit. C’est surtout un fêtard, séducteur et dépensier. Sa mère est endettée, il l’est encore bien davantage. Va-t-il s’assagir en épousant une fille de la bonne société nantaise ? Non, il s’agit d’une filouterie au détriment de sa belle-famille. Qui ne tarde pas à porter plainte. Ce qui oblige Gonzague à quitter la France au plus tôt.

Sur le paquebot à destination de l’Amérique, le jeune homme découvre une invention qui paraît promise à un bel avenir : le cinématographe. Gonzague s’installe quelques temps à New York. Si la métropole le fascine, il n’a pas les moyens d’investir dans la projection de films. Retour en Bretagne, pour solliciter la comtesse Hortense. Celle-ci n’est pas opposée à vivre l’expérience avec son fils. L’argent du futur mari de Bérénice permettra au duo de se lancer dans l’aventure. Les frères Lumière fournissent des films éducatifs, et ceux de Georges Méliès sont spectaculaires. L’incorrigible Gonzague y ajoute un film grivois. Et les voilà partis pour le Canada. Car c’est à Montréal qu’ils comptent s’établir.

Grâce à un cousin consul de France, et avec la bénédiction d’un archevêque, une salle est aménagée pour la projection. La première séance est encensée par le journal "La Presse", et le succès est vite au rendez-vous. Certes, ils ont un concurrent français agressif, qui se fait appeler Harry Foxfield. Malgré lui, les séances en salle et la tournée des écoles à des fins pédagogiques rapportent gros. Partout, ils sont bien accueillis. En particulier par le curé, Breton d’origine, de Saint-Jérôme, dans les Laurentides. Un nouvel archevêque va contrarier le programme. Qu’importe ! Hortense et Gonzague continuent à Ottawa, évitant tout contact avec les religieux cette fois, avant de se diriger vers New York.

Le cinématographe est déjà omniprésent dans la grande ville américaine de leurs espoirs. Ils vivotent, ne pouvant rien développer à leur idée. Pour Hortense, un rapide détour par la Bretagne est nécessaire, afin de rebondir et d’améliorer leur sort. Quand elle retourne en Amérique, Gonzague leur a trouvé un riche mécène, propriétaire à Atlantic City. Cet Irlandais ne tardera pas à devenir très intime avec Hortense. La comtesse et son fils ne s’interrogent guère sur la source financière de ses investissements, même si ce Dermot a beaucoup de partenaires et de "cousins". C’est en Floride puis à Saint-Louis, Missouri, que l’Irlandais place sa fortune. Pour Hortense et Gonzague, c’est l’heure de l’opulence.

Peut-être leur faudra-t-il un jour plier bagage. Pourtant, le périple du duo se poursuivra de Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à Saint-Malo. Si la comtesse Hortense regagne son manoir en Bigoudénie, Gonzague tente avec sa compagne Suzanne de nouveaux exploits dans le Paris artistique du début du 20e siècle. À cœur vaillant, rien d’impossible. Gonzague serait même capable de produire, outre des coquineries, un vrai film de cinéma !…

Hervé Jaouen : Le vicomte aux pieds nus (Presses de la Cité, 2017)

D’abord rembrunis par son culot, au fil de la journée ils se montrèrent de plus en plus prolixes, surpris et flattés de la curiosité de ce passager. Ses questions pertinentes tranchaient sur les conversations mondaines qui les avaient bassinés la veille au soir. En vérité, si ce n’est qu’il fut interrompu par les siestes et les soirées festives, le dialogue dura jusqu’à la fin de la traversée. Au passage du paquebot sous la Statue de la Liberté, Gonzague aurait pu prétendre au brevet de technicien du cinématographe.
Qu’avait-il réclamé qu’on lui apprenne ? Comment saisir les images et comment les projeter. Qu’avait-il mémorisé ? Les tâtonnements qui avaient précédé la mise au point du procédé des vues animées à partir d’images fixes […] Edison met au point son kinétographe qui permet d’enregistrer le mouvement sur une pellicule de 35mm de largeur qu’une manivelle fait avancer grâce à des perforations et à un système de griffes ; suit l’invention, par le même Edison, du kinétoscope qui restitue, par l’avancement du ruban selon le même système, le mouvement capté par le kinétographe…

Certains Bretons d’autrefois s’éloignèrent de leur région en devenant marin. Par goût d'exotisme, quelques-uns s’expatrièrent pour ne plus revenir. D’autres choisirent de fuir la misère des campagnes et des familles trop nombreuses, s’installant à Paris ou ailleurs en France. Les plus téméraires franchirent l’Atlantique pour vivre sur le continent américain. Des passionnés d’Histoire se souviennent du cas de Marie de Kerstrat qui, avec son fils Henry, crut en l’avenir de cette invention qui attirait les foules, le cinématographe. Il n’est pas question pour Hervé Jaouen de présenter une biographie de ce duo, à propos duquel d’autres ont déjà écrit. Il s’inspire de l’originalité et du volontarisme de ces personnages, afin de concocter un roman fertile en rebondissements, dans un contexte attirant pour les plus hardis des Bretons.

