En avril 1922, Ralph Exeter est le correspondant à Paris du journal anglais Daily World. On le voit fréquenter les milieux culturels de Montparnasse, sans négliger une actualité plus politique. Marié à une épouse russe vivant en Grande-Bretagne, Exeter a été engagé par le patron du Daily World, journal de gauche, pour ses sympathies soviétiques. Son rôle va plus loin, puisqu'il est censé transmettre aux bolcheviques des infos secrètes émanant d'un dirigeant français. En réalité, c'est pour lui une combine afin d'empocher une prime mensuelle. La conférence économique internationale qui va se tenir à Gênes est un sujet plus sérieux. En cet après-guerre, c'est à cette occasion que l'équilibre des forces en Europe doit s'affirmer. Une foule de journalistes témoignera des travaux de la conférence, qu'on imagine décisive. La région de Gênes va grouiller d'infos capitales. Ralph Exeter s'y rend par le train, chargé de remettre un document à la délégation soviétique.
Durant le trajet, il va sympathiser avec son confrère américain Herbert Holloway. Un type quelque peu exubérant, mais expérimenté et réactif. Ils vont croiser un nommé Moselli, à l'allure inoffensive, qu'il faudra écarter de leur route. En Italie, outre les carabiniers, ils remarquent la grande présence des Chemises Noires. Si Benito Mussolini, qu'Exeter a déjà rencontré à Cannes, n'a pas encore pris le pouvoir, ses troupes sont visiblement prêtes. Les délégations de chaque pays sont à pied d'œuvre. Celle de la Russie semble encore plus sécurisée que les autres, à quelques kilomètres de Gênes. Exeter y prend contact avec le diplomate Rakovsky, lui avouant qu'il a perdu le document à transmettre. Chef des services secrets, le colonel Yatskov charge Exeter de repérer un certain Rosenblum. Cet aventurier meurtrier aurait berné les autorités bolcheviques dans une transaction. Le Guépéou doit rapidement intervenir, bien que possédant peu d'élément pour l'identifier.
Parmi les nombreuses personnes venues à Gênes, Exeter tombe bientôt sous le charme d'une belle photographe américaine. Melicent Teydon-Payne a d'ailleurs vécu les débuts de la Révolution communiste à Petrograd. Tandis que débute la conférence, Exeter s'inquiète quand la disparition de Moselli entraîne une enquête de la police italienne. Demandant l'aide d'Exeter, le colonel Yatskov veut mettre la main sur un traître à la cause soviétique. Toutefois, c'est l'ombre de Staline qui plane derrière ce sombre imbroglio. Pour grimper les marches au plus tôt vers le pouvoir suprême, Joseph Staline n'est pas avare de crimes et de combinaisons douteuses. Après avoir assisté à un opéra de Verdi, Exeter rôde dans la nuit génoise, croyant avoir découvert Rosenblum. Le meurtre d'un officiel de la délégation russe va amener une enquête interne, dont Exeter est le suspect principal...
Avec ses méandres politiques, l'entre-deux-guerres reste une fichue époque. Certes, les historiens en ont exploré beaucoup d'aspects. Ce sont généralement les grandes lignes de ces années 1920 et 1930 qu'on nous présente. Implantation du communisme, du fascisme et du nazisme, face aux démocraties européennes faibles. On devine les noirs arcanes et secrètes embrouilles qui eurent lieu en ces temps-là. Voilà ce que Romain Slocombe entreprend d'illustrer, et même de décrypter, dans ce riche roman d'espionnage. On sait que, pour que tout soit véridique, il apporte un grand soin aux détails, il est exigeant sur les faits précis. Ça implique quelques passages explicatifs, qui n'ont rien heureusement de rebutants. Car il s'agit bien de restituer le climat délétère qui régnait alors.
Slocombe s'inspire de son grand-père pour camper le journaliste Ralph Exeter. Mais on va aussi côtoyer d'autres personnages se référant à la réalité. Évidemment, le plus cocasse est Herb Holloway, “jumeau littéraire” d'Ernest Hemingway. Bon prétexte à ajouter un peu d'humour, en particulier quand explose une salle de bains. Mussolini apparaît également ici avec ses contradictions, à la veille de la dictature. Quant aux apparatchiks, on les sent proches de ceux qui existaient au début du régime communiste. Les amateurs de polars noteront un clin d'œil à Kenneth Millar. Derrière la façade mondaine, l'intrigue nous offre une palpitante plongée dans un univers malsain, mensonger et meurtrier, déjà porteur des germes de la seconde guerre mondiale. Un noir roman d'aventure, avec une belle dose de péripéties et de suspense. Encore une belle réussite à l'actif de Romain Slocombe.
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