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10 mai 2017 3 10 /05 /mai /2017 04:55

Pierre Grematz a fait partie des grandes figures de la politique française. Âgé de soixante-six ans, il fut deux fois Président du Conseil sous la 4e République, occupa d’autres postes ministériels, participa aux débuts de la 5e dans un gouvernement gaulliste. Il traversa un long purgatoire, n’étant plus que sénateur pendant quinze ans. Mais son retour dans le jeu politique semblait imminent car, en cette toute fin des années 1970, des fédérateurs ayant des réseaux efficaces tel que lui sont incontournables. Bien qu’appartenant à l’élite, Pierre Grematz se voulait assez ironique et provocateur envers son milieu, la bourgeoisie. Ainsi, il cachait à peine son goût prononcé pour les prostituées. Il semble bien que ce soit l’une d’elles qui l’ait assassiné chez lui, rue Lauriston, lui fracassant le crâne.

En effet, Martine Brunet est une prostituée parisienne qui a accepté l’invitation de Pierre Grematz. Mais elle a seulement été témoin du meurtre de l’ancien Président. C’est un vieux truand corse, Sauveur Sanguetti, et ses sbires qui ont supprimé le politicien. En prenant la fuite, la voiture de Martine a été repérée par le trio de malfaiteurs. Elle a dû provoquer un accrochage afin de s’échapper. Il est plus qu’urgent que la jeune femme se fasse oublier. Elle va trouver refuge chez sa cousine Louise, qui habite avec son mari et sa famille à Mérifontaines, un village de Normandie, dans l’Eure. Toutefois, Sauveur a chargé un de ses comparses de retrouver et d’éliminer Martine, témoin gênant. Débrouillard, ce dernier ne tarde pas à trouver son adresse, et constate qu’elle a filé.

C’est au jeune commissaire Tardier qu’échoit l’enquête sur le meurtre du Président Grematz. Ce policier appartient à une riche famille lyonnaise qui, à toute époque, participa au fonctionnement de la société française. Conscient qu’il s’agit d’une affaire sensible, il garde sa lucidité de limier. Plus âgé que lui, son adjoint Chaumeil est critique envers les politiciens. Le scénario du crime semble sans équivoque : le Président a été tué par cette prostituée qui l’accompagnait. Meurtre improvisé au gré des circonstances, ou alors crime crapuleux ? On est certains que Grematz détenait des archives secrètes, des dossiers très probablement compromettants. Qui peuvent devenir des armes redoutables entre des mains malintentionnées. Sa hiérarchie met un peu la pression sur le commissaire Tardier.

Le policier rencontre Arlette Monestier, depuis trente ans l’assistante de Grematz. Pour elle, le défunt était un homme d’État admirable, exceptionnel, qui avait ses secrets et ne manquait sûrement pas d’ennemis. Que ces adversaires passent à l’acte paraît néanmoins improbable. S’il possédait des dossiers sulfureux, ils doivent se trouver dans le coffre-fort de sa maison de campagne, en Vallée de Chevreuse. De leur côté, les Corses de Sauveur Sanguetti sont toujours sur la piste de Martine. Si jamais ils la retrouvent, elle n’est pas prête à se laisser abattre sans réagir…

Adam Saint-Moore : Le dernier rendez-vous du Président (Fleuve Noir, 1979)

— Le Président était un homme d’un assez remarquable courage physique, dit Arlette Monestier. Il avait fait une guerre très belle, avec blessures et citations. Il s’était évadé de son oflag et il avait travaillé dans la Résistance, en prenant de grands risques. Il avait même un certain mépris du danger. En outre, c’était un homme qui possédait un excellent système nerveux… Rien d’un anxieux ou d’un inquiet… Même aux pires moments de sa carrière – et il y en a eu de difficiles – il gardait son calme et son ironie, et il dormait comme une souche. Mais depuis quelques temps, il était nerveux, il était même soucieux, il donnait l’impression de redouter quelque chose…

De 1956 à 1985, Adam Saint-Moore (1926-2016) publia des dizaines de romans policiers, d’espionnage et d’anticipation, dans les collections du Fleuve Noir. C’est dire qu’en 1979, quand il écrit le présent polar, c’est déjà un auteur chevronné, un pro de l’écriture. Ce que démontre la construction du récit, qui suit parallèlement la prostituée Martine, le caïd corse Sauveur et l’enquête de police. En cette décennie 1970, Adam Saint-Moore remplaça son vieux commissaire Paolini, héritier d’un classicisme façon Maigret, par un jeune flic un peu plus dans l’air du temps, Tardier. Celui-ci était assurément plus crédible quand l’auteur pimentait ses histoires de scènes teintées d’un érotisme léger. Ici, on reste sur des bases plutôt traditionnelles, avec un grand banditisme à l’accent corse.

En ce temps-là, circulait une plaisanterie assez révélatrice. Dans une réunion publique regroupant une foule de gens, un appariteur lance un appel : “Le Président est demandé au téléphone”… et vous avez vingt-cinq personnes qui se lèvent pour y répondre. Ce titre honorifique de Président reste très prisé, mais il avait encore plus de prestige, à l’époque. Le politicien dont il est question est-il typique de cette période ? Sans doute, oui. Mais on peut vérifier que, aujourd’hui comme hier, bon nombre d’entre eux font une longue, une très longue carrière dans les milieux politiques, dans les cercles du pouvoir. Et que la tentation d’un retour au premier plan est toujours forte. Derrière cet aspect, l’intrigue criminelle est ici exploitée avec une belle maîtrise.

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9 mai 2017 2 09 /05 /mai /2017 04:55

Grâce à la télévision, de Georges Descrières à François Dunoyer en passant par Jean-Claude Brialy, et au cinéma, de Robert Lamoureux à Romain Duris, il a continué à séduire à l'écran par sa désinvolture enjouée autant que par son audace : Arsène Lupin ! Un nom qui reste synonyme de cambrioleur assez astucieux pour ne pas se faire arrêter après une grosse affaire. Les médias et le public l'utilisent encore dans ce sens. On lui a consacré maints essais, thèses, articles, pastiches, bandes dessinées, pièces de théâtre. Créées par Maurice Leblanc, ses multiples aventures ont inspiré par la suite d'autres romanciers, tels Boileau-Narcejac. Sans oublier les imitateurs qui, dans le monde entier, inventèrent chacun un “gentleman cambrioleur” devant tout à l'original. C’est au tour de Benoît Abtey et de Pierre Deschodt de nous présenter de nouvelles aventures d’Arsène Lupin, désormais disponibles chez 10-18.