Quand on réfléchit à ces débuts de l’industrie du cinéma, on prend conscience que son essor fut fulgurant. En moins de vingt ans, ça devient le spectacle par excellence, avec les gains faramineux qu’il engendre. Époque héroïque, s’il en fut ! Nous voici entraînés à l’Est des États-Unis. Non sans être passés par le Québec, tout aussi dynamique que son voisin, encore que le poids religieux y soit toujours lourd en ce temps-là. Ne nous étonnons pas d’y croiser un bienveillant curé breton, ils étaient partout. Toujours un certain humour dans les histoires de cet auteur, ne l’oublions pas. Écrivant depuis environ quarante ans, Hervé Jaouen a été légitimement récompensé par de nombreux prix littéraires prestigieux. Il n’est donc pas indispensable de souligner sa maestria. Ce foisonnant roman d’aventure séduira autant ceux qui connaissent son talent que, sûrement, de nouveaux lecteurs.

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20 décembre 2016 2 20 /12 /décembre /2016 06:02

Tom Walsh s'est exilé dans les Midlands pendant sept ans. Il est de retour à Cornawona, son village d'Irlande. Il va épouser Claire O'Neill, la fille du vieux Paddy. Claire l'a attendu pendant tout ce temps, restant pure pour lui. Le couple s'occupera du "Corner Bar", le pub de Paddy. Mais Tom n'oublie pas ce qui motiva son départ. Le domaine de la famille Costello, "Castlehill", semble toujours le narguer. Un vieux contentieux l'oppose à Francis Costello, joueur impénitent et buveur excessif. Et puis il y a Nora, la sœur de celui-ci, pour laquelle il éprouve encore une trouble attirance. D’ailleurs, elle ne tarde pas à relancer Tom. Malgré Claire, il accepte de la rejoindre.
Reine, le lévrier de Claire, est malade. Des germes bactériens fragilisent ses pattes. Tom prend soin de la chienne, consulte un vétérinaire. Le traitement à base de piqûres guérit Reine. Tom remarque les qualités sportives de l'animal. Il entraîne Reine pour qu'elle soit prête à la compétition en cynodromes.

Alors que leur mariage est programmé, Claire comprend les raisons de Tom. Prendre une éclatante revanche sur son adversaire Francis Costello permettra à Tom de tourner définitivement la page. Et, peut-être, de s'écarter de la tentatrice Nora. La réputation de Reine, sous le nom de Connemara Queen, grandit dans la région. Toutefois, Reine reste une chienne fragile. Même s'il la prépare en fonction de ses handicaps, Tom n'est pas si certain qu'elle gagnera. En cas de victoire, Francis admettrait-il sa défaite ? Jusqu'où peut aller la passion du jeu ? Elle risque de finir par un drame causant plusieurs victimes…

Hervé Jaouen : Connemara Queen (Coop Breizh, 2016) – bilingue –

Qu’est-ce qu’une course de lévriers ? Un simple coup de catapulte qui expédie sur la piste deux, quatre, six, huit chiens. Les têtes s’aplatissent, les corps s’allongent démesurément, tous identiques et parallèles, puis les pattes antérieures griffent la terre battue, les ressorts s’enroulent et les cuisses puissantes propulsent les animaux vers un second allongement. Ensuite les lévriers glissent. Ils vont trop vite. L’œil est incapable de décomposer les mouvements. Ils n’ont plus rien à envier au lièvre mécanique qui file le long de son rail.
Quelques secondes d’acmé. Dans la cervelle des parieurs, le paroxysme éjacule du plaisir, à longs traits. Se remettre de l’éblouissement demande du temps. Entre l’arrivée de la course et l’explosion des hurrahs s’écoule un instant qui semble interminable.

"Perdre ou gagner sont les deux visages du même mal" dit Tom. Le joueur passionné prend le même plaisir dans les deux cas. S'il s'agit bien d'un roman sur ce thème, Hervé Jaouen ne néglige pas le contexte. L'Irlande, ses paysages, sa population, ses pubs : le lecteur est plongé dans un décor correspondant à la réalité. La rivalité entre les héros offre une ambiance très tendue, plus vert sombre (aux couleurs de ce pays) que vraiment noire. Une atmosphère de défi plane sur cette histoire, qui captive du début à la fin. Très vivant, fort excitant, une belle réussite.

Ce suspense n’en est pas à sa première parution : “Connemara Queen” fut publié en 1990 chez Denoël (coll.Sueurs Froides), réédité chez Folio en 1993 puis chez Folio policier en 1999. Il s’agit cette fois d’une édition bilingue Français/Anglais. En effet, le roman d’Hervé Jaouen a été traduit par Sarah Hill. Précisons que ce n’est pas une présentation double, page à page, mais que la version anglaise succède dans ce livre au texte en français. À lire donc soit séparément, soit d’une manière complémentaire. Sympathique initiative qui permet d’améliorer notre connaissance, souvent pleine de lacunes, de cette langue étrangère. Et cela, en appréciant une bonne histoire.

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3 septembre 2016 6 03 /09 /septembre /2016 04:55

La blonde Évelyne est originaire du plat pays entre Flandre et Hainaut. Fille du Nord avec une jolie voix, âgée d’une vingtaine d’années, elle a tenté sa chance comme chanteuse. Et c’est ainsi que, grimée en brune sensuelle, elle est devenue Eva. Pour exercer son talent au Modern Dancing, dans les Monts d’Arrée, au cœur de la Bretagne profondément rurale. Une clientèle de dames mûres et de vieux beaux, en effet. Mais ce public de salles de bals n’a rien de méprisable. Ces gens-là ont le droit de se divertir, fut-ce deux ou trois jours par semaine. Évelyne a bientôt remarqué deux personnages insolites, un fils et sa mère sexagénaire semblant nymphomane. Roparz et Marie-Thérèse, elle les a surnommés le Poète et la Piquée. Elle va en apprendre davantage sur eux, quand Roparz se raconte.

