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10 mars 2017 5 10 /03 /mars /2017 05:55

Les femmes et le polar, toute une histoire. Certes, les héros de romans sont souvent des hommes, soit de fins limiers, soit des durs-à-cuire. Pourtant, il y a belle lurette que les héroïnes leur dament le pion. À l’exemple de la brave Miss Marple, vieille demoiselle très observatrice et fouineuse d’Agatha Christie. Celle-ci raconta aussi les enquêtes du couple Thomas Beresford et Prudence Cowley, autrement dit Tommy et Tuppence Beresford (Le crime est notre affaire, Associés contre le crime). Récemment traduites en France, on peut aussi lire les aventures très souriantes d’Agatha Raisin, une londonienne transplantée dans un village so british, par M.C.Beaton. D’excellentes comédies dotées de vraies intrigues.

On n’oublie pas que les personnages d’Anne Perry, conjointes de policiers au 19e siècle, sont très actives dans l’univers de leurs maris. Telle l’infirmière Charlotte Pitt, épouse de Thomas Pitt, dirigeant vaille que vaille un dispensaire, et Hester Monk, mariée au chef de la police fluviale William Monk. Des héroïnes à part entière dans ces histoires. Peut-être Miss Monneypenny n’est-elle qu’une figurante dans les tribulations de James Bond. S’il approche tant de jolies et fourbes jeunes femmes, elle a quand même son rôle à jouer. Un peu moins, bien sûr, que Velda, la secrétaire sexy du détective Mike Hammer, de Mickey Spillane. Beaucoup moins que Della Street, l’assistante de l’avocat Perry Mason (d’Erle Staney Gardner), dont la fonction est essentielle auprès de son patron. Très intuitive, Della alerte souvent Perry Mason sur les probables mensonges d’une nouvelle cliente.

Une myriade d’héroïnes de polars

Carolyn Kayser, l’amie lesbienne du libraire new-yorkais Bernie Rhodenbarr (de Lawrence Block) n’est pas un simple faire-valoir, aussi intrépide que soit le cambrioleur Bernie. Il veille toutefois à ne pas trop l’impliquer dans ses méfaits. L’entourage féminin du commissaire sicilien Salvo Montalbano a son importance. Avec son éternelle fiancée Livia Burlando, l’indispensable cuisinière Adelina (qui déteste Livia), et la très libre amie de cœur du policier, Ingrid Sjostrom. Parmi les enquêtrices chevronnées, il faut citer l’inspectrice Jane Rizzoli et la légiste Maura Isles, de Tess Gerritsen. Mais aussi la détective Claire DeWitt, de Sara Gran, qui sévit à La Nouvelle-Orléans.

Des intrigues internationales riches en péripéties et en danger pour l'avocate allemande Valérie Weymann, héroïne des romans d’Alex Berg. Mariée à un médecin, Nora Linde est juriste bancaire en Suède et mère de famille. Dans ces romans de Viveca Sten, elle fait de fréquents séjours dans sa maison sur l'île de Sandhamn (La reine de la Baltique). Et se trouve concernée par des affaires criminelles obscures à élucider en parallèle avec son ami policier Thomas Andreasson. En Suède aussi, les suspenses de Camilla Läckberg mettent en vedette la romancière Erica Falck, originaire de Fjällbacka. Elle a des relations dans la police, mais c’est elle qui découvre les plus noirs secrets des protagonistes liés aux crimes. La plus insolite des héroïnes et certainement la plus inquiétante, ne serait-elle pas Lisbeth Salander, dans "Millenium" de Stig Larsson ?

Une myriade d’héroïnes de polars

En France également, nous avons de longue date des héroïnes capables d’investigations mouvementées. Autrefois publiés chez Le Masque, les enquêtes de Sœur Angèle, d’Henry Catalan, ne manquaient pas de péripéties. Cette jeune et dynamique religieuse était une sacrée baroudeuse. À la même époque, fin des années 1950, Jean-Pierre Ferrière nous faisait sourire avec Blanche et Berthe Bodin, deux sœurs provinciales quelque peu âgées, mêlées où qu’elles se trouvent à des affaires mystérieuses ou criminelles. Championnes pour dénouer les énigmes, ces deux-là. Quelques années pus tard, J.P.Ferrière fit vivre plusieurs aventures à la bourgeoise Évangéline, confrontée à des situations compliquées, où cette snob pourrait passer pour suspecte – et fort amusantes.

