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5 février 2017 7 05 /02 /février /2017 05:55

Lise Lartéguy est une policière de la BRB, en poste au Bastion, le nouveau QG de la police, dans le quartier des Batignolles. Cette motarde brune âgée de vingt-huit ans habite près du canal Saint-Martin. Sportive et efficace dans son métier, Lise s’inscrit dans une lignée familiale de militaires, de gendarmes, de flics. Son défunt père Paul fut un des grands noms de la hiérarchie policière. Boisfeuras, actuel patron du Bastion, n’est autre que le parrain de Lise. Camille Lartéguy, son frère, est capitaine de gendarmerie, promis à un bel avenir. Il subsiste pour elle un problème conflictuel avec sa mère Maria, d’origine espagnole, qui est hospitalisée pour de longs soins. Souvenirs sans doute de l’enfance et de la jeunesse chaotique de sa fille. Car Lise est sujette à de sévères crises psychologiques.

Aujourd’hui, elle parvient tant soit peu à contrôler ses pulsions violentes. Les conseils de son père pour affermir son caractère face au Mal qui l’habite lui ont servi. Du moins, la plupart du temps, elle sait freiner sa rage. Néanmoins, quand il s’agit de pourchasser des truands ou de traquer (à titre personnel) des malfaisants ayant échappé à la Justice, Lise laisse s’exprimer ses accès de violence. Se calmer en se défoulant contre des pourris, un bon remède, et pour le reste, Lise se maîtrise. Cette nuit-là, elle rejoint son frère Camille sur une opération-radar de la gendarmerie. De puissants véhicules sont bientôt repérés, pour ce qui ressemble à un go-fast. Lorsque ces voitures sont interceptées, ça tourne très vite à une scène guerrière. Camille est gravement blessé ; les malfaiteurs s’enfuient.

Lise est sûre d’avoir aperçue une jeune fille otage dans un des véhicules. Son enquête s’oriente sur des cas de personnes disparues que l’on a retrouvées vidées de leur sang. Le policier Laugier, d’un autre service, collabore avec elle autour de cette piste. Au Bastion, tous sont mobilisés, certains s’intéressant à un camion d’armes de guerre qui fut volé en Ukraine. Avec ses collègues, Lise explore les cités de banlieue où fleurissent de nombreux trafics. Mettant la pression sur un jeune Black, elle obtient un nom : Lino Franchi, membre d’une bande de braqueurs corses. C’est quand elle déniche une propriété appartenant à la S.A.Numilex, que son enquête progresse à grands pas. Cette société masque les activités de Cyril Affanasiev, un milliardaire russe mafieux au passé extrêmement chargé.

Il s’agit d’un suspect quasiment intouchable. Mais Lise estime qu’existe un lien entre lui et des truands corses. Sous le pseudonyme de "la Foudre", elle approche cette bande. Lise n’a pas de difficulté à démontrer qu’elle peut intégrer le gang des frères Paoli. En inspirant confiance au baroudeur qui dirige les braquages pour eux, la violence contenue de Lise peut se libérer. Sans qu’elle oublie quelle est sa cible, le Russe. Mais l’initiative peut être dangereuse pour l’entourage de la policière, autant que pour elle-même…

Jacques-Olivier Bosco : Brutale (Éd.Robert Laffont, 2017)

Elle le saisit par le col pour le plaquer contre le mur. Il lui suffirait de le tirer d’un coup vers elle et de le repousser de toutes ses forces pour que son crâne explose. Alors elle lui serrait le cou, elle serrait pour se retenir. Marcus commença à devenir rouge, il était en train d’étouffer. Lise vida ses poumons et le relâcha. Il tomba le long du muret, elle lui balança des coups de botte dans les côtes.
— Dégage ! Dégage, je te dis !
Le garçon rampa pour se redresser et, sans jeter un coup d’œil en arrière, pris ses jambes à son cou. Lise resta un moment à recouvrer son souffle. Son pied balaya le sol pour envoyer les sachets de dope dans la grille d’égout, alors que ses yeux fixaient sa main qui tremblait. Il y avait toujours la seringue et le paquet de coke. Elle les glissa dans la poche de son pantalon et quitta la venelle.

Dès le début, Jacques-Olivier Bosco affiche la couleur : vous adorez les romans d’action, vous allez en avoir ! Vous appréciez les histoires rythmées par des courses-poursuites, de la bagarre et des échanges de tirs nourris ; c’est ce qu’il vous offre. Vous voulez pénétrer dans l’univers du banditisme, avec ses personnages hauts en couleur typés traditionnels et d’autres plus féroces et cruels encore ; il va vous en présenter une sacrée brochette. Avec pour illustration musicale, quelques références très rock, puisque l’ambiance s’y prête. Il ne reste plus qu’à suivre le tempo vif des péripéties qui s’enchaînent sans temps mort. La narration est plus que "visuelle", on pourrait dire : cinématographique. Les pétarades, vous les entendez claquer tandis que vous observer les scènes détaillées.

Toutefois, JOB n’ignore pas qu’un scénario vraiment solide ne repose pas uniquement sur de tels moments, aussi excitants soient-ils. Au centre, il est nécessaire d’avoir un héros digne de ce nom. En l’occurrence, c’est une héroïne qui mène la danse. Pas la première flic perturbée de la littérature polar, c’est certain. Pourtant, celle-là est gratinée, car c’est une sorte de malédiction qui explique sa psychologie particulière, sa brutalité. “La police, pourquoi pas. Mais vous l’avez placée dans un service où des officiers armés fréquentent les criminels les plus violents de France ! C’est comme filer un bidon d’essence et un briquet à un pyromane qui se trouverait dans une grange remplie d’explosifs. — Justement, ces défauts sont aussi des qualités, elle n’a pas peur d’aller au charbon...” Le manque d’équilibre comportemental peut s’avérer un atout favorable dans le cas de Lise.

Une fonceuse, à tous points de vue. Audacieuse, elle ne manque ni de témérité, ni de capacité de réflexion. Son portrait est plus nuancé, au final, car sa sphère privée reste son point faible. C’est toute cette complexité personnelle qui la rend attachante à nos yeux. À chacun de ses romans, Jacques-Olivier Bosco développe des aventures effrénées, afin d’aller toujours plus loin et plus fort dans le suspense et l’action. Avec “Brutale”, une fois de plus, il confirme son talent d’auteur de polars trépidants.

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4 février 2017 6 04 /02 /février /2017 05:55

Les sorties en format poche permettent de revenir sur des livres qui, peut-être, ont moins attiré l’attention des lecteurs à l’origine. Après d’excellents échos médiatiques, “Low Down” d’Amy Jo Albany mérite de conquérir un large public par une édition en poche. Quant à “La nuit derrière moi” de Giampaolo Simi, le Coup de Coeur attribué par Action-Suspense ne devait rien à la complaisance : c’est un grand polar.

 

Amy Jo Albany : Low Down (Éd.10-18)

Le pianiste Joe Albany a sûrement disparu depuis longtemps de la mémoire des amateurs de jazz. Car s'il était accro au clavier d'un piano, il le fut encore bien davantage à toutes sortes de stupéfiants. Né en 1924 dans une famille d'émigrés italiens installés sur la côte Est des États-Unis, Joe Albany est mort en 1988 après avoir réussi à enregistrer quelques disques en Europe dans les années 1970. Il joua avec des grands noms du jazz, dont le mythique Charlie Parker. Pour l'essentiel, il dut se contenter de prestations peu prestigieuses dans des clubs ou des bars. Sinon, il ne fut que l'accompagnateur occasionnel de stars comme Charlie Mingus, pas un très bon souvenir pour lui. Même s'il chercha tant soit peu à décrocher, la spirale infernale de la drogue le minait toujours plus.