Le parcours du jeune homme et de ses parents, tenant une ferme, ne fut pas simplement celui d’une famille campagnarde. Roparz comprit très tôt qu’il était à l’opposé de son père, si rustre. Sa tante Émilienne, une citadine, était beaucoup plus proche de Roparz. Il logea chez elle, à Rennes, le temps de poursuivre ses études. Pendant ce temps, à la ferme, des problèmes survinrent : imaginant une malédiction, son père sombra dans la superstition, se laissa gruger par un prétendu mage. L’affaire ne pouvait que mal finir, surtout si le père de Roparz trouvait une corde sur son chemin. À soixante ans, Marie-Thérèse entra dans une période de liberté et d’hédonisme forcenés. L’épisode Maurice ne dura qu’un temps, avant qu’elle consacre ses loisirs au Modern Dancing et aux rapports sexuels.

Cette aventure familiale au quotidien est devenue au fil des années un manuscrit, œuvre de Roparz. Quant à faire publier ce livre, cela aurait été possible si cet écorché vif s’était montré moins intransigeant. Toutefois, il ne faut pas ricaner sur les hasards de la vie. Un chasseur de passage en Bretagne, nommé Albert Mireuil, remarqua Évelyne. Ou plutôt Eva, interprétant la chanson écrite par Roparz, “L’allumeuse d’étoiles”. Une chanson forte, ayant une résonance sur un public urbain décalé, déclassé. Un possible succès, Mireuil n’en douta pas un instant. Actionnaire dans une maison de production musicale, il les brancha avec Jacques Craube, bien vite baptisé “Mister Prode” par Évelyne et Roparz. Le couple s’installa durant plusieurs mois à Paris, afin de concrétiser ce projet de disque.

Mais Évelyne dut continuer seule sur sa route. Eva céda la place à Lyne, animatrice dans un club de vacances pour clientèle d’Allemands, en Turquie. Ce fut Tello, l’organisateur en chef, qui remplaça Roparz dans le rôle du pygmalion. Il était conscient que son avenir à lui se conjuguait au passé. Jacques Craube, il l’avait connu. Si Lyne avait croisé son chemin, il n’était pas surprenant que ça se soit mal terminé. La fatalité épargnera-t-elle cette fois la jeune femme ? Dans ce nouvel univers, peut-être moins hostile, Tello l’espère…

Hervé Jaouen : L’allumeuse d’étoiles (Presses de la Cité, 2016)

Le dimanche, Roparz et moi on l’a passé dans les bistrots. À s’engueuler. Il voulait mettre les bouts, disait qu’on allait se faire baiser, qu’on jouait le rôle des ringards qui se prosternent au pied du showbiz, qu’on n’avait pas besoin de ça, qu’on avait notre fierté, qu’on pouvait vivre sans tous ces cons, que la gloire n’était qu’illusion et, pour finir, que mieux valait se flinguer tout de suite plutôt que de se laisser promener dans les paradis artificiels par des escrocs travestis en gentlemen des boulevards.
« Même pas des gentlemen farmer » il a conclu.
Moi, je lui ai dit qu’il était excessif, et que c’était ce qui faisait son charme…”

Heureuse initiative que de rééditer en grand format cet excellent roman d’Hervé Jaouen, datant de vingt ans. Grâce à son écriture lucide à la tonalité "directe", l’histoire n’a pas du tout vieilli. On y trouve de l’ironie, mais probablement beaucoup plus d’émotion encore. À bien lire les mésaventures d’Évelyne, de Roparz, de Tello, on s’aperçoit que l’auteur fait le choix de poser plus de questions qu’il n’apporte vraiment de réponses.

Une forme de rébellion, un mal de vivre ? Oui, les personnages centraux expriment cela, en partie. Choisir son destin serait donc impossible ? Au point de laisser désabusés ceux qui en tentent l’expérience ? Malgré ce constat, reste un espoir ténu, éventuel. Avoir la voix et le talent des plus grandes, comme Évelyne, est-ce insuffisant dans notre monde brutal excluant toute poésie, tuant toute sensibilité ? On a vu depuis, à travers les shows de télé-réalité, que le "système" récupérait tout, à son profit.

Roman social ? C’est certain. Ce dont nous parle Hervé Jaouen, c’est d’abord de la vie des "petites gens". Évelyne est issue du vide sidéral, des plaines du Nord sans attrait et sans avenir. Roparz s’est arraché à sa terre natale, pour y revenir, pour observer et raconter la vie de ses parents, bien plus réelle que ne le ferait un traité de sociologie. Tello, lui, a déjà l’expérience des échecs, de l’illusoire. Aucun d’eux n’a la chance de trouver un équilibre personnel satisfaisant alors qu’on a le sentiment que c’est simplement ce qu’ils cherchaient.

Cette opinion est "une lecture" de ce roman. D’autres lecteurs y dénicheront sans nul doute des angles différents, auront un autre regard, car le propos de ce livre est riche de nuances.