 

Bien qu'il ne soit encore âgé que d'une vingtaine d'années, Lupin fait déjà beaucoup parler de lui dans la France de 1897. Né en 1874, Arsène fut adopté par le comte Perceval de la Marche, et grandit au château de Lillebonne. On l'accusa faussement d'avoir assassiné son protecteur alors qu'il était adolescent, avant de lui-même trouver la mort. Version à laquelle n'a jamais adhéré son amour d'alors, Athéna del Sarto. Le baron Lapérière, bientôt quinquagénaire, est assisté de son fidèle Archembault. Ce notable est un philanthrope finançant désormais l'orphelinat de Lillebonne ; un mécène aussi pour les jeunes artistes, et qui aide les ouvriers dans le besoin. C'est Arsène Lupin qui, habitué à se travestir, joue ce digne rôle. Athéna, qui a vingt-trois ans comme lui, l'a deviné.

Le jeune député Bérenger de la Motte est de ceux promis à une belle carrière au sommet de l’État. Cet arriviste n'est pas avare de discours virulents à la tribune de l'Assemblée. Il prend la défense de l'industriel Martin-Laroche, pourtant bien peu soucieux du malheur qui vient de frapper ses ouvriers. Bérenger de la Motte accuse publiquement Arsène Lupin de tous les maux. Il a encore l'espoir de conquérir le cœur d'Athéna del Sarto, mais celle-ci est prête à suivre Arsène. Jaloux, le jeune député va se venger de son rival Lupin. En le dénonçant au préfet de police Lépine, mais c'est insuffisant. Puisqu'Athéna et Arsène ont rendez-vous au Bazar de la Charité, son complice Gabriel de Saint-Mérande s'en occupe. Athéna figurera parmi les cent trente-deux victimes du célèbre et dramatique incendie.

La presse accusant Arsène Lupin d'être responsable de l'affaire du Bazar de la Charité, il va s'expatrier pendant quelques années en Afrique du Nord. Une organisation secrète belliciste, dirigée depuis Londres, voudrait entre autres influer sur la situation au Maroc. Mais un sultan rebelle protège la région de Taza. En 1907, Lupin reprend contact avec Archembault, dès son retour en métropole. On prétend que l'aventurier est mêlé à une affaire d'espionnage au profit de l'Allemagne, pour laquelle une espionne a été emprisonnée. Clemenceau, devenu l'homme fort de la politique française, n'a jamais vu en Lupin un ennemi de la nation. Il réclame que soit éclairci ce dossier. L'intègre commissaire Letellier est un éminent enquêteur, en qui Clemenceau a confiance…

Benoît Abtey & Pierre Deschodt : Arsène Lupin – Les héritiers (Éd.10-18, 2017)

La réputation de l’illustre cambrioleur, devenu soudain ennemi public numéro Un, n’était plus à faire. On connaissait son goût pour le travestissement, on le savait maître dans l’art de la métamorphose. Combien d’identités successives avait-il endossées jadis aux heures de sa bonne fortune, de sa gloire montante, quand il fascinait encore par son audace, son brio et sa superbe ? […]
Hélas, se disait-on encore, ce géant devenu tyran ne s’était-il pas pris au jeu de sa puissance ? Constatant avec lucidité que rien ni personne ne l’égalait, n’avait-il pas succombé au démon de l’orgueil ? Après avoir croisé le fer jadis contre l’excellence britannique, à travers cette lutte qui l’opposa à l’intelligence déductive d’un Sherlock Holmes, n’avait-il pas poussé trop loin ses caprices, sa volonté de défier le monde et ses lois ? En somme, l’épisode sinistre, l’hécatombe du Bazar de la Charité, n’avait-il pas été sa première défaite, sa première honte, sa Bérézina, la fin de ses triomphes éclatants, sa première chute précédant son exil en terre inconnue ?

Archétype du héros rusé et généreux, de l'aventurier surmontant toutes les épreuves avec courage et habileté, Arsène Lupin appartient au patrimoine culturel et littéraire universel. Les auteurs redonnant vie à ce héros doivent aussi fidèles que possible à l'esprit d'origine. Il est probable que chaque lecteur ait, comme pour Sherlock Holmes, Hercule Poirot ou le commissaire Maigret, sa propre image d'Arsène Lupin. Physiquement, on peut l'associer à tel ou tel comédien. Surtout, ce sont les péripéties mystérieuses et rocambolesques qui plaisent autour d'un personnage comme lui.

Qu'il se fasse arrêter ou qu'on cherche à l'éliminer, qu'il se dissimule sous diverses identités ou des faciès variés, qu'il voyage ou s'installe dans un autre pays, rien n'est impossible puisqu'il s'agit d'Arsène Lupin. Même s'il est démasqué et pourchassé, accusé de crimes qu'il n'a pas commis lui qui ne tue pas, il est capable de s'adapter à toutes les situations, puisqu'il est Lupin. Ici il ne craint pas de rencontrer le général Lyautey et Clemenceau, n'est-il pas l'unique Arsène Lupin ?

Bien sûr, de belles jeunes femmes interviennent dans cette histoire, car notre héros est un séducteur. Notons encore un sympathique clin d'œil : un des protagonistes se présente sous le nom de Marius Jacob. Les initiés le savent, Maurice Leblanc se serait inspiré de cet authentique cambrioleur facétieux pour inventer son héros. Arsène Lupin est de retour : il ne reste plus aux lecteurs qu'à le suivre dans ses aventures mouvementées, énigmatiques et respectueuses de la tradition du roman populaire d'autrefois.

