Le commissaire Kémal Fadil est en poste à Oran, où il habite avec sa mère Léla – handicapée en fauteuil roulant, et sa fiancée Fatou – originaire d’Afrique noire, aujourd’hui infirmière. Fadil fait partie des policiers non-inféodés au pouvoir actuel algérien, que les intégristes islamistes ont contribué à davantage véroler encore. Comme son ami Moss, chef du service de médecine légale au CHU d’Oran, adepte de la bonne humeur quels que soient les circonstances peu joyeuses dans leur pays. C’est d’abord sur le meurtre d’un Chinois, ouvrier sur les chantiers de construction et de rénovation financés par des investissements asiatiques, resté en clandestin ici après la fin de son contrat, que Fadil doit enquêter. Il s’aperçoit bien vite que deux autres Chinois ont été récemment assassinés, mais que les autorités asiatiques sont rapidement intervenues afin que l’affaire ne soit pas dévoilée.
Par ailleurs, quatre enfants des rues – deux garçons et deux fillettes – ont été enlevés par une bande de malfrats dirigée par le vieux Lahcen et son fils Essiki. Ils les séquestrent dans leur casse automobile. Kabyle, Swawi est l’intermédiaire pour les acheteurs de ces mômes, des Asiatiques. Mais les négociations sont de plus en plus houleuses entre Lahcen et Swawi. Le chef de bande réclame bien davantage que la somme prévue. Ce qui se conclura par une fusillade, causant des morts chez les sbires de Swawi et chez les malfrats. Si Lahcen survit, ce n’est que provisoire. D’autant que les Chinois s’en mêlent, supprimant le père et le fils. Le reste de la bande va être obligé de se trouver une nouvelle planque, avec les enfants kidnappés. Ceux-ci n’ayant rien à perdre, ils se font complices de leurs ravisseurs.
Fatou fait partie d’une association d’infirmières venant en aide bénévolement aux migrants d’Afrique noire réfugiés dans un quartier déshérité d’Oran. Le commissaire Fadil n’a pas vu venir le danger : les immigrés et Fatou sont visés par une rafle, afin de les éloigner manu militari de la ville. Le policier va devoir faire jouer ses relations pour savoir vers quelle destination on les a dirigés. C’est sans doute Simon Lepreux, vieil ami de la famille du commissaire, qui lui transmettra les plus sûrs renseignements. À l’initiative de la gendarmerie algérienne, Fatou et les migrants ont été transférés dans un "camp de transit" à Béchar. Fadil prend l’avion pour Tamanrasset, dans le désert du Sud, et rejoint sans tarder le fameux camp.
Force est de constater la mauvaise volonté du lieutenant Hamdaoui et de ses hommes, alors que Fadil présente tous les document légaux en faveur de Fatou. La sortir de là va s’avérer bien compliqué, même s’il devait utiliser la force. Surtout, le commissaire Fadil commence à comprendre que son honnêteté déplaît en haut-lieu, que cette opération était destinée à faire pression sur lui – et ses proches. Continuer à vivre dans un tel pays, où la dictature est toujours plus présente, est-ce encore possible ? Il faudra faire des choix…
Meurtres de plusieurs Asiatiques, fusillades au sein de la médiocre pègre algérienne, enlèvement d’enfants, le crime st bien présent dans cette intrigue. Ou plutôt, dans l’Algérie de ces années-là, où on ne fait plus guère la différence entre les forces de l’ordre et le banditisme. Le pouvoir sous influence islamique restreint de plus en plus les libertés, tout en cultivant un modernisme artificiel grâce aux financements chinois. On rénove des bâtiments d’habitation vétustes, on en construit des neufs, sans que ça ait forcément du sens. Quant au civisme de la population, il ne faut pas s’y attendre, l’anarchie régnant même dans les rues : “La circulation était à l’image de ce qui se passait dans ce pays : personne ne respectait le Code de la Route, de peur de céder la priorité à son prochain. Une preuve de faiblesse dans une ville où on jouait à celui ou celle qui exhibait la voiture la plus chère, la plus puissante.”
Au-delà de l’aspect polar, c’est un portrait de l’Algérie que dessine Ahmed Tiab. Tout a dégénéré, ce que ne peuvent que déplorer des Oranais fidèles à la loi comme Fadil. Il devient impossible d’y mener une véritable enquête. Qu’on veuille les inciter à quitter le pays, cela n’a rien de surprenant. Une fois de plus, Ahmed Tiab fait mouche, illustrant avec soin et réalisme un état des lieux dans une Algérie en perdition. Roman noir, oui, car la noirceur s’inscrit en toile de fond des faits décrits. Pour mieux comprendre un monde chaotique, parfois il n’est pas mauvais d’en passer par la fiction. “Adieu Oran” en apporte la démonstration.