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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 05:01

Début des années 1950. Comme tant d'autres jeunes femmes, Penny Smith a été attirée par Hollywood. Dans ce décor clinquant, elle a tenté sa chance comme actrice. Elle a fini par se reconvertir en tant que maquilleuse chez Republic Pictures, une maison de production plutôt modeste. Penny a été la maîtresse de Monsieur D., un ponte dans le milieu cinématographique. Marié, père de six enfants, il l'a finalement larguée sur un coup de téléphone. Certes, il lui a offert un chèque de rupture, plus de sept cent dollars. Mais il est probable que ce goujat demande à sa banque d'y faire opposition. Si Penny n'ignore pas être sur une mauvaise pente, elle prétend conserver le moral. D'autant qu'elle vient de trouver le logement qui lui correspond.

Mme Stahl loue des bungalows autour d'une cour, à Canyon Arms, tout près des lettres géantes Hollywood. Un endroit calme et silencieux, parfumé par les abricotiers, à l'abri de la fureur de cette agglomération. Penny lie bientôt connaissance avec ses voisins, M.Flant et Benny. Un duo de grands buveurs, qu'elle accompagne dans leurs libations. Ils révèlent à la jeune femme que son bungalow n°4 fut le théâtre d'un suicide, douze ans plus tôt. Larry, libraire âgé de trente-cinq ans, bon vendeur qui fréquentait même les studios de cinéma, y mit fin à ses jours. Quand ils évoquent un suicide au gaz, Penny ne réalise pas immédiatement le mode opératoire choisi par Larry. Les livres restés après lui dans le bungalow n°4 ne suffiront pas à apaiser les cauchemars de Penny.

La nuit, elle a des visions, croit entendre de petits bruits répétitifs et agaçants. “Pendant quelques instants, les taches de lumière se brouillèrent et flottèrent, comme liées par un fil ténu. Puis elles se mirent à ressembler aux souris furtives qui, parfois, se faufilaient dans la maison de son enfance… Si elle plissait les yeux très fort, ils ressemblaient même à des petits hommes. Était-ce des souris sur leurs pattes arrière ?” Selon la logeuse qu'elle interroge, il n'y a rien de malsain dans ce bungalow rénové après l'affaire Larry.

Sa situation vis-à-vis de Monsieur D. et ses conséquences perturbent Penny. En discutant avec ses voisins, elle s'interroge : Mme Stahl n'est-elle pas suspecte, elle qui surveille de si près ce bungalow n°4 ? Ne fut-elle pas l'amante criminelle du beau libraire ? Ne laissa-t-il pas un message en guise de dédicace, dénonçant Mme Stahl ? Quand Penny contacte un inspecteur de police, ce dernier consulte le dossier concernant le décès. Les arguments de la jeune femme pèsent peu face aux faits. Il est vrai que, à cause du gaz ou non, le climat dans le bungalow est entêtant. Sans oublier l'ombre de ces petits hommes qui s'agitent chaque nuit devant ses yeux…

Megan Abbott : Les ombres de Canyon Arms (Ombres Noires, 2016)

Le talent de Megan Abbott n'est plus à démontrer, même lorsqu'il s'agit d'une novella telle que ce texte. Cette auteure a souvent exprimé sa fascination pour l'Âge d'or du cinéma américain, pour ces années 1930 à 1950 qui ont servi de décor à plusieurs de ses romans. Elle le confirme ici, dans l'interview qui suit cette nouvelle. Le format court n'empêche pas d'imaginer l'époque, ce monde du cinéma si cruel pour les apprenties comédiennes, si décevant y compris pour les plus obstinées. D'ailleurs, Megan Abbott déclare chercher, comme son modèle Raymond Chandler, à exprimer “la beauté et la noirceur d'Hollywood”.

Son héroïne Penny est une jeune femme vulnérable, déjà quelque peu désabusée suite à tout ce qu'elle a vécu dans cet univers. Être rejetée – et refoulée – par son amant, c'est le "coup de grâce", à l'heure où elle débarque dans ce bungalow particulier. Dépression et hallucinations vont encore compliquer sa vie fragilisée. Ne pensons pas pour autant que la narration soit morbide : elle s'avère limpide et juste, amenant quelques sourires. On aime les subtils romans de Megan Abbott : plus courte, cette novella propose une autre belle facette de cette auteure majeure.

