Les femmes et le polar, toute une histoire. Certes, les héros de romans sont souvent des hommes, soit de fins limiers, soit des durs-à-cuire. Pourtant, il y a belle lurette que les héroïnes leur dament le pion. À l’exemple de la brave Miss Marple, vieille demoiselle très observatrice et fouineuse d’Agatha Christie. Celle-ci raconta aussi les enquêtes du couple Thomas Beresford et Prudence Cowley, autrement dit Tommy et Tuppence Beresford (Le crime est notre affaire, Associés contre le crime). Récemment traduites en France, on peut aussi lire les aventures très souriantes d’Agatha Raisin, une londonienne transplantée dans un village so british, par M.C.Beaton. D’excellentes comédies dotées de vraies intrigues.
On n’oublie pas que les personnages d’Anne Perry, conjointes de policiers au 19e siècle, sont très actives dans l’univers de leurs maris. Telle l’infirmière Charlotte Pitt, épouse de Thomas Pitt, dirigeant vaille que vaille un dispensaire, et Hester Monk, mariée au chef de la police fluviale William Monk. Des héroïnes à part entière dans ces histoires. Peut-être Miss Monneypenny n’est-elle qu’une figurante dans les tribulations de James Bond. S’il approche tant de jolies et fourbes jeunes femmes, elle a quand même son rôle à jouer. Un peu moins, bien sûr, que Velda, la secrétaire sexy du détective Mike Hammer, de Mickey Spillane. Beaucoup moins que Della Street, l’assistante de l’avocat Perry Mason (d’Erle Staney Gardner), dont la fonction est essentielle auprès de son patron. Très intuitive, Della alerte souvent Perry Mason sur les probables mensonges d’une nouvelle cliente.
Carolyn Kayser, l’amie lesbienne du libraire new-yorkais Bernie Rhodenbarr (de Lawrence Block) n’est pas un simple faire-valoir, aussi intrépide que soit le cambrioleur Bernie. Il veille toutefois à ne pas trop l’impliquer dans ses méfaits. L’entourage féminin du commissaire sicilien Salvo Montalbano a son importance. Avec son éternelle fiancée Livia Burlando, l’indispensable cuisinière Adelina (qui déteste Livia), et la très libre amie de cœur du policier, Ingrid Sjostrom. Parmi les enquêtrices chevronnées, il faut citer l’inspectrice Jane Rizzoli et la légiste Maura Isles, de Tess Gerritsen. Mais aussi la détective Claire DeWitt, de Sara Gran, qui sévit à La Nouvelle-Orléans.
Des intrigues internationales riches en péripéties et en danger pour l'avocate allemande Valérie Weymann, héroïne des romans d’Alex Berg. Mariée à un médecin, Nora Linde est juriste bancaire en Suède et mère de famille. Dans ces romans de Viveca Sten, elle fait de fréquents séjours dans sa maison sur l'île de Sandhamn (La reine de la Baltique). Et se trouve concernée par des affaires criminelles obscures à élucider en parallèle avec son ami policier Thomas Andreasson. En Suède aussi, les suspenses de Camilla Läckberg mettent en vedette la romancière Erica Falck, originaire de Fjällbacka. Elle a des relations dans la police, mais c’est elle qui découvre les plus noirs secrets des protagonistes liés aux crimes. La plus insolite des héroïnes et certainement la plus inquiétante, ne serait-elle pas Lisbeth Salander, dans "Millenium" de Stig Larsson ?
En France également, nous avons de longue date des héroïnes capables d’investigations mouvementées. Autrefois publiés chez Le Masque, les enquêtes de Sœur Angèle, d’Henry Catalan, ne manquaient pas de péripéties. Cette jeune et dynamique religieuse était une sacrée baroudeuse. À la même époque, fin des années 1950, Jean-Pierre Ferrière nous faisait sourire avec Blanche et Berthe Bodin, deux sœurs provinciales quelque peu âgées, mêlées où qu’elles se trouvent à des affaires mystérieuses ou criminelles. Championnes pour dénouer les énigmes, ces deux-là. Quelques années pus tard, J.P.Ferrière fit vivre plusieurs aventures à la bourgeoise Évangéline, confrontée à des situations compliquées, où cette snob pourrait passer pour suspecte – et fort amusantes.
Aussi passive fut-elle, on n’oubliera évidemment pas Louise Maigret, l’épouse du célèbre commissaire créé par Georges Simenon. Qui écouterait Jules avec compréhension et lui mitonnerait sa blanquette de veau, si Louise n’était pas là ? Pour le commissaire San-Antonio, celle qui compte plus que toute autre, c’est sa brave femme de mère, Félicie. Si le paisible inspecteur César Pinaud n’est pas un homme-à-femmes, le mahousse Bérurier est l’époux de l’adipeuse et volcanique Berthe. C’est un caractère, la Berthe ! Le parcours de Marie-Marie, auprès de San-Antonio, est étonnant : fillette espiègle quand elle entre dans la vie du commissaire, la jeune femme deviendra au fil des ans son amante puis son épouse légitime. Avec San-Antonio, il fallait s’attendre à toutes les surprises.
Affectée au commissariat de Quimper, la policière Mary Lester (de Jean Failler) voyage en Bretagne et sur la façade-ouest de la France pour ses enquêtes. Son intrépidité n’est plus à vanter, même face à des puissants. Si elle est assistée du costaud Jean-Pierre Fortin, c’est elle qui mène la danse. La détective privé Lily Verdine (de Jérôme Zolma) se plonge aussi volontiers dans des enquêtes où elle prend de gros risques pour elle-même. Dominique Sylvain nous raconte les investigations parisiennes de l’ancienne policière Lola Jost, pleine de sang-froid, et de son amie la pétulante américaine Ingrid Diesel (Passage du désir), des personnages opposés pour des enquêtes originales. À noter que Dominique Sylvain créa une autre héroïne pas moins intéressante, Louise Morvan, héritière d’une agence de détective qui prend le relais en investiguant elle aussi.
Sans doute Carole Matthieu, dans "Les visages écrasés" de Marin Ledun, est-elle confrontée à de pénibles situations dans le monde du travail. Remontons-nous le moral en suivant Anne Capestan, commissaire gérant une brigade de recalés de la police, dans les romans de Sophie Hénaff (Poulets grillés, Restons groupés). Un semblant de discipline est-il possible dans leur capharnaüm ? La blonde coiffeuse Chéryl, compagne de Gabriel Lecouvreur (dit Le Poulpe), de Jean-Bernard Pouy (et autres auteurs) a connu ses propres aventures dans cette série de romans. Elle n’a rien à envier à son "Poulpinet d’amour", dès qu’elle se met en quête de vérité. Dans les enquêtes du policier Leoni (d’Elena Piacentini), un Corse installé à Lille, on se prend de sympathie pour deux femmes : la légiste Éliane Ducatel, compagne de Leoni, et l’authentique îlienne de tradition Mémé Angèle, la sagesse personnifiée, toutes deux jouant là encore un rôle certain.
Cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut, il y aurait tant d’héroïnes de polars à citer. Terminons l’énumération en beauté, avec l’explosive Mémé Cornemuse, amoureuse transie de l’acteur Jean-Claude van Damme, dans les romans de Nadine Monfils. Elle nous en fait voir de toutes les couleurs, bousculant la morale et piétinant la routine. Hilarant ! Rien n’empêche les lectrices et les lecteurs d’ajouter à ce florilège quelques autres personnages féminins notoires…