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31 mai 2017 3 31 /05 /mai /2017 04:55

Une incessante pluie diluvienne tombe sur Rome en ce mois de septembre. Enrico Mancini est en poste au commissariat de Monte Sacro. Son épouse Marisa est récemment décédée d’un cancer, malgré les efforts de l’oncologue Mauro Carnevali. S’il a été un enquêteur hors-pair, adepte des méthodes scientifiques et techniques, le commissaire Mancini végète depuis son veuvage. Il ressasse encore des images trop vivaces de Marisa. Le chirurgien Carnevali ayant brusquement disparu, c’est la seule affaire à laquelle il s’intéresse. On sait que, suite à une mésentente grandissante avec sa femme, il avait déménagé depuis peu. Selon son épouse, il a certainement quitté l’Italie avec sa maîtresse. Mancini n’en est pas convaincu, conscient que la seule passion du chirurgien, c’était son métier.

Quand est découvert le cadavre martyrisé d’une barmaid rousse d’origine irlandaise, le préfet de police pense immédiatement que c’est l’œuvre d’un tueur en série. C’est au commissaire Lo Franco qu’échoit le début de l’enquête. Toutefois, le préfet n’oublie pas les compétences de profileur d’Enrico Mancini. Ce dernier se spécialisa grâce à Carlo Biga, un vieil expert aujourd’hui retraité, mais qui enseigne toujours son savoir à des policiers. Les faits et les détails pointus sont essentiels, mais Carlo Biga n’oppose pas profilage et fiction romanesque : la “structure du mensonge” peut permettre de cerner les intentions des tueurs en série. Un autre cadavre mutilé est retrouvé, pas très loin. Ce sexagénaire fut-il vraiment un sans-abri, comme le criminel a voulu le faire croire ? Pas sûr du tout.

La troisième victime est un moine franciscain âgé. Son corps se trouvait dans les anciens abattoirs désaffectés d’un quartier proche. Il semble avoir subi le traitement d’un animal, comme ceux qui autrefois étaient abattus ici. Cette fois, Mancini est contraint de prendre en main l’affaire. D’autant que ces crimes sont bientôt revendiqués par un inconnu qui, à l’instar de Jack l’Éventreur, se surnomme lui-même l’Ombre. Le commissaire choisit un local du genre bunker, afin d’éviter les indiscrétions, et forme son équipe. Carlo Biga et le médecin légiste Antonio Rocchi en seront les consultants. La séduisante juge Giulia Foderà sera son principal contact avec la hiérarchie. Surtout, il compte sur deux jeunes recrues prometteuses, l’inspecteur Walter Comello et la photographe policière Caterina de Marchi.

S’il ne perd pas de vue la disparition du chirurgien Carnevali, les recherches de Mancini et de son équipe se font tous azimuts. L’histoire des anciens abattoirs, celle de ce gazomètre abandonné de longue date où a été découvert un des cadavres, la vie du moine et l’autre métier de la barmaid, tout est passé au crible. Y compris les mails adressé par l’Ombre à un ex-journaliste. C’est sur le site des Thermes de Mithra, à Ostie, que le criminel a déposé sa quatrième victime. Hors du périmètre auquel pensait Mancini ? Oui, mais le commissaire ne tarde pas à en avoir l’explication. Quand les services du préfet arrêtent un suspect, ce déséquilibré Croate ne fait pas longtemps le poids face à Mancini. Tandis que le criminel prévoit d’autres victimes, la traque continue pour Mancini et son équipe…

Mirko Zilahy : Roma (Presses de la Cité, 2017) – Coup de cœur –

C’était le message d’un assassin lucide, sans aucun doute. Organisé et avec un objectif précis. Ce n’était pas un hédoniste : l’absence de violences à caractère sexuel, pré ou post-mortem, ou de cannibalisme, le laissait penser. Il pouvait cependant s’agir d’un dominateur, si Rocchi [le légiste] confirmait que les sévices sur les corps des victimes leur avaient été infligées de leur vivant. S’il les avait torturées pour jouir de leur terreur et exercer son pouvoir de prédateur.
Qu’étaient donc ces "morts de dieu" ? Et la charrue ? Que signifiait cet outil symbolique ? De la position des corps et de ces éléments, on pouvait déduire que l’Ombre était un meurtrier rituel, avec un niveau d’instruction moyen ou élevé. Il devait absolument répondre à ces questions pour cerner le profil de celui qui semait la panique et la mort, et vite, s’il voulait empêcher que seule triomphe la justice évoquée par ce monstre.

C’est sous un éclatant soleil permanent que l’on imagine Rome, la Ville Éternelle. Mais le décor de cartes postales, avec ses célèbres monuments riches d’histoire, ce n’est pas ce que veut nous montrer Mirko Zilahy, lui-même Romain. Les bâtiments où vont enquêter ses policiers sont, pour la plupart, déjà anciens et inutilisés. On risque fort d’y croiser bon nombre de rats. La population est plus hétérogène qu’on pourrait le penser. Le Tibre n’est pas simplement un fleuve pittoresque, surtout quand des pluies torrentielles font craindre des crues. Et durant la nuit, certains quartiers peuvent s’avérer inquiétants, angoissants.

