Avec les remarquables “Absente” et “Adieu Gloria”, Megan Abbott a séduit bon nombre de lecteurs français. Voici “Red Room Lounge”, son tout premier titre qui risquait de nous paraître moins élaboré. Il n’en est rien, ce troisième roman publié en français s’avère aussi maîtrisé que les deux autres…
En 1954, à Pasadena et dans la région de Los Angeles. Lora King est professeur au lycée de filles de Westridge. Bill, le frère de la jeune femme, est policier. Il a vite mérité ses galons d’inspecteur. N’ayant pas de famille, Lora et Bill ont vécu longtemps ensemble. Il sont séparés depuis que Bill a épousé Alice Steele, après l’avoir courtisée pendant cinq mois. Lora et son frère restent proches, mais elle a du mal à considérer Alice comme une sœur.
Ancienne costumière à Hollywood, celle-ci n’est pas d’une grande beauté, mais elle possède une vitalité attirante. Issue d’un milieu modeste, Alice garde de moins bons souvenirs d’enfance que Lora et Bill. Elle se comporte telle une parfaite femme au foyer. Pourtant, Lora devine qu’Alice possède une face cachée. Elle obtient un poste d’enseignante pour sa belle-sœur, mais le doute plane sur ses diplômes et sa qualification.
Lois Slattery est une amie d’Alice, figurante dans quelques films vivotant dans un logement miteux. Une habituée des soirées hollywoodiennes, semble-t-il. À peine cache-t-elle ses expériences sexuelles agitées et sa consommation de drogues. Bien qu’ayant tourné la page, menant une vie rangée loin du monde du cinéma, Alice est toujours bienveillante envers Lois. Une photo érotique confirme à Lora que les deux jeunes femmes ont fréquenté les mêmes milieux pervers.
Plus affirmée, Alice détonne quelque peu parmi les épouses des collègues de Bill. C’est elle qui a incitée Lora à sortir avec Mike Standish, agent de publicité dans le cinéma. Bien qu’ils soient intimes et fassent la fête ensemble, Lora refuse de le considérer comme son petit ami. Sans doute à cause du léger cynisme de Mike. Surtout parce qu’elle pense qu’il est trop proche de sa belle-sœur.
Lora continue à glaner des renseignements sur Alice. Elle réalise peu à peu le rôle de l’omniprésent Joe Avalon, connu sous plusieurs identités, familier des studios de cinéma. Elle s’étonne que l’épouse d’un collègue policier de Bill soit en relation avec cet homme. Lora ne voit pas comment confier à son frère, qui reste hypnotisé par Alice, tout ce qu’elle a déjà découvert. Le cadavre d’une femme martyrisée retrouvé dans Bronson Canyon incite Lora à contacter le policier Cudahy. Car elle a déjà mis un nom sur cette victime. Mike Standish peut aussi l’aider à comprendre, à condition de lui faire confiance. Grâce à lui, les archives d’une société cinématographique offrent des éléments à Lora. Le témoignage monnayé d’une maquerelle lui est aussi fort utile…
La subtilité de l’intrigue et la souplesse narrative constituent les atouts majeurs de ce scénario, une fois encore. L’agent de publicité du cinéma Mike Standish semble une première esquisse de Gil Hopkins, le héros de “Absente”. On savoure l’ambiance de l’Amérique des années 1950, que l’auteure sait si merveilleusement restituer. D’autant qu’elle fait se côtoyer deux mondes bien distincts.
Lora, la jeune prof, cultive une relation fusionnelle sans ambiguïté avec son frère Bill, soldat durant la récente guerre, devenu flic exemplaire. Du côté d’Alice, c’est d’un univers malsain qu’elle vient. Image de la femme fatale ? Oui et non. Si elle est attirante, glamour, elle ne possède pas cette supériorité élégante dont sont dotées les vamps. Elle a encore des similitudes avec les filles perdues, telles Lois Slattery. Si Lora est forcément troublée par la perversité qu’elle découvre, elle s’en méfie.
On l’aura compris, beaucoup de nuances et de finesse dans les relations entre les protagonistes. Dans le rôle de la police aussi, faisant plus partie du décor qu’elle n’est impliquée directement. S’inspirant des romans noirs d’autrefois, Megan Abbott est vraiment la meilleure.
Ici, mes chroniques sur : "Absente" et "Adieu Gloria".