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8 mai 2017 1 08 /05 /mai /2017 04:55

Au départ de New York, la Castle Lines organise la croisière inaugurale du paquebot Queen Charlotte. Un voyage de cinq jours va transporter les passagers jusqu’à Southampton, en Grande-Bretagne. La riche clientèle bénéficiera de cabines d’un grand luxe, d’une ambiance raffinée et de conférences passionnantes. Parmi ces passagers, on trouve le vieux couple aisé Willy et Alvirah, peu coutumiers des dépenses fastueuses, mais aussi Anna DeMille qui a gagné cette croisière grâce à une tombola locale. Il y a également l’avocat Ted Cavanaugh, présent pour une mission précise, et le professeur Longworth, un retraité, conférencier expert sur Shakespeare. Ainsi que Célia Kilbride, gemmologue âgée de vingt-huit ans, qui fera des conférences sur sa spécialité, les pierres précieuses.

Malgré le charme du voyage, Célia est vivement contrariée. Son ex-fiancé Steven s’est révélé un escroc, qui a détourné les placements financiers de Célia et de ses amis. S’il a été arrêté, ça risque de continuer à nuire à la réputation de la jeune femme, employée par un grand joaillier new-yorkais. Par son avocat, Célia apprend que Steven va vite contre-attaquer en l’accusant d’être sa complice. Dès son retour aux États-Unis, elle sera obligée de témoigner auprès du FBI. Heureusement à bord, elle rencontre des personnes qui lui remontent le moral. Par exemple Alvirah et Willy, Anna et un certain Devon Michaelson, veuf depuis peu. Sans oublier celle qui apparaît la plus fortunée des passagers de cette croisière inaugurale : lady Emily Haywood, quatre-vingt-six ans.

Lady Em ne voyage pas seule. Elle est assistée par sa dame de compagnie, à ses côtés depuis vingt ans, la sexagénaire Brenda Martin : une femme imposante, pas corpulente mais musclée, aux cheveux cours et grisonnants. Roger Pearson et son épouse Yvette font également partie de l’entourage de lady Em. Roger est le comptable qui gère depuis des années l’argent de la vieille dame. Sans doute ne serait-il pas inutile d’effectuer un audit sur les comptes de Lady Em. Yvette semble moins inquiète sur l’avenir que Roger. Si la vieille dame possède beaucoup de bijoux, l’un n’a pas de prix : le collier de Cléopâtre. Elle l’a pris avec elle cette fois, avant de le céder à une institution. Ted Cavanaugh est là pour tenter de la convaincre de rendre ce joyau à son pays d’origine, l’Égypte.

Lady Emily n’ignore pas la malédiction liée au collier : “Quiconque emportera ce collier en mer ne regagnera jamais le rivage”. Mais elle est trop âgée pour s’arrêter à ces sornettes. Pour le commandant Fairfax et pour Gregory Morrison, propriétaire du navire, l’essentiel est qu’aucun incident ne vienne troubler la traversée jusqu’à Southampton. Quand un des passagers tombe involontairement ou pas dans l’océan, on continue le voyage. Sa veuve est-elle aussi choquée qu’elle l’affiche ? Au matin du quatrième jour, le cadavre de lady Em est découvert dans sa cabine. Malgré la consigne de silence imposée à ceux qui sont au courant, l’affaire est bientôt diffusée sur les sites internet d’information. Et ce ne sont pas les coupables potentiels qui manquent…

Mary Higgins Clark : Noir comme la mer (Albin Michel, 2017)

Elle se sentait soudain exténuée. J’ai l’impression que je vais enfin pouvoir dormir, se dit-elle en s’assoupissant. Environ trois heures plus tard, elle fut brusquement réveillée par la sensation d’une présence dans sa chambre. Dans le clair de lune, une silhouette s’avançait vers son lit. "Qui êtes-vous ? Sortez !" cria-t-elle avant de sentir quelque chose de doux s’abattre sur elle et lui couvrir le visage. "Je ne peux pas respirer, j’étouffe…" tenta-t-elle de protester. Elle essaya désespérement de repousser le poids qui la suffoquait, mais elle n’en eut pas la force. Alors qu’elle perdait conscience, son ultime pensée fut que la malédiction du collier de Cléopâtre s’était finalement accomplie.

Parmi les "unités de lieu" en mouvement, le train a souvent servi aux auteurs de romans à suspense, mais un navire permet autant de présenter un monde clos. En témoignent, pour n’en citer que deux, “Mort sur le Nil” d’Agatha Christie ou “Visages de rechange” d’Erle Stanley Gardner (dans la série Perry Mason). C’est donc avec un classicisme parfait que Mary Higgins Clark – romancière chevronnée, s’il en est – nous invite ici à suivre cette croisière, sur un paquebot encore plus luxueux que le Titanic. Pas vraiment un épisode de "La croisière s’amuse", car le crime et la mort rôdent à bord du bateau. L’inestimable collier de lady Emily Haywood attire des convoitises. Encore que l’assassin venu voler l’objet soit arrivé trop tard ! L’intrigue évoque bien d’autres méfaits, en parallèle du meurtre.

Probablement Mary Higgins Clark est-elle un peu trop optimiste sur la survie dans l’océan Atlantique pour quelqu’un tombé à l’eau de dix-huit mètres de hauteur. Ainsi va la fiction, avec certaines conventions, donc nous accepterons cette version des faits. Pour le reste, l’auteure connaît sans doute fort bien les milieux huppés qu’elle décrit. Les protagonistes sont ainsi absolument crédibles. Quant à la construction du récit, par des chapitres courts sur six journées, on peut compter sur l’expérience incontestable de la romancière. Il ne nous reste plus qu’à traquer le ou les coupables, dans cette histoire de bon aloi.

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7 mai 2017 7 07 /05 /mai /2017 04:55

Né en 1936, le matelot de première classe Ordo Tupikos est en poste à New London, dans le Connecticut, à l’automne 1974. Il lui reste encore deux ans à tirer dans la Marine, avant de prendre sa retraite à quarante ans. Ses deux mariages, en 1958 et en 1960, ont été des échecs. Il est aujourd’hui le compagnon de Fran, une divorcée. Un jour, ses collègues repèrent dans un journal une photographie où figure Ordo. Elle date de sa première union, avec Estelle Anlic, originaire du Nebraska. Cette jeune fille se prétendait majeure, alors qu’elle n’avait que seize ans. Ce qu’Ordo ne pouvait soupçonner. La mère d’Estelle, une personne odieuse, intervint afin d’annuler leur mariage, et fit placer sa fille dans un foyer. Par la suite, Ordo n’eut plus jamais de nouvelle d’elle, se remaria, divorça.