Aussi passive fut-elle, on n’oubliera évidemment pas Louise Maigret, l’épouse du célèbre commissaire créé par Georges Simenon. Qui écouterait Jules avec compréhension et lui mitonnerait sa blanquette de veau, si Louise n’était pas là ? Pour le commissaire San-Antonio, celle qui compte plus que toute autre, c’est sa brave femme de mère, Félicie. Si le paisible inspecteur César Pinaud n’est pas un homme-à-femmes, le mahousse Bérurier est l’époux de l’adipeuse et volcanique Berthe. C’est un caractère, la Berthe ! Le parcours de Marie-Marie, auprès de San-Antonio, est étonnant : fillette espiègle quand elle entre dans la vie du commissaire, la jeune femme deviendra au fil des ans son amante puis son épouse légitime. Avec San-Antonio, il fallait s’attendre à toutes les surprises.

Une myriade d’héroïnes de polars

Affectée au commissariat de Quimper, la policière Mary Lester (de Jean Failler) voyage en Bretagne et sur la façade-ouest de la France pour ses enquêtes. Son intrépidité n’est plus à vanter, même face à des puissants. Si elle est assistée du costaud Jean-Pierre Fortin, c’est elle qui mène la danse. La détective privé Lily Verdine (de Jérôme Zolma) se plonge aussi volontiers dans des enquêtes où elle prend de gros risques pour elle-même. Dominique Sylvain nous raconte les investigations parisiennes de l’ancienne policière Lola Jost, pleine de sang-froid, et de son amie la pétulante américaine Ingrid Diesel (Passage du désir), des personnages opposés pour des enquêtes originales. À noter que Dominique Sylvain créa une autre héroïne pas moins intéressante, Louise Morvan, héritière d’une agence de détective qui prend le relais en investiguant elle aussi.

Sans doute Carole Matthieu, dans "Les visages écrasés" de Marin Ledun, est-elle confrontée à de pénibles situations dans le monde du travail. Remontons-nous le moral en suivant Anne Capestan, commissaire gérant une brigade de recalés de la police, dans les romans de Sophie Hénaff (Poulets grillés, Restons groupés). Un semblant de discipline est-il possible dans leur capharnaüm ? La blonde coiffeuse Chéryl, compagne de Gabriel Lecouvreur (dit Le Poulpe), de Jean-Bernard Pouy (et autres auteurs) a connu ses propres aventures dans cette série de romans. Elle n’a rien à envier à son "Poulpinet d’amour", dès qu’elle se met en quête de vérité. Dans les enquêtes du policier Leoni (d’Elena Piacentini), un Corse installé à Lille, on se prend de sympathie pour deux femmes : la légiste Éliane Ducatel, compagne de Leoni, et l’authentique îlienne de tradition Mémé Angèle, la sagesse personnifiée, toutes deux jouant là encore un rôle certain.

Une myriade d’héroïnes de polars

Cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut, il y aurait tant d’héroïnes de polars à citer. Terminons l’énumération en beauté, avec l’explosive Mémé Cornemuse, amoureuse transie de l’acteur Jean-Claude van Damme, dans les romans de Nadine Monfils. Elle nous en fait voir de toutes les couleurs, bousculant la morale et piétinant la routine. Hilarant ! Rien n’empêche les lectrices et les lecteurs d’ajouter à ce florilège quelques autres personnages féminins notoires…

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9 mars 2017 4 09 /03 /mars /2017 05:55

En 1760, le roi Louis XV passe l’essentiel de son temps au château de Versailles. Madame de Pompadour, la Favorite, régente la cour royale. Le chevalier de Volnay, commissaire aux morts étranges, est de retour à Paris. Avec son père, le vrai-faux moine Guillaume. Si tous deux restent au service de Sartine, lieutenant-général de police, ils gardent une distance avec cet intrigant. Volnay est revenu auprès de sa protégée, l’Écureuil, une toute jeune fille rousse, ex-prostituée devenue employée de librairie. La froide Hélène, dont le moine est épris, agente spéciale de Sartine, va bientôt réapparaître à son tour. Car un crime a été commis dans les jardins de Versailles. Si une organisation policière veille sur le palais, il est préférable que de vrais enquêteurs se chargent de l’affaire, tels Volnay et le moine.