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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 05:55

Dryden est une petite ville américaine ordinaire. Tom Nash est prof au lycée public local. Il a divorcé de Georgia, qui l'a cocufié et qui ne supportait plus la vie ici. Il élève son fils Eli, joueur de hockey-sur-glace, étudiant sportif séduisant qui reste prudent avec les filles. Et sa fille Deenie, seize ans, scolarisée dans le même établissement. Celle-ci compte une poignée d'amies proches, telles la brune Gabby Bishop ou Lise Daniels. Elle a bien changé depuis l'été précédent, Lise, passant de l'allure fillette à une féminité éclatante. Parmi ses copines, il y a aussi Skye Osbourne, à la chevelure blonde presque blanche. Une élève qui cultive une part de marginalité. Ces adolescentes échangent beaucoup de confidences, de textos, d'impressions au sujet des garçons. Deenie s'interroge sur son attirance pour Sean Lurie, hockeyeur comme son frère. Lise semble être moins prude avec les mecs.

En plein cours, Lise est victime d'une crise sérieuse, bien au-delà d'un malaise. Tom Nash s'inquiète autant que sa fille Deenie. Hospitalisée, Lise paraît avoir frôlé l'arrêt cardiaque : méconnaissable physiquement, elle se trouve dans un état comateux. Dès le lendemain, l'agitation règne entre les copines du lycée. Lors d'un concert scolaire en matinée, Gabby est prise d'une crise alors qu'elle joue du violoncelle. Soignée après ces convulsions mal explicables, elle ne restera pas trop longtemps à l'hôpital. Quant à Lise, elle est dans un état stationnaire pas vraiment rassurant. Sa mère Sheila Daniels se montre accusatrice, plutôt hystérique. Est-on en train d'empoisonner les adolescentes de Dryden, est-ce de la faute des jeunes hommes de cette ville ? Entre soupçons de rage et histoires vampiriques, les filles du lycée imaginent n'importe quoi, et circulent les plus douteuses rumeurs.

Deenie se demande si la cause du virus, ce ne serait pas le lac de Dryden ? Elles s'y sont baignées récemment, alors que c'est strictement interdit. La couleur fluorescente de ce plan d'eau et les algues nocives confirment que ce lac est ultra-pollué. Le père de Jaymie Hurwich, une autre lycéenne, veut convaincre tout le monde que c'est lié au vaccin que les filles ont été obligées de se faire injecter. Sinon, pourquoi une envoyée du ministère de la santé serait-elle sur place ? Au gymnase, c'est la rousse Kim Court qui est la troisième victime de convulsions. Le lycée est maintenant carrément en ébullition. À l'hôpital, bien que Tom Nash soit l'ami d'une employée, on ne laisse guère filtrer d'informations.

Le cas de Kim Court pose une double énigme à Deenie. Kim ne s'est pas probablement pas baignée au lac. À cause de ses multiples allergies, elle n'a pas non plus été vaccinée comme elles. Non contaminée, Deenie culpabilise puisque ses amies sont touchées. Sauf Skye Osbourne, mais celle-ci n'est réellement proche que de Gabby. À la réunion de tous les parents d'élèves, grosse excitation générale : le vaccin, le lac, peut-être le stress car les victimes sont filles de divorcés, les hypothèses fusent. Le virus serait “à l'intérieur des filles”, ce qui reste une explication vaseuse. Tom ne sait pas comment mieux protéger sa fille Deenie, tandis qu'Eli cherche aussi à aider sa sœur et à comprendre les faits…

Megan Abbott : Fièvre (Éd.Jean-Claude Lattès, 2015)

Megan Abbott figure parmi les plus subtiles des romancières de notre époque. On l'avait constaté dans ses polars “à l'ancienne”, où elle inversait certains codes du roman noir. On l'a vérifié avec ses romans “contemporains”, autour des jeunes filles (La fin de l'innocence, Vilaines filles). La psychologie des adolescentes, c'est un écheveau de sentiments confus et compliqués, bien difficile à démêler. Fidélité et piques entre véritables copines, attirance envers les garçons, besoin d'un parent protecteur sans être étouffant, contexte scolaire : ça risque de s'embrouiller dans la tête de certaines d'entre elles. S'il s'agit d'Américaines dans cette histoire, on peut supposer que ces questions sont universelles.