Dans un roman, on peut ressentir de l’empathie pour le héros, d’autant qu’on nous décrit fréquemment des enquêteurs meurtris par un passé douloureux. Avec Enrico Mancini, veuf depuis peu, c’est le cas. Mais l’auteur réussi une belle performance, car on éprouve aussi un réel attachement pour l’équipe autour du commissaire. Carlo Biga dans le rôle du vieux sage, Comello le pétulant factotum de Mancini, la jeune et encore craintive Caterina, la juge Giulia Foderà mi-secrète mi-offensive, le légiste Rocchi aux analyses très précises… L’union fait la force, et Mancini en a bien besoin pour récupérer ses capacités de limier, face à un insaisissable adversaire. Nous autres lecteurs, qui les observons, on a envie de les encourager, afin qu’ils gardent le moral et dénichent les meilleures pistes.

Le "profilage criminel" tient une place d’importance dans cette intrigue. Néanmoins, sur le conseil de Carlo Biga, on n’écarte jamais l’intuition et la déduction, afin de mieux définir le profil psychologique de l’assassin, et le sens de ses actes. Un passionnant polar noir, où l’ambiance est aussi réussie que l’enquête est captivante. À découvrir absolument.

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30 mai 2017 2 30 /05 /mai /2017 08:55

Vers 1990, Sophie Delalande imagina naïvement que sa relation avec Sylvain Dufayet était une grande histoire d'amour. Alors âgée de vingt-cinq ans, fonctionnaire au ministère de l’Éducation Nationale, Sophie était une jeune femme "moyenne", plutôt quelconque. Que Sylvain, jeune homme séduisant et désinvolte, ne se soit intéressé à elle que pour vivre à ses crochets, squattant son appartement de la rue des Martyrs, cela ne vint pas à l'esprit de Sophie. Pourtant, dès qu'elle lui annonça être enceinte, Sylvain disparut vite de sa vie. Une rupture qu'elle surmonta sans trop de problèmes : à la naissance de sa fille Hortense, Sophie fut bien entourée par sa famille habitant en province.

Par la suite, la jeune mère se montra "exclusive" en élevant Hortense quasiment sans quiconque. Seule son amie Isabelle parut digne de confiance à Sophie. Sylvain se manifesta plus de deux ans après leur séparation, mais elle lui refusa tout contact avec Hortense. Il insista, rôda autour d'elles. Quand Sylvain fut interrogé par la police, il nia tout harcèlement. Et pourtant, le 11 mars 1993, il kidnappa leur fille Hortense, âgée de moins de trois ans. On ne les retrouva jamais. La mère et la sœur cadette de Sylvain furent interrogées. Elles ne savaient pas grand-chose de la vie privée de leur fils et frère. Selon elles, il n'avait rien d'un monstre égoïste. Sophie éprouva de la rancœur haineuse contre Emmanuelle Dufayet, la mère, qu'elle pensait menteuse.

Le commissaire Dupouy ne prit pas l'affaire de kidnapping à la légère. Ce policier mena une enquête sérieuse, mais sans succès. Plus tard, Sophie se heurta à des juges traitant le dossier, pas assez actifs selon elle. Au début, elle fut soutenue par un comité composé de collègues, qu'elle finit par rejeter. Les années passant, elle s'adressa à un détective privé – qui prétendit avoir une piste en Martinique, passa dans une émission de télé, fut escroquée par un voyant. Seule son amie Isabelle restait de bon conseil, certains proches se disant que cette dernière jouait un rôle obscur vis-à-vis de Sophie.

Vingt-deux ans après la disparition d'Hortense, le hasard provoque un miracle: c'est sans hésitation que Sophie reconnaît Hortense dans la rue. Malgré ce soudain et troublant bonheur, elle sait qu'elle ne doit rien brusquer. Elle commence par observer la jeune femme. Elle se prénomme Emmanuelle. Comme la mère de Sylvain, c'est donc un indice probant. Elle a beaucoup voyagé avec son père pendant son enfance et sa jeunesse, ce qui correspond également. Mais, pour Sophie, une obsession qui dure depuis plus de vingt ans peut engendrer les conditions d'un drame…

Jacques Expert : Hortense (Le Livre de Poche, 2017)

J’ai passé la soirée un peu en retrait, au fond du restaurant, dans un coin où elle ne servait pas, mais d’où j’ai pu l’observer tout à loisir. Je me repais de toutes ses apparitions. Dieu, qu’elle est belle et gracieuse ! A-t-elle remarqué la petite dame insignifiante, assise dans un coin mal éclairé de la salle ? Je n’ai pas intercepté le moindre regard dans ma direction. Il faut dire qu’elle n’a pas chômé. Elle est vaillante, ma fille !
[…] Bref, calée dans mon coin, où me sert une certaine Julia, une petite mignonne à croquer, bien qu’un peu trop maquillée à mon goût, je me régale de mon dîner sans rien perdre des faits et gestes de mon Hortense.
Je ne me lasse pas de l’admirer, fine, élégante, si jolie. Il faut que je me raisonne, que je me remémore sans cesse les recommandations d’Isabelle, pour ne pas céder au besoin qui me ronge de me lever et de lui révéler qui je suis. Et qui elle est.

C'est le genre de suspenses qui suscitent des opinions variées, contrastées. Désormais disponible chez Le Livre de Poche, ce roman s’adresse à celles et ceux qui apprécient le suspense psychologique. Ils se diront que le personnage de Sophie est non seulement crédible, mais quasi-calqué sur des cas réels de femmes privées de leur enfant. Qu'un kidnapping, une disparition, perturbent durablement une mère, c'est l'évidence. On peut compter sur Jacques Expert pour entretenir questions et doutes au fil du récit. Tout en évitant d'inutiles ambiances pesantes, la tonalité étant plutôt fluide et claire, au contraire.

