Sven Nelson est officier en second dans la marine marchande. Ça fait dix-huit ans qu’il bourlingue sur l’océan Pacifique. On le surnomme Swede à cause de son allure de Suédois. Il vient de passer trois ans sur le Lauterbach, bien décidé cette fois à abandonner la mer pour s’acheter une ferme et se marier. Mais Sven a la mauvaise habitude de s’alcooliser au rhum. C’est ainsi qu’il se réveille dans un motel, Le Perroquet violet, situé sur la côte entre Los Angeles et San Diego. La nuit précédente, il s’est bagarré avec un petit voyou du coin qui était aussi ivre que lui. L’individu étant sévèrement blessé, le shérif Cooper ne tarde pas à arrêter Sven. Vu le pedigree de la victime, la justice locale n’a pas de raison d’accabler le marin : il sera rapidement libéré sous caution.
Celle qui est intervenue pour l’aider, c’est la blonde Corliss Mason. Veuve d’un officier de Marine, c’est la séduisante propriétaire du motel Le Perroquet violet. Elle a immédiatement flashé sur Sven, un véritable coup de foudre. Elle correspondrait fort bien au projet actuel du marin : l’épouser et s’acheter une ferme dans sa région natale. Le couple envisage sans délai de se marier. Mamie est la femme du jardinier Meek, plus âgé qu’elle et plutôt antipathique. Employée au restaurant du motel, Mamie conseille à plusieurs reprises à Sven de s’en aller au plus vite. Simple intuition féminine, car elle trouve que l’ambiance n’est pas très saine autour de Corliss et du motel. Un argument qui n’a aucune chance de convaincre Sven, même s’il éprouve de la sympathie pour Mamie.
Cette nuit-là, Corliss est violée par le barman du Beachcomber, Jerry Wolkowysk. Quand elle en informe Sven, la réaction du marin ne se fait pas attendre : il cogne violemment le coupable, le tuant sans s’en rendre compte. Alerter la police, prévenir le shérif Cooper ? Il n’en est pas question pour le couple. Afin de se débarrasser du corps, Sven simule un accident de voiture en faisant chuter le véhicule de Jerry d’une falaise voisine. Il y a peu de risques qu’ils soient soupçonnés de meurtre. Pressés de se marier, Sven et Corliss se rendent au Mexique pour les formalités. Pas de lune de miel pour le couple, qui rentre bientôt au motel. Quelque peu décevant pour Sven, qui replonge dans l’alcool, abusant du rhum. La bienveillante serveuse Mamie lui renouvelle son conseil de s’en aller au plus tôt, prédisant qu’il est en danger – même si ça paraît fort confus.
Si les charges contre Sven dans l’affaire de la bagarre vont être relativisées et le cas sera clos d’ici peu, la disparition de Jerry Wolkowysk a fini par provoquer une enquête. Mais le shérif Cooper est, cette fois, accompagné d’un agent du FBI. Car le barman utilisait une fausse identité. Il était recherché par la police pour une grosse affaire d’escroquerie. Bien qu’il ignorât tout de cela, Sven risque au moins de passer pour complice, et même d’être accusé de meurtre. Il va devoir se dépêtrer de cette situation, la serveuse Mamie restant sans aucun doute sa meilleure alliée…
Je le virai du lit et l’envoyai au plancher d’un terrible coup de poing dans la bouche qui fit jaillir du sang.
— Allons, fumier. Debout ! Tu vas recevoir la dérouillée que tu mérites.
Il se mit à quatre pattes en balançant la tête comme un chien. Puis il se mit sur ses pieds. Il était ivre, mais pas complètement. On aurait plutôt dit qu’il était dans la vape, qu’il avait fumé ou mélangé drogue et alcool pour se donner le courage d’accomplir ce qu’il avait fait.
Le cerveau embrumé, il mit du temps à réagir. Enfin, son regard se posa sur Corliss. Il lui cracha du sang au visage.
— Salope ! fit-il d’une voix pâteuse. Ça ne m’étonne pas de toi !
Il avait du mal à s’exprimer d’une manière cohérente. Il avait trois incisives déchaussées qui tremblotaient dans une écume sanguinolente quand il parlait. Il se rassit sur le lit, glissa la main droite sous l’oreiller et en sortit un Colt45 automatique. Il dut déployer toutes ses forces pour le soulever. Ensuite, il le braqua sur moi…
Écrit par Day Keene en 1952, “Le plancher des garces” ne fut publié dans la Série Noire qu’en 1967. On peut préférer le titre original, “Home is the Sailor”, plus évocateur du retour à terre d’un marin dont la vie est depuis longtemps sur les flots mais qui se croit capable d’abandonner la mer. On se doute bien que, s’il entame une histoire amoureuse, ça ne se passera pas aussi simplement qu’il semble. Le contexte est aussi classique que l’intrigue dans le cas présent, suffisamment solides pour entraîner le lecteur dans les mésaventures du héros. On ne peut pas dire qu’il y ait un "regard sur l’Amérique" d’alors, ni d’autre ambition que de raconter la meilleure histoire possible. C’est du polar noir de bon aloi, suspense et énigme à la clé, avec son lot de péripéties. Néanmoins, les romans de Day Keene (1904-1969) s’inscrivent dans la très bonne tradition du genre. Un auteur que l’on aurait tort de négliger.
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