De l'héroïne aux amphètes, ni les cures de désintoxication, ni les programmes méthadone de substitution aux drogues dures ne l'aidèrent. L'ambiance dans laquelle il vivait ne risquait pas de le sauver, non plus. À Los Angeles, le minable St Francis Hotel sur Hollywood Boulevard où il habita, ainsi que les autres lieux qu'il fréquenta, n'étaient que des repaires de losers, de personnages infréquentables aussi chtarbés que lui à cause des stupéfiants. Quant aux femmes (et autres travelos) qui furent les compagnes de Joe Albany, c'étaient de junkies hurlantes et violentes, à virer à la première occasion : “Les femmes nous compliquaient toujours la vie, mais elles ne faisaient jamais long feu” écrit sa fille Amy Jo.

Celle qui resta le plus longtemps fidèle à Joe Albany, qui décela le vrai talent de l'artiste derrière sa terrible addiction, ce fut Amy Jo. Née en 1962 de la brève et relative union de Joe Albany avec une certaine Sheila, la gamine ne peut raconter aucun souvenir positif concernant sa mère fantôme. Irresponsable, shootée la plupart du temps, hospitalisée après des crises, Sheila se prit un temps pour l'égérie d’Allen Ginsberg, pape de la "beat generation". Elle fut son ultime maîtresse, avant qu'il s'intéresse plutôt comme elle aux beaux mâles. Amy Jo bannit littéralement de sa vie cette mère dont elle n'avait nul besoin. Maladive, asthmatique, la fillette s'éleva toute seule auprès de ce père pianiste qu'elle vénérait. Joe adorait sa gamine, se montrant aussi paternel que le permettait son état, lui faisant entre autres rencontrer l'immense Louis Armstrong.

Ce n'est pas l'école qui aurait pu mettre Amy Jo dans le droit chemin. Un autre élève se moquait d'elle ? “Un jeudi je filai une raclée au déplaisant garçon. Je lui fit saigner le nez et lui fendis la lèvre. Quand on parvint à m'arracher à lui, je traitai la maîtresse, Mrs Stern, de hideuse vieille connasse et, à l'âge tendre de huit ans, je fus expulsée de l'école primaire Grant.” Amy Jo n'adhéra pas davantage aux religions. Un jour de messe, un prêtre s'exclame à son sujet : “Satan s'empare de la fille” et je songeai : Mon pote, si Satan devait se pointer maintenant, je serais heureuse de sauter dans ses bras brûlants pour échapper à ce cirque de piété.”

La vie d'Amy Jo ressemble plutôt à la magnifique chanson de Peggy Lee “Is that all there is ?” qu'au parcours rectiligne d'une enfant de son âge. En grande partie élevée chez sa grand-mère, également un sacré personnage en son genre, elle reste marquée par toutes les expériences vécues auprès de Joe Albany. Consciente de n'avoir que les atouts qu'elle a réussi à se forger, mais pas assez de talent artistique, Amy Jo se dirige fatalement vers une adolescence perturbée, suicidaire. Le dérapage vers les mêmes univers que connut son père, alors parti en Europe où il était plus apprécié, la guette mais elle saura en grande partie éviter le désastre personnel.

C'est une suite de courtes scènes que raconte avec émotion et humour Amy Jo dans ce livre. Elle ne cache ni sa légitime rancœur envers sa mère, ni tous ces excès qui firent le quotidien des décennies 1960-70 pour son père et ses proches. On imagine cette enfant au milieu de ces marginaux, pas antipathiques mais quand même glauques. Bon nombre disparurent un jour définitivement, d'ailleurs. "Petite princesse" évoluant dans un monde insolite, pas absolument insupportable, c'est la manière dont elle se voyait. Avec plus de "bas" que de "hauts", et une certaine noirceur, il faut l'avouer. Un témoignage fort sur toute une époque.

Amy Jo Albany et Giampaolo Simi, disponibles en format poche

Giampaolo Simi : La nuit derrière moi (Éd.Le Livre de Poche)

Furio Guerri est marié à Elisa Domini. Le couple a une fillette de six ans, Caterina. Ils habitent une charmante maison en Toscane, à Torre del Poggio, entre Florence et Pise. Furio est commercial pour un gros imprimeur de la région. Son Alfa Roméo de collection, c'est l'un des bonheurs de sa vie. Même si son métier empiète sur la famille, Furio essaie de consacrer du temps à sa fille. Caterina est une passionnée des Chevaliers du zodiaque, c'est de son âge. Plus que jolie, Elisa était la fille la plus convoitée lorsque Furio et elle étaient ensemble au lycée. Il manigança un peu pour entrer dans la famille Domini, faisant partie de la bonne société. Mariano, le frère d'Elisa, n'était-il pas destiné à devenir un prestigieux médecin ? L'objectif de Furio fut bientôt atteint, quand il épousa la belle Elisa.

Dans sa profession, il est efficace. Pas le meilleur, son collègue quinquagénaire Magnani ayant plus d'expérience que lui, et un secteur d'activité facile. Entre les impayés d'éditeurs homos, et la concurrence des impressions à bas pris de Hong Kong, le métier a ses aléas. Il peut arriver aussi à Furio de commettre des erreurs : ses patrons accentuent la pression sur lui. Néanmoins, il réagit en s'appuyant sur un gros client, qui rêve de publier son nébuleux polar n'intéressant personne. Il découvre une faille dans l'image de son collègue Magnani, ce qu'il ne tarde pas à exploiter afin de lui piquer son poste de chef de ventes. Furio est quelqu'un qui réussit toujours à dominer les problèmes professionnels. C'est quand même moins vrai dans son couple.

Avec Elisa, l'équilibre familial commence à mal fonctionner. Parce que son travail trop prenant ne leur permet pas un voyage à Paris, tant souhaité par la petite Caterina ? Furio soupçonne Elisa d'infidélité conjugale. En réalité, elle passe pas mal de temps en compagnie de son amie Romina Bianchi qui entreprend une campagne politique. Initiative qui déplaît fortement à Furio, car elle offre à sa femme une indépendance trop grande à ses yeux. Certes, sa complicité avec sa fille Caterina s'avère renforcée, mais les scènes de ménage se répètent, toujours plus nerveuses. Cette période de sa vie laissera des séquelles profondes dans l'esprit de Furio. Il est sujet à des cauchemars, où il est question d'une île. Il suit irrégulièrement le traitement médical qui lui est prescrit. Son Alfa Roméo de collection reste un des repères de son existence. Il poursuit seul un but qu'il s'est fixé...

Quoi qu'il en dise, Furio Guerri n'est pas un monstre. Grâce à son caractère déterminé, il est arrivé à une certaine réussite sociale. L’ambition se teinte d’une grosse part d’arrivisme, chez lui. Entre ce qu'il advient sur le moment et ce qu'il ressent a posteriori, son récit se veut honnête. Il a toujours aimé dominer les situations. Même quand elles se dégradaient au sein de son couple, au point de basculer. Bien que perturbé (“Ne pensez pas à la nuit qui va arriver, pensez à la nuit que vous avez laissé derrière vous” lui conseille son médecin traitant), il a une sorte de mission à accomplir.

