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26 août 2017 6 26 /08 /août /2017 04:55

En juin 1942, Léon Sadorski est un quadragénaire se présentant comme employé à la Préfecture de police de Paris. Époux d’Yvette, trente-sept ans, sans enfant, ce policier est moins ordinaire qu’il le laisse croire. L’inspecteur Sadorski est chef de brigade de la voie publique à la 3e section de la direction générale des Renseignements Généraux et des Jeux. Son poste n’apparaît pas haut-placé, mais il a toute la confiance de sa hiérarchie. On connaît le zèle patriotique de ce partisan du pétainisme. Quitte à utiliser des stratagèmes, Sadorski pourchasse les ennemis de l’intérieur, les opposants au Maréchal et au nazisme. En premier lieu, il déteste les bolcheviques. Depuis la fin du pacte germano-soviétique, la racaille communiste sème le trouble à Paris et en France. Les Rouges viennent encore de commettre un attentat contre le café Chez Moreau, souvent fréquenté par des policiers.

Heureusement, dans les cinémas, les Actualités informent correctement le public, même si les sources officielles sont pro-nazies ou pétainistes. Une nouvelle étape indispensable a été mise en place : le port obligatoire de l’étoile jaune pour les Juifs. Les contrôler, les empêcher de travailler était nettement insuffisant, pense lui aussi Sadorski. Ainsi, il est plus facile de procéder à des arrestations. Y compris contre les sympathisants arborant de fausses étoiles jaunes, de fantaisie, par solidarité. Direction le camp de Drancy, pour toute cette population hostile à la France amie de l’Allemagne hitlérienne. Les femmes, elles, sont emprisonnées aux Tourelles, où le régime est à peine moins dur. Par des voies détournées, l’inspecteur Sadorski y a fait enfermer sa voisine Mme Odwak. C’est la mère de la jeune Julie, quinze ans, que Léon trouve particulièrement excitante.

Aux yeux de la lycéenne et de sa mère, Sadorski semble un brave homme, plus ou moins en contact avec la Résistance. D’ailleurs, n’a-t-il pas été blessé lors d’une attaque le visant en personne ? Il profite de sa convalescence pour rendre visite avec Julie à Mme Odwak. Celle-ci lui demande de loger sa fille et d’en prendre soin. Ce qu’il accepte volontiers. Le policier en profite pour glaner des renseignements sur des amies de cette dame. À juste titre, il pense qu’il existe un réseau de Juifs originaires des pays de l’Est, menaçant pour la fragile situation actuelle. S’offrant un peu de détente avec Yvette du côté de Sucy-en-Brie, sur les bords de Marne, Sadorski dénonce anonymement un gaulliste par courrier. Peu après, il découvre le cadavre en putréfaction d’une femme, dans une forêt voisine. C’est une des affaires dont il va avoir à s’occuper dès son retour au service des RG.

Tandis que le port de l’étoile jaune accentue la pression sur les Juifs parisiens, et que les transferts vers Drancy augmentent sans cesse, Sadorski étudie les deux dossiers. Le même calibre 6.35 a servi pour le meurtre d’un communiste et pour l’inconnue dont il a trouvé le corps. Les exécuteurs appartiendrait à un "Détachement Valmy", groupe secret d’obédience communiste. Ils ont au moins cinq attentats à leur actif. On peut supposer que celui qui ciblait le café Chez Moreau est à leur attribuer. Les supérieurs de Sadorski y voient d’ailleurs un complot des Juifs alliés aux Staliniens. L’inspecteur contacte un témoin de cet attentat, Mlle Bonnet. Cette employée de Radio-Paris est une authentique patriote, une collabo exemplaire. Sur les lieux, se trouvait aussi Gisèle Rollin, une infirmière issue d’un milieu communiste. Une piste exploitable qui fait progresser l’enquête de Sadorski…

Romain Slocombe : L’étoile jaune de l’inspecteur Sadorski (Éd.Robert Laffont, 2017)

Sadorski ne discute pas. Il choisit de laisser la malheureuse à ses chimères – suspectes politiquement, qui plus est. Lui-même ayant visité la capitale allemande à deux occasions, peut témoigner de la puissance des nazis (…) Guidé par ses collègues gestapistes, il a admiré les grands ministères sur la Wilhelmstrasse, les autoroutes, les banlieues modernes, les usines Siemens. Ce Reich-là est installé pour longtemps ! L’Europe a pris sous sa direction des formes nouvelles, bâties sur des fondations d’acier et encadrées par la SS. La France est conviée à cette grande œuvre… Les Allemands sont là, on n’est pas obligé de les aimer mais de toutes façons il faudra bien s’arranger avec eux ! Ce n’est pas l’existence de toute la racaille judéo-bolchevique à l’Est qui pourra changer quelque chose à la situation. D’ailleurs l’Armée Rouge est en train de se faire ratatiner autour de Kharkov. Ce sont les jours de la dictature staliniste qui sont comptés !

C’est dans “L’affaire Léon Sadorski” que le lecteur a fait la connaissance de ce détestable policier du Rayon Juif, inspecteur des Renseignements Généraux traquant impitoyablement ceux qui refusent la domination nazie, l’Occupation du pays par les troupes d’Hitler. En raison de la paranoïa ambiante, il a coutume de feinter en minimisant son rôle. Mais, nous qui le suivons au quotidien en cette noire période de notre Histoire, nous constatons toute la bassesse de ses actions. Sadorski se déguise pour débusquer des suspects, il brusque les témoins, il transmet à ses collègues des infos faussées pour mieux accabler des "ennemis", etc. C’est plutôt une obsession pour ce pétainiste, s’estimant "vrai Français", qu’un respect des règlements en vigueur. Toutes les ruses sont admissibles, selon lui.

