Pour une fois, je serai sans doute le dernier à découvrir le
catalogue d’un “jeune éditeur indépendant”, unanimement décrit comme étant de grande qualité. L’initiative éditoriale et les choix littéraires d’Oliver Gallmeister sont présentés de manière
élogieuse dans les médias.
"Cinq ans plus tard, les éditions
Gallmeister se déclinent en quarante et un titres et quatre collections. Des récits, des nouvelles, de la littérature contestataire née de la contre-culture américaine des années 1960 et 1970 ;
mais aussi des romans noirs dont l'intrigue entraîne le lecteur en pleine nature. En témoigne le succès, en 2010, de Sukkwan Island, de David Vann. Le séjour angoissant d'un père et d'un
fils dans une île perdue de l'Alaska s'est vendu à ce jour à plus de 58000 exemplaires." (Ouest-France 15 mai 2010, Jérôme Gazeau)
L’un de ses principaux arguments de vente, c’est l’étiquette
“roman noir” qui attire beaucoup de lecteurs. Gallmeister se définit comme un amoureux de ce genre littéraire. "Je ne m'intéresse pas au roman policier, mais au roman noir. J'idolâtre Ellroy,
Crumley, James Lee Burke, Robert Bloch... En fait, le roman noir chez moi n'est pas mon activité principale. Je pense que Craig Johnson est un immense auteur, et que Le Camp des Morts
est une merveille (…) Mes polars doivent être en accord avec le reste de mon catalogue. Je cherche une cohérence." (BibliObs 6 Juillet 2010, François Forestier) Après avoir
cité des incontournables du roman noir, Gallmeister nuance quand même largement son idolâtrie supposée.
D’ailleurs, sa culture n’est pas prioritairement polardeuse,
comme il l’admet ici : "Je me suis toujours intéressé à la littérature américaine et à des auteurs comme Hemingway ou Jim Harrison. Très vite, j'ai commencé à lire en anglais
et j'ai découvert une littérature qui n'était pas du tout exploitée en France et un courant, le "nature writing" (Le Télégramme 15 octobre 2008). Pas la moindre référence au roman noir d’essence
polar dans ce propos.
On relève même une certaine distance de sa part
envers la littérature polar dans l’article “Le crime paie enfin” (de Michel Abescat & Christine Ferniot). "Quand j'ai publié
Le Gang de la clef à molette, d'Edward Abbey, je l'ai édité sous couverture polar, mais il n'en était pas un », confesse Oliver Gallmeister
qui ajoute dans un clin d'œil : «James Crumley n'écrit pas non plus de polars au sens strict du terme.» Dans le même article, à la question “Qu'est-ce donc qu'un polar,
au bout du compte ?” voici sa non-réponse : "C'est un débat très théorique", se défile Oliver Gallmeister.» (Télérama 6 mars 2010)
La lecture de l’interview donnée par Oliver Gallmeister à Corinne Naidet dans le n°104 de la revue 813 ne dissipe pas
l’impression incertaine. Certes, il veut se démarquer d’autres éditeurs de romans noirs, connaît son métier et les auteurs qu’il choisit, mais semble bien peu impliqué dans la défense active de
ce genre. Au passage, il admet une part de marketing dans cet argumentaire.
Telles sont les raisons qui rendent sceptiques concernant cet éditeur, non dénué d’ambiguïté. Qu’il ait créé une
collection noire et utilise volontiers le label vendeur du “roman noir”, pourquoi pas ? Si c’est la littérature "nature writing" qui seule l’intéresse, qu’il ne mélange pas trop les genres. Ce
fut le cas pour Sukkwan Island de David Vann (Prix des lecteurs de l’Express 2010) présenté dans la collection "nature writing". Il est possible qu’il puisse se lire, au sens large,
comme un roman noir. Toutefois, ce livre étant devenu un best-seller primé, on ne parle plus du tout de polar mais de “grande littérature”. Peut-être s’agit-il effectivement d’un chef d’œuvre, là
n’est pas la question.
Après s’être servi de l’image du polar, de la popularisation d’auteurs sous cette étiquette, Gallmeister semble s’adresser à un public plus élitiste,
sélectionné. Ça, c’est de la pure stratégie commerciale. On s’interroge sur l’honnêteté de la démarche. De même, bien que publiant ou rééditant des romans noirs, ses nouvelles collections de
poche (Totem) et grand format (Americana) s’affichent littéraires. Décidément, ne mélangeons pas la production supérieure avec ces médiocres du polar, serait-on tenté de déduire. Il convient
d’ajouter que le soutien de quelques médias intellos germanopratins l’a bien aidé à s’imposer. Du moment qu’un éditeur ne publie que “de l’américain”, c’est obligatoirement excellent selon leurs
critères quelque peu bornés. Quant au "nature writing", c’est si dépaysant pour ces citadins que la cambrousse exaspère lorsqu’on parle de la campagne française. Le décor sauvage de l’Amérique,
c’est autre chose !
Oliver Gallmeister ne parait pas vraiment partager l’esprit des lecteurs de romans noirs, ou plus généralement de polars.
Cette “famille” de passionnés n’est visiblement pas la sienne. C’est son droit, on ne le lui reprochera pas. Il ne s’agit ni d’un procès d’intention, ni de crucifier Gallmeister, de l’accabler.
Car créer une maison d’édition qui fonctionne reste louable, et l’on est très heureux de son succès. On se montre juste un peu méfiant quand il s’associe à un genre qui n’est pas son principal
centre d’intérêt, loin s’en faut. Enfin, de très bons romans, noirs et polars, il n’y a pas que Gallmeister qui en publie.