Le cadavre éventré de Mlle Vologne de Bénier gît dans le parc de Versailles. Une de ses chaussures a disparu, peut-être en fuyant l’assassin. Cette jeune noble de province, sans fortune, posait comme modèle pour le peintre Waldenberg. Ce dernier semble obsédé par certaines parties précises du corps des femmes. Ainsi que l’indique le journal intime de la victime, où elle raconte ses débuts laborieux à Versailles, Mlle Vologne de Bénier eut la chance d’être repérée par Delphine de Marcillac. Cette veuve au caractère affirmé engagea la victime dans la maison de passe qu’elle dirige. Il ne s’agit pas de prostitution, c’est un endroit où des hommes riches viennent se soumettre lors de séances sadomasochistes. Une connivence objective s’établit bien vite entre le moine Guillaume et cette dame.

Mme de Pompadour s’inquiète fortement pour la sécurité de la cour royale. Le monarque lui-même entend être informé des avancées de l’enquête. Son propre chirurgien, Germain Pichault de la Martinière, reçut récemment la victime en consultation. On ne peut l’exclure de la liste des suspects. Le peintre, le chirurgien et la curieuse Delphine de Marcillac, le moine a un œil sur ces trois-là. Avec l’Écureuil, Volnay et son père se sont installés dans un appartement en ville choisi par Hélène, non loin du château, c’est plus commode. Bonne occasion pour l’Écureuil de découvrir Versailles. Elle est bientôt abordée par un inconnu, fort courtois, qui l’accompagne dans le Labyrinthe végétal des jardins du château. Volnay sent que son amie de cœur lui cache quelque chose, et charge le moine de veiller sur elle.

Le moine détestant les nobles et la vie codifiée à Versailles, il prend un certain plaisir à observer ce "terrain de jeu". Ce n’est pas une altercation avec un comte qui lui offrira une meilleure impression sur les courtisans. D’abondantes traces de sang et des entrailles sont découvertes dans une partie du jardin, mais pas le corps de la nouvelle victime. Volnay et Delphine se rencontrent finalement. Ils sont tous deux invités à un dîner très privé chez Mme de Pompadour. Malgré la mise en scène, peu probable qu’ils trouvent le coupable…

Olivier Barde-Cabuçon : Le moine et le singe-roi (Actes noirs, 2017)

— À son arrivée à Versailles, elle a vite compris la place qu’elle occupait dans l’humanité : même pas un strapontin ! Elle demeurerait debout, derrière toutes les autres figurantes de la vie. Personne ne la regarde, sinon pour évaluer si on peut la trousser et la culbuter dans un escalier. Et voilà que, du jour au lendemain, elle se retrouve avec à ses pieds des hommes de pouvoir et d’argent qui n’auraient la veille pas tourné la tête à son passage. Et ces hommes la vénèrent, lèchent ses petits orteils, obéissent au moindre de ses ordres, satisfont tous ses caprices…
Le moine claqua dans ses doigts.
— Et l’ordre social s’inverse… Le maître devient esclave et l’esclave prend sa place comme dans les Saturnales ou la Fête des Fous. Le puissant du jour se retrouve à pleurnicher, le cul rougi par la fessée de vos filles. La revanche ultime de Mlle Vologne de Bénier contre un monde qui l’humilie et qu’elle craint…

Sixième aventure de cette série pour le chevalier de Volnay et son entourage. C’est avec un grand plaisir que l’on suit ces personnages, évoluant au temps de Louis XV. Si notre commissaire aux morts étranges a déjà enquêté de Paris jusqu’à Venise, c’est cette fois au centre du pouvoir royal qu’il opère. Le portrait du monarque, qui n’est plus depuis longtemps "le Bien-Aimé", amateur de chasse et de femmes, apparaît sans concession : “[Le roi] criait toutefois "je me meurs" à la plus petite colique et se faisait administrer les derniers sacrements à la moindre insolation. En plus d’être douillet, le moine savait que le roi était un grand poltron, s’évanouissant de frayeur à la vue du sang, comme après l’attentat de Damiens.” On n’oublie pas le rôle occulte de Mme de Pompadour, bien sûr.

Si Volnay est le héros de ces romans, le moine anti-conformiste, d’esprit scientifique et conscient des inégalités sociales, reste sûrement le plus attachant des personnages, du moins le plus singulier. On comprend son mépris pour cette "aristocratie du paraître" (qui ne se lave jamais) et pour ces rites versaillais ridicules. Une place non négligeable est accordée ici à l’Écureuil, symbole de ce petit peuple mal traité par quiconque possède quelque autorité en ce royaume. Si l’on ne nomme pas encore cela du sadomasochisme (le marquis de Sade n’a que vingt ans à cette époque), on note que la perversité est de mode parmi les puissants. Delphine de Marcillac en tire profit, on ne saurait l’en blâmer. Olivier Barde-Cabuçon reconstitue cette époque avec une belle souplesse, c’est pourquoi on savoure volontiers ces enquêtes historiques.