Cette photo illustre un article consacré à l’actrice Dawn Devayne, retraçant sa carrière d’icône sexy du cinéma. Ordo l’a vue dans des films, mais n’a noté aucune ressemblance avec Estelle. Ce n’est pas uniquement qu’Estelle était brune tandis que Dawn est blonde. Dawn aurait-elle payé pour emprunter la biographie d’Estelle, afin de masquer son passé ? En seize ans, a-t-elle pu changer au point d’être méconnaissable ? Ayant obtenu une longue permission, Ordo passe par New York, où il revoit un film avec Dawn Devayne. Pas de point commun, ça se confirme. Pour en avoir le cœur net, Ordo prend l’avion jusqu’à Los Angeles. Bien qu’il ne connaisse rien à ces milieux, il se débrouille pour entrer en contact avec l’agent artistique de l’actrice, Byron Cartwright.

Dawn Devayne est absente en journée pour cause de tournage en extérieur, mais Byron Cartwright reçoit chaleureusement Ordo. Avec cordialité, l’agent l’appelle “Orry”, surnom que lui donnait Estelle et qui est encore utilisé par ses amis à lui. Il assure que l’actrice sera très heureuse de le revoir. D’ailleurs, elle invite Ordo à séjourner dès à présent dans sa maison de Bel Air, luxueuse propriété avec piscine. Sur place, le marin est pris en main par le domestique Wang, efficace régisseur de la maisonnée. Le soir, Dawn Devayne est de retour chez elle, accompagnée d’une bande d’amis évoluant dans le cinéma. Se laissant entraîner par le tourbillon de la vie de l’actrice, Ordo apprécie ces chaudes retrouvailles. Pourtant, Estelle n’a-t-elle pas définitivement disparu ?

Donald Westlake : Ordo (Éd.Rivages/noir, 2017)

Ce film avait été fait en 1967, donc neuf ans seulement après mon mariage avec Estelle, alors j’aurais dû pouvoir la reconnaître, mais vraiment elle n’était pas là. Je regardai cette femme sur l’écran, encore et encore et encore, et la seule personne qu’elle me rappelait c’était Dawn Devayne. Je veux dire, au temps où je ne savais pas qui elle était. Mais il n’y avait rien d’Estelle. Ni la voix, ni la démarche, ni le sourire, ni rien.
Mais sexy. J’ai vu ce que voulait dire l’auteur de l’article, parce que si on regardait Dawn Devayne on pensait immédiatement qu’elle serait fantastique au lit. Et puis on se disait qu’elle serait aussi fantastique autrement, pour parler ou faire un voyage, ou n’importe. Et puis on se rendait compte que comme elle était tellement fantastique en tout, elle ne pouvait choisir qu’un type fantastique en tout, donc pas vous, donc on l’idolâtrait automatiquement. Je veux dire, on la voulait sans penser une seconde qu’on pourrait jamais l’avoir…

Beaucoup de gens ont connu cette expérience : retrouver quinze à vingt ans plus tard un ami ou un proche perdu de vue. Autrefois, on avait de fortes affinités. Si le temps s’est écoulé, on ne l’a jamais oublié. Chacun a mûri, évolué vers d’autres directions. On est conscient d’avoir changé, physiquement et mentalement. Parfois, l’un ou l’autre aura renié des pans entiers de son passé, tourné définitivement ces pages. Tout le monde n’accumule pas des images d’antan, n’encombre pas sa mémoire de souvenirs. Rien d’anormal, ainsi va la vie. On ne côtoie pas pour toujours les mêmes personnes, les mêmes milieux. Observer une nette distance envers hier, ça se conçoit.

Mais il y a aussi d’anciens proches qui, à tous points de vue, sont carrément aux antipodes de ce qu’ils furent. Tel le quelconque devenu remarquable, le tolérant devenu sectaire. La différence peut apparaître tranchée, voire brutale. Renouer est alors hasardeux, inutile, improbable, même si peuvent exister des exceptions. Voilà ce que nous raconte Donald Westlake dans ce roman court, non criminel. C’est l’histoire d’un type ordinaire, stable, pas compliqué. Il faut un sacré talent pour restituer cette simplicité de caractère. Il est plus facile de décrire un héros au passif chargé, tumultueux.

L’époque n’est pas choisie sans raison non plus. Écrite et publiée en 1986, au catalogue Rivages/noir depuis 1995, l’intrigue évoque la période 1958/1974. Tant de changements s’opérèrent dans la société pendant ces années-là. Concernant les actrices de cinéma, on était passé des grandes séductrices au charme vénéneux, à des jolies femmes sexy plus affriolantes mais moins distinguées. Rééditer “Ordo” est une excellente initiative. Car lire ou relire Donald Westlake, le découvrir peut-être, c’est l’assurance de ne jamais être déçu.

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6 mai 2017 6 06 /05 /mai /2017 04:55

Gérard Dumaurier est un des seuls qui puisse témoigner. Peut-être est-il l’unique survivant adulte dans toute la France, et même en Europe. Il glisse vers la folie, ce qu’il ne nie pas. Avant l’événement, Dumaurier était précepteur pour deux frères ayant un père très riche. Une activité pas trop fatigante, c’est ce qui lui correspondait. Même si le rythme du monde ne le passionnait que fort peu, il suivit de loin les prémices du conflit à venir. Ça se situait en Extrême-Orient, pour l’essentiel. Les pays concernés aurait pu simplement se battre entre eux, mais c’était sans compter sur l’engrenage des alliances, des ententes liant les nations. Et puis, n’avions-nous pas des intérêts à défendre du côté de l’Indochine ?

