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22 mai 2017 1 22 /05 /mai /2017 04:55

Cove est une petite ville du Vermont, au Nord-Est des États-Unis. C’est là que les parents d’Angela Petitjean, qui eurent longtemps la bougeotte, finirent par s’installer alors qu’elle était enfant. À quinze ans, elle intégra le lycée local. Élève brillante, Angela ne cherchait pas vraiment à se faire des amis. Bientôt, elle fit néanmoins la connaissance de HP Parker, qui se montra très protecteur. Ce garçon athlétique aux yeux bleus clairs plaisait à toutes les adolescentes, tout en étant apprécié par les adultes. Même Shelley Petitjean, la mère d’Angela, adopta rapidement HP. Et le père de la lycéenne n’était pas hostile, non plus.

Un week-end de liberté marqua la fin de l’année de Terminale, avec HP, son copain Ezra, et la petite amie du moment d’HP. Ce fut l’occasion pour ces "âmes sœurs" qu’étaient Angela et HP de se rapprocher intimement. Été romantique pour les tourtereaux, qui ne doutaient plus d’avoir besoin l’un de l’autre. Si Shelley Petitjean voyait leur idylle d’un bon œil, son mari et elle avaient de grandes ambitions pour leur fille. Le père d’Angela l’avait inscrite pour un séjour estudiantin de huit mois à Oxford, en Grande-Bretagne. S’éloigner de HP, cela déplaisait à Angela, mais elle ne pouvait laisser passer cette chance.

À Oxford, Angela rencontra Freddy Montgomery, étudiant en biochimie promis à un bel avenir. Ce qu’il confirmera quelques années plus tard, en devenant millionnaire dans un domaine particulier, et en possédant un appartement à New York. Angela et Freddy eurent une relation amicale, la jeune fille passant les fêtes de Noël avec la famille Montgomery. Freddy était assez intelligent pour comprendre l’obsession d’Angela envers HP. Elle restait en contact avec l’Amérique, espérant que HP n’abuse pas en son absence de son allure façon jeune Harrison Ford pour jouer au séducteur. En mai, elle eut la divine surprise de voir arriver à Oxford HP et son copain Ezra. La suite fut un peu moins à son goût.

Habitant toujours Cove, Angela Petitjean est aujourd’hui âgée de vingt-six ans. Dans une pièce sobre du commissariat local, elle est interrogée par le policier Jonah Novak. Elle lui raconte son parcours des onze dernières années. En théorie, Angela n’est qu’un témoin dans la disparition d’une jeune mère de famille, Saskia. Bien qu’elle ne veuille pas montrer ses sentiments, Angela se doute bien que Novak la considère comme suspecte. Logique, puisqu’elle est restée depuis des années constamment très proche du mari de Saskia, HP. Angela est même la marraine de leur fillette, Olive.

La police ne dispose que d’indices incertains, tel ce bijou appartenant à Saskia retrouvé chez Angela. La "rupture" récente avec le couple ne justifierait pas un crime, non plus. D’ailleurs, la jeune femme possède un alibi : elle séjournait alors à Boston avec sa mère et Freddy. On ne peut exclure que Saskia ait volontairement disparu, pour la tourmenter…

Roz Nay : Notre petit secret (Éd.Hugo Thriller, 2017)

Je lève les yeux à l’angle des murs et du plafond. "J’ai fini par comprendre que dans la vie, il y a très peu de gens qui disent vraiment ce qu’ils pensent." Novak veut m’interrompre mais je ne lui en laisse pas la possibilité. "On dit que c’est pour ne pas heurter les sentiments des autres, mais ce n’est pas pour ça. Les gens ne disent pas ce qu’ils pensent parce qu’ils sont hypocrites. Ils sont faux, et ils mentent." J’ai mal à la tête. "Inspecteur, je ne sais ni mentir ni dissimuler. Je suis trop honnête, même si je ne pense pas qu’on puisse l’être trop."
— OK. Donc vous me dites, Angela, que malgré votre vie tranquille, vous avez une peur aiguë, parfois paralysante, de la vulnérabilité humaine. Que sans HP, vous vous sentiez moins capable de supporter cette vision d’un monde plein de menteurs. Que pour votre propre équilibre, vous aviez besoin de son énergie. C’est bien ça ?

Un suspense bien maîtrisé comporte très souvent un "jeu du chat et de la souris". Il n’est pas indispensable que l’accusation soit accablante, assortie de multiples preuves avérées. C’est au suspect d’échapper aux griffes de l’enquêteur, de se faufiler vers la sortie. Il y a peu de chance d’y parvenir en amadouant simplement l’adversaire. Ruser avec habileté ne démontre pas non plus que l’on soit innocent, même quand on n’a rien fait de mal. Pas de stratégie infaillible, mais rien à exclure pour faire admettre que l’on n’est pas concerné. Et pendant ce temps-là, nous autres les lecteurs, nous écoutons aussi attentivement que le policier, nous observons comme lui les réactions, nous jaugeons les faits racontés.

Pendant un certain temps, l’histoire d’Angela et de son prince charmant ressemble à une bluette d’adolescents. C’est sur la jetée d’un lac, à Elbow Lake, que se noue leur amour. Il faut donc s’attendre à une romance contrariée, à moult complications. Situation qui, peut-être, prendra une tournure criminelle. Ou, pour le moins, énigmatique. L’auteure se sert de lieux qu’elle connaît (elle a étudié à Oxford, par exemple) ou qu’on imagine sans difficulté (une tranquille bourgade du Vermont). Elle décrit une jeune héroïne quelque peu possessive, mais inspirant la sympathie. L’intrigue ne cherche pas à faire sourire, mais à conserver une ambiance assez détendue. Par le récit perso et le "naturel" du caractère d’Angela, cela introduit une connivence bienvenue avec le lecteur. Un agréable suspense, à dévorer sans modération.