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8 mars 2017 3 08 /03 /mars /2017 05:55
Jouez et gagnez des polars avec SNCF au salon Livre Paris 2017

Pour la troisième année consécutive au salon Livre Paris, SNCF propose aux lecteurs de participer à une enquête géante dans les allées du Salon mais pas seulement pour remporter des polars parmi les cinq en compétition pour le PRIX SNCF DU POLAR 2017. Les samedi 25 et dimanche 26 mars 2017, les visiteurs se verront remettre à leur arrivée au Salon un petit livret d'enquête leur permettant de résoudre le mystère de la disparition de Chloé, la fille d'une éditrice prospère mais rancunière et d'un écrivain en mal de reconnaissance. Entre pièces à convictions, messages codés, témoignages véridiques ou mensongers, les visiteurs du Salon iront à la rencontre de différents acteurs de l'enquête pour tenter de démêler le vrai du faux...

Pour ceux qui ne pourront pas se rendre au Salon, SNCF organise également une enquête sur les réseaux sociaux les samedi 25 et dimanche 26 mars, afin que tous les amateurs d’énigmes puissent jouer et tenter de remporter des polars. À découvrir sur le site www.polar.sncf.com.

Samedi 25 et dimanche 26 mars aux horaires d’ouverture du Salon, Porte de Versailles, Pavillon 1. Un jeu conçu pour toute la famille, en participation individuelle ou par équipe, sans réservation préalable. Bonne chance !

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7 mars 2017 2 07 /03 /mars /2017 05:55

Domi est un cadre commercial parisien. Âgé d’environ trente-cinq ans, il est marié avec Christine. Ils habitent dans le 10e arrondissement, du côté de la place Franz-Liszt. Leur brave chien noir, Laskar, est un groenendael ou berger-belge, vif au possible malgré ses neuf ans, assez craintif. La fête du Comité d’Entreprise de sa société s’est poursuivie en boîte de nuit, pour Domi et quelques collègues. Il s’est largement alcoolisé durant cette soirée inhabituelle. Pourquoi se voit-il tel un aventurier, tandis qu’il rentre chez lui en taxi à un horaire matutinal ? Dans ce club, il vient de rencontrer le grand amour. Elle s’appelle Armelle, c’est une mignonne blonde, employée de banque de vingt-cinq ans. Armelle est prête à le suivre pour le projet auquel il rêve depuis des années.

On peut être un responsable commercial pragmatique et éprouver des envies d’ailleurs. Ce qui excite Domi, c’est l’idée d’imiter l’écrivain Robert-Louis Stevenson. Du moins, de faire lui aussi son “voyage avec un âne dans les Cévennes”, tel l’Écossais en 1878. Partir de la Haute-Loire, traverser la Lozère, cheminer jusque dans le Gard, admirer pour de vrai les paysages escarpés et retrouver l’ambiance de la randonnée de Stevenson. Lors de cette soirée en boîte de nuit, Armelle a accepté de l’accompagner. Elle a indiqué son adresse sur un paquet de cigarettes. Pas encore vraiment désenivré, Domi repasse par chez lui, évite de réveiller Christine, quitte son domicile avec le chien Laskar. Entre-temps, il a cassé ses lunettes. Pas si grave, Domi a une paire de rechange à son bureau.

C’est ainsi que Laskar et lui vont traverser à pieds la moitié de Paris. S’il pense à certains écrivains, comme Marcel Aymé ou Jacques Perret, ayant raconté ce genre de périples, il se souvient surtout des fugues qu’il vécut dans sa prime jeunesse. Certes, Domi n’y voit pas trop clair, mais le trajet pourrait se faire sans incident. L’esprit à l’aventure, il va chercher néanmoins querelle à un quidam, au sujet d’un chantier interdit au public qui ralentit son parcours. “Ergoter, discutailler, perdre infiniment de temps à prouver ses droits”, Domi est sur ce point un Français bien ordinaire.

