Publié aux Éditions Sonatine, “Absente” de Megan Abbott est basé sur une véritable affaire de disparition, qui fut largement médiatisée à l’époque. Comme pour le Dahlia Noir, elle ne fut jamais résolue. Dans la réalité, ce furent les proches de Jean Spangler qu’on suspecta, mais Megan Abbott choisit une version bien différente et fort convaincante.
1951. Après avoir été reporter pour le magazine Cinestar, Gil Hopkins (dit Hop) est attaché de presse pour un studio hollywoodien. Son rôle consiste autant à écrire des communiqués de presse optimistes qu’à résoudre des situations à problèmes. Par exemple, il fait preuve de diplomatie avec la capricieuse starlette Barbara Payton. L’épouse de Hop, Midge, l’a quitté après un mariage orageux. Elle a rejoint Jerry, journaliste confirmé et meilleur ami de Hop. L’attaché de presse est contacté par Iolene, une actrice métis. Celle-ci éprouve toujours des remords après la disparition de son amie Jean Spangler, deux ans plus tôt. Dans cette affaire très médiatisée, Hop n’avoua pas tout ce qu’il savait à la police.
Le 7 octobre 1949, la starlette Jean Spangler quitte ses proches, prétextant un tournage de nuit. On ne retrouvera d’elle que son sac à main dans un parc, et quelques mots écrits à la hâte. Sur ce billet, elle cite un Dr Scott et un nommé Kirk. L’acteur Kirk Douglas prouve vite qu’il n’est pas concerné. Divorcée, peut-être enceinte, elle était l’amie de Davy Ogul, mafieux membre du gang Cohen. En réalité, Gil Hopkins fut un des derniers à croiser Jean Spangler. Avec Iolene, ils faisaient partie d’un groupe de fêtards s’enivrant au club Eight Ball. Il y avait aussi le duo Merrel et Sutton, stars de comédies musicales patriotiques, adulés par un public populaire. Quand ils buvaient à l’excès, Gene Merrel et Marv Sutton s’avéraient violents et pervers avec les femmes. Leur agent Bix Noonan, présent ce soir-là, ne pouvait pas faire grand-chose pour les calmer. Séduit par une peu farouche Miss Hotcha, Hop partit avant la fin de la nuit.
Iolene, qui avait quitté les fêtards au miteux club Red Lily, se sent en danger et se cache. À l’issue d‘une nuit d’ivresse, Hop raconte ce qu’il sait de l’affaire Jean Spangler à la jeune reporter rousse Frannie Adair. Le lendemain, il est conscient d’avoir trop parlé, mais se sent capable d’arranger ça. Néanmoins, Frannie mène sa petite enquête. Ce n’est pas son épouse Midge qui aidera Frannie, dénigrant Hop, quand la journaliste lui téléphone. Tout en surveillant le jeune femme, Hop recueille des témoignages sur la fameuse soirée. Bix Noonan confirme que Merrel et Sutton sont allés avec la disparue au Red Lily. Barbara Payton cite un exemple de la perversité du duo.
Hop retourne au club Eight Ball, où traîne toujours Sutton. Son compère Merrel serait soigné pour une maladie vénérienne, apprend plus tard Hop. C’est au Red Lily qu’une petite prostituée témoigne de la fin de cette fameuse nuit. Jamais Frannie ne s’approchera de cette vérité-là. D’autres révélations encore plus surprenantes attendent Hop. Un ancien cabinet médical lui offre une piste inattendue. Iolene et Jean Spangler se livraient à un jeu dangereux…
Megan Abbott reconstitue à la perfection les coulisses hollywoodiennes de l’après-guerre. À l’opposé du mythe de l’usine à rêve, c’est la sordide face cachée de cet univers qu’elle nous présente. Les nuits orgiaques y étaient courantes, donnant parfois lieu à des scandales pas tous étouffés. Que certains comédiens célèbres aient été des salauds, sans doute. Néanmoins, l’auteur se refuse à une hypocrite candeur. Les starlettes d’alors se comportaient tout bonnement comme des putains, avides de fric et de relations dans le cinéma. Quand elles obtenaient une petite notoriété, telle Barbara Payton, leur vie chaotique amenait une dégringolade plus rapide que leur ascension. Rares étaient celles qui s’en sortaient à peu près indemne.
Gil Hopkins incarne un de ceux qui bâtirent la légende dorée d’Hollywood. Médiateur efficace, il sait atténuer les problèmes, s’assurer que rien ne ternira l’image des stars, inventer des versions positives. Ambitieux ou arriviste, il se donne à fond pour être respecté dans ce petit monde qui ne respecte pas grand-chose. À sa façon, même si la “vraie vie” n’a plus grand sens pour lui, il reste honnête. Deux ans après les faits, il a sincèrement envie de savoir ce qu’il est advenu de Jean Spangler. Un héros à la fois pitoyable, culpabilisant au sujet de cette sombre affaire, et touchant dans sa volonté maladroite de comprendre les faits… On s’installe avec délectation dans ce récit captivant. Un roman remarquable, un pur régal noir !
La couverture de ce roman en V.O.