Certes, l’idéologie des collabos au pouvoir autorise les excès dans la répression. “…Staline est aux ordres des Juifs, le bolchevisme n’est pas autre chose qu’un essai de dictature juive. Croyez-moi, sans le soldat allemand, Staline serait à Paris ! Et donc, il ne faut pas que nous laissions ce brave soldat allemand assurer seul la défense de l’Europe. Collaborer, voyez-vous messieurs, ce n’est pas simplement prendre une position de principe, c’est donner une adhésion totale, organique, à l’acte constitutif de notre nouvelle Europe.” Ce qui justifie, selon les fidèles de Pétain, qu’on aille beaucoup plus loin que les demandes des nazis. C’est la police française qui emprisonna femmes et enfants juifs, qui remplit le camp de Drancy bien au-delà des exigences allemandes. Ne l’oublions jamais.

Loin des "versions" revisitées par certains historiens, Romain Slocombe s’appuie sur les témoignages, sur les faits historiques. Il restitue avec une très belle justesse la vie des Parisiens sous l’Occupation. Autant par de menus détails (il vaut mieux monter son vélo chez soi, à cause des vols) que par des situations plus générales (le sort des femmes aux Tourelles). Sans oublier la propagande d’alors, très présente. Quant aux réseaux secrets de résistance, ils sont déjà bien organisés en juin-juillet 1942. Ils montent en puissance, manquant encore de coordination ce qui les fragilise, sans doute. Pour l’essentiel, les Français restent passifs, ce qu’on ne peut leur reprocher : il s’agit pour eux de ne pas sombrer. D’autres, s’abritant derrière leur "patriotisme", ont choisi leur camp, s’engageant parfois dans la LVF ou militant politiquement. Ou dénonçant anonymement.

Des personnages tels que Léon Sadorski ont contribué à rendre plus pénibles, pour ne pas dire infernales, ces années d’Occupation. Par leurs comportements pernicieux, ou pervers quand on observe l’attirance sexuelle du policier envers une mineure juive, ils furent les responsables du climat extrêmement malsain, voire mortifère, qui sévissait. C’est cette troublante collaboration de base, que dessine une nouvelle fois Romain Slocombe. Il ne stigmatise pas, il montre les choses avec simplicité, et une précision indéniable. Une vérité qui dérange toujours, si longtemps après ? Probablement. L’Histoire a besoin de mémoire, afin de ne pas se répéter. Les sombres tribulations de l’inspecteur Sadorski y contribuent, la fiction étant au plus près de la réalité de ce temps-là. Excellent roman.

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17 mars 2017 5 17 /03 /mars /2017 05:55

Le corbeau : Pierre Besombes est thanatopracteur dans un funérarium normand. Son épouse Edwige est récemment décédée suite à un accident de cheval. S’il est compétent pour son métier, Besombes affiche un certain laisser-aller personnel depuis qu’il est veuf. Il ne paraît pas tellement regretter Edwige. Ces derniers jours, il a reçu cinq courriers anonymes faisant référence au traditionnel Jeu de l’Oie. Le contenu de ces enveloppes est énigmatique. D’autre part, Besombes est contacté par une femme, fort insistante, adepte d’une sorte de secte apocalyptique. Tout ça rendra-t-il Besombes dépressif ?

Sale temps pour les mouches : Après avoir effectué ses courses en grande surface, Marion attend que son petit-ami Grégoire vienne la chercher. Il est en retard. Jean-Luc, ancien copain de collège, propose à Marion de la raccompagner chez elle. Qu’il fasse un détour, ce n’est probablement pas de bon augure.

Le dernier crime de Guy Georges : En cette décennie 1990, le tueur en série Guy Georges a marqué les esprits, agressant mortellement plusieurs jeunes femmes à Paris. L’heure de son arrestation est imminente. Habitant le 14e, Julie n’est pas dans le secteur où opérait Guy Georges. Néanmoins, rentrer à la nuit tombée continue à l’inquiéter. Mais les conseils de son amie Claire, interne en médecine passionnée par cette série de crimes, devraient aider Julie si son chemin croisait celui de Guy Georges. D’ailleurs, l’homme qui la suit ce soir-là, c’est sûrement lui.

Éléonore : Psychologue en investigations criminelles, Anne-Caroline s’intéresse au cas de Gérard Bauer. Cet ancien policier instable a été retrouvé, errant et amnésique, avec le cadavre torturé d’une jeune femme, Éléonore. Interné en psychiatrie, Bauer essaie de se souvenir. Il semble que cette victime et lui aient séjourné dans une étrange maison, en mauvais état, à l’abandon. Si ce lieu sinistre existe-t-il vraiment, elle devrait l’éviter.

Sarcome du capricorne : Joret est un commercial chevronné. À Moustapha Sylla, originaire de Bamako, et à son épouse la libraire Hélène, il a vendu de coûteux travaux pour leur maison. Même s’il n’apprécie guère les Africains, pourquoi ne pas arnaquer une fois de plus ce Sylla ? En ces temps de crise économique, la situation a changé. Totalement, même ! Si Joret compte le manipuler, Sylla a d’autres projets.

Rue des Boulets : Le brigadier-chef Hamelet n’est pas mauvais bougre. Un témoignage dénonce la présence d’un couple de Moldaves sans titres de séjour. Ils logent rue des Boulets, obligeant peut-être une famille à les accueillir. Lorsqu’il va vérifier sur place, l’intention du policier est de résoudre un problème, non pas d’en créer d’autres. Le mieux eût été qu’ils soient effectivement partis.

Nanotechnologies : Marie Cazin est une scientifique toulousaine spécialisée dans certaines technologies pouvant être exploitées par des terroristes. C’est pourquoi sa hiérarchie refuse qu’elle accepte la candidature d’une étudiante indonésienne, au CV pourtant convaincant. Entre-temps, cette dernière est venue directement tenter sa chance à Toulouse.