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21 décembre 2015 1 21 /12 /décembre /2015 07:30

Après un début de carrière dans les hautes sphères des assurances, Ralph Bakchine dirige sa propre agence à Versailles. Âgé de trente-huit ans, il est marié à Édith. Ils ont depuis peu des jumelles. S'il est expérimenté, Ralph est aussi stressé à cause de soucis récents. Il va déconnecter en allant seul pêcher à la mouche dans le Doubs. Il s'installe pour deux semaines dans une auberge de Lomont, tout près de la frontière suisse. Panel de clients variés, tous étant attirés là par la pêche en rivière. Ralph apprécie le vieux M.Bourgin, et sa femme. Mais il y a un autre couple qu'il remarque davantage : Alexandre Bloch, un industriel sexagénaire chauve fier de sa réussite, et sa jeune épouse Nina, aux cheveux acajous, aux yeux verts et à la flagrante sensualité. Outre la notable différence d'âge, avec leur Jaguar rouge et leur doberman, ils ne passe pas inaperçus.

Alexandre Bloch ne tarde pas à sympathiser avec Ralph. Sans doute partagent-ils un même dynamisme, et une certaine lucidité sur la vie. Bien que de santé faiblissante, Bloch est assez provocateur. Ce qui explique son mariage avec une jeune femme comme Nina. Celle-ci cherche à exciter Ralph, que cela agace : “J'étais venu pour pêcher la truite et l'ombre, pas la morue”. S'il s'interroge sur son avenir familial, Ralph n'a pas l'intention de tromper Édith. “Je n'étais ni prude, ni froussard, ni impuissant. Cependant cette fille me faisait peur.” Il lui faut éviter de succomber aux avances à peine masquées de Nina, alors qu'il est là pour se désembrouiller l'esprit. D'autant qu'il pratique “le coup du soir” en compagnie de Bloch, la pêche en soirée juste à côté dans le Doubs. Pourtant, lui sera-t-il possible de résister longtemps à une femme telle que Nina ?

En Suisse, le village voisin de Pierrelégier est tout proche. Il arrive à Ralph d'y faire un détour, avec une pause au Café de la Poste. Le bistrot est tenu par la blonde Jeanne, vingt ans, et sa sœur. Jeanne ressemble plus à la tendre Édith, qu'à la voluptueuse Nina. Ralph sent une complicité non formulée avec la Suissesse. Mais il n'oublie pas son épouse, avec laquelle il faudra sûrement envisager un nouveau départ, une stabilité sur des bases plus familiales. Céder aux avances de Nina, ce n'est qu'une torride expérience sexuelle pour Ralph, qui espère ainsi que ça permettra de clore leur relation. Nuit d'amour, qu'un client de l'auberge a remarquée, ce qui ne sera pas sans conséquences. Car il va survenir un drame, un accident mortel que Ralph n'a ni causé, ni pu empêcher. Même s'il retourne auprès d'Édith peu après, l'affaire est loin d'être terminée pour lui…

Hervé Jaouen : Histoire d'ombres (Éd.Denoël, 1986)

S'il s'agit bien d'un roman noir, cette intrigue offrait d'abord l'occasion à Hervé Jaouen d'évoquer sa passion pour la pêche (à la mouche). Il y décrit autant les ustensiles que vont utiliser les protagonistes, que les techniques et les moments fiévreux vécus par les pêcheurs, de truites ou d'ombres dans le cas présent : “L'ombre tirait toujours, et plus il s'éloignait, plus j'avais l'impression que sa force augmentait. Je lui avais donné toute ma soie, et j'attaquais le backing. Soudain, l'ombre a cessé de tirer. Il s'est collé au fond. Un instant, j'ai cru qu'il s'était décroché, ma soie s'étant détendue. J'ai repris du fil, sans résistance : l'ombre remontait vers moi.” Ceci contribue fortement à l'intérêt de l'histoire, même si l'on n'est pas soi-même expert dans cette activité.

À l'époque de la publication de ce livre (1986), d'aucuns ont fait le parallèle avec certains titres de James Hadley Chase. C'est assez exact. Un trio de personnages centraux, le mari, la femme, et le troisième larron, rien de plus classique. Mais ils sont, comme chez J.H.Chase, placés dans un univers piégeux, faussement facile ou tranquille. Les nuances sont très subtiles : par exemple, s'il existe une part de cynisme chez le vieux et riche mari, l'homme n'est pas désagréable. Quant au héros-narrateur, il a suffisamment de soucis personnels pour ne pas s'enliser dans un adultère sans avenir. Nina représente la “femme fatale” dans toute sa splendeur, bien entendu. La mort plane autour de Ralph, pas seulement dans les eaux du Doubs. Entre noirceur et nature, un suspense de haute qualité.

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23 juillet 2015 4 23 /07 /juillet /2015 04:55

En ce temps-là, voilà quelques décennies, certains Bretons rêvaient d'autonomie, et même d'indépendance. Volonté de rupture qu'ils démontraient par des attentats, censés prouver leur puissance. Revendications pas toutes stupides, affichées au nom d'une population qui désapprouvait en réalité la violence de leurs actes. Ces groupuscules ultra-marginaux se servaient de l'identité bretonne, mais ne servaient guère sa cause. Imaginons qu'ait existé un Front Chrétien de Libération de la Bretagne, le FROCLIB. Qu'en ce 14 août, après avoir tenu une réunion dans leur QG, une chapelle isolée, ils aient sévi sur Brest. Qu'un premier attentat ait visé la Préfecture Maritime, qu'une demie-heure plus tard une autre explosion ait ciblé le patron du Crédit Breton et ses invités. Puis qu'ils causé des dégâts sur la pauvre chapelle Saint-Antoine, avant de jeter de la dynamite chez un militant trop tiède.

