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16 décembre 2018 7 16 /12 /décembre /2018 05:55

À New York, Bernie Rodenbarr est le propriétaire de Barnegat Books, librairie d’occasions en livres rares ou plus ordinaires. Ce commerce est situé dans la 11e Est, entre University Place et Broadway. Tout près de là, se trouve le salon de toilettage canin de Carolyn Kaiser, meilleure amie lesbienne de Bernie. Chaque soir, ils se retrouvent au Bum Rap, le bar du coin de la rue. Toutefois, l’activité la plus lucrative pour Bernie Rodenbarr, c’est le cambriolage. De tout ce qui a une valeur artistique en particulier. Mais ce jour-là, Carolyn attend Bernie dans l’appartement de celui-ci, s’alcoolisant comme souvent. Son chat birman a été enlevé, et la ravisseuse – qui s’exprime d’une voix gutturale – réclame une rançon de 250.000 $. Une somme que Carolyn est loin de posséder. Heureusement, Bernie est prêt à y remédier.

Qu’est-ce qui représente à peu près le montant exigé ? Une toile du peintre Piet Mondrian (1872-1944) par exemple. Sauf que, même en préparant soigneusement un vol, Bernie est conscient qu’il serait illusoire de dérober un Mondrian dans un musée. Néanmoins, il a une alternative. Il est en relation commerciale avec M.Onderdonk, homme fortuné qui habite l’immeuble Charlemagne, au cœur de New York. Si ce bâtiment de style est ancien, il est hautement sécurisé. À l’origine, ce qui intéressait Bernie, c’était la collection de timbres précieux d’Onderdonk. Ça se négocie assez facilement, les timbres de ce genre. Bernie ayant l’œil à tout, il savait que son voisin John Charles Appling possédait une toile de Mondrian. Ayant un pied dans l’immeuble Charlemagne, Bernie compte donc se risquer à dérober le tableau… qui a disparu entre-temps.

Si cette nuit-là, Bernie fait une sensuelle rencontre avec Andrea, l’amante du propriétaire des lieux, une mauvaise surprise l’attend. Onderdonk a été retrouvé dans le placard de sa chambre, ligoté, bâillonné et le crâne défoncé. Il semble bien que le crime se soit produit alors que Bernie se trouvait à proximité. La police n’a pas besoin de chercher longtemps un coupable : l’inspecteur Ray Kirshmann – qui connaît bien le libraire – procède dès le lendemain à l’arrestation de Bernie. Si son vieil avocat est décédé, Bernie en a un autre sous la main, jeune et sportif, qui ne tarde pas à le faire libérer sous caution. Pourtant, ce sera au libraire lui-même de comprendre les rouages de cette histoire afin d’établir son innocence. Pas si simple alors qu’apparaissent d’autres toiles de Mondrian, probablement fausses, et que l’on peut craindre d’autres meurtres…

Lawrence Block : Le voleur qui aimait Mondrian (Série Noire, 1995)

— J’ai de plus en plus de mal à te considérer comme un libraire et de moins en moins de difficultés à te voir sous les traits d’un cambrioleur. Ce que les journaux appellent un criminel de carrière endurci mais, dans cette affaire, tu serais plutôt un kleptomane prévoyant. Tu es retourné dans un appartement où tu avais laissé tes empreintes la veille au soir ? Et alors que tu étais entré dans l’immeuble sous ton vrai nom ?
— Je ne prétends pas que je n’aurais pas pu prendre une meilleure décision.
— Heureusement. Je ne sais pas, Bernie, mais je ne suis pas davantage certain que tu as pris une meilleure décision quand tu m’as engagé. Je connais bien mon métier, mais mon expérience criminelle est limitée, et je ne peux pas dire que j’ai vraiment beaucoup aidé le client qui avait poignardé deux personnes, même si je ne me suis pas trop cassé parce que j’ai pensé que tout le monde dormirait plus tranquillement quand il ferait des tours de piste à Green Haven. Mais tu as besoin de quelqu’un qui soit capable de manier un mélange de corruption et de négociation de l’inculpation ; et, si tu veux honnêtement mon opinion, ça me dépasse un peu.

Les onze aventures du libraire-cambrioleur new-yorkais Bernie Rodenbarr sont publiées en France chez Série Noire et aux Éditions Seuil, en poche chez Point. Si des séries comme celle ayant pour héros Matt Scudder s’avère très sombres, la tonalité de Lawrence Block est plus souriante – plus légère – autour de Bernie. Certes, des intrigues solides sont développées et ça ne manque ni de péripéties, ni de suspense. Mais l’action vive n’est pas la priorité de l’auteur, qui possède un sacré savoir-faire. Nous sommes les témoins de l’habileté et de la méthode de Bernie, autant que de ses efforts pour s’en sortir le moins mal possible à chaque fois. “Le voleur qui aimait Mondrian” en est un très bon exemple. Tous les romans de cette série sont chaleureusement conseillés.

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8 novembre 2017 3 08 /11 /novembre /2017 05:55

Keller est supposé être mort. Après avoir appris son métier de tueur à gages au service de Joey Rags, qu’il appelait le Vieil Homme, Keller devint l’un des meilleurs de la profession. New-yorkais d’origine, il exécuta ses cibles à travers les États-Unis, selon les cas que lui confiait son "agente", Dot. Du bon boulot, qui lui permit d’économiser un gros paquet de dollars sur un compte off-shore. Vu la tournure des événements, Dot et lui ont cessé leur activité. Elle s’est installée sous un faux nom en Arizona. Il est devenu Nicholas Edwards, vivant à La Nouvelle Orléans, avec sa compagne Julia et leur fille en bas âge, Jenny. Son associé Donny et lui se sont lancés dans la rénovation de maisons, fructueux artisanat après l’ouragan Katrina. L’économie américaine est fluctuante. La période faste a cédé la place à un certain marasme, réduisant fortement leur activité.