Vu que Domi va manquer de cigarettes et qu’il est dans le flou, il urge d’arriver – à six heures du matin – aux bureaux de la société qui l’emploie. Il ne peut échapper à une halte auprès du gardien de nuit, un drôle de bonhomme catarrheux. Avant d’inopinément croiser le PDG de l’entreprise, un monsieur bavard, agaçant quand on a la gueule-de-bois et besoin de l’air des Cévennes. Ce que Domi ne risque pas d’oublier, c’est l’adresse d’Armelle. Elle ne l’espère sans doute pas si tôt, mais il a tellement hâte d’aventure, avec ses surprises…

A.D.G. : La nuit myope (Éd.La Table Ronde, 2017)

Le veilleur se trouvait être un personnage pitoyable : d’allure plutôt nunuche et de taille brève, des yeux jaunes veinulés d’incarnat, un nez cassé et rose à l’arête, le teint d’un sac de jute et l’haleine d’une charogne. Il picolait comme un boyard, égarant ses kils de rouge à tous les étages lors des rondes réglementaires et comme il était sujet également à une bronchite chronique, il se rinçait le gosier avec des sirops relativement opiacés, sans préjudice des tranquillisants qu’il croquait assidûment au motif d’une vie insignifiante.
Ces séduisants coquetèles faisaient alterner en lui une hébétude joviale et d’extravagantes colères ; au demeurant, le meilleur homme du monde, n’était la manie fatigante qu’il avait de ne pas vous lâcher la main de sitôt après l’avoir serrée…

De 1971 à 1988, le romancier A.D.G. (1947-2004) figura parmi les piliers de la Série Noire chez Gallimard, où furent publiés près de vingt de ses titres. Il fut récompensé en 1977 par le Prix Mystère de la critique pour “L’otage est sans pitié”. Écrivain et journaliste pour le moins sulfureux, il se démarqua des auteurs de sa génération en adoptant des positions marquées à l’extrême droite politique. Provocateur réac controversé sans doute, mais les idéologies opposées n’excluaient pas les sympathies personnelles, en particulier avec son confrère Frédéric Fajardie. S’il restait infréquentable, A.D.G. ne manquait pas de talent. Ce court roman présenté dans la collection "La petite vermillon" par l’écrivain Jérôme Leroy en apporte la démonstration.

Cette “Nuit myope” n’est pas une histoire criminelle. Ce roman court est une déambulation littéraire amusée à travers Paris, sur les pas d’un “navranturier”. De l’humour, le récit en regorge. Par exemple : “La friture immonde qui frétillait dans les eaux répugnantes fut dispersée par un poisson-chat assermenté : — Circulez, y a rien nageoires. Caudales, je vous dis.” A.D.G aimait les mots, et se servait à merveille du vocabulaire. Simple, l’idée du scénario ? Oui, ce qui n’empêche pas que ce roman soit enthousiasmant. À redécouvrir, dans cette réédition bienvenue.

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5 mars 2017 7 05 /03 /mars /2017 05:55

Début des années 1980, les opérations qu’il organise s’avèrent généralement fructueuses pour cet aventurier maniant volontiers les armes. En Franche-Comté, il s’agit de braquer un homme par ailleurs honorable qui va passer en Suisse une grosse somme d’argent. Il est à craindre que l’intéressé ne survive pas, l’essentiel étant de récupérer le butin. Il est probable que le commanditaire du trafic vers l’Helvétie, Roman Markos, envoie quelques tueurs à ses trousses. Mais notre héros s’est déjà carapaté vers la Belgique, goûtant aux charmes de la ville d’Ostende. Le hasard faisant bien les choses, il y rencontre la superbe Michelle Le Troadec, une blonde distinguée. La jeune femme et lui sont bientôt cibles de coups de feu, auxquels la belle Michelle riposte, car elle est aussi armée.

Ce n’est pas à Bruges, où s’est réfugié le couple, qu’ils trouveront la tranquillité. Face à de vils tueurs rôdant autour d’eux, l’aventurier appelle à la rescousse son ami Dominique. Ce dernier est assez aguerri pour les extirper du pétrin, avant de les accueillir chez lui et sa fille Charlotte. Les déboires de Michelle semblent avoir un lien avec Roman Markos et le paquet de fric volé au passeur, en Franche-Comté. Contre une attaque-surprise au lance-roquettes, il n’est guère possible de résister. Dommage pour Dominique et sa fille. Quant au couple, il file vers le Luxembourg, puis s’arrange pour regagner la France. Michelle finit par lui expliquer son rôle dans cette nébuleuse affaire. Outre Markos, des personnes très haut-placées paraissent impliquées dans ces mouvements d’argent frauduleux.

Du côté d’Épinal, dans les Vosges, deux motardes brunes s’intéressent de trop près au couple. Ces tueuses pros n’ont pas été engagées par Markos. Notre héros se débarrasse de l’une, mais la seconde – Delphine Van der Hallen – n’a pas dit son dernier mot. C’est dans les hauteurs alpines savoyardes que le couple se pose, chez Michelle Le Troadec. Obtenir sous la menace des aveux écrits du magistrat qui protège les combines de Roman Markos n’est pas tellement difficile. Fin de la carrière sur cette terre du procureur véreux, Delphine s’en charge. À cette occasion, le type d’un chalet voisin aurait mieux fait de ne pas intervenir, il serait encore vivant. Pas moins attirante que la blonde Michelle, la brune Delphine change de camp et devient une précieuse alliée pour notre aventurier.

