À Karachi, métropole économique du Pakistan, Sayyid Qais Ali Qureshi est un expert en assurances âgé de quarante-deux ans. Veuf, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour que sa fille Shereen, seize ans, poursuive des études supérieures. S’il s’estime bon musulman, il ne s’interdit ni l’alcool, ni d’occasionnels joints de drogue. Plaisirs qu’il partage souvent avec son vieil ami Zahid, chef de la police vivant avec une prostituée. L’activité de son cabinet d’expert tourne plutôt au ralenti. Si Qais est issu d’une ancienne famille honorable du pays, ça ne l’aide guère. Son concurrent Anthony Lobo est beaucoup plus puissant que lui dans ce domaine. Sonia, amie de cœur de Qais depuis leur jeunesse, est employée par Anthony. Entre Qais et elle, c’est une histoire d’attirance-répulsion qui le trouble encore.
Sonia lui propose une mission très lucrative. L’entrepôt d’un transporteur abritant un stock de cigarettes, destinées aux troupes américaines en Afghanistan, a été détruit. Il faut absolument que le bénéficiaire de l’assurance accepte l’indemnisation pour ce sinistre : Qais devra convaincre ce Malik Awan. S’il refuse jusqu’ici, c’est autant pour des raisons religieuses, que parce que son fils est décédé entre-temps. Le problème, c’est que l’affaire se passe à Jandola, aux confins du Warizistan. Ce territoire situé entre l’Afghanistan et le Pakistan est peuplé de talibans, pris en étau entre les attaques meurtrières des drones américains et l’armée pakistanaise qui contrôle l’accès à ce secteur. À la fois, la population combat au nom de l’Islam, mais subit une situation chaotique. D’autant que tous ne sont pas de mêmes traditions musulmanes. La mission de Qais s’annonce très dangereuse.
L’expert se rend en train de Karachi à Mianwali, où le policier Zahid le rejoindra peu après (car il a des origines dans cette région). Le transporteur Malik Awan confirme son refus de toucher le pactole de l’assurance, mais la veuve de son fils acceptera certainement. Qais s’adresse au colonel Aftab Gul, avec lequel il fit ses études, afin d’obtenir l’autorisation d’aller jusqu’à l’entrepôt détruit – au Warizistan proprement-dit. Si cet officier admet bien s’accorder avec les troupes américaines, il sait que leurs frappes ciblées font des victimes en nombre. Riaz, le contact de Sonia dans le secteur, n’est pas chaud pour aller sur place – l’avenir proche montrera à quel point il avait raison. Après une fête de mariage avec Zahid, entre alcool, joints et prostituées, Qais et Riaz vont néanmoins jusqu’à l’entrepôt.
L’expert y découvre les restes d’un missile, sûrement lancé par un drone américain. Ce qui indique que le transporteur n’est effectivement pas un fraudeur. Affaire close, puisque la veuve du fils Awan touchera une forte somme ? Hélas, lors d’une altercation, Zahid abat des militaires pakistanais, ce qui entraîne de mauvaises conséquences pour Qais. Sonia arrive à la rescousse, avec l’argent prévu, en billets. Dont une partie devrait calmer les proches des victimes de Zahid. Mais Qais et Riaz tombent finalement entre les mains des talibans. Ils sont séquestrés et maltraités, avant que Qais soit envoyé dans un village afghan, patientant plusieurs mois dans l’espoir qu’on verse une rançon pour lui…
Il n’y avait aucun poste de contrôle et on ne nous arrêta pas une seul fois. C’était une nuit sans lune mais le conducteur roulait tous phares éteints, appuyant sur l’accélérateur pour prendre de la vitesse lorsque c’était nécessaire. Assis sur une planche de bois, je m’agrippais à un arceau de sécurité pour ne pas tomber. Je n’essayais pas de parler à Riaz, qui se balançait lui aussi d’avant en arrière en se tenant à l’arceau. Nous attendions simplement que le trajet se termine, supportant la douleur et les secousses du véhicule en silence.
L’aube nous apporta un certain soulagement. L’homme aux roquettes découvrit son visage et se mit à fredonner […] Nos ravisseurs bondirent à terre puis nous demandèrent de descendre prudemment du véhicule. Ils se dépêchèrent de le couvrir ensuite d’une bâche de camouflage et déchargèrent des provisions. Deux hommes soulevèrent ensemble des sacs d’armes, tandis qu’un autre suspendait une bandoulière en cuir à son épaule afin de porter des bidons de carburant…
Dans l’esprit des occidentaux, la situation est probablement stabilisée en ce qui concerne l’Afghanistan et les contrées voisines. La guerre, c’est du passé. Une armée d’occupation suffit au maintien de l’ordre, les populations ayant retrouvé un semblant de vie ordinaire. Même relative, la paix régnerait donc. Pourtant, le Warizistan reste un foyer de conflits, et le Pakistan ne peut que confiner les talibans dans cette zone, sans rien résoudre. C’est dû en grande partie à la complexité de ce pays : le poids religieux y est très fort, mais chacun observe des pratiques selon ses convictions et ses traditions par rapport à l’Islam. Qui plus est, le mode de vie citadin de Karachi n’a rien de comparable avec les petites villes de l’intérieur. Et encore moins avec un territoire rural montagneux comme le Waziristan, avec ses références tribales auxquelles s’ajoute un djihadisme fondamentaliste islamique.
Il s’agit ici d’un roman d’action, d’aventure, avec ses interrogations et ses péripéties. Une intrigue sous le signe de la mort, où le héros se trouve confronté à de multiples dangers. Le personnage de Sayyid Qais, narrateur de ses tribulations, parvient à garder une distance quasi-philosophique face aux événements qu’il traverse. Un fatalisme oriental, peut-être. À coup sûr, ce n’est pas un cynique, il ne méprise personne. Mais, par exemple, comment faire comprendre au soldat adolescent Tariq que sa conception de la vie a été totalement faussée par la doctrine islamiste ? Et surtout, comment survivre dans de telles conditions, l’hostilité venant de tous bords ? Au-delà de la fiction, les réalités sociologiques pakistanaises nous étant méconnues, c’est évidemment le contexte dans cette partie du monde qui rend passionnante l’histoire. Un roman à découvrir.