Chez nous, on lança des appels solennels au patriotisme, à la mobilisation guerrière. Quant aux pacifistes, on les extermina comme si c’étaient eux les fautifs. L’esprit humain est toujours inventif lorsqu’il s’agit de créer de nouvelles armes, dans le but d’alimenter massivement le bilan des victimes. Cette fois, le carnage international fut issu du cerveau diabolique d’un scientifique. Son gaz hilarant n’avait rien d’inoffensif. On le répandit partout sur la planète, dans le ciel des cinq continents. S’il restait des survivants, ils étaient isolés, çà et là, sans moyen de savoir ce qui se passait ailleurs.

C’est le hasard qui permit à Dumaurier de s’en sortir vivant. Il accompagnait les garçons dont il avait la charge dans un préventorium de Lozère. Le jour J, une excursion était programmée pour un groupe de gamins dans les grottes de la région. Il les accompagna, bien qu’il n’appréciât que modérément la marmaille. Tandis qu’ils se trouvaient à l’abri dans une grotte, on put croire qu’un orage s’abattait sur la région. Un bombardement de gaz hautement toxique, voilà ce dont il s’agissait. Constatant ce qui arrivait à leur guide, Dumaurier réalisa vite la gravité de la situation. Sous terre, ils étaient sûrement protégés, mais il fallait commencer par dénicher un point d’eau afin de gagner du temps.

Le petit groupe d’enfants ne tarda pas à trouver ses marques. Ils s’attribuèrent de drôles de sobriquets, remplaçant leurs noms d’origine. Ils adoptèrent des codes nouveaux, et un langage particulier, quasiment sans le moindre rapport avec leur vie passée. Ça ne surprit qu’à demi Dumaurier, mais ces changements de repères pouvaient s’avérer inquiétants. Le groupe imagina une prière-incantation, qui n’avait de sens que pour eux. Leur territoire étant revenu à l’état sauvage, ces mômes se comportaient en primitifs. Y compris dans la domination de l’autre : “Ces petits d’hommes sont des loups. Ils ont désappris de pleurer, puisqu’il n’y a plus personne pour calmer leur peur.” Néanmoins, puisqu’il n’y a plus rien sur Terre, ces quelques enfants sont l’avenir…

Régis Messac : Quinzinzinzili (Éd.La Table Ronde, 2017)

Ces moutards, je m’en suis désintéressé longtemps, me contentant de satisfaire comme je pouvais, péniblement, aux besoins de ma vie animale et, pour le reste, ruminant interminablement mon désespoir.
Je ne m’étais même pas préoccupé de savoir combien ils étaient, ni leur âge, ni leur nom. Quand je dus m’en occuper de plus en plus souvent, par nécessité, par la force des choses, leur groupe s’était déjà tassé, et une espèce de société s’était déjà formée. Il y a là maintenant, à côté de moi, une petite tribu de sauvages qui m’est étrangère, presque hostile. Ils me tueront sans doute, un de ces jours. Pour le moment, je suis encore le plus fort. Aucun d’eux n’est encore vraiment adulte.
En attendant, dans ce monde dément qui m’entoure, je me suis mis à étudier ces dégénérés comme on étudierait une colonie de fourmis. Vraiment, ce ne sont plus des hommes, ni des fils d’hommes. Pour tâcher de les comprendre, il me faut faire un effort, un effort considérable…

Il n’est pas rare que soient évoqués ici Régis Messac (1893-1945) et son univers, via la revue “Quinzinzinzili” publiée par l’association lui rendant hommage, la Société des Amis de Régis Messac. Ce trimestriel doit son nom au roman de l’auteur, “Quinzinzinzili”, paru en 1935. Excellente initiative que de rééditer ce livre dans la collection La Petite Vermillon. La préface d’Éric Dussert permet aux lecteurs de situer ce romancier, qui chroniqua bon nombre de fictions de son époque, et qui rédigea des articles sur cette période troublée de l’entre-deux-guerres. Messac n’était nullement devin : comme la plupart des pacifistes, il pressentait l’aggravation entraînant un nouveau conflit mondial.

Une intrigue post-apocalyptique, traitant de la contre-utopie, d’un "après" moins radieux que jamais ? Ce sont les formules convenant le mieux à ce roman, oui. Revenir à un Éden comme au temps d’Adam et Eve ne garantit pas un futur paradisiaque. Repartir de zéro, sans mémoire, c’est fatalement commettre de multiples erreurs, les mêmes que les précédentes générations, peut-être pires. C’est ce que nous suggère Régis Messac. Ce thème sera plus tard exploité par quantité d’auteurs de science-fiction.

Ce qui fait la force de cette histoire, c’est son écriture, sa tonalité teintée d’amertume. Le narrateur n’est pas fou, ainsi qu’il l’affirme, c’est un témoin désabusé. Il a dépassé le stade de l’angoisse, de la pure survie. Il n’appartient pas à cette nouvelle expérience qui débute après le cataclysme. Pour son ambiance singulière, “Quinzinzinzili” est évidemment un roman à redécouvrir.

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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 04:55

Automne 1952. Âgé de trente-cinq ans, Mark Harris était un brillant avocat californien. Il était marié à Maria, sœur du caïd mafieux Cass Angelo. Sa femme lui demandait d’arrêter de couvrir des affaires douteuses, en particulier celles de son frère. D’autant que cette situation était responsable d’un alcoolisme de plus en plus addictif chez Mark. Celui-ci était toujours très épris de Maria, mais il fut responsable de sa mort. Quand la voiture de Mark tomba du haut d’une falaise du côté de San Chino, la police locale estima qu’il ne pouvait avoir survécu à l’accident. Par contre, tant qu’on n’aurait pas retrouvé son cadavre, Cass Angelo ne se contenterait pas de cette version. Il ferait tout pour venger sa sœur.