Si l’on en croit la veuve du défunt magistrat, tout cela prendrait une tournure politique. La petite enquête de Delphine et de son compagnon les mènent jusqu’à Cassis, dans une société de transport plus que suspecte. C’est ainsi qu’apparaît un nom, bien connu pour Michelle : un personnage pervers qui fraie avec un marquis italien adepte de la nostalgie fasciste et nazillonne. Un détour par Rome s’impose pour Delphine et l’aventurier. Comme ce dernier, on peut être un voleur, tout en détestant les fanatiques visant la destruction de la démocratie. Cette tortueuse affaire risque de causer encore quelques morts brutales…

Kââ : La princesse de crève (Éd.La Table Ronde, 2017)

Elle en savait des choses, la jeune personne. Je commandai un autre demi en me demandant où elle avait appris à distinguer une fausse carte d’identité d’une vraie. Surtout que, dans le cas présent, ça n’avait rien d’évident. Il faut, comme moi, en avoir utilisé de nombreuses pour trouver le défaut. Ou alors, il faut être flic.
Ça me traversa le crâne comme ça. Ou alors, il faut être flic. Mais les flics sont gros, laids, bêtes, du genre masculin et vont toujours au moins par deux. Ils ont des armes réglementaires et pas des objets de collection De toutes façons, personne ne leur paye des BMW 728i. Ils ne lient pas conversation avec n’importe qui. Bref : ça se repère, on pige tout de suite, on comprend. Poursuis, tu verras bien, disait une voix. Elle n’en a pas l’air, mais certainement elle est très paumée. Ça ne me paraissait pas. Mais alors, pas du tout. Elle avait l’air songeuse, suçotant le bord de sa tasse...

Merci à l’écrivain Jérôme Leroy d’avoir honoré la mémoire de Kââ (1945-2002) dans cette collection, "La petite vermillon". Ce romancier fut un de nos plus remarquables auteurs de noirs polars, même si l’on fait plus souvent l’éloge d’autres parmi ses contemporains. Quel régal de retrouver ses ouvrages ! Kââ fit preuve d’un talent exceptionnel. Avec lui, on ne s’attarde pas sur les états d’âme des protagonistes. On glisse bien vite sur des hypothèses qui se confirmeront ou pas. C’est du récit coup-de-poing qu’il nous propose. Encore qu’on s’y défende moins par le pugilat qu’à coups de feu en rafale. Ça dézingue avec des armes de précision, des flingues de compétition. Le héros anonyme n’a quasiment pas le temps de prendre du repos, aucun répit ne lui étant accordé. Enfin si, pour s’essayer à quelques galipettes érotiques avec ses belles partenaires, Michelle et Delphine, quand même.

Tout homme d’action qu’il soit, notre aventurier est quelqu’un de cultivé, de raffiné. Ce sont seulement les circonstances qui l’entraînent à oublier la philosophie pour brusquer des adversaires pas assez loquaces, pour revolvériser de fâcheux ennemis… Certes, ce roman fut publié initialement en 1984 chez Spécial-Police, aux Éd.Fleuve Noir. Il serait absurde de penser que, placée dans un contexte quelque peu ancien, cette intrigue aurait vieilli. Les modèles des puissants véhicules cités ont changé, mais la violence des truands et les magouilles politico-financières restent de mise. Cette réédition est une excellente initiative, répétons-le.

“La princesse de crève” de Kââ est un polar grandiose au rythme effréné, un bonheur pour les lecteurs d’histoires mouvementées.

 

Disponible dans la coll.La petite vermillon, dès le 9 mars 2017 —

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4 mars 2017 6 04 /03 /mars /2017 06:23

C’est le cirque à Marseille ! Le chapiteau de Giulietta Pantaleoni et de Raoul Babinetti est installé pour, bientôt, accueillir le public. Mais un accident se produit ce jour-là : Hildeberg, le dompteur, est tué et dévoré par ses tigres. On comprend rapidement qu’il s’agit d’un homicide, et non d’une attaque des fauves. L’enquête sera confiée au capitaine de police Sammartino, qui préférerait des vacances napolitaines aux investigations dans ce cirque. Il lui suffit de consulter le pedigree de plusieurs artistes de la troupe pour se trouver de bons suspects. D’ailleurs, si Giulietta est issue de ce milieu, son compagnon Raoul est un ancien truand corse reconverti depuis quelques années dans le spectacle.