Il se produit un "élément déclencheur" qui va secouer la tranquillité locale. Des parents s'énervent, en particulier lors de la réunion au lycée. Bien que règne une forte tension, l'auteure évite de verser dans le spectaculaire, dans un voyeurisme glauque. Car elle reste du côté de celles et ceux qui subissent l'affaire : la jeune Deenie, son père et son frère, plus quelques amies. Comment réagir intelligemment face à une situation obscure ? Ils se sentent "impliqués" de près, pas juste concernés. N'étant pas atteinte par la fièvre, Deenie craint même d'être accusée de l'avoir provoquée. Côté garçons, même affichant un flegme apparent, son frère Eli ne peut pas rester étranger au problème actuel.

Outre le regard juste de l'auteure sur les jeunes filles, certainement y a-t-il un clin d'œil dans le titre : “The fever” fait référence à l'excellente chanson de Peggy Lee, “Fever”. Peu importe une éventuelle étiquette polar, c'est un suspense psychologique d'une finesse magnifique que nous présente Megan Abbott, avec sa maestria habituelle. Bravo Megan.

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24 juillet 2015 5 24 /07 /juillet /2015 16:30

Une bonne nouvelle pour tous ses admirateurs : “Fièvre” (The fever) de Megan Abbott sera disponible en français le 7 octobre 2015, publié aux Éd.Jean-Claude Lattès. Voilà déjà ce que l'on sait sur ce suspense psychologique :

« [Fille de Tom Nash, un professeur apprécié au lycée], Deenie Nash [dont le frère Eli pratique le hockey] est une adolescente typique [et une élève assidue]. Avec ses meilleures amies, Lise, Gabby et Skye, elles ne parlent que d’une chose : qui l’a déjà fait ? est-ce que ça fait mal ? Elles échangent ragots et potins par textos interposés. Un matin, en classe, Lise est soudain prise d’une violente crise de convulsions et emmenée à l’hôpital. Dans les couloirs du lycée, on ne parle que de ça. Deux jours après, c’est Gabby qui subit le même type de crise. La panique s’étend à la famille, au lycée et à toute la communauté. Qu’est-il arrivé à Lise et à Gabby ? Est-ce un virus ? Ou, comme le pense la mère de Lise, désemparée, la faute des garçons et l’attrait du sexe ? Les théories du complot les plus fumeuses circulent dans le lycée, d’autant plus que d’autres jeunes filles sont saisies d’étranges symptômes, qui laissent les autorités médicales perplexes et provoquent chez les parents une tempête de protestations. Deenie s’inquiète. Va-t-elle être elle aussi saisie par cette fièvre ? Megan Abbott décrit avec talent le malaise, l’hystérie collective et les jeux de pouvoirs des adolescents américains. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Dominique Chevallier.»

Ci-dessous, de précédents titres de Megan Abbott chroniqués ici.

Ci-dessous, de précédents titres de Megan Abbott chroniqués ici.

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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 05:55

Au lycée de Sutton Grove, il existe un groupe de pom-pom girls qui accompagnent les matchs de leur équipe. À la tête de ces cheerleaders de seize à dix-sept ans, c'est Beth Cassidy qui fait figure de capitaine. Adelaide Hanlon, dite Addy, est l'amie de toujours et la lieutenante de Beth. Les deux filles se chamaillent parfois vivement, mais restent unies. Une nouvelle coach arrive cette année pour les entraîner.

Mariée au très travailleur Matt French, mère de la petite Caitlin âgée de quatre ans, Colette French impose une discipline de fer aux adolescentes dès la première semaine. Beth est destituée de son honorifique titre de capitaine, rôle estimé inutile par la coach. Addy connaît assez son amie pour vite réaliser quelle situation conflictuelle ça va créer. Rectifier l'hygiène de vie des filles, leur faire pratiquer du sport intensif, c'est pourtant la clé pour réussir leurs spectacles.

Fascinée par la coach, Addy passe quelques soirées chez elle, d'abord avec le groupe puis en duo. En effet, son mari Matt est assez peu présent dans la vie de Colette French. Beth a remarqué la vénération que la coach inspire aux filles, en particulier à Addy. N'étant plus capitaine, elle trouve des prétextes pour délaisser l'entraînement. Au contraire des autres, qui préparent leurs figures pour approcher de la perfection.