Tous les éléments résumés ci-dessus sont exacts. Pourtant, ce roman ne se présente pas ainsi. Sa construction est bien moins linéaire, sans être tarabiscotée. Après une centaine de pages, l'histoire devient même limpide pour les lecteurs, tout en gardant sa forme particulière. Et sa vivacité narrative, car le rythme ne faiblit jamais. Faisant monter la tension, tandis que progressivement on s'attache aux personnages, l'auteur préserve le suspense avec une sacrée maîtrise. Une histoire intense par son sujet, remarquable par sa structure, intégralement captivante.

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2 février 2017 4 02 /02 /février /2017 05:55

Nous sommes là en Belgique, du côté Riemst et Bilzen, secteur néerlandophone du pays dans la province du Limbourg, en direction de Maastricht, en région flamande. Natif d’ici, le luitenant Frank Doornen est âgé de trente-quatre ans. Suite à un AVC, il est en congé maladie depuis dix-huit mois. Il s’est installé dans la fermette de ses parents, récupérant peu à peu ses forces. Doornen peut s’avérer impulsif, agressif, peut-être à cause de ses problèmes de santé. Il était tombé amoureux de la fragile Lies Vandervelde. Il n’ignorait pas qu’elle avait été employée au club Kiss, comme prostituée. Il paraît qu’elle s’y faisait appeler Mona. Mais depuis quelques temps, elle était devenue la maîtresse d’Orlandini, qui la logeait dans son ancienne maison, la Villa des Roses. Doornen espérait l’en extirper.

Francis Orlandini est un puissant chef d’entreprise de la région. Son activé, le traitement des déchets et leur éventuel recyclage, c’est très porteur. Et ça permet des magouilles qui sont profitables à bien des gens. Même à Tchip, un ferrailleur local. Orlandini est marié à Louise. Cette femme vit en recluse, probablement par choix. Certains la trouvent folle, ou au moins pas très équilibrée. Ne s’est-elle pas entichée d’un nommé Manke, un drôle de jeune asocial âgé de quinze ou seize ans ? Celui-là, il rôde dans les environs, va se cacher dans les souterrains, nombreux par ici. Drogué ? On ne sait pas trop. Orlandini a un fils d’une vingtaine d’années, Helder. Son tempérament d’artiste l’a conduit à fréquenter Tchip, mais aussi des marginaux, de supposés écolos, squattant dans le coin.

Outre son bric-à-brac de ferrailleur traditionnel, Tchip fait dans la récupération et la réparation de matériel informatique. C’est même un expert en disques durs d’ordinateurs. La mémoire vive de ces appareils, il sait l’exploiter. Par exemple, pour fouiller dans les secrets de Louise Orlandini, jusqu’à établir un contact avec elle. Doornen pourra compter sur Tchip quand il aura besoin de renseignements. Lorsque la Villa des Roses s’écroule sur elle-même, Doornen voudrait être sûr que son amante Lies est morte sous les gravats. Pas vraiment de traces d’elle, pourtant, après le passage des ouvriers d’Orlandini. Juste un curieux symbole dessiné sur un mur, et plus tard, sur celui d’un pâté de maisons qui s’est également effondré : un wolfsangel. Plus qu’un symbole, un emblème !

Stinj Staelens est à la tête d’un mouvement radical flamand. Pour lui et ses troupes, les partis extrémistes populistes ne sont que des serviteurs du "politiquement correct". Le slogan des prétendus écologistes manifestant leur hostilité à l’entreprise d’Orlandini est plus explicite qu’il semble : "Flandre nette", ça ne concerne pas que les déchets toxiques traités par ladite société. Doornens s’autorise une visite à leur QG, De Beest, non sans une bagarre inévitable. Là où il peut trouver des réponses, c’est dans les galeries souterraines calcaires : un trou à rats puant, un tombeau inondé, un enfer dont il n’est pas certain de sortir indemne. Pendant ce temps, la mort plane sur cette région de Belgique…

Caroline de Mulder : Calcaire (Éd.Actes Noirs, 2017)

Et donc, les affaires de cet Orlandini ? "Bah, tout le monde connaît bien ses petits arrangements, suffit de deux clics pour avoir le détail, les journaux en ont parlé. Des procédures d’appel d’offres douteuses. Orlandini qui, pour remporter le contrat, «fluidifie» ses relations avec certains acteurs locaux. Et donc, comptabilité truquée destinée à décaisser des espèces toujours utiles. Offres de couverture, à savoir dossiers bidons et concurrence faussée. Des arrangements pas nets avec des magistrats, des élus, des entrepreneurs, avec en arrière-plan les francs-macs, toujours de la partie. C’est tout un petit jardin qu’il arrose, Orlandini […] Notez, je dis ça et je dis rien, je blâme pas, la débrouillardise, je suis pas contre. Mais après, se donner des airs, faire l’écocitoyen en peau de lapin, se pavaner quand les officiels déroulent le tapis vert, c’est quand même gonflé…"

On aime les polars et romans noirs s’inscrivant dans la tradition, balisés selon les codes et les critères du genre, pour autant non dénués d’originalité. On apprécie aussi les romans adoptant une forme plus littéraire, où l’intrigue va de pair avec une écriture stylée, une structure peaufinée. C’est le cas de “Calcaire”, où Caroline de Mulder ajoute "la manière" à une intrigue déjà fort bien pensée. Au départ, avouons-le, cela peut légèrement dérouter. Néanmoins, on adhère rapidement à l’ambiance narrative, aux séquences "syncopées" du récit. Car l’auteure maîtrise astucieusement son histoire. Par exemple, le pugilat à l’issue de l’intrusion du héros au QG des fachos, ça nous est raconté a posteriori, à travers les conséquences de cette initiative. Il en va ainsi de plusieurs autres scènes fortes.

Aspects criminels, bien sûr, mais on retient tout autant les sujets sociétaux abordés. En premier lieu, ce que l’on pourrait appeler "l’industrie écologique". Nos pays européens se veulent exemplaires dans leurs efforts afin de réduire les nuisances polluantes. On espère que le traitement des déchets, parfois plus dangereux qu’on le croit, est mieux contrôlé qu’on le voit dans ce cas. Par ailleurs, l’impact des ultra-nationalistes flamands n’est-il pas sous-estimé en Belgique ? Certes, il s’agit de groupuscules identitaires d’excités, mais ne répandent-ils pas un virus inquiétant ? Le Lion de Flandres et le wolfsangel alémanique ne deviennent-ils pas des symboles guerriers ?

Pas de bon scénario sans des personnages bien décrits : sous ce climat pluvieux et fangeux, on va croiser des protagonistes dont l’équilibre mental n’est guère assuré. À coup sûr, un roman différent, d’une vraie noirceur.

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1 février 2017 3 01 /02 /février /2017 05:55

Piqûre de rappel pour quatre valeurs sûres du polar, désormais disponibles en format poche dès ce début d’année 2017. À sa parution initiale, Action-Suspense a attribué un Coup de cœur au remarquable roman de Gordon Ferris. Autre auteur anglophone, Martha Grimes mérite toujours un coup de chapeau pour la solidité de ses intrigues. Deux Italiens sont à l’honneur. Si on ne présente plus le maestro Andrea Camilleri, son compatriote Marco Vichi a lui aussi créé un commissaire fort sympathique.