Hématomes : Anne est une sculptrice d’une trentaine d’années. Elle va séjourner dans la Meuse, dont elle est native, pour une résidence d’artiste. Dans un restaurant miteux, se produit un esclandre. Ce qui ravive pour Anne de mauvais souvenirs remontant à son enfance. Des morts suspectes et autres injustices jamais sanctionnées. Si elle a reconnu un des protagonistes d’alors, il est possible qu’elle soit en danger.

I’m just losing that girl : Dans un jardin public, la lycéenne Pauline a été verbalisée par un gardien intransigeant. Un témoin est intervenu pour plaider en faveur de la jeune fille, vainement. En fait, l’homme n’était pas là par hasard. S’il a défendu Pauline, pas sûr que ce soit par simple charité bienveillante…

Romain Slocombe : Hématomes (Belfond, 2017) - Recueil de nouvelles

Pierre Besombes débouche la bouteille et remplit le verre. Des mouches bourdonnent à travers la pièce – et dans la cuisine aussi. Plus encore dans la cuisine. Ce doit être les restes qui encombrent l’évier. Et la poubelle pleine, dont le contenu se déverse à l’extérieur. Il ouvre l’enveloppe. La cinquième depuis le début du mois.
Une photo, du même format que les précédentes. Elle représente un puits, au milieu d’un jardin. Pas n’importe lesquels : son jardin, son puits. Installé sur le canapé, Pierre Besombes avale un premier verre, sans eau ni glaçons, cul sec. Puis il se lève et prend le "Dictionnaire des Jeux de Société" dans la bibliothèque…

Depuis “Un été japonais” (2000) jusqu’à “L’affaire Léon Sadorsky” (2016), en passant par “Monsieur le Commandant” (2011) et bien d’autres titres, Romain Slocombe est un auteur très actif. Denses, tel “Première station avant l’abattoir” (2013), ou plus légers comme “Envoyez la fracture” (2007), ses romans se caractérisent par une tonalité personnelle et un indéniable perfectionnisme. Souvent, des faits ou lieux réels sont inclus dans le récit, même si la fiction prime.

Ce recueil regroupe neuf nouvelles (révisées) publiées depuis une dizaine d’années, pour divers supports. Un bon moyen de vérifier que Romain Slocombe est aussi très doué dans le texte plus court. Pour lui, la nouvelle ne se réduit pas aux portraits d’individus, aussi réussi que soit ce genre d’exercice. Il s’agit d’épisodes complets, avec leur contexte, leur ambiance, leur singularité. Des histoires aussi vivantes que sociétales. Des "instantanés", ce qui ne manque pas de logique puisque Slocombe est, par ailleurs, un photographe de talent.

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30 août 2016 2 30 /08 /août /2016 04:55

- Ce roman figure dans la première sélection du Prix Goncourt 2016 -

Policier quadragénaire, Léon Sadorski peut se flatter d’être un patriote exemplaire. En ces années sombres, il est d’accord avec le gouvernement de Vichy, qui demande aux Français de collaborer avec l’occupant. Le Maréchal Pétain et Pierre Laval sont des hommes d’État conscients et avisés. Alsacien par sa mère, Sadorski n’éprouve pas de sympathie exagérée pour les hitlériens. Mais il déteste bien davantage les Juifs et les Francs-maçons, qui ont comploté ensemble pour affaiblir la nation française. Il faut également se méfier des communistes, ces Rouges cherchant à déstabiliser le régime actuel en France. Quand ils s’attaquent aux amis Allemands, militaires de la Wehrmacht ou officiers SS, il est légitime que s’exercent des représailles. Pas de pitié pour les juifs et les bolcheviques.

Avec sa chaude épouse Yvette, Léon Sadorski habite Quai des Célestins, à Paris. En ce mois d’avril 1942, il est inspecteur principal adjoint à la 3e section des Renseignements Généraux. Son rôle consiste à contrôler et arrêter les Juifs pour les expédier à Drancy. Il lui arrive de participer aux opérations des aux Brigades spéciales, contre des "terroristes". Il s’appuie sur un bon réseau d’informateurs, en cette époque où les dénonciations sont monnaie courante. Après tout, Sadorski ne fait que son métier, se conformant aux ordres de ses supérieurs, comme tout bon Français qui se respecte. Parfois, Léon se montre plus magnanime, quand le suspect juif est prêt à lâcher quelques billets de mille francs pour ne pas être inquiété par la police. Ça permet d’acheter de jolis cadeaux pour Yvette.

Ils ont deux voisines juives, dans leur immeuble. La petite Julie Orwak, quinze ans, est-ce vraiment d’un œil paternel qu’il la regarde ? C’est comme le cas des sœurs Metzger, dont il est sûr qu’elles fricotent avec les Boches. C’est bien excitant, de connaître les secrets de ses compatriotes, et utile quand il s’agit de rafler les pourritures youpines. Les affaires qui lui échoient sont aussi d’ordre financier, parfois. Terminé, le temps où Francs-maçons et Juifs escroquaient les honnêtes citoyens. L’avenir, c’est la collaboration avec l’Allemand. Un ministre n’a-t-il pas déclaré : “Vous ne savez pas ce que sont les jeunes nazis. Vous ne savez pas comme ils sont beaux, comme ils sont héroïques, comme ils ont le sens du sacrifice !” On ne va pas s’apitoyer sur quelques malfaisants exécutés, quand même !

Pourtant, en ce début avril, Sadorski est – en quelque sorte – convoqué à Berlin. Il réalise rapidement que c’est une arrestation. Que ce voyage en train, encadré par des SS, va lui causer des ennuis. Il ne lui paraît pas surprenant que son ex-supérieur, le policier Louisille, subisse le même sort. Car Louisille est certainement un traître, lui. Mais se voir suspecté, rabaissé, incarcéré, interrogé, alors qu’il est un ancien combattant médaillé, Sadorski a du mal à le supporter. Certes, de 1934 à octobre 1939, Léon fut suspendu de ses fonctions d’inspecteur et fut employé dans une agence de police privée. Mais depuis, il a transféré un gros contingent de Juifs et d’ennemis du 3e Reich. Sans trop s’acoquiner avec ceux de la rue Lauriston, la Gestapo française d’Henri Chamberlin (dit Lafont) et de Pierre Bonny.