Qui trouve-t-on chez ces terroristes du FROCLIB ? Le rouquin Bêtabondieu, jeune diplômé aigri, joueur de biniou, circulant sur sa Suzuki. Son copain Buffet, esclave de l'industrie, à la vie tout autant décevante. Colette, vingt-trois ans, vaguement prof, déjà déçue comme les deux autres par son idéal religieux. À leur tête, sur sa moto Norton, il y a l'Abbé, curé défroqué et révolté, dont les sermons peu cohérents d'illuminé excitent son trio d'affidés. À la suite de quoi, la vierge Colette accepte de se faire sauter successivement par l'Abbé et ses pieds-nickelés mâles. Mais l'essentiel, c'est de semer une grosse perturbation avec cette série d'attentats. Bêtabondieu et Buffet frappent, avant de se replier dans la chapelle qu'ils squattent. Dès le lendemain 15 août, une nouvelle opération : le quarteron de branquignols commence par voler un car allemand vide de ses passagers.

Le commissaire Quenehaye est chargé du dossier des attentats, sous l'autorité du Délégué aux Affaires de l’État. Grâce au complaisant journaliste Turbot, les officiels vont relativiser l'impact de ce groupuscule, minorer et condamner leurs méfaits. Détourner l'attention du public n'a jamais été difficile. Un rouquin ayant été repéré au moment des explosions, le commissaire suit cette piste, le retrouvant aisément grâce à des photos où Bêtabondieu joue du biniou dans des fêtes. Le vieux Fanch Roboen, voisin rural de la chapelle, pourrait témoigner mais il préfère se rassurer en sirotant son lambic. Pendant ce temps, l'Abbé et ses sbires ont pris en otage plusieurs touristes parisiens en villégiature. Qu'ils séquestrent dans leur QG. Surviendra également un couple originaire des Landes, avec leur gamine Pépita. Plus ou moins solidaires, ils auront droit à un traitement de faveur.

À l'heure ou le FROLIB adresse ses revendications sous la forme d'un ultimatum pas très réaliste, les camionneurs Dereck et Jo Banane, un grand Noir fataliste, sont en route de Clichy vers les confins de la Bretagne. Ils sont pris en filature par le commissaire Bidol, mandaté par la Brigade des Fraudes, qui compte bien boucler une affaire en cours. À la chapelle, la fouineuse petite Pépita apporte un peu de fraîcheur à la situation. Pourtant, il ne faudrait quand même pas que tout ça s'éternise…

Hervé Jaouen : Pleure pas sur ton biniou (Carré Noir, 1985)

Avant d'être réédité en 1985 chez Carré Noir (format poche de la Série Noire), ce roman parut en 1980 sous le titre “La petite fille et le pêcheur” dans la collection Engrenage des Éd.Jean-Goujon. Hervé Jaouen en publiera une nouvelle réédition aux Éd.de la Chapelle, en 2002. Cette intrigue tient à la fois de la comédie, avec ce groupuscule de toquards aux ambitions régionalistes menant des actions qui ne peuvent que les dépasser, et du roman noir avec sa sociologie. La tonalité de l'histoire, racontée avec la fluidité chère à l'auteur, est largement ironique. Au fil de leurs tribulations, ces "terroristes" s'avèrent grotesques, mais les représentants de "l'autorité" le sont également. L'humour est donc très présent.

Le contexte, celui des giscardiennes années 1970, a son importance. La Bretagne se sent dépossédée de ses richesses, de son économie, à cause du centralisme. Si ses habitants veulent majoritairement préserver leur qualité de vie et leur niveau social, des militants plus radicaux entachent l'image de la région. Durant la décennie suivante, la concertation fut plus utile à l'amélioration du potentiel breton, que ces attentats imbéciles. L'agitateur est ici un ex-curé : le catholicisme breton a souvent pris partie contre l’État, non pour défendre ses ouailles, mais jouant la religion contre la laïcité. Certains ecclésiastiques, parfois défroqués, se montrèrent acharnés dans ces luttes, y compris au service d'ennemis du pays… Derrière la fiction souriante, il y a aussi un regard sur l'évolution de la Bretagne.

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2 juillet 2015 4 02 /07 /juillet /2015 04:55

Il existe une vraie tradition littéraire des journaux d’écrivains où, généralement en marge de leur œuvre, ils se racontent à travers des propos personnels. C'est ce qu'a fait Hervé Jaouen depuis 1977, transmettant sa passion pour l'Irlande à travers plusieurs ouvrages : Journal d'Irlande (de 1977 à 1989), Chroniques irlandaises (de 1990 à 1995), La cocaïne des tourbières (2002), Suite irlandaise (2008). L'intégrale de ces quatre livres est réunie maintenant en un seul volume, publié aux Éditions Ouest-France.

Quand Hervé Jaouen débarque pour la première fois en Irlande, il n'a encore guère de repères. Mais c'est un pays où se nouent vite les contacts, pour peu qu'on aime causer, que l'on ne refuse pas de boire, et qu'on soit attentif à leur parler anglais avec l'accent local. À cette époque, les Irlandais ne peuvent être insensibles à la situation en Ulster. Sur ce point, il faut qu'un continental soit clair à leur égard. D'ailleurs, la franchise est toujours la plus payante avec ces farouches îliens. Observer, aussi bien les châteaux que chacun des paysages traversés, et surtout la population qui reste souvent typique, c'est ainsi que le voyageur s'acclimate lors de ses premières virées dans ce pays.