Cinq semaines ont passé depuis la disparition de Mark. C’est dans un asile pour clochards de Chicago qu’il reprend finalement ses esprits. Tout ce qui s’est produit entre-temps reste flou dans sa mémoire, bloquée par l’éthylisme. Il s’est énormément alcoolisé durant cette période, et n’a quasiment plus d’argent. Sans doute apparaît-il différent de ses congénères d’infortune, car Mark est bien vite remarqué par la riche et bienveillante Mme Hill. C’est une jeune blonde de vingt-neuf ans, assistée par sa domestique Adèle, venant en aide aux clochards. Brièvement mariée à un concessionnaire vendeur de voiture qui était largement son aîné, May Hill est veuve depuis dix ans, et héritière des biens du défunt.

Quand elle interroge Mark, il se fait passer pour un certain Phillip Thomas, ancien expert-comptable originaire d’Atlanta. Un homme qui a réellement existé et qui connu beaucoup de déboires. May Hill fera vérifier ces informations par une agence spécialisée. Elle engage Mark en tant que chauffeur. Il sera logé dans la belle demeure où May vit recluse depuis dix ans. Les fenêtres sont closes par des planches, mais l’intérieur est très confortable. Il y a des bruits nocturnes comme dans toute vieille maison, rien d’inquiétant. Si May Hill est attirée par Mark, elle semble encore hésitante. Lui se renseigne sur les circonstances de la mort de Harry Hill, une décennie plus tôt. Il s’agissait d’un meurtre.

À une époque, May fréquenta Link Morgan, un gangster. Il disparut sitôt après qu’il eût assassiné l’époux de la jeune femme. Heureusement, ce crime ne causa pas d’ennuis à May. Si Morgan était impliqué dans un casse, seuls quelques-uns de ses complices finirent en prison. Devenue intime avec Mark, le jeune femme a maintenant envie de retrouver la joie de vivre. May propose le mariage à Mark, avant que tous deux partent en voyage à Rio-de-Janeiro, avec une étape à La Havane. Un bon moyen pour Mark de s’éloigner du danger représenté par Cass Angelo. Pour cela, il a besoin d’un passeport au nom de Phillip Thomas. Il fait en sorte d’obtenir des papiers d’identité authentiques. Certains mariages peuvent réserver de mauvaises surprises…

Day Keene : Vive le marié ! (Série Noire, 1955)

Je retournai au garage et ramassai une longue corde que j’avais vue traîner sur l’établi. J’essayai de la casser avec les mains, sans y parvenir. Elle était relativement neuve. Ce fut plus difficile de trouver un poids pour lester le cadavre. J’hésitai entre deux pavés poussiéreux d’une quinzaine de kilos et une vieille roue d’acier qui semblait provenir d’une Daimler. Je choisis finalement les pavés. Je les mis dans la malle arrière avec la corde et Martin. J’étais en train de refermer, quand la porte s’ouvrit et May descendit les marches. Si elle avait peur, ça ne se voyait pas. Ses hauts talons sonnaient sec sur la pierre. Elle portait un long manteau de vison et une élégante toque de vison, assortie. Le froid avivait le rose de ses joues. Sa respiration, qui se condensait en petites bouffées de vapeur, était précipitée…

De 1949 à 1964, Day Keene (1904-1969) fut un des piliers de la Série Noire, avec environ trente-cinq titres publiés (dont quatre initialement parus chez Denoël, en 1952-53). Dans bon nombre de ses livres, le héros est un quidam devant démontrer son innocence. Sur une trame différente, “Vive le marié !” n’est pas moins représentatif de sa conception des intrigues. D’emblée, le "vécu" du héros est sombre et compliqué. Il est dans la dèche, après une affaire criminelle qui l’a contraint à fuir sa vie aisée. La chance va tourner en sa faveur, grâce à la rencontre avec May Hill. Et à leur coup de foudre mutuel. Mais une menace est toujours présente. Et il doit mentir à sa bien-aimée pour pouvoir reconstruire sa vie. Échappe-t-on à son destin ? Dans ce type de romans noirs, c’est très rare.

Il est intéressant de noter que cette histoire est située dans son époque, faisant référence par exemple à Pearl Harbor, dix ans auparavant. Ou évoquant le mafieux Frank Nitti, un des successeurs d’Al Capone. On est donc dans l’Amérique de ce temps-là. On ne peut que partager l’opinion du "Dictionnaire des Littératures Policières" de Claude Mesplède : “Le décor est réaliste, sans plus. L’action, le suspense et les coups de théâtre sont privilégiés et font de tous ces romans d’excellents divertissements.” En effet, c’est ici un roman sans temps mort, parfaitement construit, d’une fluidité idéale. Il a été adapté au cinéma par René Clément en 1964 sous le titre “Les félins”, avec Alain Delon, Jane Fonda, Lola Albright, Sorrel Booke (Boss Hogg, dans "Shérif, fais-moi peur"). Ce film fut exploité aux États-Unis sous le titre original du roman, “Joy house”. Un bel exemple de la Série Noire traditionnelle.

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4 mai 2017 4 04 /05 /mai /2017 04:55

Installé dans la ville de Durant, Walt Longmire est le shérif du comté d'Absaroka, dans le Wyoming, non loin des Bighorn Mountains. Veuf depuis quelques années, il est intime avec son adjointe Victoria Moretti. Il peut toujours compter sur son ami Henry Standing Bear, un authentique Cheyenne. Ce n’est pas d’un grand criminel dont Walt doit se charger, ces derniers temps. Le jeune Cord, quinze ans, a l’air d’un adolescent fugueur. Depuis trois semaines, il s’était trouvé un abri auprès de chez la vénérable Barbara Thomas. D’où vient donc ce môme ? Il semble avoir appartenu à l’Église apostolique de l’Agneau de Dieu, dont il a été banni. Il s’agit d’une secte de dissidents mormons, pratiquant la polygamie, vivant selon les préceptes d’origine. Une façon illégale de masquer des mœurs discutables.

Cette secte fondamentaliste mormone est basée à la fois sur le comté de Walt, ainsi que sur un autre, dans le Dakota du Sud. Le shérif local Tim Berg a essuyé leur hostilité. Sarah Tisdale s’était adressé à lui, avant de disparaître. Elle recherchait son fils Cord. Walt se rend au village de Short Drop, où Eleanor Tisdale est commerçante. C’est la grand-mère de Cord, la mère de Sarah. Elle est sans nouvelles de sa fille depuis dix-sept ans. Le shérif fait bientôt la connaissance de Roy Lynear, qui possède cinq mille hectare de terrains sur son comté. Il est assisté par Tomas Bidarte, un Mexicain que Walt devine dangereux sous ses airs de poète. Lynear est de la même famille que les mormons polygames qui se sont établis dans le Dakota du Sud. Sans doute appartient-il à la secte en question.