Sélection polars poches 2017 : Gordon Ferris, Martha Grimes, Andrea Camilleri, Marco Vichi

Gordon Ferris : Les justiciers de Glasgow (Éd.Points)

Écosse, été 1946. Homme mûr, Douglas Brodie vient d'être engagé comme reporter à la Gazette de Glasgow. Policier avant la guerre, il fut sous-officier dans la 51e Division des Highlands. Avec la blonde avocate Samantha Campbell, ils ont besoin de se remettre d'un cas dramatique récent, qui leur a valu quelques mésaventures. Le meurtre spectaculaire d'Alec Morton, élu local chargé des finances, c'est son expérimenté collègue journaliste Wullie McAllister qui va enquêter là-dessus. Les budgets pour la reconstruction de Glasgow doivent attirer toutes sortes de margoulins. La corruption toucherait-elle les élites, ou bien Morton a-t-il voulu y faire obstruction ? Wullie cherchera tous azimuts des infos secrètes.

Douglas Brodie est contacté par un certain "Ismaël", afin que Samantha Campbell défende un ancien soldat de son unité vivant dans la misère, ayant commis un méfait. L'avocate parvient à limiter la peine de prison, mais l'ex-militaire condamné se suicide bientôt. Parmi les faits divers, Douglas note quelques graves agressions ressemblant à des règlements de comptes. Ces actes sont vite revendiqués par Les Marshals de Glasgow, justiciers signant soit en coupant un bout de doigt, soit en laissant une marque infamante sur les victimes. Douglas recense dix-neuf hommes attaqués par ces commandos masqués. Ceux qui sont visés semblent être des coupables trop légèrement sanctionnés par la justice.

Ça donne matière à des articles qui intéressent le public, quelle que soit l'amoralité de ces agressions. Douglas est convaincu que le fameux "Ismaël" est l'organisateur de ces actes. Sans approuver, il admet que l'iniquité des juges peut entraîner de telles réactions. Et ce n'est pas avec l'inspecteur-chef Sangster que la police fera correctement son métier. Le reporter a davantage confiance dans l'honnête sergent Duncan Todd. Glanant çà et là des indices, Douglas s'installe dans la grande maison de Samantha, même s'ils ne sont pas prêts à entamer une relation intime. Peut-être menacée par Les Marshals de Glasgow, la mère de Douglas va un temps séjourner avec eux. Agressé chez lui, en famille, un avocat est hospitalisé dans un état très sérieux. Douglas ne se prive pas de provoquer par ses articles les justiciers autoproclamés. Le reporter devra clarifier ses rapports avec "Ismaël" s'il veut espérer comprendre ce qui se passe actuellement dans cette ville…

Gordon Ferris nous plonge directement dans l'ambiance et les lieux de l'époque : c'est donc avec un vrai plaisir que l'on s'installe durablement dans la lecture de cet excellent roman noir. L'action criminelle est présente tout au long du récit. Avec tout ce que l'on peut soupçonner de corruption d'un côté. Il est probable que, en Écosse comme dans toute l'Europe, la reconstruction ait occasionné maintes malversations. Certes, ces chantiers ont donné du travail au peuple, mais ont surtout engraissé honteusement de sales combinards. D'autre part, l'auteur retrace les comportements revanchards, incitations à la délation qui ciblent des gens jugés avec trop de clémence. Avec le risque de sérieux dérapages malsains. Même si, au départ, on s'interroge sur le bien-fondé de ces actes, on réalise bientôt leurs excès. Y compris sous couvert de citations bibliques, la haine n'amène que la haine… Tout un contexte, décrit avec une belle souplesse narrative, qui rend fascinante cette sombre histoire.


Martha Grimes : Vertigo 42 (Ed.Pocket)

Le commissaire Jury, de Scotland Yard, est contacté par Tom Williamson. Riche héritier de son épouse Tess, décédée seize ans plus tôt, il n'a jamais cru en la version officielle de sa mort, par accident. Elle aimait séjourner dans leur propriété du Devon. C'est là qu'elle fit une chute dans l'escalier extérieur. Malgré ses vertiges, l'endroit lui était connu. Suicide ou meurtre, Williamson voudrait être fixé, car il pourrait s'agir d'une vengeance. Six ans auparavant, Tess avait invité un groupe d'enfants dans la propriété. On déplora la mort de la petite Hilda, dix ans. Il faudra retrouver les témoins d'époque, les plus lointains faits remontant donc à plus de vingt années. À Exeter, non loin du domaine Williamson, le policier Brian McCalvie garde un souvenir sentimental de la très séduisante Tess, digne d'une héroïne d'un roman de Thomas Hardy. Avec Jury, ils visitent la demeure désertée.

Dans le même temps, Richard Jury fait des passages chez son ami aristocrate Melrose Plant. Les habitants amicaux du village voisin, à une heure de Londres, ont coutume de l'y voir séjourner. On découvre le cadavre d'une jeune femme, Belle Syms, qui a chuté d'une tour pittoresque des environs. Là encore, suicide ou meurtre sont plus probables qu'un banal accident. Belle Syms étant vêtue d'une tenue chic, on peut penser à un rendez-vous amoureux clandestin. D'ailleurs, au pub le Blue Parrot et au modeste hôtel du village, on a remarqué cette personne et son supposé mari. Ami des chiens, le commissaire Jury s'est intéressé, peu avant que soit trouvé le corps, à une bête en divagation. Ce Stanley (c'est le nom sur sa plaque) appartient sûrement au compagnon de Belle Syms. Toutefois, cette histoire recèle des apparences qui font penser à un célèbre film classique, selon Jury. L’enquête est lancée pour lui et son adjoint le sergent Wiggins.

Bien sûr, Martha Grimes fait allusion ici au film "Vertigo", d'Alfred Hitchcock (en français "Sueurs froides", adaptation du suspense de Boileau-Narcejac "D'entre les morts"). Entrer dans l'univers concocté par Martha Grimes, c'est admettre par avance que l'on ne va pas brusquer les choses. Logique, car les mystères auxquels on est confronté sont riches en complexité, en pistes à suivre, en hypothèses même improbables. Jury sera un peu plus déstabilisé quand il découvrira des combats de chiens, dans une cage d'ascenseur et dans une cave sinistre. Néanmoins, il conserve un certain flegme et fait fonctionner son cerveau. Le sergent Wiggins mène sa part d'investigations, tandis que le noble Melrose Plant apporte (avec son entourage) quelques sourires au récit. Dans l'ambiance british, une toute nouvelle aventure de Richard Jury, à déguster.

Sélection polars poches 2017 : Gordon Ferris, Martha Grimes, Andrea Camilleri, Marco Vichi

Andrea Camilleri : Jeu de miroirs (Ed.Pocket)

Alors, que se passa-t-il du côté de Vigàta, en Sicile ? Il y a qu'à Marinella, là où habite le commissaire Salvo Montalbano, s'installèrent depuis cinq mois de nouveaux voisins. Pas tellement le mari, Adriano Lombardo, quarante-cinq ans, vendeur exclusif d'une marque d'informatique. Lui, il est fantomatiquement absent. Sa femme Liliana, la belle brune de trente-cinq ans, est employée dans un magasin de vêtements à Montelusa. Voilà qu'elle a de sérieux tracassins, qu'on lui a saboté le moteur de sa voiture. Peut-être la vengeance d'un malfaisant qui la harcela au "tiliphone" ? Car des amants, Salvo Montalbano est sûr qu'elle en aurait plusieurs. Dont Arturo Tallarita, jeune collègue de travail de Liliana.