Par ailleurs, Keller est un philatéliste passionné. Il collectionne les timbres d’avant 1940, de divers pays du monde hors États-Unis. Un plaisir très coûteux, mais Keller a mis assez d’argent de côté pour s’y adonner. De nouvelles rentrées financières se présentent quand il est recontacté par Dot, qui s’ennuie dans sa vie bourgeoise à Sedona. Dans l’immédiat, Keller estime qu’il est trop tôt pour parler à Julia de cette facette de sa vie. Et puis, une mission à Dallas en marge d’une vente exceptionnelle de timbres, ça lui permet d’agir discrètement. Un mari voulant faire supprimer son épouse infidèle, dont il vit séparé, rien de très compliqué en apparence. Encore que dans un quartier huppé, Keller se ferait vite repérer s’il opérait ouvertement. Le maillon faible chez sa future victime, c’est l’employée de maison. Keller en profite, même si le résultat va s’avérer mitigé.

Un deuxième contrat ramène le tueur à gages dans sa ville natale, New York. Bien qu’il soit prudent et que les quartiers d’antan aient quelque peu changé, Keller sait qu’il risque d’y croiser d’anciennes relations. Y compris parmi les philatélistes. Quant à éliminer un homme d’Église véreux, aussi protégé dans son monastère que lorsqu’il en sort brièvement, l’affaire s’annonce complexe. D’autant que le père O’Herlihy possède une autorité naturelle qui trouble Keller. L’approcher par la ruse ne suffit pas pour réussir à le tuer, leur lieu de rendez-vous ne s’y prêtant guère. Invité dans un immeuble voisin du monastère, Keller envisage une solution pour s’y introduire. Néanmoins, il finit par entrevoir un moyen d’atteindre O’Herlihy, sans être sûr que ça provoque sa mort.

Ayant mis sa compagne Julia dans la confidence, d’autres missions attendent Keller. Une croisière en couple, au départ de Fort Lauderdale, n’est pas pour déplaire à Julia. La cible, car ce n’est pas seulement un voyage d’agrément, est un homme mûr et fortuné. Qui est accompagné de sa jeune épouse, très sexy, et d’un duo de gardes du corps costauds. À l’escale de Nassau, début des opérations… Le contrat suivant sera entre Denver, où Dot lui a désigné une cible, et la ville de Cheyenne, où la veuve d’un collectionneur de timbres a des merveilles à proposer. Un tri s’impose avant de négocier ce trésor impressionnant, au risque d’oublier d’exécuter sa mission… Il va devoir également se déplacer jusqu’à Buffalo, pour une affaire d’héritage autour de Mark, quatorze ans, philatéliste déjà assidu…

Lawrence Block : Tue-moi (Série Noire, 2017)

Il n’aurait jamais eu l’idée de chercher un monastère dans un tranquille quartier résidentiel des East Thirties de Manhattan. On ne s’attendait pas à voir un ordre monastique hébergé à Murray Hill, dans un bâtiment de cinq étages à la façade en calcaire. Et pourtant.
[…] Il était là ce bel homme. Tout comme il était là lorsqu’une équipe d’agents fédéraux est venue sonner à sa porte. (Si tant est qu’il y ait une sonnette. Keller remarqua un grand heurtoir en cuivre, et les fédéraux s’en étaient peut-être servis pour manifester leur présence). Keller aimait cette idée. Lorsqu’ils arrêtaient des dealers ils utilisaient un bélier et défonçaient la porte. En tout cas, c’était comme ça qu’ils faisaient à la télé et c’était impressionnant. Mais lorsqu’ils rendaient visite à un homme de Dieu, il était inutile de nuire à la tranquillité de l’endroit. Un discret coup de heurtoir devrait suffire.
C’est donc ce qu’ils ont fait, se dit Keller. Et il savait que leur venue n’avait pas été une surprise pour le père O’Herlihy, qui avait été prévenu par téléphone et était prêt à les recevoir, son avocat à ses côtés.

Les plus célèbres séries de romans de Lawrence Block ont pour héros des new-yorkais : le policier Matt Scudder, devenu détective privé sans licence, d’un côté ; et le libraire Bernie Rhodenbarr, as du cambriolage, de l’autre. Il est possible que l’on connaisse moins la série dédiée au tueur à gages Keller, qui ne compte que cinq titres écrits depuis 1998 (L’amour du métier, Le pouce de l’assassin, Le blues du tueur à gages, Keller en cavale, Tue-moi).

Certes, il s’agit d’un pro du crime, d’un assassin chevronné. Mais il n’est pas sans réfléchir à ses actes, pas uniquement au sujet du mode opératoire. Il déplaît à Keller de causer des dommages collatéraux, voire d’abattre certaines victimes visées. Aussi particulière soit-elle, il garde une sorte de morale. Dénuée d’aspect religieux, trait commun des principaux héros de Lawrence Block. Il arrive à Keller de profiter des circonstances, des réactions d’autres protagonistes, afin d’en tirer avantage. Capacité d’adaptation qui est son meilleur atout. Quant à sa "couverture", c’est la philatélie. Fin connaisseur en ce domaine, car les timbres rares ont une histoire, il ne cache pas que c’est une passion onéreuse. Plaisir de collectionner, et parfois fièvre d’acquérir des pièces circulant peu.

Les cinq missions qu’il effectue cette fois pourraient être lues telles des nouvelles. Étant un écrivain expérimenté — sa carrière couvre quelques décennies, Lawrence Block apporte une homogénéité à ces intrigues. Cette suite d’aventures se présente comme un roman, dont le pivot n’est autre que la famille de Keller : Julia et la craquante petite Jenny, qui s’intéresse aux "timbes" de papa. Comment ne pas apprécier la tonalité si personnelle des livres de Lawrence Block, qui reste un des maîtres du roman noir ?

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3 août 2017 4 03 /08 /août /2017 04:55

Matthew Scudder a longtemps été policier à New York, métier qu’il a abandonné : “Une balle perdue que j’avais tirée avait tué une fillette nommée Estrellita Rivera, mais je ne pense pas que ce soit le remords qui m’ait incité à quitter la police. En fait, cet incident avait transformé ma vision du monde, si bien que je n’avais plus envie d’être flic.” Matt Scudder a aussi quitté son épouse et ses enfants, pour loger dans une modeste chambre d’hôtel. Il a bientôt sombré dans l’alcoolisme le plus extrême, jusqu’au coma éthylique, frôlant la mort. Il suit sans conviction les réunions des Alcooliques Anonymes. Même s’il parvient à rester abstinent quelques jours, on ne peut pas le considérer comme repenti. Il est officieusement détective privé, sans licence, ni rentrées d’argent régulières.