Mille anecdotes, comme celle-ci dans un pub de Galway : “Aux murs en pierres apparentes sont accrochés des cadres de tailles variées… Il y a une grande huile d'un jeune homme qui tient sa canne à mouche comme un sauvage sa sagaie. En cinq heures, un jour de juin 1947, il a pris onze saumons. Ses bottes sont au centre de l'éventail arrangé par le peintre… À gauche du comptoir est épinglée une carte : l'Europe vue par les Irlandais. Rayée de la carte, l'Angleterre. J'ai pensé à ce bistrot de Quimper autrefois : "Interdit aux chiens et aux Français".” C'est en sillonnant de manière aléatoire l'Irlande, non sans profiter du plaisir de la pêche dès que l'occasion s'en présentera, qu'Hervé Jaouen s'initie (le mot n'est pas trop fort) à l'esprit irlandais.

Ces périples sont aussi source d'inspiration pour le romancier : “Comment ne pas terminer cette glorification de la fishing widow par l'évocation de son contraire, je veux parler de la pécheresse, la veuve de pêche, infidèle, qui mouche son chagrin dans l'adultère. Sauf à mon insu, je n'en ai fréquenté que de littéraires […] J'ai moi-même, dans "Histoires d'ombres", créé un personnage de fishing widow, adultère et maléfique, inspirée d'une certaine réalité. Par la toute-puissance du narrateur, elle sera précipitée du haut d'un rocher, dans une rivière.” Tant de rencontres inopinées ou devenant plus courantes, de situations parfois insolites, dont Jaouen pourra se servir dans ses romans irlandais, tel "Le testament des McGovern" (pour n'en citer qu'un).

Hervé Jaouen : Carnets irlandais (Éd.Ouest-France, 2015)

Passent les années, le couple Jaouen continue à découvrir les multiples facettes d'un pays, que l'écrivain retrace dans les trois premiers tomes. Dans "Suite irlandaise", l'Irlande change en ces années 2000, et la population accepte cette évolution. Craignant un peu de ne plus trouver autant de personnages attachants ou particuliers, et de lieux de pêche satisfaisants, Jaouen constate la modernisation. Avec sa coutumière lucidité, sans porter de jugement. Joséphine, qui les accueillait depuis dix-huit ans à Cushlough House va prendre une retraite méritée. D’autres farmhouses n’intéresse le couple que s’il y sent une ambiance amicale, sincèrement chaleureuse. Peut-être chez Mary Lydon ? À Ballrinrobe, le pub de J.J.Gannon où ils avaient leurs habitudes a été refait à neuf. Pas si mal. L’important est d’éviter le tourisme friqué, de traquer l’authenticité.

La pêche est toujours le prétexte de leur voyage. Même si certaines sorties sur les lacs, en baie de Ballynalty ou sur la Cong River, sont parfois risquées. Même si truites et saumons se font rares. Même si les tarifs des droits de pêche frisent l’escroquerie (l’Irlande change). L’essentiel, c’est la population : “Je ne sais pas si c’est une question de chance. Plutôt une question de résonance magnétique entre l’Irlande et le voyageur. Mais bon, pour ne pas assassiner les rêves de ceux qui poursuivent les cerfs-volants avec des semelles de plombs, disons, oui, que la chance me sourit”. Hommages aux écrivains, aussi, y compris ceux du roman noir : “Le Galway que décrit Ken Bruen dans ses polars serait-il une réalité ? Un Galway hanté par une population de marginaux, alcooliques, junkies, trafiquants en tous genres, au milieu desquels son personnage Jack Taylor ex-flic viré de la Garda, consommateur lui-même d’un tas de substances vénéneuses, mène des enquêtes déjantées… Le roman noir est un roman de légère anticipation.”

On connaît les romans d'Hervé Jaouen. Son œuvre littéraire comporte également cet aspect-là, ces souvenirs qu'on ne saurait qualifier de "touristiques". Du vécu, des récits où l'on retrouve la tonalité fluide, amusée, lucide, tendre, de l'auteur. Grâce à cette intégrale des quatre titres, c'est un regard ethnologique (et vivant) sur l'Irlande depuis près de quarante ans qui nous est proposé.

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13 mai 2015 3 13 /05 /mai /2015 04:55

Un romancier invente des histoires, généralement les plus crédibles possibles. Pourtant, la fiction se nourrit de réalité. Contexte social, géographique ou puisé dans le passé, héros proches de personnes vivantes ou défuntes, c'est ainsi que l'auteur apporte une véracité à ses récits. Quand Hervé Jaouen retrace la saga des “Filles de Roz-Kelenn” ou celle de la famille de “Gwaz-Ru”, des Bretons à travers le 20e siècle, on sait que ce sont des images pas si éloignées de ce que vécurent les habitants de Quimper et de toute la Bretagne.

Son inspiration est encore plus directe quand il écrit “L'adieu aux îles” (Éd.Mazarine 1986, Folio Gallimard 1999). Hervé Jaouen extrapole dans ce roman le parcours de la famille de son épouse, se servant des éléments biographiques dont ils disposent. Originaires de la Manche et des Côtes d'Armor, les Turgot firent souche à Saint-Pierre-et-Miquelon, au large des côtes du Canada. Français exilés, ils s'adaptèrent au rugueux climat et s'y marièrent. Parce qu'il s'agissait d'un cadre de vie qu'ils avaient choisi, et qu'ils y connurent un certain bonheur, leur attachement à ces îles resta intense.