Salvo est flatté de véhiculer la jeune femme en panne, oui. Mais il ne se laisse plus trop embobeliner par les séductrices genre femmes fatales. Quand en public Liliana fait comme s'ils étaient intimement proches, quand elle joue sur leur voisinage pour l'exciter avant de l'inviter chez elle, le commissaire a des raisons à la circonspection. Surtout qu'il a trouvé la preuve qu'Arturo la rejoint chez elle la nuit. Tout ça promet un drôle de pastis ! Même jusqu'à des cameramen de la télé qui essaieront de filmer les ébats avortés de Salvo avec Liliana. Pas dupes, avec son fidèle Fazio, ils ont prévu la parade. Puis brusquement, Arturo disparaît, et bientôt Liliana pareillement. Sûrement qu'il y a un rapport direct avec une autre affaire en cours, aussi incompréhensible. Là, c'est une bombinette qui explosa devant un commerce vide d'une rue peu fréquentée de Vigàta. Pas trop de dégâts, mais ça signifie quoi ? Une pression de la Mafia en rapport avec des habitants de l'immeuble contigu ? L’embrouille est plus compliquée que ça, Montalbano n’en doute pas…

Si l'intrigue est aussi tortueuse et mystérieuse que les précédentes dans la série consacrée à Montalbano, Andrea Camilleri "besogne" autant sur le langage. Merci au traducteur de nous offrir ces nuances qui participent à notre plaisir, de conforter ainsi une ambiance qui nous devient familière. Ce qui nous fait sourire quand il s'agit de certaines descriptions, de dialogues ou des approximations de l'agent Catarella. Argumenter, faire l'éloge d'un roman d'Andrea Camilleri ? Ce n'est probablement pas indispensable. Préciser qu'on adhère vite à l'univers du commissaire ? Ce serait également superflu. Dès que l'on a goûté au récit des tribulations savoureuses de Montalbano, on les déguste toujours avec une infinie délectation.


Marco Vichi : Une sale affaire (Éd.10-18)

Le commissaire Bordelli est un policier célibataire âgé de cinquante-quatre ans, en poste à Florence. Il est assisté par le jeune Piras, dix-neuf ans, originaire de Sardaigne, un enquêteur intuitif et cultivé. Durant la guerre, dans le bataillon San Marco, le père de Piras fut le plus proche ami de Bordelli. Époque tumultueuse à laquelle il repense souvent. Le commissaire se veut bienveillant envers les gens modestes, même les petits délinquants. C'est pourquoi il déteste effectuer ces rafles décidées par son supérieur. Il respecte la compétence du septuagénaire Diotivede, le médecin légiste. En privé, Bordelli s'offre des pauses amicales chez la mûre prostituée Rosa, apprécie les bons plats de son restaurant habituel. À son âge, le policier craint de finir sa vie sans trouver une nouvelle compagne.

En ce mois d'avril 1964, le nain Casimiro est retrouvé assassiné, son corps étant caché à son domicile dans une grande valise. Peu avant il avait attiré l'attention du commissaire sur une villa de la région, appartenant au baron allemand von Hauser. Seule la gouvernante revêche semble habiter là, en l'absence du propriétaire. Il est probable que Casimiro ait été supprimé près de ladite villa. Selon le légiste Diotivede, on l'a empoisonné avec du cyanure conditionné selon une ancienne formule. Il trouve aussi trace d'alcool, peut-être bien du cognac De Maricourt, une marque naguère réputée. Retournant de nuit aux alentours de la villa, Bordelli est agressé par un inconnu. Une toute autre affaire sinistre préoccupe depuis quelques jours le policier.

La petite Valentina a été étranglée dans un parc de la ville. La fillette porte des traces de morsures. Quand Bordelli interroge la jeune mère hospitalisée, il n'obtient guère d'indices utiles. Puis un autre crime est commis dans un autre parc de Florence. Âgée de cinq ans, Sara Bini a échappé un instant à la surveillance de sa grand-mère. Le mode opératoire est le même que pour Valentina. Une femme témoin accuse un nommé Simone Fantini, vingt-cinq ans. Bien que Bordelli et Piras ne le croient pas coupable, ils font une enquête de voisinage. Ils font la connaissance de Sonia, une séduisante Sicilienne dont Piras tombe amoureux. Un avis de recherche contre Simone Fantini, mais Bordelli explore aussi une autre piste…

Ancien combattant, le policier Bordelli est un homme d'expérience empreint d'un réel humanisme. En ces années 1960, le petit banditisme n'est qu'un moyen de survivre au quotidien pour certains de ses compatriotes, il en est conscient. Par contre, lui qui a été durablement marqué par ses années de guerre, il tente de réprimer les crimes avec efficacité. D'autant qu'il s'agit dans cette affaire de meurtres odieux, l'assassin s'attaquant à des petites filles. S'il circule dans une Coccinelle, il garde une part de méfiance contre les Allemands, naguère alliés du fascisme. Cette sombre intrigue criminelle est heureusement éclairée par des moments plus tendres et tranquilles, auprès de l'amie de cœur Rosa ou dans sa trattoria préférée. Ce deuxième titre de Marco Vichi nous présente encore une fois un suspense impeccable, raconté dans la vraie tradition du roman policier. Excellent !

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31 janvier 2017 2 31 /01 /janvier /2017 05:55

Aujourd’hui âgé de trente-six ans, Julio Flores est natif du Costa-Rica. Avec sa jeune sœur Mariana, ayant deux ans de moins, ils ont été élevés par leurs parents appartenant à la classe moyenne. Un milieu sans prétention, mais assez cultivé et doté d’ambitions. À l’issue de ses brillantes études, Julio a été parrainé par Don Victor, le père de son meilleur ami, Alejandro. Après des débuts dans la finance en Floride, Julio s’est installé depuis une dizaine d’années à Los Angeles. Son temps est largement consacrée à son métier, dans un environnement californien qui lui convient plutôt bien. Bien que restant en contact avec sa mère par Internet, Julio n’éprouve aucune envie de retourner dans son pays d’origine. Il aide financièrement ses parents et sa sœur, ce qui suffit à lui donner bonne conscience.

Très intelligente également, Mariana a toujours exprimé un caractère différent de celui de son frère. Ensemble, ils partageaient la passion du cinéma, adorant les classiques. Mais Mariana se montra plus désinvolte que Julio lors de sa scolarité. Si elle avait le niveau, il lui manquait un objectif concret pour l’avenir. Non-conformiste dans l’âme, Mariana traîna avec de soi-disant intellos rebelles, que son frère trouvait fort peu sympathiques. Leurs parents n’appréciaient pas cette marginalité relative de leur fille. Adulte, mais peut-être pas vraiment mature, elle exerça sans enthousiasme quelques emplois. Elle acheta même un petit appartement pas trop coûteux, que sa famille contribuait à payer. Aux États-Unis, Julio suivait son parcours sans interférer, acceptant l’indépendance de sa sœur.

Mariana a disparu au Mexique dans le naufrage d’une vedette touristique, avec d’autres passagers, rares étant les rescapés. Ça faisait déjà un certain temps qu’elle s’était exilée sans explication dans la région côtière de Mazunte. S’il n’est pas indifférent à ce drame, Julio n’ignore pas qu’on est impuissant face à la fatalité. Bien qu’il n’ait pas souhaité rentrer au Costa-Rica pour un hommage à Mariana, il va être contraint d’y revenir. Car il est l’héritier des biens de sa sœur, et la procédure exige sa présence. C’est l’occasion de mieux approcher ce que fut l’univers de la jeune femme, de découvrir des lettres qu’elle lui écrivit sans les envoyer. Renouant avec Alejandro, Julio peut-il espérer trouver un poste dans les milieux financiers au Costa-Rica ?