Venue de sa cambrousse, Kim est une séduisante prostituée âgée de vingt-trois ans, qui exerce à New York depuis quatre années. Voulant décrocher, elle engage Matt Scudder afin qu’il serve d’intermédiaire avec son souteneur. C’est un Noir qu’on appelle Chance, dont on ne connaît pas l’adresse précise. Scudder le cherche vainement dans les clubs plus ou moins miteux de Harlem. Ils finissent par se rencontrer lors d’une soirée de boxe. Chance n’est pas un proxénète inculte et brutal. Il n’est pas opposé à ce que Kim reprenne sa liberté, d’autant que d’autres jeunes femmes travaillent pour lui. L’affaire se règle donc à l’amiable. Mais le surlendemain, Kim est retrouvée assassinée dans une chambre d’hôtel. Un meurtre sanglant, la prostituée ayant été massacrée avec une machette.

Difficile pour Scudder de surmonter son besoin d’alcool dans ces conditions. Il aurait bien besoin d’un sevrage sévère, mais refuse d’être soigné. Il s’est mis en contact avec le flic Joe Durkin, lui faisant part de ses soupçons contre Chance. Mais ce dernier possède un bon alibi. Policier désabusé quant à la criminalité new-yorkaise, quelque peu raciste, Joe Durkin pense qu’une enquête sur la mort d’une prostituée n’aboutirait pas à grand-chose. Peu après, Chance renoue avec Scudder, l’engageant pour découvrir l’assassin de Kim. Le proxénète lui accorde une certaine confiance, l’invitant dans sa maison du quartier de Greenpoint, lui montrant sa collection d’Art Africain. Scudder finit par accepter la mission. À part le faux nom utilisé par le client-assassin, il n’a quasiment aucun indice.

Espérant mieux cerner la défunte Kim, Matt Scudder rend visite aux autres prostituées de Chance. Mais chacune d’elles a son parcours personnel. Une vieille voisine de Kim résume l’individualisme ambiant : “Les New-yorkais sont comme ces lapins. Nous vivons ici pour profiter de ce que la ville peut nous procurer sous forme de culture, de possibilité d’emploi ou ce que vous voudrez. Et nous détournons les yeux quand la ville tue nos voisins ou nos amis. Oh bien sûr, nous lisons ça dans les journaux, nous en parlons pendant un jour ou deux, mais après nous nous empressons d’oublier. Parce qu’autrement, nous serions obligés de faire quelque chose contre ça, et nous en sommes incapables. Ou bien il nous faudrait aller vivre ailleurs, et nous n’avons pas envie de bouger.”

Avec le flic Durkin, Matt Scudder tente d’établir le scénario du crime, le comportement du tueur. Lapin ou vison ? Selon Chance, la veste en fourrure de Kim était en peau de lapin. Mais elle en possédait bien une en vison. Peut-être offerte par un petit-ami généreux, une piste à explorer pouvant conduire au tueur ? Ayant été agressé par un minable voyou à Harlem, Scudder le met hors d’état de nuire et récupère son arme. Un peu plus tard, c’est Sunny – une autre des prostituées de Chance – qui est retrouvée morte. Un suicide, qui ne fait pas de doute, ne causant pas d’ennuis supplémentaires à Scudder, ni à Chance. Le meurtre d’un autre personnage, entrevu autour de la mort de Kim, va relancer l’affaire. Et révéler bientôt les rouages de ces crimes…

Lawrence Block : Huit millions de façons de mourir [Huit millions de morts en sursis] – (Série Noire, 1985)

Le vent, à New York, a parfois un comportement curieux. Les hauts bâtiments semblent le casser, le diviser, puis le faire tourbillonner comme une boule de billard anglais, de sorte qu’il rebondit de façon imprévue et souffle dans des sens différents d’un pâté de maisons à l’autre. Ce matin et cet après-midi-là, où que je sois, il me soufflait dans la figure. Quand je tournais le coin d’une rue, il tournait avec moi, mais toujours face à moi pour mieux m’asperger de pluie. Il y avait des moments où cela me semblait revigorant, d’autres où je baissais la tête, remontais les épaules, maudissais les éléments et me traitais d’imbécile pour ne pas être resté chez moi.

Lawrence Block : Huit millions de façons de mourir [Huit millions de morts en sursis] – (Série Noire, 1985)

Bien que ce roman soit le 5e, sur dix-sept, de la série ayant pour héros Matthew Scudder, c’est le premier qui fut traduit en français, en 1985. Aux États-Unis aussi, c’est ce roman qui va vraiment faire connaître le personnage. Paru sous le titre Huit millions de morts en sursis”, cet intitulé changea pour Huit millions de façons de mourir” en 1986. Car c’était le titre d’un film de Hal Asby, avec Jeff Bridges, Rosanna Arquette, Andy Garcia, Randy Brooks, Alexandra Paul, adapté de ce livre cette année-là. Si Scudder y est un ex-flic en proie à la même dérive alcoolique, l’intrigue a pour décor Los Angeles. L’intrigue rythmée du film privilégie une bonne part de violence. Malgré les points communs, on est loin de l’esprit du récit. Où l’on trouve deux personnages principaux : Scudder et… New York.

En effet, c’est un portrait de cette métropole au début de la décennie 1980 que dessine Lawrence Block. Le détective sillonne les rues, les quartiers et des lieux tel Central Park, au cours de ses investigations. L’histoire est ponctuée de ces faits divers auxquels la population de New York s’est habituée. Des incivilités dans le métro jusqu’aux plus sanglants des crimes, cette ville est un concentré d’insécurité à l’époque. Cela explique le cynisme du policier Joe Durkin : “Vous êtes victime d’une agression en rentrant chez vous, mais vous ne subissez aucun dommage en dehors du fait que le type vous a volé votre argent ? Estimez-vous heureux d’être encore en vie. Rentrez chez vous et dites une Action de Grâce.” Il faut y voir un témoignage plutôt qu’une approbation.