Si la parole est le plus souvent laissée à Sophie (qui ne nous cache rien des détails), on nous présente aussi la version d'Emmanuelle, ainsi que des témoignages de gens qui ont été mêlés (parfois brièvement) à l'affaire. Ces dépositions "recadrent" les faits bruts, apportant un équilibre par rapport à la sympathie que peut nous inspirer la malheureuse Sophie. Grâce au savoir-faire de l'auteur et à tous ces ingrédients bien exploités, il ne reste plus qu'à savourer le résultat : un polar solide, de bon aloi !

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30 mai 2017 2 30 /05 /mai /2017 04:50
Festival Le Goéland Masqué 2017 : samedi 3, dimanche 4 et lundi 5 juin

Penmarc'h, commune située au sud-ouest du Pays Bigouden, se trouve à une demie-heure de Quimper, près de la Pointe de la Torche bien connue des surfeurs. Le bout du monde ? Ça ne fait aucun doute : après les rochers typiques de la Pointe de Penmarc’h, splendides sous la tempête, c’est l’océan Atlantique. On aurait grand tort d’imaginer que c’est une commune côtière endormie, attendant le tourisme estival. Avec plus de 5500 habitants, la population est active à longueur d’année, proposant quantité d’animations. L’une d’elles, qui concerne les lecteurs de polars, existe d’ailleurs depuis longtemps.

En effet, le festival Le Goéland Masqué présente cette année sa 17e édition, les samedi 3, dimanche 4 et lundi 5 juin, pour le week-end de Pentecôte. Un prix du premier roman y est attribué chaque année. Il fut longtemps présidé par l’écrivain Jean-François Coatmeur. C’est Jean-Bernard Pouy qui lui a succédé. Le Prix du Goéland Masqué 2017 a été décerné à Stéphane Jolibert pour “Dedans ce sont des loups” (Éd.Le Masque). C’est à la salle Cap Caval que les auteurs de romans noirs et de polars vont à la rencontre du public. Sont annoncés cette année :

Cloé Mehdi - Sam Millar - Nadine Monfils - Franck Bouysse - Jean Failler - Pierre d’Ovidio - Hervé Le Corre - Gilles Del Pappas - Malika Ferdjoukh - Colin Niel - Lilja Sigurdardottir - Angel de la Calle - Yvon Coquil - Patricia Osganian - Lance Weller - Marin Ledun - Gérard Filoche - Patrick Raynal – Jaime Martin - Pierre Pouchairet - Denis Flageul - René Manzor - Firmin Le Bourhis – Ian Manook - Gérard Streiff - Marc Villard - Anne Céline Dartevel - Dominique Delahaye - Anne-Solen Kerbrat - Jean-Hugues Oppel - Valérie Lys - Benoît Séverac – Alain Goutal - Stéphane Jaffrézic - Paco Roca - Charles Robinson - Claude Mesplède - Jean-Bernard Pouy… et quelques autres encore.

Tous les rendez-vous organisés par l’équipe du Goéland Masqué sont à découvrir sur le site internet du Festival (cliquez ci-dessous).

Festival Le Goéland Masqué 2017 : samedi 3, dimanche 4 et lundi 5 juin

Vous ne connaissez pas certains de ces auteurs ? Pour en savoir plus sur des titres récents les concernant, il suffit de cliquer sur les liens ci-dessous. Vous pourrez lire mes chroniques sur un de leurs livres !

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29 mai 2017 1 29 /05 /mai /2017 04:55

Les interventions d’un écrivain à la prison des Baumettes peuvent avoir des conséquences tendrement souriantes. Quand “Le chat qui tombe” se retrouve coincé dans une partie des bâtiments qu’on n’approche plus guère, il miaule à répétition, il appelle au secours. Car ce n’est qu’un chaton, que sa mère n’est pas parvenue à sortir de ce mauvais pas. L’animal en détresse n’est évidemment le souci principal des gardiens. Le récupérer et l’adopter ? Il est bien possible que la vie de l’écrivain et de sa fille en soient quelque peu modifiées…

Même en cette nuit de Noël, “L’homme qui passe” dans cette bourgade provençale n’est probablement le bienvenu nulle part. Il ne cherche pas à se faire remarquer. D’ailleurs les rues ne sont guère animées. Néanmoins, il a comme un point de repère ici. C’est l’ancien couvent, devenu l’hôpital de la ville. “Au dernier étage, la maternité brillait de tous ses feux, paquebot prêt à appareiller vers les merveilles et les tumultes du monde…”

À Marseille, “Le ballon” est une passion partagée par toute la population. Le football, le club adulé qu’est l’OM. Pour beaucoup de jeunes, le mythe est tout autant associé à des images d’enfance. Aux matchs disputés entre divers quartiers de la ville, sur des terrains approximatifs. Même ceux qui finissent aux Baumettes s’en souviennent peut-être.

S’il raconte “La nuit de l’évasion”, c’est que le jeune Rémi, quinze ans, est incarcéré à la prison d’Aix-en-Provence. Tout a commencé par un coup de folie de son copain Rocky. Ce dernier n’avait aucune raison de braquer un buraliste, ni de tirer. Rémi n’a rien fait, rien vu venir, mais il est malgré tout complice. La prison est un univers auquel personne n’est préparé, surtout pas un ado sans histoire. Heureusement pour lui, Rémi est mis en cellule avec Manu. Derrière les barreaux depuis trois ans, cet Espagnol de presque dix-huit ans a son propre parcours, qu’il ne renie pas. L’épreuve, pour Rémi, c’est aussi d’être séparé de Marie, sa petite amie. Une lettre de rupture ne suffirait pas à entamer l’espoir de la revoir. Attendre que passe les années, isolé par ces hauts murs, en s’adaptant à la vie carcérale ? Bien qu’il sache qu’aucune évasion n’ait jamais réussi depuis ce centre pénitentiaire, Rémi ne songe qu’à fuir cet enfer. Une date précise peut l’aider dans son projet insensé.