Léopold Turgot et son frère Emmanuel étaient employés au Câble, liaison sous-marine transmetteuse de messages entre les États-Unis et l'Europe. À cause d'un accident sur ce câble, tous deux perdirent leur emploi autour de 1930. À part vivoter, ils n'avaient guère l'espoir de pouvoir rester sur place. Après tout, la France métropolitaine était leur pays, et on semblait y vivre plutôt correctement. C'est ainsi que se décida le "retour" vers ce qui n'était ni vraiment leur patrie, ni exactement un pays paradisiaque. Quelques errements, puis Léopold Turgot trouva de nouveau un emploi et fit venir Emmanuel avec les siens.

Voilà pour le trajet particulier de cette famille, celle de Mme Jaouen, dont Léopold Turgot était le grand-père. Toutefois, l'objet de “Si loin des îles” est ailleurs. Ce texte est un de ces documents rares qui ont failli se perdre : un témoignage sur la 2e Guerre Mondiale, telle que l'on vécue les Turgot dans le Finistère. Avant 1939, pour leur métier, ils se sont installés à Brest. Dès les premiers mois du conflit, Léopold Turgot raconte – comme dans une lettre à ses cousins de Saint-Pierre-et-Miquelon – ce qu'entraîne pour eux les débuts de cette guerre. Port stratégique, Brest fut pilonné par les avions anglais à partir de juin 1940. Les bombes commencèrent à détruire la ville, à la grande frayeur des habitants.

Hervé Jaouen–Léopold Turgot : Si loin des îles (Éd.Locus Solus, 2015)

Au rythme des alertes, des canonnages, des survols, chacun s'organise comme il peut, pour avoir assez de nourriture, pour se débrouiller sans gaz quand celui-ci est coupé, pour se procurer du charbon. Et même, bien plus banalement, pour circuler en ville et dans les environs. Désœuvrés puisque le Câble est désactivé, les frères Turgot bricolent. “Je fais le cordonnier et, ma foi, réussis très bien. Seulement, c'est le cuir qui manque le plus. Nous n'en sommes pas encore rendus à porter les boutoucoat [sabots de bois] mais ça viendra.” D'août 1941 à avril 1942, le travail de leur fille Germaine l'éloignant de Brest par sécurité, les Turgot vont se réfugier à Landivisiau. La situation reste précaire.

Puis Léopold et Emmanuel trouvent chacun une maison à Huelgoat, à plus de soixante-dix kilomètres de Brest. Après une longue interruption, Léopold reprend son témoignage en octobre 1944, se remémorant la dramatique période traversée. À Huelgoat, on ne subit pas les bombardements, mais la présence de l'armée hitlérienne est aussi importante. Leur fils militaire Léo étant revenu dans ses foyers, les Turgot vont créer dans les pièces disponibles de leur maison un atelier de tissage. Une manière de subsister, de gagner un peu d'argent. Par roulement, les hommes sont ici réquisitionnés par l'occupant, pour des travaux de bûcheronnage. Enfin, ce sont les débuts de la Libération, non sans risque de contre-attaque allemande…

Cet ouvrage comporte une première partie, où Hervé Jaouen évoque l'univers familial des aïeux de son épouse, et la découverte tardive de ce document. Le témoignage de Léopold Turgot dépasse son expérience personnelle et la vie de ses proches. Si l'oralité a permis à bien des gens de connaître leurs origines, un tel texte – écrit avec une certaine précision littéraire – dit avec force et vérité ce que fut le quotidien réel de nos récents ancêtres, en des temps perturbés. Excellente initiative de le partager, de le publier, d'en faire profiter le public. Un document historique à découvrir.

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4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 04:55

Quimper, au cœur des années 1970, un samedi de septembre qui s'annonce ordinaire. Le sous-directeur de l'agence quimpéroise du Crédit Breton, Robert Ganne, est un passionné de chasse et d'armes. La veille, à Lorient, sa banque a été braquée par un trio. S'il devait arriver la même chose ici, Ganne est prêt à répliquer avec un flingue de combat. Son ami Michel Lagarde, ostréiculteur à Riec-sur-Belon, et lui sont en train de créer une milice bien armée. Illégal, certes, mais ils estiment qu'il y a trop de voyous qui rôdent, surtout autour des bals de la région. Et que c'est à eux de remettre de l'ordre au plus tôt.

Justement, dans un bistrot proche de la gare de Quimper, on trouve Didier et la blonde Camille, si peu farouche. Fils de bonne famille, Didier a glissé toujours davantage dans la délinquance, de petits trafics en braquages divers. Voilà trois mois qu'il poursuit à travers la France son périple chaotique de malfaiteur endurci. Depuis quelques jours, Camille et lui écument la Bretagne, échouant ce samedi-là à Quimper. La belle blonde sans culotte ne tarde pas à exciter un trio de ferrailleurs, Riton et ses frères. Avec ces trois marginaux pas trop futés, Didier tient l'occasion de jouer à nouveau au chef de bande. Il suffit de voler des voitures, avant d'aller semer la pagaille dans le coin, pour le plaisir.