Les aventures de Scudder sont plus sombres et dures que celles de Bernie Rhodenbarr, le libraire cambrioleur, autre série de Lawrence Block. Par exemple, le détective fait preuve de violence envers le braqueur qui l’a attaqué, réaction défensive conforme au contexte en question. Quant au singulier proxénète Chance, Scudder n’exprime aucun racisme à son égard. On souligne assez simplement la lucidité de Chance, qui rappelle que des cohortes de jeunes femmes débarquent quotidiennement à New York pour s’y prostituer. Toutes les situations décrites sont réalistes, communes, plausibles, fortes parfois.

Reste l’alcoolisme de Matthew Scudder, autre fil conducteur du roman. Le processus du recul de la dépendance aux boissons alcoolisées est en cours, mais le combat est loin d’être gagné. Scudder assiste irrégulièrement aux réunions de Alcooliques Anonymes, mais se tait sur son propre cas. Il écoute les conseils, notamment de son amie Jan, mais le climat n’est pas propice à la rémission. Par ailleurs, à chaque salaire reçu, il laisse une dîme de dix pour cent dans un tronc d’église, geste qu’il ne s’explique pas vraiment à lui-même, n’éprouvant aucun sentiment religieux.

Huit millions de façons de mourir” est un roman noir dense où, grâce à Matthew Scudder, l’individu compte autant que la masse des huit millions habitants de la ville. En 1983, il a été récompensé par le Prix Shamus (pour des romans dont le héros est un "privé", Shamus signifiant détective privé dans le langage populaire américain).

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18 juillet 2017 2 18 /07 /juillet /2017 04:55

À New York, le dentiste Craig Sheldrake et son épouse Crystal sont divorcés. Craig a demandé au cambrioleur Bernie Rhodenbarr de s’introduire chez son ex-femme en son absence, et d’y récupérer un maximum de bijoux et des montres, ainsi que les quelques centaines de dollars qu’il trouvera. À l’époque de leur mariage, ces bijoux étaient un placement pour masquer des sommes non-déclarées. Bien que l’immeuble soit sécurisé, Bernie Rhodenbarr n’éprouve aucune difficulté à pénétrer dans l’appartement. Pensant être tranquille pour la soirée, il remplit sans se presser la mallette qu’il a apportée. Mais Crystal est de retour plus tôt que prévu, en compagnie d’un amant d’un soir, comme souvent. Bernie est obligé de se réfugier dans la penderie de la chambre de Crystal, où il risque d’étouffer si les ébats de la femme du dentiste s’éternisent.

Bernie a juste oublié sa mallette dans une pièce de l’appartement. Il se retrouve bientôt enfermé à clé dans ce fichu placard. Il est témoin auditif du meurtre de Crystal Sheldrake, qu’il constate avant de quitter les lieux. Sans sa fameuse mallette, qui a disparu. Jillian Paar est la svelte et menue assistante du dentiste Craig Sheldrake, et sans nul doute son amante. Jillian n’ignore pas que Bernie est un cambrioleur, et pense le plus grand mal de l’ex-épouse de son patron. Dès le lendemain, elle contacte Bernie afin de lui apprendre l’arrestation du mari de Crystal. Elle ne peut pas vraiment fourni d’alibi au dentiste. Bernie ne tarde pas à la rejoindre. Deux duettistes de la police, pas franchement désopilants, viennent les interroger. C’est ainsi que Bernie et Jillian vont savoir que la victime a été tuée avec un scalpel de dentiste. Un indice un peu trop évident pour désigner le mari.

Face aux deux flics Todras et Nyswander, Jillian et Bernie font semblant d’être ensemble. Par la suite, elle et lui vont mener chacun leur petite enquête. Dans les bistrots fréquentés par Crystal, Bernie est obligé de s’alcooliser mais ça porte ses fruits. Grâce à Frankie, une amie proche de la victime, il situe trois hommes possiblement suspects. Peut-être furent-ils des patients du dentiste, c’est à vérifier. À ce stade, Ray Kirschmann – “le meilleur flic qu’on puisse se payer avec du fric” – pointe son nez dans cette affaire. La moitié du butin, voilà ce qu’il réclame, après avoir fait part de ses déductions à Bernie.

Pendant ce temps, Craig Sheldrake a été libéré, après avoir balancé le cambrioleur aux flics. Pour se dédouaner, Bernie suit ses principales pistes. L’artiste-peinte Walter Grabow n’est pas facile à retrouver, et il vaut mieux ne pas s’éterniser avec lui. Quant au nommé Knobby, c’est un barman logeant dans un studio pas du tout propre. Bernie y découvre une mallette. Pas la sienne, mais celle-ci contient une forte somme en billets. Ça sent la combine à haut risque, il est donc préférable de cacher ladite mallette au plus tôt. Quand un témoin de l’affaire est assassiné, Bernie devient plus suspect que jamais pour les flics…

Lawrence Block : Le monte-en-l’air dans le placard (Super Noire, 1979)

Jillian était incontestablement une charmante jeune personne. De plus, je préférais de beaucoup être appelé Bernie, plutôt que M.Rhodenbarr que j’avais toujours trouvé un peu pompeux. Ses doigts sentaient bon les épices, et il semblait raisonnable de supposer que cela ne se limitait pas à ses doigts. Jillian était le tendre objet de Craig, bien sûr, ce qui ne me dérangeait pas car je n’avais aucune intention d’aller semer la discorde dans les relations passionnelles d’autrui. Ce n’est pas mon genre. Je ne vole que des espèces et des objets inanimés. Malgré tout, on n’a pas besoin d’avoir des visées sur une jeune personne pour apprécier sa compagnie. Et si Craig était reconnu coupable, Jillian se retrouverait sans emploi et sans amant, tout comme je serais sans dentiste, donc nous n’aurions aucune raison de ne pas nous consoler mutuellement.
Mais pourquoi bâtir des châteaux en Espagne ? Un salaud n’avait pas seulement tué Crystal Sheldrake. Il avait eu le culot de voler les bijoux que j’avais déjà volés. Et j’avais la ferme intention de lui faire payer ça.