À Manosque, un femme troublante lui vend – ou plutôt, lui confie – un rubis d’une valeur inestimable. Ayant vérifié son authenticité, il réalise que cette pierre précieuse n’est pas sans rapport avec l’histoire de la ville. Surtout avec cette “Vierge noire”, joyau de l’église Notre-Dame-de-Romigier. Que le rubis soit maléfique, rappelant de sombres époques lointaines, c’est à craindre. D’autant que des hommes en noir le surveillent. Être enfermé dans l’église, en découvrir la crypte et autres mystérieux secrets, c’est pour lui courir un grand danger. Il a caché le rubis, mais résister à la menace est difficile.

C’est à cause de la misère que Valentin a malencontreusement tué un vieil homme. Il se trouve enfermé pour dix ans dans une lugubre forteresse, seul dans un cachot. Il risque de sombrer dans la folie, ce que lui prédit le gardien. Grâce à Marilou, il ne va plus voir le temps passer. Malgré l’improbable amitié qui les rapprochent, “Marilou et l’assassin” se tiennent agréablement compagnie…

René Frégni : Le chat qui tombe – et autres histoires noires (Éd. de l’Aube, 2017)

La prison abrite un peuple d’enfants blessés et dangereux. Chaque but qu’ils marquent claque comme une évasion. Du haut des miradors, les surveillants écoutent gravement ces cris de guerre rebondir sur les murs. Ces hommes n’ont plus d’âge, leur patrie est le temps. J’imagine qu’à cette seconde, des milliers d’hommes perdus poussent les mêmes cris en tapant dans un ballon, les yeux brûlés de révolte dans les prisons de Tétouan, Cadix, Valladolid et l’île de Ré. Les prisonniers et les footballeurs ont en commun cette forme de voyage que l’on nomme transfert. Ceux-ci vont d’un club à l’autre liés par les milliards, les autres d’une maison d’arrêt à une maison centrale les pieds entravés par des chaînes, des bracelets aux mains. Dans les avions de luxe comme dans les fourgons cellulaires, tous rêvent de pelouses vertes et de ballons blancs. Une mystérieuse complicité d’amitié et de clameur relie ces hommes. Les footballeurs aiment les voyous…

Il s’agit d’un recueil de six nouvelles. Il serait plus exact de parler de "contes". Car c’est dans le respect de ces histoires courtes que s’inscrit René Frégni. Ces textes font-ils partie de la catégorie "polar" ? Cela n’a aucune importance. Pourtant oui, leur contexte n’en est pas éloigné. Car il est question de crimes, de prisons, d’évasion, de mystères, et surtout du destin d’une poignée de personnages. N’est-ce pas ce qui importe en priorité ?

Il y a mille manières de raconter. On peut se contenter d’une tonalité linéaire, suivre le déroulement factuel du récit. Écrivain émérite, René Frégni privilégie une souplesse narrative bienvenue, teintée de poésie, de tendresse. On passera d’une terrasse de café, d’où tout homme observe les jolies femmes, à une sombre cellule de prison, où subsistent dans les têtes des mâles ces images de l’idéal féminin.

S’il n’occulte pas la part noire en chacun de nous, il n’en retient pas un aspect malsain. "Fatalitas !" criaient autrefois les bagnards. Le hasard et la fatalité conditionnent souvent le sort des repris de justice. Mais, comme l’auteur, on peut espérer qu’apparaisse une facette plus lumineuse.

Notons encore un hommage à Francis Cabrel, et l’omniprésence footballistique chez les Marseillais dignes de ce nom. L’auteur en présente le côté positif ; oublions donc les excès que cette passion engendre quelquefois. Voilà un recueil de nouvelles d’excellent niveau.

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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 04:55

Remo Cobb est un connard. Sûrement est-il un des plus brillants juristes de New York, le meilleur avocat du cabinet de Victor. Gagner des fortunes, baigner dans le luxe, une belle réussite pour un gars venu du Texas, issu d’une famille instable. Remo a mal supporté la séparation avec son épouse Anna et leur fils Sean, trois ans. Depuis, ses relations avec les femmes ne se basent que sur le sexe et le fric. Remo est un connard cynique. Le cocktail d’alcool et de cachets médicamenteux qu’il ingurgite, c’est censé lui donner la lucidité et le tonus nécessaire. Quand ça ne provoque pas des délires cauchemardesques. Il estime ne pas trop mal gérer sa vie chaotique et hallucinée, tant pis pour les failles qui le rongent.

Voilà quelques années, Remo Cobb sabota le procès de Dutch Mashburn et de Lester Ellis, dont il était l’avocat. À l’origine, un furieux braquage de banque par le gang des frères Mashburn dont Lester était le chauffeur. Plus de trois millions de dollars raflés en quelques minutes, et seize morts durant l’opération. Ferris Mashburn et Chicken Wing, les cadets de Dutch, ont péri lors de l’interpellation des criminels. Ayant récupéré le butin, Remo Cobb l’aurait distribué à des associations caritatives. Puis il s’est arrangé avec Leslie, la substitut du procureur, pour que Dutch et Lester soient lourdement condamnés. En prison, Lester a trouvé le chemin de la Foi. À l’inverse, Dutch Mashburn y a ruminé sa vengeance.