Raoul ne tarde pas à contacter son ami le soufi Dachi El Ahmed, adepte de la philosophie orientale, un homme plein de sagesse qui n’hésite pas à se colleter avec les énigmes. Il vit avec Léda, une rousse infirmière d’origine grecque, extrêmement jalouse. Raoul invite Dachi à se joindre à la troupe, en se faisant passer pour un charmeur de serpent. Le cobra Lulu ne semblant pas trop dangereux, Dachi accepte et rencontre les artistes. Hildeberg, la victime, était fiché pour son passé plutôt trouble. C’est l’illusionniste Mitchum (pseudo dû au fait qu’il ressemble au comédien) qui fait figure de premier suspect pour la police. Il vient d’une famille manouche, et a adopté la petite Alice de façon fort peu claire.

Un duo d’escogriffes s’est présenté au cirque, menaçants, réclamant un colis dont Giulietta et ses amis ne savent rien. Ils reviendront très certainement, il faudra se méfier. À l’issue d’un repas collectif de la troupe, Léda propose de s’improviser dompteuse de tigres à la place d’Hildeberg. Une idée qui ne plaît guère à Dachi, mais ça peut fonctionner. Outre Mitchum, on pourrait autant suspecter l’écuyère Miléna et ses frères hongrois, qui eurent des problèmes avec la victime. Ainsi que le triste clown Bibi, joueur de cartes endetté, qui va d’ailleurs se dénoncer à la police. Le capitaine Sammarino réalise sans mal que ses aveux ne valent rien, qu’il cherche à disculper la belle Miléna dont il est amoureux.

Cela ne fait que renforcer la suspicion de l’enquêteur de police envers les Hongrois du cirque. De son côté, Dachi cherche à percer les secrets de chacun des membres de cette troupe. Il observe la mince contorsionniste asiatique Perle, la petite mais omniprésente Alice, Bibi et ses tourments, le magicien Mitchum et son voyage à Dresde (Allemagne) l’an passé, sans oublier ce couple improbable formé par Raoul et Giulietta. Quant à Léda, elle va avoir quelques soucis de dressage, sans trop de gravité. Par contre, le gang auquel appartient le duo d’escogriffes menaçants revient à la charge. Et là, c’est un affrontement spectaculaire qui va se produire. Lorsqu’il aura déterminé l’arme du crime, le policier Sammartino pourra s’en contenter. Mais Dachi, lui, veut savoir toute la vérité…

Michel Maisonneuve : Les tigres ne crachent pas le morceau (Pavillon noir, 2017)

Le fauve cligne des yeux, montre les crocs, s’avance. Il lance la patte. Le bâton casse net. Sur la banquette, tous se lèvent d’un bond. Léda recule, d’un pas seulement. Elle fait à nouveau claquer son fouet devant la gueule ouverte et tonne, d’une voix si profonde, si puissante, que les humains autour se figent : "Debout ! Debout Poum ! Allez, hop, debout !"
Le tigre feule, les oreilles rabattues, mais il ne bronche plus. Elle ne le lâche pas des yeux. Ce qui se passe entre eux, en cet instant, restera un mystère. Deux fauves face-à-face. Elle pointe le tronçon du bâton pour lui faire comprendre qu’elle ne lâche rien. Et répète avec plus de douceur : "Bon garçon, Poum !"

Les milieux du cirque ont probablement servi de décors à quelques polars. Par exemple “Aztèques freaks”, une aventure de Gabriel Lecouvreur (Le Poulpe) par Stéphane Pajot, en 2012. Il est vrai que l’ambiance visuelle convient en priorité au cinéma. Comment ne pas se souvenir du troublant film de Tod Browning “La monstrueuse parade” (Freaks, 1932), en particulier. De “La Piste aux Étoiles” aux plus récents festivals du cirque, la télévision a montré aussi le caractère de ces spectacles, avec leurs numéros acrobatiques, mystérieux, joyeux quand arrivent les clowns, dangereux face aux fauves, impressionnant avec ses éléphants, majestueux avec ses chevaux. Quand un cirque donne ses représentations dans une ville, le public répond généralement présent. Du plaisir pour petits et grands !