Ce roman a été transposé au cinéma en 1987 sous le titre “Burglar”, un film d’Hugh Wilson avec Whoopi Goldberg, dans le rôle principal. Bernie devient Bernice Rhodenbarr, cambrioleuse californienne. Avec un Carl, à la place de sa meilleure amie Carolyn. Le flic malhonnête Ray Kirschmann est présent, mais c’est la dentiste Cynthia Sheldrake qui embauche Bernie et son mari qui sera assassiné. Lawrence Block aurait peu apprécié cette version de son roman. Il est vrai que l’image de la pétulante Whoopi Goldberg colle assez mal avec celle du libraire-cambrioleur Bernie Rhodenbarr. Et que l’ambiance new-yorkaise joue son rôle dans cette série de romans.

Après “Le tueur du dessus” (1978), “Le monte-en-l’air dans le placard” (1979) est la deuxième aventure de Bernie, sur les onze romans dont il est le héros (jusqu’en 2016). Son amie lesbienne Carolyn Kaiser ne figure pas encore au casting. Habitant dans la 71e Rue, côté West End, il n’a pas encore repris la librairie Barnegat Books sur la 11e Rue-est de Greenwich Village. Fortement soupçonné, il a tout intérêt à se sortir du pétrin en retrouvant le vrai coupable : intrigue classique du polar. Évidemment, c’est la tonalité enjouée de Lawrence Block qui fait toute la différence. Bernie étant un charmeur, on verra s’il a des chances de garder la belle Jillian. S’il doit parfois filer en vitesse, il aime beaucoup ruser avec la police, et improviser une identité-bidon afin d’obtenir des renseignements. Nul doute qu’il saura tirer profit de cette histoire, pourtant mal engagée. Le roman noir peut s’avérer souriant, en voici la preuve.

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27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 06:09

Aux États-Unis, à la fin des années 1950. Marié depuis deux ans à la blonde Mona, Ted Lindsay est journaliste à Louisville. Du moins l’était-il jusqu’au sinistre départ de sa compagne. Ted s’est alors enfoncé dans la dépression. Le docteur Strom ne préconisa qu’une seule thérapie : un changement de vie radical, ailleurs. C’est ainsi qu’il est parti s’installer à New York. Ted n’a pas tardé à trouver un job de serveur de nuit dans un bar-restaurant de quartier, chez Grace. Ce n’est pas très loin de la 73e Rue Ouest, où il loge. Ted n’oublie pas complètement Mona, mais débute pour lui une existence routinière. Sans femme, donc sans rapport sexuel, ce qui commence à lui turlupiner la virilité.

Un jour, dans la rue tout près de son studio, Ted flashe sur une brune, qui représente pour lui l’idéal, la femme de ses rêves. Certes, il a bien tenté une torride relation avec la rousse Rosie Ryan. Une bombe sexuelle, certainement. Une nymphomane qui l’aurait vite mis à plat, s’il avait persévéré. Tandis que la brune inconnue, c’est autre chose de beaucoup plus fort. Il a l’intuition que c’est le destin qui passe, qu’il ne doit surtout pas louper. Il réussit à découvrir l’identité de la jeune femme : Cinderella Sims. Toutefois, le premier contact avec celle-ci s’avère très tendu, car elle le braque avec un flingue. Elle exige de savoir pourquoi il la surveille. Ted ne lui cache rien, avant que ce soit à son tour de s’expliquer.

Cindy a été employée dans un casino du Nevada. Elle y fut témoin d’une embrouille, où un pigeon se fit arnaquer par un petit groupe d’escrocs, dirigé par un nommé Reed. Boulot de professionnels, pour un joli pactole : 50.000 dollars en billets de vingt. Sauf que c’est Cindy qui a ramassé le butin et s’est enfuie avec, jusqu’à New York. Où Reed et sa bande ont de bonnes chances de la retrouver, craint-elle. Ted accepte de protéger Cindy, prête à lui céder la moitié de la somme ; à lui céder son magnifique corps, aussi. Ayant le projet depuis longtemps de diriger son propre hebdo local, Ted imagine déjà une vie future avec Cindy. Encore faut-il se débarrasser de la menace, le gang de Reed n’étant pas loin.

Non sans risques, Ted est parvenu à récupérer le paquet intégral de dollars. Peu après, le couple prend l’avion pour Phoenix (Arizona), s’espérant hors de portée de Reed. C’est là que Ted commence à s’interroger sur l’histoire que lui a racontée Cindy. Rocambolesque quand même, ce scénario. Et puis, tous ces billets ont-ils réellement la moindre valeur ? La rencontre entre Cindy et lui, est-ce totalement le hasard ? Le périple du couple va les entraîner de Phoenix jusqu’à San Francisco, puis à un bungalow délabré à la lisière de Madison City dans le Nevada. Avec Reed et ses hommes à leurs trousses…

Lawrence Block : Cendrillon, mon amour (Éd.Seuil, 2003)

J’évaluai mes chances de lui casser la gueule et conclus qu’elles étaient infimes. Même sans arme, il m’enverrait très certainement au tapis. Avec l’arme, j’étais fichu. Il me suffisait de sortir de ma cachette pour signer mon arrêt de mort. Je songeai quelques instants au plaisir que ce serait de ne pas être mort. La perspective de saigner plusieurs heures sur le trottoir et de passer quelques jours à la morgue, allongé sur une dalle grise et froide, et plusieurs éternités au fond d’un trou à Riker’s Island n’avait rien d’alléchant.
Et donc ? Une autre possibilité s’offrait à moi. Je pouvais faire demi-tour, longer le hall dans l’autre sens, échanger en marmonnant des politesses absurdes avec l’imbécile de portier et m’en aller. Ça ne me ferait pas courir grand danger. Ce serait un jeu d’enfant. Je dirais un tendre au revoir à Cinderella Sims, un autre tendre au revoir à cinquante mille dollars, et basta. Ça valait mieux que de dire un tendre au revoir à la vie, non ?