Malgré les années qui se sont déroulées, Remo Cobb reste un incorrigible connard, ce dont il est conscient. Quand Lester sort de prison, animé d’une pieuse mission, il alerte bientôt Remo : Ferris Mashburn et Chicken Wing, les frères de Dutch, sont toujours en vie. L’aîné espère s’évader de Rikers Island en faisant pression sur un gardien. En attendant, Chicken Wing garde l’œil sur l’ex-avocat de son frère. Pour flinguer sans état d’âme tous ceux qui approchent trop de Remo, y compris un garde-du-corps pro, ses frères peuvent compter sur lui. Par contre, ce n’est pas l’inspecteur Harris, ni aucun de ses collègues policiers, qui protégeront cet avocat qu’ils détestent – vu qu’il défend avec brio des malfaiteurs.

Si Lester n’avait pas été visé par ses anciens complices, il eût été l’ange gardien idéal pour l’avocat menacé. Victor, le patron de Remo, peut se montrer compréhensif. Ce qui ne sera évidemment pas le cas d’Anna, quand son ex-mari la relance sur son lieu de travail pour voir leur fils. Pourtant, le danger de mort est bien réel pour Remo, que Chicken Wing empêche de quitter la ville. Quant à Hollis, efficace expert en armes, a-t-il envie d’oublier sa relation conflictuelle avec Remo ? Si Dutch revient dans le circuit, nul doute qu’il y ait urgence à trouver des solutions. Car le revolver .357 de Chicken Wing ne fera pas dans le détail, en cas d’affrontement direct avec Remo Cobb…

Mike McCrary : Cobb tourne mal (Éd.Gallmeister, 2017)

Remo se trouve dans un environnement familier ; une des chaises rigides de sa salle à manger. Son visage est en compote. Son corps amorphe pendouille au dossier comme du linge sale de célibataire. Il jette un regard autour de lui, pas très sûr de savoir comment il est arrivé ici. Il se redresse et scrute son appartement en grimaçant. Même ses cheveux lui font mal. Tout est à sa place, rien n’a bougé, tout est tel qu’il l’a laissé. La porte d’entrée est fermée.
Le sac de voyage en cuir qu’il a préparé est à ses pieds. Même sa batte de base-ball est toujours posée contre lui, entre ses bras. Remo aperçoit sa bouteille de scotch habituelle, un verre rempli sur la table devant lui. L’espace d’un moment, il se dit que tout ça n’est peut-être pas réellement arrivé. Comme dans les films. C’était un rêve, ou bien il est mort – enfin non, pas ça, mais quelque chose de cet ordre. Ce serait génial, non ? Si toute cette merde n’était qu’un immense canular que son esprit lui jouait…

Le roman noir n’est pas une catégorie monolithique. Il n’est pas rare d’y croiser des héros meurtris ou désabusés, et que ce soit le contexte sociologique qui confère à l’intrigue une ambiance particulière. Il existe une autre tendance tout aussi traditionnelle, celle où prime l’action. Souvent, là encore, le héros est d’emblée en mauvaise posture, s’étant lui-même mis dans le pétrin. Il aura commis des erreurs qui ne se rectifient pas juste en s’excusant, à l’amiable. L’essentiel va donc consister à s’en tirer sans trop de dégâts, peut-être – s’il est face à des malfaisants sans pitié – à sauver sa peau. Un fil scénaristique simpliste ? On aurait tort d’en minimiser l’intérêt. Car l’auteur se doit d’être diablement inspiré pour que se succèdent rebondissements et péripéties, pour que le rythme narratif ne faiblisse jamais.

Outre ce tempo vif, le défi que s’impose ici Mike McCrary est ambitieux : mettre en scène un héros, Remo Cobb, sans lui accorder tellement d’atouts favorables. La faillite de sa vie de couple et de père, il l’a bien cherchée. Son addiction à la combinaison whisky-cachets, il se ruine la santé. Son attitude envers les femmes témoigne d’un machisme désagréable. L’affaire criminelle des frères Mashburn, c’est lui qui en a faussé le dénouement. Voilà un type cynique qu’on n’aimerait guère avoir pour ami. Néanmoins, le sachant traqué par des individus revanchards, on lui accorde une sympathie certaine. Pourquoi ? Tout bêtement, ses déboires sont très drôles. Parce qu’il manie maladroitement une arme, parce que l’on peut s’interroger sur l’utilité de son "ange gardien", parce qu’on est pas sûrs que les conseils d’Hollis soient bien suivis par l’avocat, et pour un tas d’autres raisons souriantes.

On adore ce “Cobb tourne mal”, qui nous offre un suspense agité très enthousiasmant. À ce jour, Remo Cobb est le héros de deux romans (Remo went rogue, Remo went down). On espère que le second sera lui aussi traduit en français, car on aura plaisir à suivre de nouvelles mésaventures de cet avocat new-yorkais. Mike McCrary a encore écrit deux autres fictions (Genuinely dangerous, Getting Ugly).

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26 mai 2017 5 26 /05 /mai /2017 04:55

Citadine venue de Londres, Agatha Raisin s’est finalement bien adaptée à Carsely, village typique de la campagne anglaise, dans les Cotswolds. À tel point qu’elle va épouser son charmant voisin, le colonel retraité James Lacey. Comme Agatha vend son propre cottage à une Mrs Hardy, non sans un pincement au cœur, les nouveaux mariés habiteront chez James. Ils ont prévu un voyage de noces à Chypre. C’est à cause d’un coup-bas de Roy Silver, ami et ex-employé londonien d’Angela, que les choses se compliquent.