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20 mai 2017 6 20 /05 /mai /2017 04:55

Habitant Quimper, la policière Mary Lester est de longue date en poste au commissariat de cette ville, en Finistère-sud. Au besoin, elle sillonne la Bretagne et la Côte Atlantique, pour mener à bien les enquêtes dont elle est chargée. Son supérieur confie souvent à Mary des affaires sensibles, demandant autant de doigté que d’efficacité. Son partenaire habituel est le costaud policier Fortin, sur lequel elle peut s’appuyer en toute confiance. Il arrive que ses missions apparaissent moins compliquées, tout en exigeant de la diplomatie. C’est le cas quand, sur la demande de la juge Laurier, Mary se rend à Dinard (Ille-et-Vilaine). Elle procède à l’arrestation de Mme Béatrice Bonnadieu, avant de la transférer à Quimper.

Épouse d’un mari qui grenouilla longtemps dans les hautes sphères de l’État, la suspecte est une quinquagénaire à l’allure fragile. M.Bonnadieu est lui-même diminué, en fauteuil roulant, vivotant dans leur belle villa de Dinard. Elle est soupçonnée du meurtre du neveu de son mari. Âgé de trente-cinq ans, cet Anthony Lemercier a été empoisonné à l’arsenic. Bien qu’existent de fortes présomptions comme Béatrice Bonnadieu, Mary Lester n’est pas convaincue. Il estime préférable de faire hospitaliser la suspecte, et de protéger le dossier de l’affaire Lemercier – auquel un de ses collègues portait trop d’intérêt. La juge Laurier admet l’argumentaire de Mary et relâche Mme Bonnadieu, qui regagne bien vite Dinard.

Sachant que ses confrères de la gendarmerie en resteront là, Mary Lester doit mener une contre-enquête. Toujours rebelle, pas question pour elle de se plier à l’autoritarisme de la juge Laurier. Plutôt que le brave Fortin, c’est Gertrude Le Quintrec qui accompagne Mary à Dinard. Elle considère que sa collègue policière Gertrude est suffisamment aguerrie pour cette mission. D’emblée, Mary comprend qu’elle ne pourra pas faire confiance à Nazelier, l’hypocrite commissaire dinardais. Bien que d’aspect passif dans son bureau insalubre, le policier Bernoin pourra s’avérer d’une aide précieuse. Il est quelque peu aigri, mais plutôt compétent. Quant à l’avocat du couple Bonnadieu, il ne souhaite pas entraver l’enquête.

Une nouvelle autopsie de Lemercier révèle que l’action de l’arsenic n’a pas forcément causé le décès du neveu de Bonnadieu. Pendant ce temps, Bernoin se renseigne sur toute la faune qui gravitait autour de la victime. Béatrice Bonnadieu admet qu’elle rencontra, peu avant sa mort, le neveu de son mari dans une auberge de Saint-Lunaire. Ça pourrait aggraver son cas. Mary s’aperçoit que le commissaire Nazelier est proche – même s’il s’en défend – d’un nommé Antonio Morelli, douteux homme d’affaires du secteur. Ce dernier n’est-il pas du genre à avoir des hommes de mains prêts pour divers mauvais coups ? Il se peut que P’tit Lou, le meilleur écailler de la Côte d’Émeraude, ait son mot à dire. Quand la situation du couple Bonnadieu empire, pas facile pour Mary de dénouer les fils de cette sombre affaire…

Jean Failler : Mary Lester et la mystérieuse affaire Bonnadieu (Éditions du Palémon, 2017)

Elles suivirent le majordome jusqu’à ce grand salon que Mary avait déjà vu lors de sa première intervention dans la maison. Cette fois, il n’y régnait pas la tension dramatique qui lui avait laissé une si mauvaise impression lors de la mise en garde à vue de Madame Bonnadieu.
Monsieur Bonnadieu reposait toujours dans son fauteuil roulant, un plaid sur les genoux. Sa femme se tenait debout derrière lui et maître Lessard, le célèbre avocat, consultait des documents posés sur le beau bureau d’acajou. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, dont les cheveux mi-longs étaient coiffés avec soin. Il était vêtu d’un complet gris foncé et portait un nœud papillon rouge sombre sur une chemise blanche.
En voyant Mary, madame Bonnadieu serra ses deux poings sur son cœur, comme pour tenter de maîtriser une émotion trop forte…

Depuis “Les bruines de Lanester” et “Les diamants de l’archiduc”, ses toutes premières investigations, elle a vécu de nombreuses aventures, la téméraire Mary Lester ! Elle n’a jamais craint de se colleter avec des personnages haut-placés, d’affronter des malfaisants de toutes espèces. Cela tient en grande partie à son univers personnel, lui apportant un bel équilibre. Entre sa voisine-cuisinière Amandine Trépon et son supérieur le commissaire Lucien Fabien, sans oublier le solide Jipé Fortin et autres collègues sérieux, la quimpéroise possède de bons repères. Si la dynamique Mary Lester est une fonceuse, elle sait aussi faire preuve de compassion, de bienveillance et, bien sûr, de réflexion. Mary se trompe rarement sur le caractère de ses interlocuteurs, surtout les faux-jetons et les malsains.

La caractéristique principale des enquêtes de Mary Lester, c’est la fluidité narrative. La tonalité du récit se veut familière, quotidienne, sans précipitation. Car, aussi intrépide soit-elle, cette policière n’est pas une "super-héroïne". Il s’agit d’une jeune femme ordinaire, pas du tout prétentieuse, qui fait consciencieusement son métier, en toute justice. En cela, elle est héritière d’une longue lignée d’enquêteurs de polars qui, depuis le commissaire Maigret, n’ont pour but que de comprendre les faits, déterrer les secrets, établir la vérité. On suit donc volontiers Mary Lester dans les méandres de cette sympathique histoire, en deux tomes.