Julio a senti la nécessité d’aller dans la région mexicaine, aux environs d’Oaxaca, où sa sœur a disparu. Le périple jusqu’à Mazunte n’est pas simple, sous la pluie torrentielle. Là-bas, bien des choses sont étranges et mystérieuses. Telle cette ville fantomatique, avec ses chaumières misérables et ses exclus. Tel cet inaccessible Hôtel du Roi, encore mieux protégé qu’une prison. Tels ces gueux vivotant en se cachant dans le secteur, adoptant Julio comme s’ils le reconnaissaient. Mariana laissa-t-elle une trace dans ce décor sombre, un quelconque signe ?…

Daniel Quirós : La disparue de Mazunte (Éd.de l’Aube, 2017)

Le simple fait d’imaginer ma sœur, une athée pure et dure, devant supporter ces rites absurdes, me rendait malade. Et pourtant, il en était ainsi avec ma famille. Elle s’en remettait à la volonté de Dieu.
C’est pour toutes ces raisons que je n’irais à aucune cérémonie, religieuse ou non. Ma sœur n’aurait même pas apprécié le geste. Elle l’aurait plutôt considéré comme maladroit et déplacé. Elle aurait été de mon côté. Et puis après tout, avait-on besoin de rites et de cérémonies pour dire adieu à une personne ? Était-ce nécessaire de remplir une pièce de gens ? Il valait mieux être seul et sans tout ce cirque. Si mes parents voulaient l’organiser, c’était leur affaire. Moi, je ne pensais pas rentrer au pays pour l’occasion. Encore moins en l’absence de corps…

Le Costa-Rica est cet État d’Amérique centrale situé entre le Nicaragua et Panama, entre l’Océan Pacifique et la mer des Caraïbes, peuplé de cinq millions d’habitants. L’Économie y est fortement basée sur le tourisme et sur l’exportation de ses produits, en particulier vers les États-Unis – dont ce pays est très dépendant. Cette brève présentation n’est pas sans lien avec le roman. Car le narrateur, Julio Flores, décrit plus en détail l’essor économique du Costa-Rica depuis qu’il l’a quitté, une bonne dizaine d’années plus tôt. La capitale San José s’est transformée en une métropole, sur le modèle états-unien. Même les quartiers modestes ou pauvres apparaissent plus "vivables". Hormis une classe supérieure fortunée, telle la famille d’Alejandro, le niveau de vie semble correct pour la population moyenne.

Ce roman de Daniel Quirós n’entre pas dans la catégorie des polars, ne présente aucun aspect criminel. Ce n’est pas une enquête, mais une sorte de quête. À travers sa sœur disparue, le héros évoque le contexte sociétal du Costa-Rica. Et le droit de chacun d’opter pour ses propres choix. Quitte à passer pour une "hippie" de notre époque, Mariana n’a pas cherché sa place dans l’évolution du pays. Tandis que, moins romantique, son frère a choisi d’entrer dans le système. Il ne s’agit pas de démontrer qui a eu tort ou raison. Par ailleurs, on verra ce qu’il en est des insolites tribulations mexicaines de Julio. Grâce à une structure de l’histoire parfaitement composée, tous les éléments se complètent en bonne harmonie. Un roman dépaysant par son décor, d’une qualité très convaincante.

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29 janvier 2017 7 29 /01 /janvier /2017 05:55

Effaçons d’emblée une possible ambiguïté. Cet ouvrage retrace les premières années, de 1928 à 1940, du magazine Détective. Et non pas les diverses variantes publiées depuis les années d’après-guerre, toujours plus racoleuses, misant davantage sur le sexe que sur de vrais sujets criminels. On ne conteste pas le talent allusif des rédacteurs de ce magazine depuis décliné sous plusieurs titres, mais ce livre revient aux origines. Gaston Gallimard est devenu un des éditeurs majeurs après la première guerre mondiale. Malgré tout, les "grands auteurs" ne rentabilisent nullement sa maison d’édition. Un support commercial différent s’impose : ainsi va naître, en partie grâce au détective Ashelbé, ce “Détective”.

Le fait divers n’a rien de neuf, en ce temps-là. Les journaux d’alors consacrent quelques lignes quotidiennes à ces actualités, voire aux comptes-rendus des audiences en justice. Si les lecteurs politisés lisent les journaux de leur obédience, un lectorat populaire cherche plutôt le spectaculaire. Le "hors-norme" confirme au public qu’il n’a rien de commun avec les repris de justice, les criminels, les voyous de toutes sortes. Dès lors, c’est ce que va lui apporter chaque semaine le magazine Détective. Si une société distincte s’est créée pour le publier, Gaston Gallimard veille au grain, financièrement et sur le contenu. Le succès est immédiat, grâce à un lancement d’envergure, et par manque de vraie concurrence.

Les reporters engagés par Détective sont des professionnels chevronnés. Le mot d’ordre, c’est de coller au plus près des "affaires", d’en faire au besoin des "dossiers". On ne traite plus de banals faits divers, mais des cas typiques de banditisme ou de crimes, inscrits au cœur de ces années-là. Les truands marseillais ou les bandits corses, la pègre installée à Montmartre ou les anciens bagnards, les lâches tueurs de chauffeurs de taxis, le pistolet browning qui permet commodément aux femmes d’assassiner, les sujets ne manquent pas pour couvrir l’immense champ de la criminalité. On envoie des enquêteurs de Détective aux quatre coins de l’Europe, sans oublier le nec plus ultra : le crime en Amérique.

De Chicago, baptisée capitale du crime, à l’affaire du bébé Lindberg connue dans le monde entier, le Mal n’est-il pas omniprésent ? En France, c’est l’époque de Violette Nozière, des sœurs Papin, de l’énigme Laetitia Toureaux, de l’affaire Stavisky avec ses prolongements, mais également de multiples crimes morbides ou crapuleux, qui font frémir. Les gangsters de Paris et le proxénétisme, les nuits de fête du monde nébuleux et violent de la pègre, tout le mythe du Milieu, ça fait fantasmer des lecteurs avides de noirceur. Ces truands, on les sait dangereux, mais le public est conscient qu’ils ne s’attaquent qu’aux riches.

Dans les années 1930, si le vitriol est passé de mode, en revanche le browning fait fureur. Cependant l’opinion publique a changé depuis le début du 20e siècle, à la suite des études criminologiques qui réintroduisent l’idée de responsabilité et de préméditation. L’indulgence des jurés est dénoncée comme étant du laxisme risquant de banaliser l’assassinat. La presse ne présente plus ces assassins comme des héros tourmentés mais comme de vulgaires criminels. Le crime passionnel quitte la une des grands quotidiens et sa place recule dans leurs colonne. Détective les met toujours en une, mais pour afficher clairement son exaspération : Encore le browning !

Un des points forts de Détective, ce sont les photographies. Les protagonistes et les lieux, le lecteur les visualise grâce aux multiples clichés. Sur le vif ou pas, car la manipulation d’images n’est pas absolument exclue. Possédant deux autres magazines, Marianne et Voilà, il est facile pour Gallimard de mutualiser un service photographique efficace. En outre, Détective est autant le porte-parole des autorités – car plusieurs grands noms de la police sont des amis du magazine – que des malfaiteurs, ces derniers plaidant volontiers leur innocence dans ce média. Avec Détective, on revisite l’enquête, on invite les lecteurs à s’en mêler, on en fait des jeux, on exploite la moindre facette dès qu’il y a mystère.