Le beau sergent Will est le recruteur de l'armée en poste au lycée. Sans doute Beth a-t-elle compris qu'il est l'amant de la coach. Car elle s'arrange pour qu'Addy et elle surprennent leurs ébats sexuels. Beth prétend garder le silence sur cette histoire. Pourtant, Addy la sait trop vicelarde pour que son amie reste sans se venger. Quand le couple lui explique les motifs de leur relation sincère, Addy ne voit aucune raison de trahir le sergent Will et la coach.

La coach ne pouvant pas s'en faire une ennemie plus longtemps, Beth récupère son titre de capitaine. Manière aussi de la replacer dans le groupe, alors que plusieurs incidents ont mis des filles blessées sur la touche. La coach semble tendue ces derniers jours, pas seulement à cause de l'entraînement. Une nuit, elle téléphone à Addy, ne cachant pas son désarroi. Will vient de se suicider dans son appartement. Elles ne doivent être mêlées sous aucun prétexte à cette mort brutale. Enquête de routine pour la police, enquête militaire d'autre part. Pour le caporal Prine, adjoint du sergent Will, il vaut mieux ne pas trop en dire sur ce qu'il sait. Interrogée à l'improviste, Addy confirme l'alibi de la coach. Bien que redevenue Top Girl, voltigeuse, Beth continue à semer le doute dans la tête d'Addy. La sérénité ne règne guère, alors qu'approche la grande finale...

Megan Abbott : Vilaines filles (Éd.Jean-Claude Lattès, 2013)

Une intrigue autour d'un groupe de cheerleaders, voilà qui pourrait laisser perplexe. Il faut répéter qu'il s'agit de lycéennes mineures, pas du niveau des pom-pom girls universitaires ou des cheerleaders adultes pros du show. Si elles sont sportives et volontaires, ce sont des jeunes filles de leur âge, autour de dix-sept ans. N'ayant pas la maturité des femmes, elles restent influençables.

“Elles se cherchent” d'autant plus qu'elle n'ont pas vraiment de modèle familial. Parents inexistants, amies vachardes, téléphone portable greffé dans leur main, plus allumeuses que séductrices, ces ados ont besoin d'icônes. Ce qui suppose aussi des rivalités, quand deux personnes charismatiques sont en présence. C'est ainsi qu'Addy, qui pense toujours avoir besoin d'un chef, va osciller entre son amitié pour Beth et son respect teinté d'amour pour la nouvelle coach. Deux caractères forts.

Megan Abbott aurait donc pu choisir n'importe quel type de groupe pour illustrer l'esprit conflictuel qui y règne souvent. Chez les cheerleaders, on est déjà dans une compétition, ce qui exacerbe les sentiments. Le comportement des ados actuelles est décrit avec une belle justesse. Qu'elles soient Américaines ou Françaises, on retrouve des attitudes très comparables. Entre filles, les affrontements brutaux sont rares, c'est plutôt la sournoiserie qui guide leur mesquinerie. C'est ainsi que le doute plane, autant sur la mort du sergent Will, que sur la responsabilité de chacun(e).

Megan Abbott appartient au cercle fermé des meilleures romancières de notre époque. Comme elle l'a démontré dans ses précédents livres, c'est avec une remarquable maîtrise qu'elle construit et dirige cet excitant suspense psychologique. Une fois de plus, traitant cette fois du thème du groupe, elle fait mouche.

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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 05:49

En 1930, malgré un passé chaotique, le Dr Everett Seeley a décroché un poste pour une société basée au Mexique. Il a installé son épouse, plus jeune que lui, dans un meublé à Phoenix (Arizona). Marion Seeley est engagée comme secrétaire dans une clinique. ABBOTT-2013La fringante infirmière Louise Mercer ne tarde pas à sympathiser avec la nouvelle employée. Elle l'invite dans le petit logement qu'elle occupe avec la blonde Virginia Hoyt, dite Ginny. Tuberculeuse, celle-ci a besoin de traitements. C'est coûteux, mais Louise ne semble pas embarrassée pour trouver l'argent. D'ailleurs, Marion est bientôt invitée aux fêtes que le duo de femmes organisent chez elles. On y côtoie du beau monde, généreux avec Louise et Ginny. De gros consommateurs d'alcool, malgré la Prohibition. Marion meuble sa solitude en devenant une habituée de ces soirées, finissant par boire aussi de l'alcool.