C’est surtout l’affaire Ostnitski qui pose problème aux SS de Berlin. Sadorski a connu cet agent double, rencontré à l’occasion d’une soirée mondaine. De même que Thérèse Gerst, une journaliste dont le rôle est aussi confus, qui fut un temps la maîtresse de Léon. La direction des SS ayant des dossiers détaillés là-dessus, ils mettent la pression sur lui. Il se défend par un réquisitoire implacable contre les Juifs, espérant démontrer sa bonne foi. Sadorski et Louisille sont libérés le 6 mai, et renvoyés à Paris. Pour se remotiver, Sadorski pense de temps à autre à cet épisode de la Débâcle, le drame du car d’Étampes. Et il se replonge bien vite dans les faits divers, apprenant le meurtre d’une des sœurs Metzger. La chasse aux communistes et aux Juifs, avec en particulier le cas du nommé Goloubine (ou Golovine), va reprendre de plus belle…

Romain Slocombe : L'Affaire Léon Sadorski (Éd.Robert Laffont, 2016)

Les gens s’écartent, sans manifester beaucoup d’empressement. La foule grossit rue des Petites-Écuries et rue d’Hauteville, et les commentaires vont bon train. Un type raconte, avec des gestes excités : "Je m’étais mis à sa poursuite à bicyclette… Je suivais en donnant l’alarme… Je l’ai rejoint ici, je l’ai empoigné et forcé à descendre du vélo qu’il avait volé… Il m’a dit en se tuant que j’aurais sur la conscience la mort d’un Français ! Ça, un Français ? Un youpin polonais qui se cachait sous un faux nom." Sadorski surprend une gamine d’une douzaine d’années expliquant à sa mère, avec une ou deux approximations enfantines :
─ Je l’ai entendu, tu sais. Avant d’appuyer sur la gâchette de son revolver, le monsieur a dit : "Vive le Communisme", et "Vive la France !"
Sadorski lui colle une baffe et crie :
─ Surveillez votre fille, madame. Allez, circulez !

C’est sur la base d’une solide documentation, comme pour son grand succès “Monsieur le Commandant”, que Romain Slocombe reconstitue cette époque troublée de la 2e Guerre Mondiale. Il évoque autant l’ambiance générale, dans la population et dans les cercles où règne le soupçon paranoïaque envers des ennemis supposés, que les destins personnels.

Il n’oublie pas de rappeler que la quasi-totalité des industriels français misèrent d’abord sur la Cagoule, finançant sans compter ce groupe séditieux, avant d’opter sans états d’âme pour le nazisme. Ni de citer les politiciens et les intellectuels, qui s’engouffrèrent avec conviction dans le bourbier de la collaboration : Boussac, Deloncle, Céline, Doriot, et tous ces personnages haineux qui imaginaient être les nouveaux maîtres de la France, au côté des autorités hitlériennes. Fortune et politique, ambitions et pouvoir, ils ont profité de ces quelques années glauques. Peu d’entre eux ont été sanctionnés, par la suite.

Au centre du récit, Léon Sadorski. Ce policier représente toute l’ambiguïté de ceux qui ne faisaient partie ni des hautes sphères, ni de la population ordinaire. Il appartient à cette classe sociale qui servit de "courroie de transmission" dans la collaboration avec les nazis. Beaucoup d’entre eux prétendirent, plus tard, qu’ils obéissaient aux ordres. Que c’étaient leurs chefs qu’ils fallait incriminer, pas eux. Cette excuse commune est ici démentie par les faits. Bien sûr, les réseaux secrets étaient actifs, la Résistance s’organisait, et la pression menaçante des SS était forte : on exigeait des résultats. Mais, des gens tels que Sadorski sont animés par une férocité nationaliste perverse, loin du patriotisme qu’ils affichent.

Dans toutes les "périodes de crises", se réveillent des comportements abjects, permettant aux plus vindicatifs d’exacerber leur méchanceté naturelle, de désigner et d’accuser, de polémiquer sur tout et son contraire, de diviser le peuple pour favoriser les idéaux ultra-sécuritaires ou dictatoriaux. Peut-être que ce roman noir de Romain Slocombe nous met en garde contre certaines dérives extrémistes, ressemblant à celles d’autrefois. À méditer, c’est évident. Une illustration historique aussi intelligente que captivante.

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20 juillet 2016 3 20 /07 /juillet /2016 04:55

Anglais, Gilbert Woodbrooke est marié à Naoko, une Japonaise. Ils vivent à Londres, avec leurs deux enfants de douze et dix ans, Ken et Naomi. Photographe, Gilbert commence à bénéficier d’une petite notoriété dans ce milieu artistique. Sa spécialité, ce sont les photos fétichistes avec de belles Japonaises. En ce mois de juillet 1994, une exposition lui est dédiée à la galerie "Deep" de Tôkyô. L’endroit appartient à Julius B.Hacker, reconnu en ce domaine, qui apprécie l’amour avec de jolies Japonaises. Gilbert Woodbrooke se rend à Tôkyô pour cet évènement, ce sera son septième voyage dans ce pays depuis 1979. S’il parle très correctement la langue, Gilbert lit mal le japonais écrit. Ce qui n’est nullement indispensable vis-à-vis des modèles bénévoles qu’il photographie.