Ce roman de Lawrence Block fut publié sous le pseudonyme d’Andrew Shaw, nom collectif utilisé aussi par Donald Westlake (et d’autres) pour une collection de romans "sexy". En effet, quelques scènes assez chaudes pour l’époque parsèment cette histoire. Ce livre fut exploité sous plusieurs titres : “$20 Lust” puis “Cinderella Sims”. Il n’a été traduit qu’en 2003, quand Lawrence Block a intégré ce polar dans sa bibliographie.

Il en est au tout début de sa longue carrière de romancier quand il l’écrit. Pourtant, on sent de la maturité dans cette intrigue. Notamment dans la manière d’évacuer les étapes précédentes qui ne servent plus à alimenter le récit. Exit le souvenir de Mona, puis fini le bistrot de Grace, dès que Ted Lindsay est lancé dans une aventure qui se doit d’avancer à bon rythme. Quand vient le moment de "faire le point", nul besoin de multiplier les pages. L’action redémarre bientôt. N’espérons pas que triomphe la moralité dans ce noir conte de fées version Lawrence Block.

Outre une forme d’humour, on peut noter la concision des descriptions, qui suffit pourtant à indiquer le climat général : “Le quartier était intéressant. Plein de gouines et de pédés – les plus discrets du lot, ceux qui ne se voyaient pas habiter le Village – plus une bande d’Irlandais qui venaient picoler dans les merveilleux bars de Columbus Avenue, une pincée de Portoricains et un échantillonnage des divers specimen qu’on rencontre à Manhattan. Le quartier se composait de petits magasins, de bars et de commerces dans Columbus Street et Amsterdam Avenue, et de magasins plus importants et de restaurants dans la 72e. Il y avait surtout des maisons de grès brun, avec parfois un immeuble en brique dans les rues adjacentes. Ceux qui aiment ça tombaient de temps en temps sur un arbre…” Un roman de Lawrence Block qui ne manque pas de qualités.

Lawrence Block : Cendrillon, mon amour (Éd.Seuil, 2003)
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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 06:02

En cet automne, voilà sept mois que l’ancien cambrioleur Bernie Rhodenbarr a repris la librairie Barnegat Books sur la 11e Rue-est à Greenwich Village, au cœur de New York. Il était temps qu’il mène une vie normale, même si le policier Ray Kirschmann doute qu’il se soit rangé. Non loin de là se trouve le salon de toilettage de son amie lesbienne Carolyn Kayser, son "âme-sœur". Celle-ci étant souvent esseulée, ils passent leurs soirées à picoler ensemble. Mais pas ce soir-là car Bernie — qui n’a effectivement pas cessé son activité de cambrioleur — va opérer dans le quartier chic de Forrest Hills Gardens. Chez ce Jesse Arkwright, il y aurait quantité d’objets de valeur à dérober. Bernie n’est là que pour un livre, une édition introuvable de Rudyard Kipling.

C’est un nommé M.Whelkin qui lui a promis une très belle somme contre “La libération de Fort Bucklow”, un ouvrage antisémite de Kipling. Il n’en reste qu’un seul exemplaire, avec une dédicace à l’écrivain H.Rider Haggard, grand ami de l’auteur. Jesse Arkwright semble avoir acquis ce livre au détriment de M.Whelkin, vrai collectionneur décidé à le récupérer. Le vol lui-même ne pose pas de problème à Bernie, qui a rendez-vous avec son client. Entre-temps, un Sikh surgit chez Barnegat Books et oblige le libraire à lui remettre “La libération de Fort Bucklow”. Bernie est quand même plus malin que ça : il détient toujours le livre. Néanmoins, il se demande comment le Sikh était informé du vol. Le rendez-vous avec son client M.Whelkin est fixé chez une certaine Madeleine Porlock.

Bernie ne s’est pas suffisamment méfié de cette femme, qui l’a endormi avec un puissant somnifère. Quand il retrouve ses esprits, Madeleine Porlock a été assassinée et le revolver a été placé dans la main du libraire. Fâcheux, d’autant que la police ne tarde pas à pointer son nez. Bernie prend la fuite, avant de se réfugier dans l’appartement de Carolyn Kaiser, absente en journée. Par la radio, il apprend sans grande surprise qu’on le recherche pour meurtre. Au retour de Carolyn chez elle, Bernie dresse le bilan des événements. Il n’a pas gagné un dollar dans tout ça, et sent qu’on a monté un scénario bien moins simple qu’il y paraît. Carolyn enquête sur M.Whelkin, dont on ne sait s’il est Anglais ou Américain, tandis que Bernie s’intéresse à la piste Madeleine Porlock, supposée psychothérapeute.

Grâce au couple de sympathiques voisins de Mrs Porlock, le libraire en cavale s’introduit dans l’appartement de la défunte. Outre des signes fétichistes, Bernie y trouve le précieux livre. Il va être bientôt en contact avec le commanditaire du Sikh, le maharadjah de Ranchipur, de nouveau avec M.Whelkin, et avec un autre acheteur potentiel de l’ouvrage. Ray Kirschmann, dont le jeune collègue Francis Rockland a été blessé en marge de cette affaire, ne refusera pas un peu d’aide à Bernie. Quant à démontrer son innocence en poussant le coupable aux aveux, il faudra jouer serré…

Lawrence Block : Vol et volupté (Série Noire, 1981)

C’est vrai que je me faisais vieux. C’est vrai que je redoutais de me faire dévorer par des chiens de garde, tirer dessus par des propriétaires irrités et enfermer par les autorités dans quelque cellule à l’épreuve des rossignols. Vrai, vrai, tout était vrai, et alors ? Rien de tout cela n’avait d’importance quand j’étais dans le demeure de quelqu’un, avec tous ses biens étalés devant moi comme un festin sur une table de banquet. Je n’étais pas si vieux que ça, bon Dieu ! Ni aussi effrayé.
Je n’en suis pas autrement fier. Je pourrais raconter des tas de sottises sur le criminel grand héros existentiel de notre époque, mais pourquoi ? Je n’y crois pas moi-même. Je ne suis pas fou des criminels et le pire dans les prisons, c’est d’avoir à en fréquenter. J’aimerais mieux vivre comme un honnête homme au milieu d’honnêtes gens, mais je n’ai encore trouvé aucune carrière honnête qui me procure autant de plaisir. J’aimerais bien qu’il existe un équivalent moral du cambriolage, mais il n’y en a pas. Je suis un voleur-né et j’adore ça.

