Frédéric Le Cairan est un trentenaire qui habite le centre-ville de Rennes, au début des années 2000. Il vivote sans job précis, mais réussit à publier ponctuellement une revue, L’Ankou Magazine. Avec la complicité d’un vieil imprimeur gauchiste, tandis que c’est son amie Alice Arbizu qui se charge des photos. Si, comme son frère Martial, elle vit au Pays Basque, la jeune femme garde des attaches en Bretagne. Pour l’anniversaire de Fred, elle le rejoint à Rennes. Et lui offre une boîte à chaussure avec quelques cadeaux. Dont un livre de Lacenaire, un revolver Smith & Wesson, et un carnet bleu "mode d'emploi". Fred a utilisé le flingue pour abattre son voisin d’immeuble, le député Philippe Rogemoux. Ils n’avaient guère de contact, mais la victime se tenait alors près de sa fenêtre.
Les parents de Fred sont décédés et il ne connaît quasiment pas ses frères et sœurs. Sauf la petite Mathilde, cinq ans, dont la garde lui a été refusée par la Justice. Ce sont les Viocs, leurs grands-parents fortunés, qui sont les tuteurs de la fillette. Ce qui fait enrager Fred, mais il n’y peut rien. Suite à la mort du député, Fred et Alice sont en cavale, dans la Poubelle leur servant de voiture. Ils comptent faire croire qu’ils sont juste en vacances. Ils se dirigent vers la région du Conquet, en Finistère, à la pointe de la Bretagne. Un ami de la jeune femme leur prête sa maison en son absence. Mais le revolver offert à Fred appartient à Luis Dominguez, un féroce terroriste basque. Accompagné de Martial, le frère d’Alice, il arrive en Bretagne pour récupérer l’arme, et ne fera pas de cadeau, lui.
Lieutenant de police, Mc Cash est Irlandais d’origine. Quinquagénaire, sa vie de couple n’a pas été brillante. Ce grand gaillard continue à abuser de stupéfiants et d’alcools. Si on lui confie une enquête, il applique sa méthode personnelle avec sa propre morale. Outre sa stature, Mc Cash est plutôt repérable car il est borgne, avec un bandeau sur l’œil. Quand la commissaire lui demande d’investiguer sur Frédéric Le Cairan, ça n’a rien à voir avec le meurtre du député. Mais puisque l’appartement du suspect a été fouillé, ça pourrait bien être l’œuvre de la DST. Ses collègues penseraient donc que le crime est dû à un activiste régionaliste, ce que n’est pourtant pas vraiment Fred. Ayant compris qu’Alice et Fred sont ensemble, Mc Cash suit une autre piste, qui le mène vers Le Conquet.
Le couple remarque le flic aux airs de cyclope, et prend la fuite. Un périple chaotique à pieds et à vélo, sans trop d’argent même si une copine de Fred lui en donne un peu. Le duo Luis-Martial est également à leurs trousses : même retardé, le Basque ne renoncera jamais. Mc Cash tente de faire parler la voisine de Fred, mais sans doute s’y prend-il mal, lui qui est si maladroit face aux femmes. Bientôt, il s’aperçoit que Fred et Alice ont pris le bateau reliant Lorient à l’île de Groix, où la jeune femme avait un autre ami. Le flic arrive trop tard, quand le couple braque un voilier – dont le propriétaire est très coopératif. Direction Belle-Île-en-mer, c’est tout proche, de même que les îles d’Houat et d’Hoedic. Il vaudrait mieux que ce soit Mc Cash qui les retrouve en premier…
Parmi les lecteurs de Caryl Férey, les plus intransigeants ne citeront que ses romans noirs les plus denses, les plus violents (Haka, Utu, Zulu, Mapuche, Condor), dont on ne saurait nier la force. Ces titres lui ont valu un vrai succès, de nombreux prix littéraires, et même une adaptation cinématographique. Néanmoins, il serait stupide de minorer la qualité de ses autres romans, dont les enquêtes de Mc Cash, “Plutôt crever” (2002) et “La Jambe gauche de Joe Strummer” (2007). D’autant que le flic borgne sera de retour en 2018 dans “Plus jamais seul”, une troisième aventure sûrement pas moins agitée que les précédentes. En outre, “Plutôt crever” ayant été réédité au printemps 2017 chez Folio policier, pourquoi ne pas redécouvrir cette histoire ?
Pour le personnage de Mc Cash, Caryl Férey s’est inspiré d’un ami proche, Lionel C., qui l’a d’ailleurs récemment accompagné en Russie, comme il le raconte dans “Norilsk” (2017). C’est un anti-héros qui est à l’opposé du "socialement inséré", qui a choisi d’observer un décalage avec les réalités d’un monde trop lisse à son goût. Mc Cash n’est pas un rebelle, il est juste indifférent aux ordres et aux règles. Il ne se laisse impressionner par personne, fussent-ils haut-placés. On le constate par son attitude face à la commissaire Trémaudan, sa supérieure hiérarchique. Quant aux coupables, il a aussi ses propres critères. Peut-être parce qu’il lit les écrits du philosophe Nietzsche, qu’il n’approuve pas toujours. Son nom pourrait se lire tel "cash" (direct) ou "macache" (rien du tout).
Dans cette intrigue, nous suivons la cavale – façon road movie – d’un jeune couple. S’ils sont déterminés à s’en sortir, ne les imaginons pas tels Bonnie & Clyde. Car s’il y a de la rage chez Fred, il est conscient de ses faiblesses, et n’a aucun instinct de tueur. Quant à Alice, la liberté est une nécessité vitale pour elle, et on la sent plus forte que Fred. De Rennes à la pointe nord-finistérienne, puis de la presqu’île de Crozon vers les îles du Ponant en Bretagne-sud, c’est à une balade bretonne que nous invitent les tribulations du couple. Un territoire que l’auteur connaît bien, moins exotique que ses voyages au bout du monde, mais dont il se sert d’une manière qu’on pourra trouver malicieuse. Louvigné-du-Désert, Trégarvan ou Locmaria-Plouzané valent bien d’autres destinations.
La tonalité rythmée, c’est toujours un atout favorable pour un polar. Elle est servie ici par un découpage scénique qui nous permet de suivre le couple, Mc Cash et Luis le Basque. Malgré ses côtés sombres, c’est finalement un récit enjoué et souple qui nous est raconté. Dans un genre différent des best-sellers de Caryl Férey peut-être, mais pas moins réussi. On a hâte de retrouver prochainement l’insolite Mc Cash.