N’étant pas très argenté, Gilbert bivouaque avec son sac de couchage dans une boutique sado-maso, où sont employés la ravissante Natsuka Mori – une de ses modèles, et le petit ami de celle-ci, Hiroaki. Pas le grand confort, mais suffisant. Le patron de la boutique va lui offrir une carte téléphonique truquée, permettant des appels gratuits, ce qui l’aide à rester en contact avec sa famille et ses amis locaux. D’ordinaire, les Japonais s’avèrent courtois, mais une séance photo avec Natsuka sur le toit d’un immeuble décrépi est sur le point de mal tourner, dès le début de son séjour. On présente à Gilbert la jeune Satomi, qui pourrait lui servir de modèle, mais elle n’est pas vraiment attirante. Avec Natsuka, le photographe se montre trop maladroit dans sa quête amoureuse pour qu’elle accepte.

Quand arrive la soirée branchée d’inauguration de son expo, le bilan est assez déprimant pour Gilbert. Zéro photo vendue, et zéro côté drague : il n’est pas loin de penser que ce nouveau voyage est une connerie. À cause de la chaleur caniculaire peut-être, son genou enflé a besoin de soins, ce qui entraîne des frais supplémentaires. Les finances de Gilbert, déjà limitées, virent de plus en plus au rouge. Lors d’une soirée en l’honneur d’un éditeur, l’Anglais repère quelques jeunes filles pouvant devenir ses modèles. Mais celles-ci sont encadrées par des yakusas, des mafieux qui veulent racketter Gilbert. Même s’ils frappent le photographe, il n’a pas les moyens de payer. Ce qui le fait passer du statut de "gaijin" (étranger) à celui bien moins honorable de "keto" (métèque).

Après cette altercation, l’Anglais fait la connaissance de Takeshi Terakoshi, qui paraît être un homme puissant. Il veut faire traduire son livre, bien que Gilbert s’en sache incapable. L’essentiel était de sortir des griffes des yakusas avant de rejoindre à dîner quelques amis. Outre Julius B.Hacker et la chaude Takako, qui met son appartement à la disposition de Gilbert s’il le souhaite, il y a là Akiko. C’est une hôtesse de l’air avec laquelle Gilbert a des relations épisodiques. Cette fois, l’Anglais risque de ne pas atteindre son but avec la belle Akiko. Ce qui assombrit encore le bilan négatif de ces coûteuses "vacances" au Japon.

Un tremblement de terre effraie Gilbert, puis c’est une Aïkawa – dont il ne se souvient pas – qui cherche à le joindre. Il préfère rester auprès de la séduisante Natsué, espérant échapper avec elle au fiasco sexuel de ce voyage. Gilbert va bientôt être confronté à des "uyoku", yakusas défendant l’idéologie d’extrême-droite. Certes, ce n’est pas le cadavre de l’Anglais que l’on retrouvera dans une photocopieuse, mais – s’il est encore temps – Gilbert espère pouvoir prendre l’avion pour retourner à Londres…

Romain Slocombe : Un été japonais (Série Noire, 2000)

Romain Slocombe avait déjà tout un parcours artistique à son actif, quand il publia ce livre : bande-dessinée, photographie, illustrations, romans-jeunesse, réalisation de films. Mais ce premier opus de sa tétralogie "La crucifixion en jaune" (quatre titres publiés chez Gallimard, puis Fayard) marque une étape dans sa carrière. Il va désormais se consacrer, pour l’essentiel, à l’écriture – même s’il reste par ailleurs photographe émérite. Depuis, il a été couronné par plusieurs prix littéraires : Prix Arsène Lupin et Prix Mystère de la critique 2014 (pour "Première station avant l’abattoir"), Prix Calibre 47, Trophée 813 et Prix Nice Baie des Anges 2012 (pour "Monsieur le Commandant"). Malgré ces succès, cet écrivain et artiste chevronné qu’est Romain Slocombe reste flegmatique – peut-être est-ce dû à ses origines britanniques ? – et d’une simplicité amicale. Un auteur fort sympathique.

Nul doute que cet “Été japonais” publié en 2000, raconté à la première personne, s’inspire des tribulations nippones de Romain Slocombe. Comme ce Gilbert Woodbrooke, n’est-il pas alors marié à une Japonaise et photographe fétichiste ? Outre l’intrigue flirtant avec le genre polar, c’est surtout à une exploration du Japon, de sa culture et de ses coutumes, de sa criminalité aussi, qu’il nous invite. Notons une autodérision toute british, car ce Gilbert n’a rien d’héroïque, ni de tellement glorieux. Pas un "keto", terme méprisant utilisé par les yakusas à son encontre, mais pas un séducteur charismatique, loin s’en faut. Une fiction palpitante, qui nous initie à quelques aspects tokyoïtes, et permet de mieux connaître l’œuvre de cet excellent auteur.

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29 septembre 2015 2 29 /09 /septembre /2015 04:55

Qui est Ralph Exeter, correspondant à Paris du journal anglais de gauche Daily World, en ces années 1920 ? Né en 1894, il a servi dans l'état-major de la RAF durant la Première Guerre Mondiale. Il a épousé Evguénia, fille du général russe tsariste Ignatiev, mort lors de la débâcle de l'armée du général Wrangel. Il est proche de sa belle-sœur Fania et de sa belle-mère, résidant à Londres. À Paris où il habite avec sa femme, Ralph Exeter fréquente assidûment les endroits festifs, collectionnant les maîtresses. Evans, un des responsables de son journal, collabore avec les services secrets bolcheviques. Son agent parisien Exeter lui fournit des infos censées venir d'un contact dans les ministères. En fait, il a inventé ce personnage haut-placé, afin d'obtenir davantage d'argent d'Evans, en plus de son salaire, car il est fort dépensier. Se déplaçant à travers l'Europe, voilà quelques mois Exeter a même rencontré Mussolini, un dirigeant politique italien plein d'avenir.