Après “Le tueur du dessus” (1977) et “Le monte-en-l’air dans le placard” (1979) parus dans la collection Super Noire, “Vol et volupté” (1981) est la troisième aventure de Bernie Rhodenbarr, libraire d’occasion new-yorkais et cambrioleur impénitent. Jusqu’en 2016, onze romans de la série ont été traduits en français. On ne dénigrera pas la traduction, mais le titre original eût été séduisant : "Le cambrioleur qui aimait à citer Kipling". Peu importe que le livre anti-Juifs attribué à cet écrivain ait existé. La réputation colonialiste et militariste de Rudyard Kipling donne à penser que son caractère fut basé sur des préjugés de ce genre-là. Cette histoire évoque également H.Rider Haggard, son contemporain et son ami, écrivain peut-être un peu oublié désormais.

On notera un hommage appuyé de Lawrence Block au personnage de Parker, héros dur et cynique des romans signés Richard Stark (D.Westlake, 1933-2008). Grands amis, ces deux auteurs prolifiques présentent certains points communs. Toutefois, Bernie Rhodenbarr est plus souriant que la plupart des protagonistes chez Donald Westlake. Il se revendique professionnel du cambriolage (à l’opposé de l’impréparation des petits braqueurs), opère avec méthode et sang-froid, tout en affichant une part de dilettantisme. Accusé cette fois d’un meurtre, il ne panique pas : le véritable assassin ne lui échappera pas. Carolyn Kaiser va s’impliquer afin qu’il résolve le problème (au risque que son amante Randy se fâche). Une intrigue qui débute "en douceur" avant d’adopter une tonalité plus énigmatique, qui alimente un passionnant suspense. Pas de réédition depuis 1981, hélas.

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17 octobre 2016 1 17 /10 /octobre /2016 05:11

Malgré la concurrence du livre numérique, la librairie Barnegat Books existe toujours au cœur de New York. Située sur la 11e Rue-est à Greenwich Village, elle est tenue depuis de nombreuses années par Bernie Rhodenbarr. Il est propriétaire de l’immeuble où se trouve sa boutique. À quelques pas de là, le salon de toilettage Poodle Factory est dirigé par son amie lesbienne Carolyn Kayser. Déjeunant ensemble ou partageant leurs soirées, Bernie ne cache rien à cette fidèle copine. Ni ses rencontres amoureuses, même si le mariage ne fait nullement partie de ses projets. Ni son activité parallèle, plus rémunératrice que la vente de livres, car Bernie est un cambrioleur émérite. Certes, le policier Ray Kirschmann a parfois failli le coincer, mais le libraire lui certifie ne plus être un voleur.

Il existe toutes sortes de collectionneurs. Œuvres d’art, livres rares ou objets insolites, on voit parfois des gens se passionner et payer cher pour alimenter leurs collections. C’est le cas de l’anonyme M.Smith, qui contacte Bernie. Il veut se procurer le manuscrit original de la nouvelle “L’étrange histoire de Benjamin Button”. Il ne s’intéresse pas à la littérature de Francis Scott Fitzgerald. Encore qu’il ne soit pas indifférent à un texte proche de cette nouvelle, dû à un écrivain européen oublié. Bernie se débrouille donc pour aller dérober le manuscrit de Fitzgerald au musée Galtonbrook. Si M.Smith paie comme prévu, Bernie va bientôt comprendre la vraie nature de la collection de son client. Ce dernier aura plus tard une seconde mission à lui confier, qui doit se dérouler en deux temps.

Bernie va vivre une brève relation avec une certaine Janine (est-ce son vrai prénom?). La jeune femme estime qu’il ne concorde pas avec le plan marital qu’elle s’est fixée. Ce qui est assez probable. Quant au policier Ray Kirschmann, il vient voir Bernie à la librairie au sujet d’un cambriolage ayant peut-être entraîné un décès. Il ne le soupçonne pas d’être le coupable. D’ailleurs, on ne sait trop de quoi est morte la vieille Mme Ostermaier. Le choc de tomber sur le voleur en rentrant chez elle ? Peu probable. Après autopsie, la véritable raison laissera sceptique Bernie et le policier. Ray Kirschmann note que le libraire utilise inconsciemment le terme “d’intrus” plutôt que de dire “le cambrioleur”. Il est vrai que la mise en scène apparaît trop soigneuse pour être signée par un simple voleur.

La nouvelle mission, en deux temps, commanditée par M.Smith a pour but de rencontrer M.Leopold, un excentrique logeant dans un immeuble ultra-sécurisé. L’objet unique désiré par M.Smith appartient, à son moindre niveau, à l’Histoire des États-Unis. Bernie ne va pas le voler, mais il peut compter sur Chloe Miller pour s’en charger à sa place, contre une belle rétribution. Elle fera même en sorte que M.Leopold ne suspecte pas le libraire. Pas sûr que toute cette opération laisse un bénéfice à Bernie. Pas plus que de résoudre, avec le policier Ray, le curieux cas du décès de Mme Ostermaier…

Lawrence Block : Le voleur qui comptait les cuillères (Série Noire, 2016)

Tout ce que fait ce manuscrit, ai-je dit, c’est de traîner au sous-sol. Je serais tenté de dire "de prendre la poussière", mais il faudrait qu’il soit à l’air libre pour que la poussière puisse se déposer dessus, alors qu’il est dans une boîte où personne ne le voit jamais. Il est répertorié et catalogué, parce que sinon Smith ne serait pas au courant de son existence, mais comme il porte le titre original de Fitzgerald, les gens du musée ne savent pas ce que c’est. Et ils ne le sauront très probablement jamais parce que personne, là-bas, ne s’y intéresse assez pour le découvrir. Tu sais où se manuscrit devrait être ? À Princeton, avec le reste des archives de l’auteur, et la seule façon dont il pourra y parvenir est que mon ami Smith mette la main dessus et le lègue à l’université…

Voilà bientôt quatre décennies que sévit le libraire Bernie Rhodenbarr, ce pur new-yorkais originaire de l’Ohio. C’est certainement le dernier gentleman-cambrioleur, dans la lignée d’Arsène Lupin. Encore qu’il fasse plutôt référence à Raffles, héros créé par le beau-frère de Conan Doyle, plus célèbre dans le monde anglo-saxon. Si le productif Lawrence Block a écrit par ailleurs des suspenses plus sombres, les aventures de Bernie sont davantage destinées à sourire. (Notons le comique de répétition, avec les portions de cet “Écluse Panama” que Carolyn et Bernie testent à chaque déjeuner). Toutefois, ne nous y trompons pas, la construction du récit montre la superbe maîtrise narrative de l’auteur, toute en souplesse et en péripéties croisées.