Le soir du réveillon, c'est les bras chargés de cadeaux que Joe Lanigan se joint à ses amis fêtards. Homme d'affaires possédant plusieurs pharmacies, marié à une épouse malade, père de famille allant à la messe, membre de la Chambre de Commerce et autres clubs locaux, Gentleman Joe est un notable de Phoenix. Charismatique, ce séducteur remarque très rapidement la belle Marion. Bien difficile pour la jeune femme vivant en solitaire de résister, quand Joe l'invite au restaurant et se montre attentionné. Son docteur de mari se montre plutôt paternel, protecteur. Alors que Lanigan exprime la légèreté et la sensualité, la réussite et l'aisance financière. Bien que Marion se traite de pécheresse, sa fiévreuse attirance pour Joe Lanigan est de plus en plus intense. Ils finissent par devenir amants. La jeune femme se teint en blonde platine, chevelure plus conforme à sa vie actuelle.

Marion n'éprouve aucun remords à tromper son mari. Elle regrette que Joe ne soit pas entièrement à elle, qu'il soit pris par ses affaires, son épouse souffrante. Par d'autres femmes, aussi. Pas seulement Louise et Ginny. La nouvelle infirmière de dix-neuf ans, Elsie Nettle, est une proie toute désignée pour Joe. C'est lui qui possède Marion, et pas l'inverse. L'ombre de la jalousie commence à planer sur la jeune femme. Le duo Louise-Ginny a un urgent besoin d'argent, depuis qu'elles sont délaissées par Joe Lanigan. Elles ont vendu, ou mis en dépôt, bon nombre d'objets pour quelques sous. Les fêtards viennent moins chez elles, également. La tension monte entre Louise et Marion, avant que Ginny ne s'en mêle. Après des faits quasiment inévitables, Joe promet d'aider son amante. Marion réalise vite qu'elle doit se sortir seule de cette situation hautement dangereuse...

 

Après «Red Room Lounge», «Adieu Gloria», «Absente», «La fin de l'innocence» et «Envoûtée», une conclusion s'impose : aucun titre mineur dans l'œuvre de Megan Abbott. Cette fois encore, les portraits sont d'une admirable subtilité, la psychologie de chacun des personnages apparaît parfaitement juste, et l'intrigue est calibrée avec précision. Par exemple, la troisième partie du récit (consacrée à Elsie) n'est pas là que pour confirmer l'emprise séductrice de Joe. De même, l'exilé Dr Everett Seeley ne fait pas uniquement de la figuration dans cette affaire. Pas plus qu'Abner Worth, patron des abattoirs Worth Brothers, un des fêtards de chez Louise et Ginny. Tout est ici maîtrisé, sans faute.

Quant au contexte, l'Amérique de 1930, on n'a pas de mal à l'imaginer. L'auteure nous la décrit par des détails significatifs, sans s'appesantir inutilement. À nous de nous souvenir qu'on est en pleine Prohibition, que les traditions religieuses restent fortes, qu'un notable d'alors est rarement inquiété longtemps, ou que le poids des journaux influe sur l'opinion publique. S'il y a effectivement une enquête criminelle, on nous fait comprendre pourquoi les policiers sont peu à la hauteur. Pourtant, ils ne manquent ni de témoins, ni de preuves. L'histoire s'inspirant d'un faits divers réel, la romancière nous explique ensuite comment elle a procédé. La fiction est plus excitante que le cas d'origine, même si la vraie coupable fut singulière. Envoûtés, nous le sommes par ce noir suspense de qualité supérieure.

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9 juillet 2012 1 09 /07 /juillet /2012 05:25

 

Megan Abbott nous a séduit avec ses premiers titres : Absente, Adieu Gloria, et Red Room Lounge. Cette fois, il ne s’agit plus d’une histoire rappelant les romans noirs des années 1950. D’un autre style, La fin de l’innocence est un remarquable suspense psychologique.