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18 mai 2017 4 18 /05 /mai /2017 04:55

Reugny est une petite ville belge frontalière de la France, dans les Ardennes, non loin de Bouillon et de Dinant. En cette année 2000, elle compte un petit millier d’habitants. Si Reugny eut certains attraits touristiques par le passé, c’est plutôt une bourgade endormie. Néanmoins, Thérèse vivote grâce à son Hôtel du Grand Cerf. Elle a pris la suite de sa mère Léontine, quatre-vingt-six ans, et espère que sa fille Anne-Sophie, vingt ans, reprendra le flambeau – ce qui est fort improbable. Toute l’équipe de tournage d’un film logea à l’Hôtel du Grand Cerf, quarante ans plus tôt, souvenir mémorable pour Reugny. D’autant plus que l’issue en fut dramatique. L’actrice Rosa Gulingen et son partenaire Armand Grétry étaient alors très célèbres pour leurs comédies romantiques assez mièvres. Le 6 juin 1960, Rosa mourut noyée dans sa baignoire, à l’Hôtel. Suicide ou forte alcoolémie, on ne sut jamais.

Nicolas Tèque est chargé par un producteur de retrouver sur place des éléments en vue d’un documentaire sur Rosa Gulingen. Lui-même possède des images filmées montrant les derniers moments de l’actrice, avant qu’elle se retire dans sa chambre ce jour-là. Mais se rendre à Reugny s’avère compliqué pour Nicolas. Car à Larcheville, dernière grande ville avant la frontière, un conflit social entraîne un blocage des routes. Il réussit à amadouer le leader syndical du groupe industriel Bating, dont une usine est menacée de fermeture. Il arrive néanmoins à Reugny. Pour se déplacer, il aura besoin des services du taxi de Sylvie – dont le mari camionneur Freddy est très jaloux, mais heureusement absent. À l’Hôtel du Grand Cerf, il pourra compter sur le témoignage de Thérèse et visiter la chambre intacte de Rosa. La mémoire de Léontine ne sera pas inutile à Nicolas, non plus.

Dans le même temps, des affaires criminelles agitent Reugny. Le vieux douanier Jeff a été assassiné et son domicile incendié. Jeff haïssait autant la population locale qu’il était détesté par elle. Il collectionnait les fiches sur tous les habitants, recensant leurs fautes diverses. Ce meurtre eut peut-être deux témoins gênants. D’abord Brice, le simplet de Reugny, bientôt éliminé par le tueur. Et puis Anne-Sophie, la fille de Thérèse, disparue depuis le meurtre de Jeff. Les battues menées par la gendarmerie ne donnent rien. Le seul policier disponible est à moins de deux semaines de la retraite. L’obèse inspecteur Vertigo Kulbertus n’a jamais brillé par son efficacité, encore qu’il soit plus futé que son physique pesant pourrait l’indiquer. Certes, il engouffre les repas copieux et boit sans modération de la bière. Mais il est aussi observateur, et attentif aux réactions de ceux qu’il interroge.

L’activité qui offre un peu de vie à Reugny, c’est le Centre de Motivation. Il a été créé par Richard Lépine, dans des bâtiments ayant autrefois appartenu à sa famille. D’ailleurs, il a racheté une grande partie des biens disponibles à Reugny. Ce qui explique que les gens d’ici ne lui soient guère favorables. Il dirige le Centre selon des règlements stricts, avec Élisabeth Grandjean qui fait figure de régisseuse, et du personnel local. Dont son protégé, le jeune Jack Lauwerijk, issue d’une famille de fermiers flamands. Vertigo Kulbertus ne tarde pas à sympathiser avec Nicolas Tèque, leurs enquêtes s’entrecroisant. Tandis que le policier cherche l’assassin, en profitant pour secouer un peu Richard Lépine, Nicolas récolte quelques indices sur Reugny aux archives de Larcheville. Mais c’est à Verviers que sœur Marie-Céleste possède les clés des origines de l’affaire…

Franz Bartelt : Hôtel du Grand Cerf (Éd.Seuil, 2017)

— Je n’ai pas dit qu’il avait décidé de la tuer. J’ai dit qu’il l’avait tuée. Il lui a maintenu la tête sous l’eau pour ne plus l’entendre brailler. C’est juste une dispute qui à mal tourné. On ne m’enlèvera pas ça de l’idée. N’allez pas répéter ce que je vous dis à Thérèse. Elle les voit encore avec ses yeux d’enfant. Le couple parfait, la tragédie, la légende, pouah !
Les journaux de l’époque n’avaient pas fait état d’un désaccord sérieux entre les deux comédiens. On racontait qu’ils s’étaient séparés pendant quelques temps, qu’elle était partie seule en vacances, querelle d’amoureux. Mais Nicolas avait l’intuition que Léontine ne se trompait pas en disant que le couple traversait une crise qui devait le conduire rapidement à la rupture. Elle ne se trompait pas non plus quand elle témoignait de la violence des scènes où ils se déchiraient. De là à croire que Grétry avait noyé Rosa, il y avait un pas qu’il n’avait pas envie de franchir.

Il n’y a qu’une quarantaine de kilomètres entre Bouillon, en Belgique, dans la vallée de la Semois, et Charleville-Mézières (nommée ici Larcheville), Sedan se situant au milieu du trajet. Cette précision géographique s’impose, pour bien comprendre que le territoire des Ardennes est transfrontalier. Et qu’il constitue sans doute une sorte de microcosme aux yeux de l’auteur, qui habite la région. Parfait prétexte pour décrire en détail un de ces villages ruraux où, malgré le temps qui passe, rien ne paraît avoir tellement changé au fil des décennies. Non pas que tout y soit figé, dans le paysage et dans la population, chacun y vivant un quotidien ordinaire. On s’y active à son rythme, sans frénésie ni précipitation. Nul ne tient à bouleverser cette normalité, même pas – dans le cas présent – le Centre de Motivation qui fonctionne sans remous extérieurs.

Par contre, les habitants de ces bourgades ont généralement de la mémoire. Ce n’est pas, comme le disent absurdement les citadins, que “tout le monde se connaît”. Mais certains faits d’hier se sont transmis entre générations, parfois déformés, et il subsiste souvent des témoins d’alors. C’est cette mémoire-là que Nicolas vient réveiller en enquêtant sur une histoire datant de quarante ans. Et quand, de son côté, le policier demande aux villageois de désigner anonymement leur suspect, tous n’en désignent qu’un, parce qu’il est associé à un passé trouble dans l’esprit collectif. Ah, le gros inspecteur Vertigo Kulbertus, un sacré personnage ! Élément comique de l’intrigue ? Bien sûr, on ne se prive pas de le caricaturer habilement, mais on verra qu’il est beaucoup plus subtil qu’en apparence.