Alors que Ralph Exeter vient d'être contraint de devenir agent de l'Intelligence Service, le Guépéou russe entend renforcer son organisation et son efficacité en Angleterre et dans le reste de l'Europe. Ils ont envoyé à Londres la jeune Zhenya Krasnova, ardente militante d'origine polonaise, épouse d'un diplomate communiste. La fermeté et l'élimination ne font pas peur à cette espionne déterminée. Exeter est bientôt fasciné : “Non seulement cette fille était extrêmement agréable à regarder, mais il sentait en elle un esprit proche du sien, doué d'une compréhension instinctive et sûre des questions de la politique…” Zhenya est également là pour confier à Exeter une mission particulière. Ça concerne le cosaque Igor Koliazine, aujourd'hui directeur d'une troupe folklorique. Il y a quelques années, il fit partie de l'armée Wrangel, qui fut obligée de fuir après sa déroute en Crimée. Comme ses congénères, il erra un certain temps dans les Balkans avant de se stabiliser.

Sous prétexte d'un article, Exeter gagne la sympathie d'Igor Koliazine. Lors d'une soirée arrosée, le Cosaque confirme au journaliste-espion la rumeur qui a excité la curiosité de Zhenya Krasnova. Le “trésor” de l'armée Wrangel existe bien : “De l'argent, étranger uniquement. Des kilos de diamants et d'émeraudes. Des actions de compagnies étrangères. Du platine. De l'or...” Koliazine reste le seul à savoir dans quel coin de Bulgarie cette fortune est enterrée. Sans pouvoir s'en emparer, il a récemment vérifié sur place, le “trésor” est encore là, intact. Les services secrets anglais surveillent de près leur nouvel agent, capables d'utiliser la torture contre un compatriote peu fiable tel que lui. “Ce qui m'ennuie, c'est que cela commence à faire beaucoup de monde sur la piste du trésor Wrangel” conclut l'espion qui l'a malmené, et a obtenu les confidences du journaliste. Igor Koliazine et Exeter se lancent dans un voyage aérien fatigant jusqu'à Constantinople.

À l'arrivée, leur guide ne serait pas indispensable, le Cosaque connaissant la ville. Mais il s'agit de l'envoyé de l'Intelligence Service, qui sert par ailleurs d'indic aux Turcs et aux Allemands. Si l'on croise ici d'anciennes princesses russes en exil, il est prudent d'être armé. De pistolets ou d'un kindjal, long poignard ancestral des cosaques. Exeter ne tarde pas à adresser un rapport circonstancié au chef de l'espionnage britannique. Ziya bey appartient à l'Emniyet, les services secrets de la nouvelle Turquie de Mustapha Kemal. Il se doute qu'Exeter n'est pas seulement dans cette ville pour visiter les musées et les sites de la Corne d'Or jusqu'à Stamboul. Ziya bey est bien informé aussi sur les précédents passages de Koliazine à Constantinople. Il prévient Exeter que le baron Otto von Braam, du parti d'Adolf Hitler, rôde en ce moment entre Turquie et Bulgarie. Jusqu'où cette mission conduira-t-elle Exeter ?…

Romain Slocombe : Le secret d'Igor Koliazine (Éd.Seuil, 2015)

Romain Slocombe nous entraîne-t-il dans une sorte de “chasse au trésor” qui serait assez sympathique, mais peu novatrice ? Ce serait mal connaître le grand perfectionnisme de cet écrivain. Depuis “Première station avant l'abattoir” (2013), nous savons que le héros Ralph Exeter s'inspire d'un aïeul de l'auteur, qui grenouilla sous couvert de journalisme dans les services secrets de l'Entre-deux-guerres. Et que quelques-uns des personnages présents dans le récit sont issus de la réalité d'alors, en modifiant légèrement leurs noms. Telle Zhenya Krasnova, pétulante espionne bolchevique, dont on nous donne l'identité en exergue du roman. En effet, c'est en se basant sur une solide documentation que Romain Slocombe entreprend de nous raconter un épisode de ce temps-là. Qu'il s'agisse d'armes, de trajets périlleux, de soirées festives ou de l'ambiance glauque d'une ville, l'auteur reste immanquablement précis dans ses descriptions, fidèlement réaliste.

Alors que les séquelles de la Première Guerre Mondiale sont encore vivaces, l'Europe des années 1920 préfigure ce qui se passera bientôt : d'abord à l'état larvaire, les dictatures vont s'imposer après des campagnes d'espionnage tous azimuts. Les “Rouges” sont très actifs sur ce terrain, mais c'est autant le cas de toutes les nations, de l'Atlantique à l'Oural en passant les Balkans et le Caucase. Soulignons qu'on en est encore au bolchevisme, avec une part de sincérité naïve chez certains occidentaux, pas au communisme stalinien. Voilà le climat qui entoure et accompagne les tribulations de Ralph Exeter. Il ne s'agit pas d'une évocation académique à la manière d'un livre d'Histoire. Néanmoins, la fiction n'interdit pas d'approcher le passé dans des conditions réelles ou plausibles. Une fois de plus, avec “Le secret d'Igor Koliazine”, Romain Slocombe réussit à nous convaincre grâce à un roman brillant et riche en péripéties.

- Ce roman est disponible dès le 1er octobre 2015 -

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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 05:55

Le policier Denis Koster enquête sur le cas d’Ambroise Fridelance. Celui-ci est illustrateur pour la collection “Effroi” de l’éditeur Serge Demare, installé rue Mazarine. Il est marié à Régine, qu’il appelle Ginette, handicapée depuis un accident de voiture. Acariâtre, son épouse incite Ambroise à réclamer une augmentation. Demare refuse, prétendant que le contexte de l’édition n’est guère florissant.