Il s’avère que le jeune Cord n’a jamais vu ni télévision, ni aucun film. “Mon amie Flicka” le passionne démesurément. Un vieux bonhomme s’est récemment lié de sympathie avec Cord. Celui-ci prétend s’appeler Orrin Porter Rockwell. C’est le nom d’un personnage de la mythologie mormone, sbire criminel des pionniers de cette religion. Il est censé être mort voilà bien longtemps, car il aurait aujourd’hui deux cent ans. Dans le Dakota du Sud, Walt avec ses amis Henry et Vic vont rencontrer un autre vieillard aussi excentrique. Ce Vann Ross n’est autre que l’aïeul de Roy Lynear. Le trio du comté d'Absaroka va surtout avoir un premier contact avec l’Église apostolique de l’Agneau de Dieu. Il s’agit de quatre jeunes de la secte, que le shérif ne tarde pas à désarmer, avant que deux adultes interviennent.

Tandis que l’évêque mormon de Durant est incapable de se prononcer sur le cas de Orrin Porter Rockwell, Walt conduit Cord chez sa grand-mère Eleanor, qu’il ne connaissait pas. Quand le shérif croise Big Wanda, elle se prétend l’épouse de Roy Lynear. Derrière elle, Walt entame la course-poursuite la plus lente de sa carrière. Dans son ranch, Lynear donne une version plus exacte : Wanda est la mère de Tomas Bidarte, ils sont issus d’une famille ayant traversé de gros problèmes au Mexique. Sous couvert de secte pacifique, se cachent des activités illicites. Ce qui ne sera pas sans conséquence pour deux adjoints du shérif, Double Tough et Chuck Frymire. Cherchant toujours Sarah Tisdale, Walt aimerait également définir la véritable identité d’Orrin Porter Rockwell…

Craig Johnson : La dent du serpent (Éd.Gallmeister, 2017)

Walt, mes grands-parents sont venus à la sale époque des années 1930, quand c’était vraiment dur de survivre. J’ai regardé les photos, j’ai entendu les histoires, mais je n’ai jamais rien vu de comparable. Tu lis des articles dans les journaux, mais quand tu vois ça de tes propres yeux, ça n’a rien à voir. Les gens là-haut vivent dans des cabanes – les femmes, les enfants… Des filles de treize ans mariées à des gars de cinquante ans, enfin je veux dire, pas mariés dans le sens légal du terme, voilà comment ils essaient de faire passer leurs histoires d’allocations. Ils marient ces filles à ces hommes, les unissent, comme ils disent, au cours de cérémonies privées.
Il y eut un nouveau silence, et quand il reprit la parole, sa voix était un peu étranglée.
— J’ai vu cette petite fille… Quelque chose clochait en elle, une anomalie congénitale. La gamine s’approche de moi, et… Bref, on est en train de démonter les tuyaux d’irrigation qui ont été installés depuis la rivière, et elle tire sur ma jambe de pantalon. Elle veut savoir pourquoi on leur enlève l’eau, parce qu’ils ne pourront plus donner à boire aux vaches qu’ils vont traire pour vendre le lait et gagner assez d’argent pour manger. Je me suis accroupi, j’ai pris sa petite main dans la mienne, et Walt… elle n’avait pas d’ongles…

Quantité d’Églises ont une existence absolument légale aux États-Unis. Pour la plupart des Américains, elles ont un fonctionnement souvent déroutant, mais pas condamnable. Elles ne sont pas en conflit avec les autorités, bien que vivant à l’écart du monde actuel. Parmi elles, on trouve des sectes fondamentalistes mormones. Parfois, ce sont des gens ayant pour principal but de légitimer leur polygamie, de former des clans où femmes et enfants sont au service des hommes adultes. Ces groupes n’observent aucun respect de la Loi, se disant persécutés et trop pauvres pour acquitter des impôts. Ce qui masque divers trafics et peut-être, comme on le verra ici, des projets illégaux d’une ampleur importante.

Toutefois, la population n’oublie pas le dramatique "siège de Waco", au Texas en 1993, un des événements les plus terribles de l'histoire américaine. L’assaut final contre la secte dirigée par David Koresh, les Davidiens, causa quatre-vingt-deux morts. L’opinion publique reste encore mitigée sur cette affaire, oscillant entre tolérance et répression envers ces groupes religieux. Force est de constater que le conditionnement des esprits y règne. Le film “Mon amie Flicka” (1943), d’après le célèbre roman de Mary O’Hara, permet ici au jeune Cord, évincé de la secte où toute forme de culture paraît proscrite, d’ouvrir quelque peu les yeux sur le monde.

Pour la dixième fois, on retrouve avec un grand plaisir le shérif Walt Longmire, ainsi que ses amis et collaborateurs. Outre l’hommage aux décors du Wyoming, Craig Johnson nous présente une poignée de personnages originaux, tels Orrin Porter Rockwell et Vann Ross. Ils sont si crédibles, que l’on n’est pas loin de penser qu’il s’inspire d’individus réels. Une belle part d’humour émaille donc le récit, pour notre plus vif plaisir. Mais si certains protagonistes sont caricaturaux à souhaits, d’autres sont de vrais criminels, des durs qui ne font pas de cadeau à Walt et à son équipe. Ni à quiconque s’oppose à eux, bien sûr. Entraînante, harmonieuse entre sourires et drames, l’intrigue s’inscrit dans une ambiance où se dessine un noirceur certaine. Encore un excellent roman dans cette série de qualité.