Des décors réalistes, une belle galerie de protagonistes dont les caractères sont présentés avec justesse, deux enquêteurs astucieux fouinant dans ce petit monde d’aujourd’hui et d’hier, une noirceur tempérée par des sourires… Tels sont les atouts de l’excellent roman de mœurs qu’a concocté Franz Bartelt, autour de cet Hôtel du Grand Cerf.

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16 mai 2017 2 16 /05 /mai /2017 04:55

Sarah Lemire est âgée de trente-cinq ans. Voilà une quinzaine d’années qu’elle pratique le sport automobile de haut niveau. C’est plus qu’une passion : “Quand elle accélère, ce n’est pas la voiture mais tout son organisme qui répond.” Elle dispute ce jour-là la dernière étape du Rallye de Monte-Carlo. Ayant une revanche à prendre, elle se montre offensive. Peut-être à l’excès, car elle est victime d’une dramatique sortie de route. Durant les deux à trois mois suivant, elle reste un temps dans le coma, avant de revenir à la vie. Son état nécessite de longs soins, et le soutien moral de son frère complice, Nathan. Malgré tout, Sarah est devenue paraplégique, craignant fort que cette situation soit définitive.

Nathan l’a conduite à Chanteval, en Auvergne, à 1400 mètres d’altitude, dans un Centre médical de réadaptation pour des patients en grande difficulté. "L’Herbe bleue" ne diffère guère d’autres établissements de soins, des bâtiments propres et sobres, avec un plateau technique et un parc. Une entrée dans l’inconnu pour Sarah, que son immobilité rend peu optimiste. Espérer une improbable guérison, ou décider d’en finir ? Elle est consciente que ce monde où elle pénètre, c’est celui de la survie provisoire. Le personnel d’encadrement lui parle d’aller vers une autonomie, d’envisager sa réinsertion. Des notions trop vagues, dans son cas. Toutefois, les infirmiers Alexandre et Deborah lui apparaissent compréhensifs.

Sarah partage sa chambre avec Clémence Audiberti, une jeune femme dont la fragilité se devine aisément. Elle a un fils en bas âge, Mathieu, dont sa mère s’occupe. Clémence possède un certain talent pour la peinture. Parmi les patients insolites, il y a aussi Louane, dix-sept ans. Elle fait preuve d’un caractère cash, souhaitant donner à sa vie une intensité excitante. Louane évoque une sorte de mystère concernant la chambre 34, celle de Sarah et Clémence. Une ex-patiente, Isabelle Lefort, aurait subitement disparu. Dans un cercle exacerbé tel que ce Centre, les ragots et les rumeurs prennent vite une sale tournure. D’autant qu’ils sont coupés de l’extérieur, se situant dans une zone blanche téléphonique.

Pour récupérer des forces, Sarah pratique le volley. Le kiné voudrait certainement qu’elle fasse davantage de sport. Par ailleurs, peu de chances que la jeune femme s’entende avec la psy. S’accepter, facile à dire ! Sarah n’est pas insensible aux "effleurements" que lui prodigue Alexandre. Elle a remarqué une porte interdite. Même si le médecin dirigeant l’établissement lui montre que c’est un banal débarras, Sarah reste circonspecte. Doit-elle se concentrer sur un retour à la normale, son père acceptant de l’accueillir ? Quand Clémence disparaît, comme en son temps Isabelle Lefort, elle transmet son inquiétude à Alexandre. Mais de vagues investigations de la gendarmerie seraient probablement insuffisantes…

Elsa Marpeau : Les corps brisés (Série Noire, 2017)

Sarah essaie de photographier mentalement les lieux. Quelque chose close, mais elle ignore quoi. Des murs en crépi. Un parquet en bois clair, recouvert d’un tapis. Étrange de protéger comme Fort Knox une pièce remplie de vieux cartons. Sarah tente de rassembler ses pensées. Elle se concentre. Ferme les yeux. Revoit la pièce. La sensation de fausse note persiste. Puis, elle finit par comprendre. Le crépi crasseux, les cartons entassés. Le tapis immaculé, sans un grain de poussière. L’odeur de détergent. Quelqu’un a tout récemment nettoyé le sol, mais n’a pas pris la peine de frotter les murs. Quelle odeur a-t-on voulu couvrir ? Et quelles traces ont-elles été effacées du parquet ? En tout cas, le tapis vient d’être acheté ou du moins il est utilisé pour la première fois.

Peut-être qu’il est bon de souligner qu’il ne s’agit pas d’un roman d’enquête policière, dont le but serait d’identifier le coupable et ses motivations. Néanmoins, l’intrigue cultive une ambiance de mystère, d’oppressantes incertitudes. Dans un lieu clos et carrément isolé, dont les résidents – souvent mal suivis par leurs proches – sont supposés peu aptes à se défendre, tant de choses peuvent se produire. Aussi sérieux soient-ils, ces centres ne sont pas exactement paradisiaques, plus sûrement un purgatoire, éventuellement un enfer. Tels sont les "paliers" que connaîtra Sarah, l’héroïne de cette histoire. Le volontarisme ne suffit pas toujours à surmonter un pernicieux péril.

Au-delà de l’aspect potentiellement criminel, le but d’Elsa Marpeau est de faire partager le malaise qu’engendre l’état de santé de Sarah. D’une part, il y a ce handicap inattendu, suite à un accident de voiture en course. Personne n’est préparé à cela. Il lui arrive de s’évader par l’esprit, se souvenant d’images heureuses, mais il en faut bien plus. D’autre part, l’univers médicalisé – aussi attentifs que soient les soignants – n’est pas "naturel" pour les patients. Et ceux-ci ont parfois le sentiment d’être mal écoutés, mal compris, par des gens trop professionnels pour afficher une compassion. Pour le reste, évidemment, c’est rarement entre malades que l’on peut se remonter le moral.