Ambroise se documente pour illustrer la couverture du roman “Le tam-tam de l’angoisse”, d’Euloge Zonta. (“Apportez-moi une couverture qui saigne” exige Demare). Il s’aperçoit alors qu’il possède un vieux tabouret valant une fortune. En effet, ce siège design est de Paul Leneuf, collaborateur de Le Corbusier. Les quatre exemplaires sont censés avoir brûlé à l'aéroport de Bamako, lors d'un coup d'état. De fait, il n’en reste qu’un exemplaire, celui d'Ambroise. Qui vaudrait dans les cent mille Euros. Son “amie” journaliste Nora Bellois confirme à Ambroise la valeur de l’objet. Elle le met en contact avec Maurice Macquart, censé être un commissaire-priseur expérimenté et fiable.

Pour Ambroise, la vente aux enchères de ce tabouret unique signifie la fin de ses soucis financiers. Son éditeur est beaucoup plus sceptique. Il lui explique les rouages de ce genre d’opération, une arnaque, dont seul Macquart profitera. “Votre commissaire-priseur, il va se mettre en cheville avec un des gros marchands de meubles sur la place de Paris, qui sera seul a enchérir... Résultat, votre tabouret va partir au prix de base, vingt mille Euros.” Ambroise a bientôt confirmation que Demare a raison. Il tente de récupérer l’objet déposé chez l’expert, mais il devrait s’acquitter d’énormes frais.

Ambroise engage une avocate, Me Rabichon-Loisel, afin de faire valoir ses droits. Ce qui ne résout concrètement rien. Certes, le chantage exercé par Macquart se plaiderait, mais un procès ne serait pas gagné d’avance. Furieux, Ambroise force la porte de l'expert commissaire-priseur, et exige son tabouret. C'est là que la situation finit par s'embraser... Koster et Nora poursuivent ensemble l'enquête, interrogeant dans la banlieue lilloise l'auteur du roman “Le tam-tam de l’angoisse”...

Romain Slocombe : Envoyez la fracture (Pocket, 2014)

Prix Mystère de la critique 2014 pour “Première station avant l'abattoir” (2013), Trophée 813, Prix Calibre 47, Prix Nice Baie des Anges pour “Monsieur le Commandant” (2011), le talent incontestable de Romain Slocombe est récompensé depuis quelques temps. Ce qui fait plaisir à ceux qui suivent de longue date cet auteur, artiste multi-facettes. La réédition en format poche, et à petit prix, de “Envoyez la fracture” est un bon moyen de se rendre compte de ses qualités.

Ce pourrait être la simple histoire d’un brave type naïf, qu’on essaie de filouter, qui défend maladroitement ses intérêts. En réalité, entre témoignages et scènes directes, la construction de ce roman court est très habile. L’auteur entretient un sympathique suspense. Les mésaventures d’Ambroise sont racontées avec une subtile ironie. Romain Slocombe évoque ici le mobilier design, les douteuses ventes aux enchères, la sorcellerie africaine. Il rend aussi hommage à l’édition populaire (Fleuve Noir, Ditis) et à ses illustrateurs, comme Gourdon. Extrêmement plaisant à lire, un vrai polar souriant.

En 2009, Claire Devers a adapté cette intrigue pour un téléfilm éponyme, avec Laurent Stocker, Clotilde Hesme, Léa Drucker, Michel Aumont, Judith Chemla.

 

- “Envoyez la fracture” est disponible dès le 13 février 2014 -

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 07:08

En avril 1922, Ralph Exeter est le correspondant à Paris du journal anglais Daily World. On le voit fréquenter les milieux culturels de Montparnasse, sans négliger une actualité plus politique. Marié à une épouse russe vivant en Grande-Bretagne, Exeter a été engagé par le patron du Daily World, journal de gauche, pour ses sympathies soviétiques. Son rôle va plus loin, puisqu'il est censé transmettre aux bolcheviques des infos secrètes émanant d'un dirigeant français. En réalité, c'est pour lui une combine afin d'empocher une prime mensuelle. La conférence économique internationale qui va se tenir à Gênes est un sujet plus sérieux. En cet après-guerre, c'est à cette occasion que l'équilibre des forces en Europe doit s'affirmer. Une foule de journalistes témoignera des travaux de la conférence, qu'on imagine décisive. La région de Gênes va grouiller d'infos capitales. Ralph Exeter s'y rend par le train, chargé de remettre un document à la délégation soviétique.

Durant le trajet, il va sympathiser avec son confrère américain Herbert Holloway. Un type quelque peu exubérant, mais expérimenté et réactif. Ils vont croiser un nommé Moselli, à l'allure inoffensive, qu'il faudra écarter de leur route. En Italie, outre les carabiniers, ils remarquent la grande présence des Chemises Noires. Si Benito Mussolini, qu'Exeter a déjà rencontré à Cannes, n'a pas encore pris le pouvoir, ses troupes sont visiblement prêtes. Les délégations de chaque pays sont à pied d'œuvre. Celle de la Russie semble encore plus sécurisée que les autres, à quelques kilomètres de Gênes. Exeter y prend contact avec le diplomate Rakovsky, lui avouant qu'il a perdu le document à transmettre. Chef des services secrets, le colonel Yatskov charge Exeter de repérer un certain Rosenblum. Cet aventurier meurtrier aurait berné les autorités bolcheviques dans une transaction. Le Guépéou doit rapidement intervenir, bien que possédant peu d'élément pour l'identifier.

Parmi les nombreuses personnes venues à Gênes, Exeter tombe bientôt sous le charme d'une belle photographe américaine. Melicent Teydon-Payne a d'ailleurs vécu les débuts de la Révolution communiste à Petrograd. Tandis que débute la conférence, Exeter s'inquiète quand la disparition de Moselli entraîne une enquête de la police italienne. Demandant l'aide d'Exeter, le colonel Yatskov veut mettre la main sur un traître à la cause soviétique. Toutefois, c'est l'ombre de Staline qui plane derrière ce sombre imbroglio. Pour grimper les marches au plus tôt vers le pouvoir suprême, Joseph Staline n'est pas avare de crimes et de combinaisons douteuses. Après avoir assisté à un opéra de Verdi, Exeter rôde dans la nuit génoise, croyant avoir découvert Rosenblum. Le meurtre d'un officiel de la délégation russe va amener une enquête interne, dont Exeter est le suspect principal...