Roy s’est souvenu qu’elle était toujours mariée avec Jimmy Raisin, un alcoolique qu’Angela pensait décédé d’une cirrhose. C’est ainsi que, le jour de la cérémonie, Jimmy Raisin débarque au village et se fait reconnaître. James Lacey prend très mal cette révélation, plus question de se marier. Aussi bienveillante soit-elle, Mrs Bloxby –l’épouse du pasteur– ne peut aider Angela. De son côté, le jeune inspecteur Bill Wong, ami d’Angela, lui évite déjà certaines complications pénales, s’agissant là d’un cas de bigamie.

Angela a eu une altercation avec Jimmy Raisin, qui se montrait insistant. Le lendemain, Mrs Bloxby découvre dans un fossé le cadavre de Jimmy. Si Angela fait figure de suspecte, James Lacey est tout autant soupçonnable, mais il possède un alibi. Le couple se réconcilie et Agatha s’installe pour de bon dans le cottage de James. C’est ensemble qu’ils mèneront l’enquête pour identifier l’assassin de Jimmy. Chez les policiers, la jeune et ambitieuse Maddie Hurd joue avec les sentiments de son romantique collègue Bill Wong, dans le but de dénicher des preuves contre Angela. Cette dernière s’en aperçoit bientôt.

Quelques années plus tôt, Jimmy Raisin fut le protégé de Mrs Gore-Appleton, qui dirigeait alors une association en faveur des défavorisés. Pour désintoxiquer Jimmy de l’alcool, tous deux firent un séjour dans un coûteux centre de remise en forme. Angela et James ne trouvant plus trace de Mrs Gore-Appleton, ils se renseignent (sans en avertir la police) sur les autres personnes présentes lors du séjour de Jimmy et de sa bienfaitrice. Sir Desmond Derrington en faisait partie, mais en compagnie d’une femme qui n’était pas la sienne. Ce qui donna à Jimmy l’idée de le faire chanter. Le mauvais sort poursuit Sir Desmond.

Angela et James continuent, interrogeant d’autres témoins. Telles la vieille célibataire miss Purvey ou Gloria Comfort, qui ne paraît pas embarrassée par son récent divorce, et s’exile en Espagne peu après. Le témoignage d’Helen Warwick semble le plus fiable. Le couple devrait également retrouver le nommé Basil Morton, mais ils ne rencontrent que sa femme. Alors qu’Agatha voit la possibilité de racheter son cottage, celui de James est l’objet d’une tentative d’incendie. À force de fouiner au sujet de l’insaissable Mrs Gore-Appleton, un danger réel plane autour de l’intrépide Agatha…

M.C.Beaton : Agatha Raisin – Pour le meilleur et pour le pire (Ed.Albin Michel, 2017)

Ils traversèrent la place principale à l’ombre de l’abbaye et entrèrent au George. Bill alla chercher au bar un gin tonic pour Agatha et une demie-pinte de bière pour lui. Ils s’installèrent à une table de coin.
— Voilà ce qui s’est passé, dit rapidement Bill. D’après les premières conclusions du légiste, Jimmy Raisin a été étranglé avec une cravate en soie. On l’a retrouvée dans un champ un peu plus bas sur la route. Des traces de pas différentes des vôtres ont été découvertes près du corps, celles d’un homme. Donc les recherches s’orientent vers James Lacey.
— Quoi !" Agatha darda un œil noir sur Bill. "La police savait depuis tout ce temps que Jimmy avait été étranglé, et on m’a laissé croire que j’étais peut-être responsable s’il s’était fracassé le crâne ? J’ai une sérieuse envie de porter plainte. Quant à James ! James assassiner mon mari ?…

Après avoir connu un gros succès en Grande-Bretagne, les enquêtes d’Agatha Raisin ont tout autant séduit le public français, depuis 2016. “Pour le meilleur et pour le pire” et “Vacances tous risques” sont les 5e et 6e titres de cette série de romans. La comédie à suspense, avec ses péripéties en cascade et son humour omniprésent, constitue un genre franchement agréable. L’auteure anglaise M.C.Beaton s’y entend à merveille pour raconter les désopilantes mésaventures de son héroïne.

Malgré son dynamisme et son sens de la répartie, Agatha éprouve parfois de brefs moments de découragement. Qu’elle ne tarde jamais à surmonter, car la curiosité est dans sa nature, et son caractère se veut positif. Très doué pour jouer avec les serrures, son voisin-amant James Lacey est le compagnon idéal quand il s’agit d’enquêter clandestinement (sous le nom de Mr et Mrs Perth).

S’il est évident que le prénom d’Agatha est un hommage à Agatha Christie, la romancière ne copie pas ici la "Reine du crime". Le personnage ne ressemble pas à miss Marple, fine mouche mais bien plus passive, ni au caricatural Hercule Poirot dont les petites cellules grises étaient néanmoins actives. Pourtant, au cœur de cette Angleterre ancestrale, on est dans une tradition comparable. Avec sa brochette de personnages prêtant à sourire, plus ou moins suspects, ce drolatique roman d’enquête nous offre un vrai régal de lecture. Ne boudons pas notre plaisir !

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25 mai 2017 4 25 /05 /mai /2017 04:55

Début 1970, dans une ville portuaire fluviale de Normandie. Âgé de quarante-neuf ans, Paul Récord était directeur d’une société, dont il a été licencié quelques semaines plus tôt au profit d’un responsable plus jeune. Avide de prendre sa revanche suite à cette injustice, il s’est acoquiné avec trois complices afin de préparer un casse magistral. Ce trio d’amis, ce ne sont nullement des truands. Tous ont de bonnes raisons de participer, ce sera le seul acte délictueux de leur vie.