L’atout majeur de ce roman noir, c’est le climat trouble dans lequel évolue Sarah, auquel s’ajoute de malsaines disparitions. Une "Série Noire" actuelle fort convaincante.

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15 mai 2017 1 15 /05 /mai /2017 04:55

Le romancier Jean-Pierre Bathany est décédé d'un infarctus en ce mois de mai 2017, à l’âge de soixante-dix ans. Originaire de la Presqu’île de Crozon (Finistère), il habitait Nantes. Il a d’abord publié ses romans aux Éditions Alain Bargain (2005-2008) : Camaret au vitriol, Double je nantais, Été show à la Baule, La veuve noire de Pornic, Maudit blues à Nantes. Chez le même éditeur, il publia la série INRI (2010-2011) : Requiem au lac de Grandlieu, Le Cercle de Nantes, Illuminatis nantais. Puis, aux Éditions Sixto, il fut le scénariste de la bande dessinée "L’ange noir" (2011 - dessins de Jérôme Mathé) et l'auteur des romans "Double Je" (2015) et "L'homme de la pluie" (2016). Petit hommage à travers trois de ses titres.

Camaret au vitriol (Éd.Alain Bargain, 2005)

Un vieux pêcheur a fait une chute mortelle à la pointe du Grand Goin, à Camaret. Étonnant, car il connaissait bien les lieux. La mort d’un clerc de notaire passe pour un suicide. Pourtant, il a été assassiné. Le maire de Camaret a reçu plusieurs lettres anonymes. Interiora Terrae Lapidem, dit l’énigmatique message. Pierre, le maire, ne souhaite pas divulguer cette info. Il demande à son ami parisien Thomas de Rosmadec, écrivain criminologue, de venir mener une enquête discrète. Dans le train, Thomas rencontre Ali, orphelin Noir âgé de dix ans. Rebaptisé Alain à sa demande, l’enfant l’accompagne à Camaret. Si on le trouve plutôt attachant, le gamin commet bon nombre de bêtises.

Parmi les récents décès sur la commune, Thomas envisage un point commun pour cinq d’entre eux. Ceux-ci semblaient de près ou de loin concernés par le discutable terrain de golf local. Peu à peu, la série criminelle se confirme. Thomas note le cycle lunaire de ces morts, présageant un prochain meurtre. Avec le curé, Thomas tente de décrypter le message en latin. La phrase étant incomplète, sa symbolique reste obscure. Un ami moine évoque une possible formule d’alchimie. Un retraité érudit saurait les aider, mais le curé s’en méfie. Un nouvel accident douteux se produit. La sixième victime est un ex-pompier devenu ivrogne. Thomas lit la même phrase latine sur la tombe d’une femme. Parmi les habitants installés ici depuis quelques années, on peut en suspecter plusieurs d’être l’ex-compagnon de la défunte. Le petit Alain aura son rôle à jouer pour contrer sa vengeance…

Hommage à Jean-Pierre Bathany, qui avait 70 ans

La veuve noire de Pornic (Éd.Alain Bargain, 2008)

À Nantes, Laurent Choiseul et Rose Delaunay sont étudiants et amis. Outre leur discipline scientifique, ils ont un triste point commun. Orphelin de père et de mère, Laurent a été élevé par sa tante Diane. Le père de Rose est mort voilà longtemps dans un accident de voiture. Alice, sa mère, habite maintenant Pornic, avec le paisible Philippe. D’un caractère affirmé, Rose s’entend mal avec Alice. La jeune fille pense garder un contact mental avec son défunt père. Quant à Diane, elle s’est toujours montrée imprécise sur le décès des parents de Laurent. L’ambiance est tendue lors du séjour de Rose dans la villa d’Alice et Philippe à Pornic. L’étudiante supporte aussi très mal Lucien Fouchet et sa femme, voisins d’Alice. Rose s’oppose aux opinions politiques de Fouchet. Invité par son amie, Laurent évite de prendre parti. Tout comme Philippe, qui s’exprime généralement peu. Celui-ci est retrouvé mort peu après, victime d’une chute dans les environs.

L’enquête des gendarmes doit déterminer les faits avec plus de précision. Daniel Chaussoy se présente comme un ami de Philippe, dont il vient d’apprendre le décès. Son comportement reste douteux ; il pose des questions, se dérobant sur sa relation avec le défunt. Malgré tout, Alice l’invite chez elle. Rose pense que c’est lui qui tente de fouiller la villa durant la nuit suivante. L’étudiante se demande aussi pourquoi sa mère n’a pas parlé aux gendarmes de la lettre inquiétante reçue par Philippe. Beaucoup d’interrogations sans réponses trottent dans la tête de Rose, qui rentre à Nantes. Alice reste seule à la villa, dans une angoissante solitude. Quant on la retrouve morte, les gendarmes pensent à un suicide par abus de somnifères. C’est une mise en scène, car elle a été agressée. Rose, qui ne croit pas au suicide, s’installe à Pornic. Par une nuit venteuse, des ombres s’introduisent dans la maison…

L’homme sous la pluie (Éd.Sixto, coll. Le Cercle, 2016)

Portant éternellement une parka de cuir et un bonnet de laine, mal rasé, Tom Harouys n’a pas l’allure de sa fonction. Il est commandant de police dans l’agglomération nantaise. S’il a une amie, Harouys préfère cohabiter avec son chat, aussi exigeant et ingérable soit-il. En mauvaise santé, il néglige ses douleurs. Depuis une récente affaire, qui l’a opposé à un médiocre dealer prénommé Freddy, il pense que sa hiérarchie veut l’écarter au profit d’un collègue plus servile. Harouys est assisté par son jeune collègue Delorme, nettement moins chevronné que lui. Un crime sanglant a été commis dans une ferme rénovée des environs. La victime, un homme âgé, habitait seul dans cette maison isolée. Selon le voisin qui a alerté la police, il était peu liant, pas causant.