Commerçant dans le civil, cet "as de la cambriole" n’en a pas moins une vie personnelle, qui fait autant partie intégrante de l’intrigue. Soulignons que, bien que respectueux de l’objet-livre, Bernie n’est pas aveugle concernant les nouvelles technologies et les modes de vente actuels. Quant aux couples gays ou lesbiens, le sujet est également illustré ici.

On peut supposer que les détails historiques évoqués au cours des tribulations de Bernie soient exact. Par exemple, Alexander Roda Roda (1872-1945) fut bien un écrivain d’autrefois. De même pour l’orfèvre juif américain Myer Myers (1723-1795). Savoir si on y ajoute une part fictionnelle, quelle importance lorsque c’est aussi bien raconté ? Voilà ce qui fait le charme des romans de cet auteur : on se laisse bien volontiers porter par le récit. Encore un excellent titre de Lawrence Block !

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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 04:55

New York, au début des années 1990. Matt Scudder y fut policier, à l'époque où il vivait à Long Island avec son épouse et leurs deux fils. La pression du métier de flic et l'alcoolisme ont entraîné Matt Scudder dans une sale affaire. Parrainé par Jim Faber, il est désormais abstinent, et suit régulièrement les réunions des Alcooliques Anonymes. Il vit avec Elaine, une call-girl pas exigeante à son égard, qui a plutôt une bonne influence sur lui. Scudder s'affiche détective privé. S'il fait des vacations ponctuelles pour une grosse agence, le reste de ses missions est officieux. Frôler l'illégalité ne le dérange pas. Son sens de justice personnel peut l'amener à régler en personne quelques comptes. Même si son meilleur ami, le truand Mick Ballou s'est mis au vert en Irlande, Scudder garde de multiple contacts dans la faune new-yorkaise.

Âge de trente-trois ans, Kenan Khoury est un trafiquant de drogue, pas un dealer mais un importateur de stocks. Avec son frère Peter, de deux ans son aîné, ils sont issus d'une famille chrétienne libanaise. Kenan ne nie pas qu'il fait un métier sale, mais il a toujours été réglo avec tout le monde. Ex-junkie, Peter a cru s'en sortir par la boisson. Sevré, il est aussi un habitué des réunions d'A.A., moins assidu que Matt Scudder. Kenan Khoury est marié avec Francine, d'origine Palestinienne. Alors que la jeune femme fait des achats, elle est enlevée par trois hommes dans un fourgon bleu. Très rapidement, les ravisseurs vont réclamer une rançon d'un million de dollars. Kenan Khoury négocie à quatre cent mille. Avec Peter, ils livrent le fric exigé. Mais ils ne retrouvent finalement que le cadavre dépecé de Francine, en plusieurs paquets. Qu'ils vont incinérer clandestinement.

Kenan Khoury engage Scudder, offrant un bel acompte, afin de découvrir les coupables. Il y a bien eu des témoins du kidnapping dans le quartier, mais le trio est mal identifiable. Scudder contacte le flic Joe Durkin, au sujet d'une affaire similaire qui s'est produite un an plus tôt. Il existe quelques points communs. Une préparation de l'enlèvement de Francine paraît improbable, s'il ne s'est rien passé d'autre entre-temps. Son copain l'ado black TJ attire l'attention de Scudder sur les cabines téléphoniques du secteur. Plus tard, grâce à un duo de hackers appelés les Kong, ils vont explorer le réseau et les appels vers chez Kenan Khoury.

Dans les archives du New York Times, Matt Scudder découvre le cas d'une étudiante agressée à peu près comme Francine. Il tente d'en savoir plus en s'adressant à un flic des Homicides de Brooklyn, John Kelly. Intéressé par ces crimes, celui-ci pourrait jouer son rôle le moment venu. D'ailleurs, même si Scudder parvient à identifier les ravisseurs et à reconstituer les faits, peut-être vaudra-t-il laisser la police et le FBI se charger de conclure. Pourtant, l'affaire risque de prendre une autre tournure…

Lawrence Block : Balade entre les tombes (Série Noire, 2014)

La série consacrée par Lawrence Block à Matt Scudder comporte dix-huit titres. Cette aventure était la dixième vécue par l'ex-policier devenu détective. Elle nous est présentée avec une nouvelle traduction, signée Mona de Pracontal, pour la Série Noire. Car une adaptation cinématographique a été réalisée d'après cette intrigue. Le film, avec Liam Neeson dans le rôle de Scudder, sort en France dès le 15 octobre 2014. Voilà une bonne occasion de redécouvrir un des excellents romans de Lawrence Block.

Dans la meilleure tradition des histoires de détectives, Matt Scudder est un pur citadin, qui connaît presque la moindre ruelle new-yorkaise, et un homme tourmenté. Sa sobriété et sa relation avec son amie prostituée l'aident à conserver un bon équilibre. Connaître les contacts utiles et savoir au besoin jouer franc-jeu avec d'anciens collègues, naviguer entre la légalité et ce qui ne serait pas autorisé, tels sont les atouts de Scudder. Il ne faut pas s'attendre à une enquête menée tambour battant, l'urgence ne servant à rien puisque la victime est morte. La vie continue pour Scudder et son entourage, tandis que progressent ses investigations : c'est ce qui crée l'ambiance de cette “Balade entre les tombes”. Un authentique et savoureux roman noir, doté d'un héros fort attachant.

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