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2 mai 2017 2 02 /05 /mai /2017 04:55

Romina Wagner n’a pas encore quarante ans. Mariée à Greg, elle vit à Paris, de nos jours. Étant enfant, elle a fui la Roumanie de Nicolae Ceaușescu avec sa mère Anna Pavelescu. Resté là-bas, le père de Romina ne vécut pas très longtemps après leur exil. En France, sa mère ne se montra jamais très liante, cultivant une certaine paranoïa autour d’elles. De son côté, Romina a souvent fait l’objet de rumeurs absurdes. Ce qui la perturbe encore, à tel point qu’elle consulte le psy Moïni. Il s’agit d’un Iranien expatrié, habitant le quartier de la Butte-aux-Cailles. Ni meilleures, ni pires que celles de ses confrères, ses méthodes permettent à Romina d’exprimer son mal-être. D’autant que, depuis quelques temps, elle ne se sent plus à l’aise dans la société qui l’emploie, en Recherche et Développement.

Romina et Greg Wagner travaillent pour Microreva, entreprise spécialisée dans la haute technologie. Ils conçoivent des appareils de vision destinés au marché médical, mais peut-être également à but militaire. Le siège se trouve dans le 13e arrondissement parisien ; ils ont aussi des sites à Toulouse et Caen. C’est aujourd’hui Adrien Marcker qui dirige cette entreprise fondée par son père. Il a fait une priorité de la sécurité de leurs recherches, la concurrence étant vive dans ce domaine. Au sein de la société, existe de fortes rivalités entre les chercheurs. Romina pense que les brillants scientifiques Nicolas Daviel ou Jeanne Vigarelli seraient capables de nuire à ses propres travaux. À moins que ce soit juste, de nouveau, une impression paranoïaque de la part de Romina.

Par le passé, Romina pouvait s’appuyer sur son amie Pénélope Giraud, même si elle avait un peu de mal à cerner Charlène Giraud, la mère de celle-ci. Mais Pénélope est partie tenir une herboristerie en Normandie. Néanmoins, elles restent tant soit peu en contact. Tandis que Romina s’interroge sur une possible infidélité de son mari Greg, un cas d’espionnage industriel se fait jour chez Microreva, au profit de l’Iran. C’est Jeanne Vigarelli qui est la première visée par les soupçons. Bien qu’aucune preuve concrète ne les rendent suspects, le couple Wagner est mis sur la touche par Adrien Marcker. Certes, Romina est en relation avec Hiram Danesh, un Américain d’origine iranienne. Ce qui ne prouve nullement qu’il pratique l’espionnage. Par contre, il n’est pas impossible que ce soit un escroc.

On retrouve bientôt le cadavre de Jeanne, que l’on croyait en fuite à l’étranger. Embêtant pour Romina et Greg Wagner, mais ils peuvent compter sur le directeur de la sécurité de Microreva pour les aider à se disculper. Dans l’ombre, deux personnes observent Romina, suivant les récents événements. Il y a le nommé Parviz, un agent secret qui fréquente lui aussi le cabinet du psy Moïni. Et Florence Nakash, membre de la DGSE. Elle possède un discret contact au sein de Microreva, la renseignant ponctuellement. Sachant que des fuites sur leurs recherches ont été diffusées via internet, Florence doit creuser davantage. Parviz et elle vont interroger le fameux Danesh, dont la version sur le meurtre de Jeanne reste une hypothèse plausible. Romina espère échapper à sa malédiction paranoïaque…

Naïri Nahapétian : Jadis, Romina Wagner (Éd.l’Aube noire, 2017)

Mais l’expression abattue de Greg au moment où elle avait quitté leur appartement lui revint en mémoire. La tristesse inscrite dans ses yeux lui fut soudain insupportable. Sa colère s’envola. Et elle lui envoya un SMS pour lui proposer de le voir le lendemain.
Et s’il ne mentait pas ? Et si la fameuse rumeur qui la talonnait depuis des semaines était bien celle-là : des secrets industriels, vendus à des Iraniens ? Romina travaillait sur un nouveau modèle de scanner fonctionnant avec des algorithmes perfectionnés pour analyser les caractéristiques morphologiques de la rétine d’un individu et les intégrer à une vaste banque de données. Leurs concurrents auraient donné cher pour accéder à ses recherches.

Durant une grande partie du 20e siècle, l’espionnage ressembla à un jeu d’échec entre les deux principales puissances mondiales. Chaque camp avait ses alliés, habiles à renseigner la CIA ou le KGB, œuvrant selon leurs intérêts personnels. Ce vaste poker-menteur appelé "guerre froide" devint beaucoup plus complexe dans la décennie qui précéda les années 2000. Car d’autres peuples montaient en puissance, en Asie et dans les pays arabes. Et ils ne tardèrent pas à imposer leurs actions dans le jeu belliqueux international.

En parallèle, se développa un autre phénomène, l’espionnage industriel. Cela existait de longue date, bien sûr. Souvenons-nous de l’avion Tupolev qui ressemblait furieusement au Concorde. Toutefois, les techniques sont de plus en plus sophistiquées, innovantes : il faut avoir plusieurs longueurs d’avance, se renouveler sans cesse, pour rester compétitifs. Il s’agit là d’une autre forme de guerre, non seulement entre puissantes entreprises, mais qui peut impliquer le soutien des États. S’emparer de secrets technologiques constitue un enjeu majeur pour certains pays. Par exemple, quand une dictature asiatique fanfaronne en défiant leur ennemi américain. Ce type d’espionnage contribue au déséquilibre partout dans le monde, au même titre que les conflits armés.

Suivre de près l’actualité de notre époque pourrait nous rendre paranoïaques. Surtout si nous avons des prédispositions, comme Romina Wagner. Est-ce une personne fragile ? Son parcours de réfugiée venue d’un pays de l’Est n’a pas été des plus simples, c’est vrai. Ses névroses ne seraient pas dramatiques, mais son milieu professionnel est peut-être propice aux questionnements intellectuels. Y compris au sujet de son couple, de ses amis. Le psy auquel elle se confie ressemble à un célèbre Afghan, le Lion du Pandjchir. Lui n’est pas un agent secret, bien que psy et spy (espion, en anglais) soient des anagrammes…

Outre le thème de la paranoïa, les chapitres courts et la narration fluide offrent une belle vivacité à ce très bon suspense de Naïri Nahapétian.

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