Romain Slocombe : Première station avant l'abattoir (Éd.Seuil, 2013)

Avec ses méandres politiques, l'entre-deux-guerres reste une fichue époque. Certes, les historiens en ont exploré beaucoup d'aspects. Ce sont généralement les grandes lignes de ces années 1920 et 1930 qu'on nous présente. Implantation du communisme, du fascisme et du nazisme, face aux démocraties européennes faibles. On devine les noirs arcanes et secrètes embrouilles qui eurent lieu en ces temps-là. Voilà ce que Romain Slocombe entreprend d'illustrer, et même de décrypter, dans ce riche roman d'espionnage. On sait que, pour que tout soit véridique, il apporte un grand soin aux détails, il est exigeant sur les faits précis. Ça implique quelques passages explicatifs, qui n'ont rien heureusement de rebutants. Car il s'agit bien de restituer le climat délétère qui régnait alors.

Slocombe s'inspire de son grand-père pour camper le journaliste Ralph Exeter. Mais on va aussi côtoyer d'autres personnages se référant à la réalité. Évidemment, le plus cocasse est Herb Holloway, “jumeau littéraire” d'Ernest Hemingway. Bon prétexte à ajouter un peu d'humour, en particulier quand explose une salle de bains. Mussolini apparaît également ici avec ses contradictions, à la veille de la dictature. Quant aux apparatchiks, on les sent proches de ceux qui existaient au début du régime communiste. Les amateurs de polars noteront un clin d'œil à Kenneth Millar. Derrière la façade mondaine, l'intrigue nous offre une palpitante plongée dans un univers malsain, mensonger et meurtrier, déjà porteur des germes de la seconde guerre mondiale. Un noir roman d'aventure, avec une belle dose de péripéties et de suspense. Encore une belle réussite à l'actif de Romain Slocombe.

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31 décembre 2011 6 31 /12 /décembre /2011 06:34

 

Ma chronique consacrée à Monsieur le Commandant de Romain Slocombe figure parmi les articles les plus consultés ici de septembre à décembre 2011, Je fus un des premiers à évoquer ce roman remarquable. Puis le bouche-à-oreille, une présélection pour le Goncourt, et une émission de télé ont permis à ce livre d’être apprécié d’un large public.

SLOCOMBE-VILLARDSi beaucoup de lecteurs ont ainsi découvert Romain Slocombe, l’expérience artistique de cette auteur est déjà longue. Il a débuté dans la bande-dessinée, pratique aussi la photographie. On lui doit de nombreuses photos de bondage, activité ludique mettant en scène des jeunes femmes consentantes ligotées. Ce qui explique la fascination de Slocombe pour le Japon, pays ayant popularisé ces jeux érotiques. Depuis quelques années, il a publié plusieurs romans noirs chez Fayard, dans la Série Noire, et chez d’autres éditeurs.

 

Parmi les albums de bédé dont il est l’auteur, retenons un de ceux qu’il cosigna avec Marc Villard, Cité des anges (1989, Albin Michel).

Los Angeles, vers 1954. Armé de son Rolleiflex, le photographe Ray Barker tire le portrait des éphémères starlettes du moment. Il réalise aussi des reportages en images pour les journaux, ainsi que des photos érotiques pour la revue Exotic, d’Elmo Schilling. Parmi les candidates à la gloire, Loretta Hadley a un peu marqué Ray Barker mais elle n’est pas revenue chercher ses portraits. Quelques jours plus tard, le photographe est contacté par le romancier et scénariste Dave Goodman, qui se présente comme le fiancé de Loretta. La jeune femme a disparu, il cherche sa trace. Peu après, le caïd Palermo s’intéresse également aux photos de Loretta. C’est près de l’embarcadère de Santa Monica qu’est bientôt retrouvé le cadavre de la disparue.

Ray Barker veut en savoir plus. Un indice le mène à la clinique psychiatrique des Yuccas. L’établissement accueille les dépressions nerveuses, réelles ou simulées, du tout-Hollywood. Barker tombe sous le charme de la réceptionniste, Carol Nishimura. Le photographe tente de contacter Nancy Cardenas, l’infirmière qui s’occupa de Loretta à la clinique. Si la sensuelle actrice Virginia Lyons fait appel à Ray Barker, c’est pour lui offrir autre chose que des informations. Après une visite à l’écrivain Henry Miller, Barker trouve une piste sérieuse. Ricardo Hadley, le père de Loretta, fut un acteur de série B. SLOCOMBE-VILLARD 1La solution pourrait être du côté familial, la mère ayant choisi pour nouveau compagnon le caïd Palermo. Toutefois, autour de la disparition de Loretta, le rôle de Dave Goodman n’est pas très clair non plus. Alors que Carol Nishimura s’éloigne de lui, Barker s’approche de la vérité…

 

Si le scénario est de Marc Villard, il est probable que Romain Slocombe y ait mis son grain de sel. Des scènes de bondage, une héroïne d’origine asiatique, on reconnaît là ses passions. L’histoire s’inspire de la grande époque d’Hollywood, mythe si intimement lié aux romans et films noirs. Le nom du héros ne fait-il pas penser à celui de Raymond Chandler ? Dans sa petite Willys’41, Ray Barker sillonne les quartiers de L.A., dans les décors de ces années 1950. Un album bédé à redécouvrir, pour les amateurs d’ambiance polar. L’intrigue est digne des traditionnels suspenses noirs, textes et images se complétant avec une réelle harmonie.

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