Des écrivains figurent au casting de Détective. D’abord, le déjà célèbre Joseph Kessel, même si sa contribution est relative. Ensuite, des auteurs cherchant à témoigner du vécu du populaire et des bas-fonds, tels Pierre Mac Orlan et Francis Carco. Bien que Georges Simenon soit sous contrat chez Fayard, tandis qu’il navigue sur les canaux à bord de l’Ostrogoth, il écrit trois séries de treize nouvelles inédites pour Détective. D’ailleurs, la plupart des articles du magazine utilisent plus sûrement la forme de l’intrigue policière que celle du classique reportage. La déontologie journalistique, les rédacteurs s’en fichent. Il leur arrive de se mettre eux-mêmes en scène, ou d’enjoliver largement leurs récits.

Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty : Détective, fabrique de crimes ? (Éd.Joseph K. 2017)

Que les idéologues bien-pensants dénigrent Détective, cela va sans dire. Cette publication hebdomadaire banalise les actes les plus vils, incite à la tolérance envers les meurtriers, corrompt la société de l’Entre-deux-guerres : Détective est responsable de tous les maux. À l’inverse des journaux d’alors, ce magazine s’intéresse moins à l’action de la justice, point final d’une affaire, qu’à tous ses développements et à ses aspects énigmatiques (ou sordides). Par contre, si un tueur tel Weidmann est enfin arrêté, une large place lui est accordée. Marius Larique, le rédacteur en chef étant de formation journalistique, il "sent" ce qui va frapper le public, le passionner. En heurtant la morale, en assumant le scabreux, si c’est bénéfique pour conforter les ventes.

À l’approche de la 2e Guerre Mondiale, Détective commence à perdre de l’audience. Dans un climat politique tendu, il faut coller à des sujets du moment, tel le rejet des étrangers. Néanmoins, des reportages décrivent aussi les persécutions dont sont victimes les Juifs de la part des autorités hitlériennes. Dès le début du conflit, par patriotisme, Détective va consacrer des articles au conflit, aux soldats. Mais le magazine ne peut longtemps paraître dans ces conditions. Hélas, après guerre, on ne retrouvera pas le fonds photographique de Détective (de Voilà et de Marianne), si riche documentation visuelle sur ces années-là.

Fabrique de crime, ce magazine ? Ce fut avant tout un témoignage vivant, direct, au plus proche de la délinquance et de la criminalité d’alors. L’information n’était pas répandue à travers la France, constante, immédiate, comme de nos jours. N’était diffusé que ce que l’on voulait bien transmettre à la population. Or, Détective dévoilait des vérités, creusait les faits, détaillait les actes et les personnalités. Ce n’était pas exempt de voyeurisme, ni peut-être d’exagération, sans tomber dans l’apologie criminelle, ni inciter des meurtriers à tuer avec cruauté. Peu d’autres médias informaient de cette manière percutante.

Grâce aux archives Gallimard et aux études traitant certaines facettes du crime, Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty nous racontent l’épopée de Détective, ses personnages, et son impact. Elles explorent une véritable page, plutôt insolite, de notre Histoire ! L’autre atout favorable, c’est la très riche iconographie. En soi, le panel des "unes" du magazine reflète la diversité des thèmes abordés par Détective. Mais ici, les images sont bien plus variées : publicités, photos d’origine, "dossiers" des pages intérieures, titres-choc, couvertures de romans associés à Détective, courriers et "coupe-files" des reporters, etc. On sait quel soin les Éditions Joseph K apportent à la mise en page des livres. “Détective, la fabrique de crimes ?” constitue un bel exemple de cette qualité. Un remarquable ouvrage documentaire !

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28 janvier 2017 6 28 /01 /janvier /2017 07:40

Le couple Asheton vivote à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, en cette fin d’année 2001. Jamie est gardien de parking, tandis que son épouse Jackie est serveuse. Au petit matin, quand un duo armé se pointe en voiture dans son parking, Jamie réalise immédiatement que le passé est en train de le rattraper. Ils ont été engagés pour l’exécuter. Bien qu’il soit devenu grassouillet au fil du temps, Jamie réagit sans pitié, laissant derrière lui un mort et un blessé. Il est urgent qu’il retourne chez lui où Jackie est certainement en danger. Une complice black du duo de tueurs se trouve effectivement sur place. Une "fausse dure" qui ne fait pas longtemps le poids contre Jamie. L’essentiel pour le couple Asheton, c’est de fuir sans délai, car il se peut que d’autres tueurs rôdent dans les environs.

Alors qu’ils s’engagent dans le désert, Jackie ne cache pas son amertume. Jamie s’aperçoit qu’elle avait tout préparé pour s’en aller, avant que survienne le problème. Elle comptait le quitter, bien qu’il tienne toujours à elle. Le principal espoir de Jamie, c’est de retrouver Marty Bensley, leur contact du "programme de protection des témoins" depuis onze ans. À la fin de la décennie 1980, Damian Carlyle et Eva Bellini habitaient à New York. Damian était un homme plutôt séduisant, avec une certaine désinvolture plaisant aux femmes. En tant que receleur, il restait quelque peu en marge des milieux du banditisme. C’était le gang de Warren Smith qui, à cette époque, dominait la pègre new-yorkaise. Grâce à des opérations juteuses, l’argent facile coulait à flots, et Damian y contribuait.

Quand Warren obligea Damian à participer concrètement à leurs braquages violents, le receleur sut qu’il était temps d’arrêter. Y compris pour protéger sa femme Eva. C’est ainsi que le couple devint Jamie et Jackie Asheton, parti se faire oublier à l’autre bout des États-Unis… Maintenant, il leur faut de nouveau s’enfuir. Marty Bensley est injoignable par téléphone. Néanmoins, Jamie-Damian pense savoir où le trouver, à Los Angeles. Jackie-Eva préférerait se cacher dans la foule à Las Vegas. Du moins, peut-elle se séparer d’avec son conjoint en rejoignant à Bellemont sa mère, Liz Bellini. Même si celle-ci n’a jamais été d’une grande fiabilité. D’autres épreuves attendent le couple de fuyards, car Warren Smith n’a sûrement pas l’intention de les laisser en paix. En ces temps troublés succédant aux attentats du 11-Septembre, sur qui peuvent-ils compter ?…

Dominique Forma : Albuquerque (Éd.La Manufacture de Livres, 2017)

Mais Jamie est incapable de vivre sans elle. Aussi tordue que soit leur relation, elle reste son bâton d’appui, une canne qui ne demande qu’à rompre. Au moins, à se bagarrer, à s’engueuler, ils reprennent forme humaine et retrouvent une colonne vertébrale. C’est mieux que de rester amorphe. C’est la monotonie autant que la peur d’être retrouvés qui les ont élimés ; lui dans son parking, elle à servir des burgers à l’Atomic Cantina sur Gold Street. Quand on se bat pour survivre, c’est qu’il reste de l’espoir. Eux, ils n’en avaient plus. Ils roulaient à bas régime, mollement, d’une semaine à l’autre, la peur au ventre. Peur autour de laquelle on s’installe et on construit sa tanière pour survivre. L’attaque de ce matin a balayé le ronron. C’est simple : maintenant, il s’agit de ne pas mourir.

Ce court roman, court et vif, s’adresse en priorité aux lecteurs appréciant la mythologie américaine cultivée à travers les romans noirs et les films d’action traditionnels. Tueurs à gages au service d’un caïd mafieux de New York trahi par un de ses complices, direction la Route 66 pour regagner Los Angeles, flic inexistant quand on a besoin de lui… L’ambiance se base sur les codes éprouvés du genre. Dans la mesure où le rythme est mouvementé dès le début, on peut adhérer au récit. Les explications sur l’origine de l’affaire viennent en leur temps. Construction efficace, se voulant aussi percutante que possible.