ABBOTT-2012jclÂgée de treize ans, Lizzie vit avec son frère Ted et leur mère divorcée. Evie Verver est sa voisine, du même âge. Non seulement les deux ados sont dans la même classe, mais elle entretiennent une relation fusionnelle. Elles ne font qu’une, se partageant leurs secrets et leurs vêtements. Bien qu’encore peu féminines, Lizzie et Evie ne sont pas insensibles aux garçons. Lizzie passe beaucoup de temps chez les Verver, cette famille idéale. Dusty, la sœur aînée d’Evie, a dix-sept ans. C’est une jeune fille sportive, pratiquant le hockey, dont la séduction fascine les deux filles. Infirmière, Mme Verver est aujourd’hui une femme plutôt effacée. Lizzie se souvient qu’elle montrait naguère plus de fantaisie. Par contre, M.Verver est un homme merveilleux, aux yeux de Lizzie. Patient et chaleureux, il est très complice avec Dusty, autant qu’attentif vis-à-vis d’Evie et de son amie.

C’est le printemps, vers la fin de l’année scolaire. Le jour où Evie disparaît, Lizzie est la dernière à lui avoir parlé. La police recherche immédiatement l’adolescente. La rumeur locale évoque une précédente disparition, parle d’un tueur rôdant dans la région. Dusty et la mère d’Evie sont sous le choc. Lizzie s’efforce de rester proche de M.Verver. Quand elle se souvient que son amie pensait qu’un inconnu surveillait sa fenêtre de chambre, Lizzie suggère cette piste à M.Verver. Il y avait bien une voiture couleur bordeaux qu’elle a repéré peu avant la disparition d’Evie. Peut-être celle d’Harold Shaw, l’agent d’assurance. Tant que rien n’est sûr, il faut rester prudent dans les accusations. Néanmoins, M.Shaw n’est pas rentré chez lui. Une perquisition à son domicile ne donne pas les preuves espérées par Lizzie et ses copines de lycée. Mme Shaw pense que son mari a trouvé refuge au Canada.

Une vieille dame aurait vu une ado plonger habillée dans un lac voisin, où des recherches sont menées. Lizzie tient à sa propre version, impliquant M.Shaw. Un détail précis lui permet de découvrir des indices importants. Pourtant, elle doit quelque peu manipuler ces preuves pour que, grâce à M.Verver, l’enquête soit orientée dans la bonne direction. Tandis que le FBI cherche autour de la frontière canadienne, Lizzie finit par admettre la mort possible de son amie. Les derniers temps, n’étaient-elles pas un peu moins complices ? Evie m’échappe, se dit Lizzie. La nervosité dépressive de Mme Verver et de Dusty n’empêchent pas l’ado de continuer son enquête parallèle, pour conserver sa relation avec le père d’Evie. Alors qu’elle tente une fouille clandestine nocturne chez M.Shaw, c’est le fils de celui-ci qui va l’aider à faire progresser les investigations policières…

 

Le contexte est plutôt actuel, encore que le sujet apparaisse intemporel. Maîtriser un véritable suspense psychologique n’est pas si simple, surtout quand l’auteure doit se mettre dans la tête d’une enfant de treize ans. C’est justement ici l’atout majeur. Car Megan Abbott ne nous présente pas une petite adulte, mais bien une adolescente, avec sa vie scolaire et familiale, son amitié forte pour sa jeune voisine, l’imaginaire de son âge, et son attirance pour la maturité tranquille du père d’Evie. Lizzie ressent le besoin de comprendre, au-delà de la disparition de sa copine.

Une affaire qui progresse donc surtout grâce aux trouvailles de Lizzie. L’intrigue semblerait assez simple, mais il faut compter avec les portraits subtils des personnages. Par exemple, si le jeune Pete Shaw aide l’ado à pister son père, ça répond à de fins motifs. Quelques scènes vécues par les deux amies suggèrent des nuances dans l’image idéale des Verver. Belle virtuosité narrative, pour un suspense de haute qualité. C’est différent de ce que l’on connaît déjà de Megan Abbott, mais tout autant convaincant.

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 06:28

 

Avec les remarquables Absente et Adieu Gloria, Megan Abbott a séduit bon nombre de lecteurs français. Voici Red Room Lounge, son tout premier titre qui risquait de nous paraître moins élaboré. Il n’en est rien, ce troisième roman publié en français s’avère aussi maîtrisé que les deux autres…

ABBOTT-2011En 1954, à Pasadena et dans la région de Los Angeles. Lora King est professeur au lycée de filles de Westridge. Bill, le frère de la jeune femme, est policier. Il a vite mérité ses galons d’inspecteur. N’ayant pas de famille, Lora et Bill ont vécu longtemps ensemble. Il sont séparés depuis que Bill a épousé Alice Steele, après l’avoir courtisée pendant cinq mois. Lora et son frère restent proches, mais elle a du mal à considérer Alice comme une sœur.