Paul Récord, qui souhaite se relancer professionnellement, se servira de sa part du butin comme mise de fond pour ses futures activités. Norbert Souche, trente-deux ans, est un policier de base dont la carrière n’a pas évolué comme il pouvait l’espérer. S’il en a pris son parti, ce n’est pas le cas de son épouse, qui l’accable de reproches acrimonieux. Une petite fortune la rendrait moins mordante, sans doute. Raphaël Davila, trente-sept ans, est un pied-noir n’ayant jamais trouvé sa place en métropole. Avec sa femme, ils comptent échapper à la grisaille et s’installer en Amérique du Sud avec le pactole qui leur reviendra. Quant à Francis Ballogne, employé de banque de vingt-huit ans, c’est différent. Son épouse et lui sont les parents d’une fillette handicapée mentale, Sylvie. Il est possible de remédier à l’état de leur gamine, mais c’est coûteux. Francis ne peut pas expliquer à sa femme l’opération à laquelle il va se joindre.

Si Paul Récord est le cerveau de cette affaire, le rôle des comparses n’est pas négligeable. Car il faut être sûr des plans de la chambre des coffres à la banque, du système d’alarme, et de l’accès prévu. Pas question de braquage à main armée, ni d’un cambriolage passant par l’immeuble : c’est le sous-sol qui leur permettra d’approcher. Agir clandestinement ne les aidera pas, il est préférable de prévoir un chantier bien visible, avec des ouvriers. Pour ce faire, il suffit de créer une fausse entreprise de bâtiments, et d’engager des salariés en intérim. Dont la première mission sera d’entamer un tunnel de viabilisation du chantier. Ainsi, il ne restera aux quatre complices que quelques mètres à creuser vers la banque.

Récord a même pensé au meilleur moyen de retarder l’inévitable enquête de police. Quant au butin, il n’y aura pas de problème de partage, chacun ayant admis le principe. Au jour-dit, profitant d’un calme week-end dans le quartier, le quatuor se met à l’œuvre. Fatigant, mais particulièrement fructueux. Après le casse, on fait venir de Paris le commissaire Marc Vieljeux, policier chevronné qui ne confond pas vitesse et précipitation. Il admet que les voleurs ont élaboré un plan parfait. Soit ils sont déjà loin, et il serait trop tard pour les coincer ; soit l’enquêteur peut compter sur une erreur, une faiblesse. Car, dans toutes les affaires aussi géniales soient-elle, il ne faut jamais omettre le facteur humain…

Pierre Nemours : Le gang des honnêtes gens (Éd.French Pulp, 2017)

Récord le regarda s’éloigner. Dans le "gang des honnêtes gens", il était le seul véritablement honnête. Il lui vint alors une idée curieuse. [Sa femme] Thérèse, futile, vaporeuse, snob ; Angèle Souche, acariâtre et jalouse ; Raphaël Davila, amoral et cynique, et Marie-Lou sa frivole épouse, ne valaient peut-être pas que l’on risquât tant pour assurer leur bonheur. Mais pour Francis et Gisèle Ballogne, pour la petite Sylvie et l’opération qui allait sans doute faire d’elle une enfant comme les autres, il fallait réussir. Et, à ce moment précis, Paul Récord eut la certitude qu’ils allaient réussir, parce que Ballogne, et sa femme, et sa fille étaient, en quelque sorte, leur justification…

Auteur prolifique, Pierre Nemours (1920-1982) mérite bien mieux que d’être considéré tel un romancier ordinaire du 20e siècle. Excellente initiative que de rééditer “Le gang des honnêtes gens” aux éditions French Pulp, car c’est un des bons exemples de son talent. L’intrigue apparaît classique : une bande projette de cambrioler une banque, profitant d’un tunnel en sous-sol qu’ils creusent jusqu’à la salle des coffres. Notons quand même que ce roman fut publié plusieurs années avant l’affaire du Casse de Nice, par Albert Spaggiari et ses complices. L’opération ne manque pas de suspense, on s’en doute. Mais ce qui fait le principal intérêt de cette histoire, c’est la personnalité et la situation des protagonistes.

En effet, il existe très souvent un contexte sociologique décrit avec soin dans les romans de Pierre Nemours. En cela, il n’est pas si loin du roman noir. Le "cerveau" du gang est un ex-dirigeant d’entreprise presque quinquagénaire mis sur la touche, alors qu’il est – on le constate – capable de mener à bien une pareille opération. Le cas du couple Ballogne est absolument crédible, créant un déséquilibre émotionnel dans la vie de cette famille. Celui du policier Norbert Souche, mésestimé autant dans son métier que par sa femme, s’avère également d’une justesse certaine. Idem pour Raphaël Davila, transplanté de sa terre d’origine, qui ressent le besoin de rebondir ailleurs. Aucun d’eux n’appartient réellement à la catégorie des "perdants", qualificatif trop commode. Tous quatre aspirent à un nouveau départ, et ils ont trouvé la plus rapide manière de financer leurs espoirs.

Ce n’est qu’à quarante pages de la fin, que se présente le commissaire Vieljeux, héros de nombreux romans policiers de Pierre Nemours. Son enquête n’a qu’une importance plutôt relative, afin que la morale soit sauve. L’essentiel, c’est l’habile élaboration du cambriolage et la vie des quatre membres du "gang", ce qui nous est raconté avec une belle souplesse narrative. Voici un très bon moyen de redécouvrir cet auteur et son œuvre.