C’est le juge Beauger, peu sympathique avec ses idéaux passéistes, qui traite le dossier. Harouys n’échangera qu’un minimum d’informations avec lui. Le policier retourne sur les lieux du meurtre, cherchant aux alentours d’éventuelles traces de l’assassin. Il en a laissé alors qu’il surveillait la maison louée depuis deux ans par sa cible. La victime poignardée se nomme Bernard Fresnel. Du moins est-ce le nom sur sa carte d’identité, en version cartonnée ancienne, plutôt facile à falsifier. En parallèle, Harouys continue à faire pression sur le dealer Freddy, hospitalisé. Ce minable est mêlé à une embrouille, dont il n’est certainement pas l’instigateur. Le policier n’éprouve aucun scrupule à le secouer, afin qu’il avoue ce qu’il sait. Tant pis si Freddy est ainsi en danger.

Vérification faite, la victime disposait en effet de faux papiers. Reste à savoir qui était le vrai Fresnel, dont il a usurpé l’identité. Faut-il imaginer qu’il a éliminé celui dont il a pris le nom ? Voilà quelques temps, le soi-disant Fresnel fut l’objet d’une plainte, suite à une altercation lors d’un accrochage en voiture. Le juge en charge de l’affaire ne voit là qu’un litige de base, dû à une incivilité courante. Harouys explore la maison du prétendu Fresnel. En fouinant, le policier découvre une vieille photographie et, surtout, des documents bien cachés. Ils concernent un épisode de notre Histoire remontant au tout début des années 1960. Le faux Fresnel et ses deux amis, sur la fameuse photo, avaient un passé douteux, peut-être criminel…

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14 mai 2017 7 14 /05 /mai /2017 04:55

Elvis Presley était ce chanteur américain qui interpréta entre autres la ritournelle italienne "O sole moi", rebaptisée "It’s now or never". Un rockeur tendance mandoline et guimauve, décédé il y a quarante ans, dont votre grand-mère était amoureuse. Aux États-Unis, on compte des centaines de sosies du King, le surnom de la star, version jeune Apollon ou quadra empâté. En Belgique aussi, ils ont un simili-Presley, qui présente des spectacles sous le nom d’Elvis Cadillac. Il ne ressemble que vaguement à l’artiste, plutôt admirateur que sosie. Avec sa chienne Priscilla, du nom de la compagne de Presley, et sa Cadillac rose, ça peut faire illusion. Il interprète avec conviction les succès du King, le plus souvent dans de petites salles, devant un public clairsemé de nostalgiques d’un âge avancé.

C’est ainsi qu’il va prochainement se produire du côté de Chimay, en Wallonie, ville plus connue pour sa bière que pour son fan-club d’Elvis Presley. Il donnera son spectacle au Rossignol guilleret, un "home" pour retraités déliquescents. Il en a profité pour louer une maison dans les environs, afin de prendre quelques jours de repos avant le show. D’une nature solitaire, Elvis Cadillac n’apprécie pas vraiment que la grassouillette majorette qu’il a embarquée s’incruste auprès de lui. Il préfère les amours jetables au romantisme de pacotille avec le premier boudin venu. D’autant qu’elle se prénomme Rita, ce qui ne fait pas du tout classieux. Que l’on se rassure, l’intruse envahissante se fera vite occire. Si Elvis Cadillac n’y est pour rien, il n’hérite pas moins du cadavre de la majorette dodue.

Rita remplace, en quelque sorte, un précédent corps tout aussi refroidi, que la Cadillac d’Elvis avait heurté alors que le chanteur se sentait "lonesome tonight". C’était celui d’une ancienne célébrité de la télé, interné au "home" du Rossignol. Il venait d’être maltraité par un duo de gugusses, Mickey et Spéculoos, qui le croyaient richissime. Pour ces deux-là, l’embrouille continuera à cause du couple René et Jocelyne Crabaud, aussi nazes qu’eux. Deux belles paires de crétins, donc. Bon, revenons à nos "caricoles", à défaut de moutons. Car le chemin d’Elvis Cadillac va croiser celui d’une certaine Mémé Cornemuse. Dans son food-truck, en attendant le philosophe Jean-Claude Van Damme, elle vend justement des "caricoles" (spécialité culinaire belge) et des pipes (autre spécialité, mais bucco-génitale).

Faut-il rappeler qu’à tous points de vue, Mémé Cornemuse c’est plus sûrement Sophie Marteau que Sophie Marceau. C’est pas qu’elle soit chtarbée, mais il ne faut grand-chose pour qu’elle s’excite, et qu’elle révolutionne tout autour elle. Si elle entre en contact avec un minable comme Mickey, voilà des partenaires faits pour s’entendre. Par ailleurs, Elvis Cadillac va encore faire la connaissance de Marc, un artiste atypique pratiquant l’art brut, obsédé par sa muse disparue, Lou. Ne pas trop chercher à savoir si la belle est toujours de ce monde, finit par comprendre Elvis Cadillac. Tant que ces mésaventures ne font pas d’ombre à sa "carrière", tout va bien…

Nadine Monfils : Ice cream et châtiments (Fleuve Éditions, 2017)

L’intérieur du home aurait miné le moral au plus guilleret des rossignols. Les murs de couleur pisseuse s’harmonisaient au poil avec l’odeur âcre d’urine qui vous prenait au nez dès l’entrée. Ça sentait la mort qui avance à petits pas, trébuche, se relève, mais poursuit inexorablement sa route sans savoir où elle va. Un peu partout, des posters mal punaisés censés garnir le lieu et faire rêver d’horizons lointains, tous délavés, mer de poussière, montagne qui ressemble à un terril de charbonnage, fleurs séchées dans un champ brûlé par le soleil qui a tapé dessus depuis la fenêtre de la cantine. Bruits de vaisselle, relents de mauvais café, rots… Poète, emmène-moi loin des heures creuses, au pays où on ne regarde plus avancer les aiguilles. Elvis se dit qu’il préférait mourir plutôt que de se retrouver là-dedans.