Ancienne costumière à Hollywood, celle-ci n’est pas d’une grande beauté, mais elle possède une vitalité attirante. Issue d’un milieu modeste, Alice garde de moins bons souvenirs d’enfance que Lora et Bill. Elle se comporte telle une parfaite femme au foyer. Pourtant, Lora devine qu’Alice possède une face cachée. Elle obtient un poste d’enseignante pour sa belle-sœur, mais le doute plane sur ses diplômes et sa qualification.

Lois Slattery est une amie d’Alice, figurante dans quelques films vivotant dans un logement miteux. Une habituée des soirées hollywoodiennes, semble-t-il. À peine cache-t-elle ses expériences sexuelles agitées et sa consommation de drogues. Bien qu’ayant tourné la page, menant une vie rangée loin du monde du cinéma, Alice est toujours bienveillante envers Lois. Une photo érotique confirme à Lora que les deux jeunes femmes ont fréquenté les mêmes milieux pervers.

Plus affirmée, Alice détonne quelque peu parmi les épouses des collègues de Bill. C’est elle qui a incitée Lora à sortir avec Mike Standish, agent de publicité dans le cinéma. Bien qu’ils soient intimes et fassent la fête ensemble, Lora refuse de le considérer comme son petit ami. Sans doute à cause du léger cynisme de Mike. Surtout parce qu’elle pense qu’il est trop proche de sa belle-sœur.

Lora continue à glaner des renseignements sur Alice. Elle réalise peu à peu le rôle de l’omniprésent Joe Avalon, connu sous plusieurs identités, familier des studios de cinéma. Elle s’étonne que l’épouse d’un collègue policier de Bill soit en relation avec cet homme. Lora ne voit pas comment confier à son frère, qui reste hypnotisé par Alice, tout ce qu’elle a déjà découvert. Le cadavre d’une femme martyrisée retrouvé dans Bronson Canyon incite Lora à contacter le policier Cudahy. Car elle a déjà mis un nom sur cette victime. Mike Standish peut aussi l’aider à comprendre, à condition de lui faire confiance. Grâce à lui, les archives d’une société cinématographique offrent des éléments à Lora. Le témoignage monnayé d’une maquerelle lui est aussi fort utile…

 

La subtilité de l’intrigue et la souplesse narrative constituent les atouts majeurs de ce scénario, une fois encore. L’agent de publicité du cinéma Mike Standish semble une première esquisse de Gil Hopkins, le héros de Absente. On savoure l’ambiance de l’Amérique des années 1950, que l’auteure sait si merveilleusement restituer. D’autant qu’elle fait se côtoyer deux mondes bien distincts.

Lora, la jeune prof, cultive une relation fusionnelle sans ambiguïté avec son frère Bill, soldat durant la récente guerre, devenu flic exemplaire. Du côté d’Alice, c’est d’un univers malsain qu’elle vient. Image de la femme fatale ? Oui et non. Si elle est attirante, glamour, elle ne possède pas cette supériorité élégante dont sont dotées les vamps. Elle a encore des similitudes avec les filles perdues, telles Lois Slattery. Si Lora est forcément troublée par la perversité qu’elle découvre, elle s’en méfie.

On l’aura compris, beaucoup de nuances et de finesse dans les relations entre les protagonistes. Dans le rôle de la police aussi, faisant plus partie du décor qu’elle n’est impliquée directement. S’inspirant des romans noirs d’autrefois, Megan Abbott est vraiment la meilleure.

Ici, mes chroniques sur : "Absente" et "Adieu Gloria".

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 06:50

 

Aux Éditions du Masque, Adieu Gloria est le deuxième titre publié en français de Megan Abbott. J'ai attribué un "Coup de cœur" au précédent. Celui-ci mériterait tout autant ce petit signe de qualité, car c'est un remarquable roman (disponible dès le 23 février).