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24 mai 2017 3 24 /05 /mai /2017 04:55

Le commissaire Placide Boistôt est un policier de l’OENO, l’Office Nationale des Enquêtes Œnologiques, brigade basée à Chinon. Il a pour adjoint Joseph Marnay, garçon qui a bon cœur mais qui se montre parfois gaffeur, surtout quand il entreprend quelque bricolage. Celle que l’on remarque le plus auprès de Boistôt, c’est Wyvine. Totalement décomplexée, cette collaboratrice du policier s’affiche toujours dans des tenues ultra-légères. Ce qui n’est pas sans provoquer le regard des hommes, et la jalousie de nombreuses femmes. Un trio qui s’accorde parfaitement, car ce sont tous trois des "bons vivants", appréciant les vins et la cuisine de terroir. Il s’agit également d’enquêteurs diplomates et psychologues, donc fort efficaces. Mais si une situation se dégrade, ils peuvent s’avérer percutants.

C’est dans le Vaucluse que les entraîne un curieux meurtre. On a retrouvé le cadavre de Bruno Moustiès, vingt-et-un ans, dans un endroit isolé sur les pentes du mont Ventoux. Ce fils d’un couple de viticulteurs aisés a été massacré par son assassin. On peut s’interroger sur l’endroit où le corps a été déposé, près du Mur de la Peste. Récemment réhabilité, ce mur historique constitua une forme de frontière. Toutefois, les habitants de la région ne semblent guère s’intéresser à ce site. Le commissaire Roustagnou, un pur provençal, est chargé de l’affaire. Avec son adjointe, la froide lieutenante Cessidia Guivrini, ils n’ont pas vraiment avancé depuis le crime. Quant aux parents Moustiès, à l’attitude hautaine, ils évoquent bien des rivalités entre viticulteurs, mais apparaissent plutôt insensibles.

La principale piste se situe-t-elle du côté de Faïqa Khafi, la petite amie de Bruno ? La famille marocaine de la jeune femme vit à Carpentras. Le commissaire Boistôt et Wyvine tentent de modérer les tensions de la part des Khafi. Le plus jeune joue au rebelle ; l’aîné tient un garage automobile qui n’est finalement pas si suspect ; les parents sont méfiants, se sachant en position d’accusés. Faïqa témoigne de sa rencontre avec Bruno, lors d’un match de football à Marseille. Coup de foudre dans un contexte houleux, des supporters néo-nazis semant la violence en marge du match. Les policiers rencontrent aussi Brice Chamas et sa sœur Monique, anciens amis de Bruno. Sa relation avec la jeune marocaine est-elle cause de la rupture de leur relation, ou bien est-ce plus idéologique encore ?

Si ses parents sont avides de fortune, Bruno était un jeune homme assez cultivé. Il le devait à M.Arouet, un professeur de français qui l’initia à la lecture d’ouvrages édifiants sur la tolérance. Installés chez la belle quadragénaire Marina, tendre amie de Boistôt, au caractère aimable mais affirmé, le trio d’enquêteurs persévère pour trouver les clés – en partie littéraires – de cette affaire…

Robert Reumont : Le Ventoux pour témoin (Pavillon Noir, 2017)

— Un jour, j’ai demandé à Bruno s’il avait honte de me présenter à ses anciens amis. Ma question l’a embarrassé. Rien qu’à son air triste, j’ai compris pourtant que ce n’était pas cela la raison. Il a réfléchi et a murmuré : "Ce serait plutôt le contraire". Il n’a jamais voulu m’en dire plus. Il a juste répété, très grave : "La dernière phrase…" Bruno, je pense l’avoir déjà dit, cultivait ces petites phrases sibyllines. Il était parfois bizarre, déroutant. Au début, il ne prétendait pas que je monte dans sa chambre, même pour prendre un CD ou un livre. Si j’insistais, il s’énervait, lui qui gardait toujours son calme et était si paisible, si aimable.

Dans la collection Pavillon Noir, la série "In Vino Veritas" de Robert Reumont se compose d’une demie-douzaine de romans. L’ensemble de ces polars met en scène un singulier trio de policiers. Pour la plupart, il s’agit de rééditions. Par exemple, “Le Ventoux pour témoin” est le titre actuel de “La ligne de malédiction”, paru naguère chez un autre éditeur plus confidentiel. Publiées aujourd’hui sous forme de série, et mieux diffusées, ces intrigues se basent sur un esprit épicurien, et mettent en valeur certains aspects du patrimoine de nos régions françaises, le vin et la gastronomie y étant évidemment présents.

Les investigations de Placide Boistôt, Wyvine et Joseph, les amènent sous le soleil de cette Provence "où il fait bon vivre", selon le slogan habituel. Tel le commissaire Roustagnou, on préfère ici la sieste et l’apéro aux contraintes professionnelles. On laisse les interrogatoires et autres recherches historiques aux collègues venus d’ailleurs. On "s’esse-prime avé l’accent chantant" de la région. Toutefois, il est utile de se souvenir que, pour une partie de la population, "le respect de l’autre" n’est pas leur vertu principale, que ceux-là ne cachent guère leur xénophobie. Même s’il ne faut pas généraliser, bien sûr.

La tonalité est à la comédie policière, comme l’indique cette description: “Wyvine en mini-jupe, mini-top, maxi-charme, moi avec mon air débonnaire et ma bouille de joyeux épicurien, nous ne formons pas un duo conforme à l’image que les gens se font de la police.” Ce qui n’interdit pas, vue la nature pacifique et ouverte des héros, de passer un message humaniste. Un polar très sympathique.

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