Pour Jean-Pierre Le Du et Marie Dorval, c'est le grand jour, celui de leur mariage célébré dans la cathédrale Saint-Corentin. Jean-Pierre est un jeune homme assez commun, Marie est une jolie brunette, qui fait une mariée délicieuse à regarder. La noce donne lieu au cérémonial habituel, avec apéros dans un bar et pause dansante dans un club, avant qu'on se retrouve au restaurant pour un grand repas festif. On mange et on chante, comme le veut la tradition, et même la mémé Dorval entonne des refrains approximatifs.

Dans son Opel Commodore, accompagné de ses miliciens aux airs de brutes, sans attendre son complice banquier, Michel Lagarde est parti en expédition contre d'éventuels fauteurs de troubles. Le petit groupe déjà échauffé joue facilement la provocation. De leur côté, Didier et ses comparses se sont progressivement excités. C'est en se dirigeant vers les Montagnes Noires qu'ils vont s'offrir une apothéose, tombant sur un couple de jeunes mariés. Pour Jean-Pierre et Marie, le romantisme cède vite la place à l'horreur, face à ces racailles déchaînées. Le bilan de la journée, c'est l'inspecteur Cornou, de Quimper, qui l'a finalement sous les yeux, grâce à de multiples photographies. Un samedi sanglant, un vrai carnage. Dont la police traque les responsables encore vivants…

 

Il serait injuste de considérer ce roman comme une simple réédition. D'abord, parce qu'à travers une postface actuelle, Hervé Jaouen nous raconte sa découverte du roman noir et ses débuts d'écrivain, ainsi que la genèse de ce premier livre. Il faut lire les préfaces de Pierre Magnan et Jean-Baptiste Baronian rendant hommage à l'auteur. En outre, cette édition présente “six nouvelles pour finir la noce”, des textes savoureux. Publié en 1979, “La mariée rouge” fut le premier titre de la collection Engrenages aux Éd.Jean-Goujon. Il est bon de rappeler que cette intrigue fit l'effet d'un électrochoc dans l'univers polar.

Avec des auteurs tels J.P.Manchette, J.Vautrin ou P.Siniac, les histoires avaient pris une nouvelle tonalité, d'un réalisme dur et souvent cynique. En plus du fait de décentraliser son sujet en Bretagne, Hervé Jaouen y ajoutait du vivant, du vécu quotidien, et une escalade de la violence sans nul doute surprenante. Un mariage sympathique mais banal, des voyous plutôt insignifiants, un digne banquier : on ne vas se laisser longtemps bercer par la routine d'un samedi provincial. Dès les premières pages, on réalise qu'il est question de meurtres et de viols, que le récit va fatalement baigner dans le sang. Il ne s'agit plus d'un bon suspense classique, mais d'un coup de poing aux tripes des lecteurs.

Il convient encore de souligner la construction du récit et le style narratif. Nous suivons en parallèle les protagonistes, chaque parcours étant raconté sur un ton différent. Un point commun, pourtant : ces portraits sont sans concession, sans pitié. Tous se trouvent impliqués dans un maelström qui va ravager leurs vies. Aujourd'hui, autant qu'à l'époque de sa parution initiale, “La mariée rouge” reste un roman plein de force, un des polars les plus marquants de ce genre littéraire.

Hervé Jaouen : La mariée rouge + six nouvelles (BibliOmnibus, 2015)

Hervé Jaouen est aussi diablement convaincant dans des textes plus courts. Bel exemple avec “L’argent de la quête”. Dans les années 1950, Youenn est le second fils d’une famille modeste. D’origine rurale, ils habitent un petit logement du quartier Sainte-Anne. Youenn est en maternelle "sous l’église" dans la classe de Sœur Odile. Enfant souffreteux, il apprend vite à lire et à écrire. Sœur Odile s’arrange pour qu’il n’aille pas en primaire à l’école laïque. Youenn adore se retrouver avec son père, syndicaliste affirmé qui n’aime ni les riches, ni "la curaille". Youenn ne nie pas les avantages de l’enseignement reçu, mais choisit d’être un athée respectueux. Son grand frère agace toute la famille en jouant au Monsieur. Il veut influencer leur mère pour que Youenn n’entre pas en 6e à l’école publique. L’astucieux gamin n’a pas dit son dernier mot… Ici, Hervé Jaouen restitue l’exact état d’esprit de la population modeste de l’époque. Politisés ou non, ces gens éprouvaient un respect méfiant envers la religion. La rébellion de Youenn constitue une étape importante pour lui…

“Le disparu de Men Diaoul” : Vincent Lalumière était prof de math, mais préféra changer de profession. Passionné par les chiffres, il s'installa comme numérologue. Un métier que l'on peut même exercer en bord de mer, l'été. C'est là qu'une ravissante jeune veuve aborde Vincent. Gardien de phare, son mari Léon a disparu. Néanmoins, la belle Laura pense qu'il n'est pas mort comme on le croit. Certes, Vincent devrait se méfier, car toutes les séries de chiffres autour de Laura aboutissent à un 7 maléfique. Cependant, sous le charme de la jeune femme, il accepte d'aller avec elle en mer jusqu'au phare de Men Diaoul, où a péri son époux. L'ancestrale réputation diabolique de cet endroit n'est probablement pas usurpée, finalement… Les autres nouvelles : “Une trop fine mouche”, “Abus de phosphore”, “Interrogation écrite”, “Stang Fall”. Une excellente façon d'explorer ou de redécouvrir tous les talents d'Hervé Jaouen.

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