ABBOTT-2011Comptable dans un petit club de la ville, cette toute jeune femme vit chez son père et poursuit des études de comptabilité. Elle est bientôt repérée par Gloria Denton. Dame mûre sinon âgée, Gloria conserve un charme troublant et une force de caractère qui impressionnent la petite comptable. Son bizness consiste à rendre divers services, collecter les gains des paris, verser quelques pots-de-vin, transmettre des enveloppes dans les casinos, sur les champs de course, les clubs et bars. Un rôle de confiance, pour des commanditaires qui ne plaisantent pas. Il faut être d’une fiabilité absolue, comme c’est le cas de Gloria depuis plusieurs décennies. Elle a choisi la jeune femme pour la former au job, en faire son assistante. Bénéficiant d’un nouvel appartement et d’une voiture, l’apprentie est testée sur quelques livraisons. Puis Gloria va la relooker sobrement, car une parieuse d’hippodromes ne doit pas être trop remarquée.

La jeune femme est à la hauteur, snobant les hommes, sachant se montrer prudente, trouvant vite sa place dans le bizness. Elle apporte même un tuyau pour un fructueux cambriolage. Jusqu’à là, l’éducation de sa protectrice porte ses fruits. Hélas, l’héritière de Gloria va croiser Vic Riordan, un joueur invétéré, un pigeon qui perd bien plus qu’il ne gagne mais se croit toujours sur le bon coup. C’est plus que de l’amour, c’est de la passion que la jeune femme ressent pour son amant. Pas question de révéler cette relation à Gloria, évidemment. Elle a appris à masquer ses actes, autant que les bleus issus de ses étreintes sexuelles féroces. Vic Riordan est dans la panade, lourdement endetté. Valeur montante du Milieu local, le caïd Mackey ne sera plus patient longtemps. ABBOTT-USASon dernier avertissement est violent. Comme si des sirènes d’alarme retentissaient de toute part, la protégée de Gloria sait déjà qu’elle a tort de vouloir aider Vic.

Certes, il y a une solution, arrêter de voir le joueur endetté. Elle est trop éprise pour s’y résoudre. Le temps presse, Vic est aux abois. Il a un plan sûr, des paris truqués très rentables, mais il lui faut une mise importante. Détourner du fric qui appartient à ses patrons ? Extrêmement risqué, d’autant que Gloria a des indics partout, ce qui est la base même de son réseau. Aux courses, la jeune femme va justement être en possession d’une somme conséquente, le double des mises ordinaires. Gloria étant absente, la comédie d’une agression autour de l’hippodrome passerait plus facilement. Surtout si Vic n’hésite pas à la cogner fortement, afin qu’on ne doute pas de sa version. Pourtant, rien ne dit que l’incorrigible Vic rembourse Mackey avec ses nouveaux gains. La suite pourrait finalement attirer l’attention de la police…

 

Ils sont rares, les véritables continuateurs du roman noir traditionnel américain, les descendants de Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Avec Absente, Megan Abbott prouva qu’elle faisait partie de ce petit cercle. Elle le confirme grâce à ce nouveau roman. Premier atout favorable, le décor. En ne situant ni la ville, ni l’époque précise, elle donne un côté universel et intemporel à cette histoire. Au lecteur d’ajouter son propre imaginaire. ABBOTT-UKContexte peut-être des années 1950, ou 1960 si l’on préfère, ou plus récent si telles sont nos références. Idem pour cette ville riche en trafics autour du jeu, qui peut se positionner où l’on veut. C’est diablement malin.

Le second atout, c’est bien sûr le portrait des héroïnes, deux femmes similaires, deux générations d’ambitieuses. Elles sont un amalgame réussi de femmes fatales et de dures à cuire, telle Lauren Bacall. L’aînée est respectée, organisée, incontournable, encore séduisante. Si elle cesse d’accumuler les erreurs, la cadette le deviendra peut-être à son tour. On ne nous incite pas à choisir notre camp, l’une ou l’autre gagnante du duel, entre le visage de l’expérience et celui de l’avenir. Quant à l’intrigue, traîtrises et manipulations en tous genres sont au programme. Dans un monde baignant dans l’illégalité avec ses aspects malsains, le récit idéalement fluide apporte une impression de normalité alors que la mort rôde. Megan Abbott est probablement la plus subtile et la mieux inspirée dans le roman noir actuel.

Cliquez pour ma chronique sur "Absente" de Megan Abbott.

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