De passage à Bruxelles, le commissaire Maigret remarque dans un café un individu suspect. Bien que modestement vêtu, il semble disposer d’une grosse somme d'argent liquide. Maigret le prend en filature, par le train. L’inconnu passe par la gare de Neuschanz, à la frontière entre Hollande et Allemagne, avant de prendre le train pour Brême. Là, l'homme prend une chambre d'hôtel, Maigret louant la chambre voisine. L'homme s’aperçoit de la substitution de sa valise, opérée par le commissaire à Neuschanz. Il se suicide d'un coup de revolver. Dans la valise échangée, Maigret trouve de vieux vêtements tachés de sang. Si l’homme possédait un passeport au nom de Louis Jeunet, il s’agissait de faux-papiers. Les vêtements sont analysés par la police scientifique, tandis que le corps est rapatrié en France.
À la morgue de Paris, se manifeste un nommé Joseph Van Damme, qui se présente comme homme d’affaires. Maigret apprend que le soi-disant Jeunet se nomme en réalité Lecocq d'Arneville, originaire de Liège. C’est à Reims que le policier poursuit son enquête. Lecocq semblait y être en relation avec Belloir, sous-directeur de banque. Chez ce dernier, Maigret retrouve Van Damme, en compagnie de Lombard, photograveur à Liège, et de Janin, sculpteur à Paris : tous sont originaires de Liège. C'est logiquement à Liège que Maigret poursuit ses investigations. Il y retrouve le trio Van Damme, Belloir et Lombard. Un séjour qui ne sera pas sans danger pour le commissaire. Mais c’est ainsi qu’il découvre l’origine de l’affaire, remontant à dix ans.
Lorsqu'ils étaient étudiants, Van Damme et ses amis avaient créé une sorte de société secrète, les Compagnons de l'Apocalypse, dont faisait aussi partie Willy Mortier, plus riche qu'eux. Dans l'atmosphère morbide du taudis de Klein – le plus désargenté d’entre eux, se déroulaient des nuits d'orgies, cultivant leurs idées libertaires et excentriques. Une nuit de Noël, Klein tua Mortier avec l'aide de Belloir, devant les autres restés passifs. Les six étudiants firent disparaître le cadavre et se dispersèrent, sauf Lecocq d'Arneville et Klein, les plus pauvres et les plus faibles. Klein se suicida bientôt. Pour les autres, la vie continua, chacun s’efforçant d’oublier cet épisode tragique. Mais Lecocq d'Arneville restait hanté par leur crime…
Tant de choses ont été écrites, faisant l’éloge de Georges Simenon, sa vie, son œuvre, ses Maigret, son succès international, les multiples adaptations de ses romans. Il n’est donc pas indispensable d’en rajouter. Peut-être pourra-t-on souligner que, à l’instar de Sherlock Holmes ou Arsène Lupin, Maigret est un héros sans vrai prédécesseur. Si des enquêteurs ou des commissaires de police apparaissent auparavant dans des romans, ils n’ont pas le rôle endossé par Maigret, policier pétri de psychologie. Les passionnés de roman noir pur et dur se refusent généralement à l’inclure dans cette catégorie. Sans doute ont-ils tort.
Personne ne contestera que l’éditeur François Guérif, créateur de la collection Rivages/Noir, fasse autorité en matière de roman noir. Dans “Du polar” (Éd. Payot & Rivages, 2013), il cite parmi ses "Cent polars préférés", “Le pendu de Saint-Pholien”, Maigret de 1931, dont le dénouement ne manque pas de noirceur, et rectifie certains clichés concernant Georges Simenon :
“Simenon écrit des choses qui peuvent être assimilées au roman noir. D’une certaine façon, Maigret est un détective on ne peut plus classique. Mais en même temps, c’est du pur roman noir, dans le sens où ça n’est pas tellement l’identité du coupable qui compte mais la manière dont Maigret écoute, regarde, s’imprègne de la personnalité même de l’assassin… Très souvent il ne juge pas, d’ailleurs. En plus, à côté des Maigret, Simenon écrit toute une série de romans très noirs. “La neige était sale”, par exemple.
— Il ira même un temps vivre aux États-Unis, et écrire des romans noirs "à la manière de"…
Non pas "à la manière de". Au contraire, il est pour moi l’exemple même de quelqu’un pour qui le roman policier, c’est un roman social par excellence. Et quand il est aux États-Unis, il n’écrit plus du tout sur ce qu’il a vu en France, mais sur ce qu’il voit sur place. C’est le reflet qui l’intéresse. Ce n’est pas "à la manière de" […] Il n’y a pas d’équivalent de Hammett parce que la réalité française n’est pas la réalité américaine. Il n’y a pas la prohibition en France, et la délinquance n’est pas la même. C’est autre chose. Une certaine bourgeoisie criminelle que l’on retrouve chez Simenon par exemple. Simenon, d’une certaine façon, précède James Cain : dans le romans noirs de ces deux auteurs c’est souvent le sexe, la passion, des trucs comme ça qui amènent le meurtre. Et dès ses premiers romans, Simenon baigne dans ce genre d’intrigues.”
Simenon est l’auteur (sous son propre nom) de 192 romans, 158 nouvelles, 75 Maigret, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages. Omnibus réédite en dix volumes "Tout Maigret", avec des couvertures originales de Loustal. Pierre Assouline signe une préface inédite pour le Tome 1,qui regroupe les huit premiers Maigret parus en 1931. La préface du Tome 2 est de Franck Bouysse, celle du Tome 3 de Philippe Claudel. Une bonne manière de redécouvrir l’univers du commissaire Maigret.
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