Nadine Monfils, elle est comme ça. La vie quotidienne sans relief, qui se raconte avec une empathie apitoyée, une compassion larmoyante, c’est pas son truc. Faut que ça bouge un max, que le lecteur ne risque pas de s’endormir. C’est pas parce qu’il y a un macchabée qu’on doit pleurer sur son sort, quand même ! On le trimballe, on le balance au fond d’un puits, on le rattrape, on le découpe, on en perd un morceau. Et alors, où est le problème ? Pareil pour les vieux. S’agit pas de leur manquer de respect. Mais on rigole plus quand on va bouffer un plat dégueulasse dans un fast-food avec Mémé Cornemuse, que si on dîne dans un restaurant sélectionné en compagnie du gratin. Et puis, plutôt que de lire un Guide des traditions de Belgique, incluant sa cuisine, son vocabulaire et ses stars, c’est plus marrant quand c’est Nadine Monfils qui nous initie à la belgitude.

Après “Elvis Cadillac, king from Charleroi”, voilà le 2e opus de la symphonie déjantée mise en musique par l’auteure. Il n’est pas trop tard pour faire connaissance. Un saltimbanque sans prétention, dont le seul souhait consiste à rendre hommage à Elvis Presley. Le gars bien sympa, confronté à quelques contrariétés, entouré d’énergumènes pas tristes. Juste histoire de nous faire rire, en somme. On va aussi évoquer "l’art brut", à travers un personnage forcément original. Quant à tout le reste de l’intrigue, faites confiance à Nadine Monfils pour vous divertir avec son tonus et sa fantaisie. Bonne lecture !

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12 mai 2017 5 12 /05 /mai /2017 04:55

Raoul Verde, ancien policier de la Criminelle, est affecté depuis quelques temps au service de protection des hautes personnalités. Il est chargé de la sécurité de Jacques Sommières, chef d’un grand parti politique, principal candidat aux proches élections présidentielles. Il n’est pas insensible au charme de la jeune épouse du politicien, Hélène Sommières. Même si Félix Brémontier est le garde du corps personnel du candidat, le rôle de Raoul Verde est plus officiel. L’ancien truand Dominique Tallano, qui grenouilla dans des milices telles que le SAC, est le cousin de Raoul Verde. Alors qu’ils ont rendez-vous sur la passerelle du Canal Saint-Martin, à hauteur de la Grange-aux-Belles, Tallano est abattu par un tueur. Il a juste eu le temps d’avertir son cousin que Jacques Sommières risquait d’être assassiné.

C’est le policier Ernest Barros, un ex-collègue de la Criminelle, qui s’occupe de l’enquête sur la mort de Tallano. Bien que disposant de peu d’indices, il dégage deux ou trois pistes à suivre. Raoul Verde est certain qu’il mènera des investigations sérieuses. De son côté, il alerte le Président Sommières, dans son château du village de Dordives. Ni le candidat, ni son entourage politique – dont l’énarque Campeaux – n’admettent que le danger soit si gravissime. Pourtant, peu après, une bombe explose dans l’aile du château où loge le politicien. L’attentat cause une victime et fait des dégâts dans la chambre de Sommières. Ce qui signifie que l’on a pu s’introduire à l’intérieur du château de Dordives. Le candidat et son équipe souhaitent néanmoins garder le silence sur cette affaire.

Sommières accepte que soit renforcée la sécurité policière autour de lui, mais Raoul Verde est écarté du dispositif. Une décision du politicien, certainement, même si la hiérarchie ne blâme pas Raoul. En compagnie du policier Ernest Barros, il s’intéresse à un nommé Dupont, Français natif de Saïgon. Ils arrivent trop tard chez lui : il a été abattu. Son petit gabarit correspond à celui du tueur qui a supprimé Dominique Tallano. Son commanditaire "fait le ménage", visiblement. Malgré la discrétion de l’équipe du candidat, il y a des fuites dans la presse, qui évoque l’attentat à la bombe au château. Tandis que Barros se renseigne sur un suspect potentiel appartenant à la pègre, Raoul Verde est rappelé auprès du candidat. Il trouve une occasion de devenir intime avec Hélène Sommières.

Toutefois, Raoul Verde ne participe pas au déplacement prévu du politicien en campagne, dans le Sud-Ouest. Il est quand même présent, et aux aguets, sur le trajet menant à l’aéroport de Villacoublay. Il n’a pas tort, car un traquenard a été organisé contre le convoi du candidat. Cette fois encore, Sommières et son entourage s’en sortent bien. Ce n’est sûrement pas la dernière tentative visant le probable futur Président de la République…

Paul Sala : On va tuer le Président (Fleuve Noir, 1979)

— Le parti ne peut se payer le luxe de prêter le flanc à la critique. Celle-ci ferait des gorges chaudes de l’attentat. Je vois d’ici les manchettes de la presse adverse : "Un attentat bidon", pour reprendre l’argot de salon de qui vous savez, ou mieux dans le Canard Enchaîné : "À force de faire la bombe, elle saute", etc. Nos rares différends, nos querelles de vieux ménage sont montés en épingle par les médias, mises au rang de dissensions graves par nos ennemis. On évoque des fissures dans le parti. Non, messieurs, nos adversaires ne manqueraient pas de nous accuser de publicité électorale. À huit mois des présidentielles, notre parti ne peut s’offrir ce luxe.

Paul Sala (1921-2009) est l’auteur d’une quarantaine de romans policiers, publiés aux Éditions Fleuve Noir de 1970 à 1983. Policier jusqu’à sa retraite en 1976, il connaissait bien les rouages des services et le modus operandi de leurs missions. Il en donne certains détails dans ce livre, sans que cela freine l’action. Car telle est l’intention de l’auteur, nous proposer des scénarios mouvementés sur des intrigues simples et solides. Séparé de sa compagne, le héros s’investit dans son rôle de protection d’une haute personnalité, sans rompre les liens avec la brigade criminelle d’où il vient. Il est dans le cercle du politicien, mais cherche aussi des réponses dans les milieux du banditisme. Ponctué d’attentats ciblant le "président", le récit est fluide, vif, ménageant sa part de suspense.