L’autre thématique s’avère plus psychologique. Le couple ne se supporte plus, en grande partie à cause de la situation faussée dans laquelle ils se trouvent. Une mésentente assez comparable au "partage du magot" qui divise des complices dans d’autres histoires. On ne vit pas dans le banditisme – même si l’on a tenté de s’en éloigner – sans qu’apparaissent des complications, c’est évident. Il est plus aisé de répliquer froidement face aux tueurs, que de résoudre cet aspect personnel, sans doute. Les lecteurs de romans noir classiques seront satisfaits.

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27 janvier 2017 5 27 /01 /janvier /2017 05:55

Lisa Heslin et Daniel Magne forment un couple de policiers, aux relations assez houleuses. Suite à une précédente enquête agitée, la jeune femme enceinte s’est exilée en Suisse. Afin de calmer les effets de l’affaire en question, Magne préfère se faire oublier quelques temps en intégrant le commissariat de Hendaye, au Pays Basque. Malgré la réputation de Daniel Magne, son collègue local Denis Larralde a plutôt confiance en lui. Ce qui est sans doute moins vrai pour leur hiérarchie. C’est alors qu’un attentat est perpétré à Hendaye. Le train Irun-Paris venait de quitter la gare, quand une bombe placée à l’intérieur explose, causant dix-sept morts et une quarantaine de blessés. L’acte n’est revendiqué ni par des nostalgiques de l’ETA, ni par des terroristes islamistes.

Daniel Magne est présent lors de l’explosion. Rapidement, il se met en chasse d’un homme qu’il a remarqué. Le policier se trouve vite bloqué par le tueur qui a bien préparé son repli. Blessé, Magne est enlevé et séquestré par ce criminel, qui veut cruellement s’amuser avec lui plutôt que de l’éliminer tout de suite. Alertée, Lisa Heslin rejoint Paris sans tarder. On ne peut pas l’autoriser à aller enquêter sur place, vu sa grossesse. Mais son bienveillant collègue et ami Henri Walczak se propose de l’accompagner à Hendaye. Il ne pourra s’agir que d’investigations officieuses, Lisa et Henri l’admettent. C’est incognito qu’ils trouvent à se loger dans un monastère des environs. Tandis que Lisa entre en contact avec le policier Larralde, Henri déniche deux prostituées capables de dresser un portrait-robot du tueur.

Malmené par le criminel, enfermé dans une cave, probablement en montagne, Magne se remet un peu physiquement, mais sa situation apparaît sans issue. La police a découvert sur Internet une vidéo exhibitionniste de l’auteur de l’attentat d’Hendaye. Sa provocation en dit long sur son déséquilibre mental. L’explosif utilisé est du Semtex, que des experts estiment fabriqué il y a plus de trente ans. Même s’il a utilisé le stock dont il disposait, le tueur va très certainement récidiver. En consultant le web, les recettes pour concocter des bombes semblent aisées à suivre. Surtout quand on peut acheter impunément quelques produits chimiques pour l’agriculture. Entre Larralde et la bonde Jessica Lacour, de la brigade antiterroriste, la collaboration est autant professionnelle que personnelle.

Le "tueur de masse" espère que, le moment venu, l’Histoire retiendra son nom : Damian Iturzaeta. Ses motivations, il les raconte et elle seront un jour publiques. Il est issu d’une famille fort chaotique au sein de laquelle il fut longtemps dominé. Le déclic intervint quand il rencontra son unique ami, un handicapé surnommé Patxi. Il cultiva sa force musculaire. Son "projet" prit une autre dimension quand le hasard lui permit de croiser un gendarme espagnol, rencontre fatale pour ce dernier. Pour Damian Iturzaeta, pas d’idée régionaliste en cause, mais un plaisir grandissant de tuer. Y compris son propre frère Xabier, une fille trop désinvolte comme Lorraine ou simplement des postiers de passage. Sa dernière cible, il va préparer une énorme charge d’explosifs cachée dans un camion, pour l’atteindre.

Même si Daniel Magne parvenait à s’enfuir, même si Lisa, Henri et les policiers d’Hendaye découvraient la bonne piste, serait-il encore temps d’empêcher le tueur d’agir ?

Jacques Saussey : Ne prononcez jamais leurs noms (Éd.Toucan noir, 2017)

Mais c’est son regard qui m’a mis en alerte. L’instinct du flic. Ça ne s’explique pas. Pourquoi là, soudain, ai-je été brusquement convaincu que ce salopard venait de faire péter une bombe. Parce qu’il ne paniquait pas. C’était le seul. Parce qu’il tournait le dos à la fumée qui s’élevait dans l’air immobile au dessus de la ville. C’était le seul aussi. Parce qu’il s’est dégrouillé de grimper sur sa motocross et de se barrer de là, avant que je lui saute dessus.
Il n’avait pas prévu qu’il y aurait un flic à ses trousses, mais il avait quand même anticipé un service d’accueil, genre gros calibre, au cas où. Drôlement déterminé, le mec. Il a préféré me défourailler dessus loin des regards et des vidéos spontanées que font tous les apprentis vidéastes qui assistent en live à un accident ou à une catastrophe d’une telle ampleur. C’est un peu charognard, mais il faut reconnaître que ça nous permet souvent, à nous les flics, de regarder une scène sous un angle qu’on n’aurait jamais pu voir autrement.

Jacques Saussey est l’auteur de thrillers authentiques. Si l’on précise “à la française”, ça risque de sembler péjoratif, de fausser l’impression positive. Oui, c’est dans une région de France que se situe le décor de ce roman. Et quelle région ! Puisque le Pays Basque, forte de son identité spécifique, base arrière d’opposants au régime espagnol, fut longtemps agitée de soubresauts guerriers. On n’oublie pas ici de nous rappeler cet aspect historique, bien que la page soit tournée depuis de nombreuses années. Des séquelles, il en subsiste forcément, mais la stabilité y règne désormais. D’ailleurs, ce qui motive Damian Iturzaeta est sans lien direct avec le passé basque. Son "combat" est strictement personnel.

Un terroriste est, par définition, quelqu’un qui cherche à semer la peur, la terreur. C’est un qualificatif qui convient peut-être mieux que "tueur de masse", adopté pour désigner ceux qui firent un carnage, à Columbine ou ailleurs. Généralement marginal, le parcours de ces criminels a tourné à l’obsession meurtrière, tant soit peu suicidaire. Aucune idéologie ne leur est indispensable, en réalité… même si le nazillon d’Utoya s’est pris pour le Messie d’une nouvelle croisade… même si d’autres s’abritent derrière le Coran, qu’ils n’ont pas lu. Leur but est de passer à la postérité, de faire croire à leur héroïsme, à leur supériorité.

Tels des animaux enragés, c’est un instinct maléfique qui guide ces terroristes, sûrement pas leur intelligence. La ruse leur permet d’échapper aux soupçons, on le vérifie dans les "confidences" de Damian Iturzaeta. Le reste n’est qu’une détermination destructrice. Ils sont retournés au stade de l’animal. Ce thriller exploite avec une belle habileté tous les codes du genre, dans un récit variant harmonieusement les tonalités, entre péripéties mouvementées ou plus psychologiques et moments sombres. Très réussi.

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