Publiée fin 1979, l’histoire se situe donc dans les mois précédant l’élection présidentielle. On ne peut pas faire de rapprochement direct avec la véritable situation politique d’alors. La majorité présente un candidat quasi-sûr de gagner face à une opposition fantomatique. En 1978, la gauche ayant échoué lors de Législatives imperdables, elle n’avait guère de chances de gagner en 1981. On peut penser que, dans l’esprit de l’auteur, il y aura une continuité du pouvoir, représentée par cet homme politique. Mais Paul Sala se garde bien de citer des partis existants, afin de rendre le contexte presque intemporel. Voilà un bon petit polar traditionnel, peut-être à redécouvrir.

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11 mai 2017 4 11 /05 /mai /2017 04:55

Automne 1890, en Grande-Bretagne. Pendant plusieurs années, Anna Kronberg – experte en bactériologie – s’est déguisée en homme pour exercer son métier de médecin. Avec le célèbre détective Sherlock Holmes, elle a mis fin aux activités d’un réseau de scientifiques aux objectifs destructeurs. Toutefois, la relation entre Anna et Holmes était empreinte d’attirance sentimentale et de rivalité intellectuelle. C’est cet antagonisme qui les éloigna dans les mois qui suivirent. L’existence d’Anna est brutalement bouleversée quand elle est enlevée et séquestrée par deux hommes, qui ont retrouvé sa trace. Il s’agit du professeur James Moriarty, assisté par le cruel colonel Sebastian Moran. Moriarty tenait un rôle aussi obscur qu’important autour de la bande de scientifiques démantelée.

Anna est retenue contre son gré en plein cœur de Londres, à Kensington Palace Gardens, dans la demeure du diabolique Moriarty. Celui-ci retient en otage Anton Kronberg, le père d’Anna, dans quelque endroit secret. Ainsi, elle ne peut tenter de s’échapper. Ce ne sont sans doute pas les serviteurs de Moriarty, hommes et femmes, qui l’aideront. Même si elle a accès à son laboratoire, à l’École de Médecine, celui qui lui sert d’assistant – Dylan Goff – est d’abord là pour la surveiller. Moriarty entend développer un projet d’armes de guerre innovantes. On a conçu les premiers chars d’assaut, et les grenades lacrymogènes ont un bel avenir dans les conflits. Mais c’est une arme bactériologique que veut créer désormais le professeur. En utilisant les bacilles de la peste, que l’on répandrait chez l’ennemi.

Un projet fou, Anna le comprend, d’autant qu’il est improbable de contrôler la propagation d’une telle substance mortelle. Pour contrer Moriarty, Anna ne doit-elle pas feindre un accord entre eux, même si elle doit rester captive pendant de très longues semaines ? Entre-temps, grâce au bibliothécaire George Pleasant, elle parvient à renouer contact avec Sherlock Holmes. Ce dernier la met en garde contre la dangerosité de Sebastian Moran. Le grand détective est capable de toutes les ruses, mais il ne sous-estime pas la méfiance de Moriarty à son encontre. Pour amadouer son ravisseur, Anna s’improvise rebouteux afin de soulager les douleurs de Moriarty. Elle fait semblant de trahir Holmes. Et, gagnant un pari, elle est autorisée à rencontrer son père Anton, affaibli mais encore vivant.

Après que Moriarty l’ait initiée à l’opium, une certaine intimité s’est installée entre Anna et le professeur. Possédant une intelligence équivalente, tous deux peuvent se trouver des points communs. Les expériences d’Anna se poursuivent jusqu’à la fin de l’hiver, début 1891. Elle réussit à fournir à Holmes quelques éléments, mais Moriarty l’a “domestiquée”. Le projet d’arme bactériologique progresse, malgré tout…

Annelie Wendeberg : La dernière expérience (Presses de la Cité, 2017) –Sherlock Holmes–

J’avais mes propres ambivalences à l’égard de mes contemporains. Souvent, je me sentais très éloignée de la masse d’hommes, de femmes et d’enfants. Pourquoi donc ? Étais-je arrogante ? Me croyais-je pourvue d’un esprit supérieur ? Je n’en étais pas certaine. Moriarty avait déstabilisé mon existence. Mais n’avait-elle pas commencé à basculer bien avant cela ? Après ma rencontre avec Holmes, mon détachement vis-à-vis d’autrui avait évolué. Je m’étais rendue compte que j’avais perdu mon équilibre. Je ne me sentais pas bien, contrairement à ce que j’avais cru des années durant. Petit à petit, de façon inéluctable, j’avais eu envie d’être une femme. Une femme qui pratiquait la médecine sans avoir à se faire passer pour un homme…

Il est certainement bon de rappeler que Sherlock Holmes ne tient pas le premier rôle dans l’histoire. On l’avait déjà constaté pour “Le diable de la Tamise”, premier opus de cette série, maintenant disponible aux Éditions 10-18, coll. Grands Détectives. Anna Kronberg est la narratrice et l’héroïne de ces aventures. À la fin du 19e siècle, les femmes n’avaient pas leur place dans la médecine, pas plus que dans la recherche médicale en biologie. Si Anna a longtemps dû tricher en se donnant un aspect masculin, elle souhaite assumer sa féminité, désormais. Ou, plutôt, est-elle amenée à cela par la fréquentation successive de Sherlock Holmes, puis de James Moriarty. Celui-ci la fragilise psychologiquement, par un jeu d’attraction-répulsion auquel elle se prête avec une part de complaisance.

Quoi qu’il en soit, nous sommes bel et bien au centre de l’univers holmésien, puisque nous côtoyons ici le pire adversaire du meilleur détective de son époque, son ennemi n°1. Un criminel hors-catégorie, aux ambitions meurtrières monstrueuses, capable des plus viles manipulations pour parvenir à ses fins. Bénéficiant d’un réseau international, il n’a aucun problème pour engager des tueurs, au besoin. Sa tranquille vie bourgeoise à Kensington Palace Gardens est une façade d’honorabilité. Ici, il sera fait appel à Mycroft Holmes, l’aîné de Sherlock, dont on n’ignore pas qu’il possède une certaine influence en haut-lieu. Le démoniaque Moriarty ne manque pas de ressources, ce qui le rend difficile à combattre. Anna Kronberg et Sherlock Holmes constituent un duo singulier, qu’il est très agréable de suivre, y compris à travers l’ambiguïté psychologique inhérente au scénario.

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