C’est ce contexte sur lequel il s’est bien informé, qu’utilise ici l’auteur, d’une manière très convaincante. Grâce à lui, on imagine aisément ce petit groupe d’artistes, confronté à un homicide, mais masquant également quelques-uns de leurs sombres secrets. En effet, si la tonalité se veut d’abord souriante, si le récit est rythmé à souhaits, l’histoire repose sur une intrigue de bon aloi. Certes, ce n’est pas l’officier de police de service qui creusera trop profondément, il faut plus sûrement compter sur Dachi El Ahmed. Un mystique pétri de culture orientale, admirateur des grands poètes arabes ? Oui, mais c’est tout autant un homme d’action, quand cela s’avère nécessaire. Non seulement un roman fort distrayant, mais un polar enjoué qui réussit à nous captiver.

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3 mars 2017 5 03 /03 /mars /2017 05:55

La revue trimestrielle “Quinzinzinzili” n’a pas pour unique but de rappeler le parcours de l’universitaire Régis Messac (1893-1945). L’Entre-deux-guerres fut une période charnière de notre Histoire. Face aux coalitions antisémites, royalistes, catholiques, aux groupuscules attaquant les Francs-Maçons ou vantant les mérites de l’hitlérisme, bon nombre d’intellectuels – souvent pacifistes tel Messac, s’interrogent sur l’avenir de la France dans ce climat trouble et virulent. Contributeur de la revue "Les Primaires", Régis Messac se fait l’écho des livres alors publiés, intrigues policières ou traitant de sujets sociaux et idéologiques. Comme la plupart d’entre eux l’avaient prédit, arrive la 2e Guerre Mondiale. À Coutances où il habite, Régis Messac continue à lire – mais ne peut rien publier, et à échanger des courriers avec son fils Ralph. Ce n°33 de la revue “Quinzinzinzili” nous en offre quelques exemples. Bientôt, Messac sera envoyé en camps de concentration : il disparaîtra dans le chaos de leur débâcle en 1945.

Dans ce n°33, “Quinzinzinzili” consacre l’essentiel de ses pages aux années de guerre. Outre le destin et les écrits sur la "question juive" du trotskiste Victor Serge, évoqués dans un article du regretté Jean-Louis Touchant, on s’intéresse ici à quelques écrivains "collaborationnistes", ainsi qu’on les qualifia en ce temps-là. Si des artistes de cinéma ou de la chanson se mirent au service du régime de Pétain et de l’occupant nazi, des auteurs adoptèrent également une position peut-être condamnable. L’historien Henri Amouroux plaida qu’il y eut “Quarante millions de pétainistes”, oubliant que quantité de Français patriotes s’opposèrent dans l’ombre et par leurs actions au totalitarisme nazi. Par contre, des éditeurs tel Robert Denoël et des écrivains tel Jean de la Hire n’hésitèrent pas à profiter de ces heures sombres. La propagande prit des formes diverses, y compris par le biais de la science-fiction. Il ne s’agit pas de dresser une liste exhaustive dans ce numéro, mais d’en citer quelques cas.

La revue “Quinzinzinzili” n°33 est disponible

Une des personnalités les plus ambiguës de cette période se nommait René Bonnefoy. Rédacteur-en-chef d’un journal appartenant à Pierre Laval, hostile au Front Populaire et à tout réformisme démocratique, René Bonnefoy suit son mentor dans sa carrière politique. Quand Laval arrive à la tête de l’État Français, c’est à Bonnefoy qu’il confie la mission d’instrumentaliser l’information. Simple fonctionnaire effectuant le travail qui lui était demandé, comme se défendirent les collabos du genre Maurice Papon ? Si la censure et le propos propagandiste furent plus rassembleurs qu’agressifs, Bonnefoy fut probablement un des plus zélés valets du pouvoir. Puis le sinistre Philippe Henriot, qui eut la mort que méritait sa haine, lui succéda pour haranguer les foules. À l’issue de la guerre, René Bonnefoy devint – sous le pseudonyme de B.R.Bruss – un auteur de la collection Angoisse, aux Éd.Fleuve Noir. Il utilisa par ailleurs d’autres pseudos.

Quatre livres récents (dont une réédition) proposent un regard sur la France de 1940. Anne Gabriel signe des chroniques sur ces livres d’Emmanuel Pierrat, Philippe Druillet, Jacques Decour et Henri Bellamy. Franc-maçonnerie, témoignage concernant la vie sous l’occupation, mais on en apprend davantage (non sans surprise) sur les origines du dessinateur très connu qu’est Druillet… Par ailleurs, il est aussi question de Pierre Benoit, qui fut Académicien Français. Si son “Kœnigsmark” reste le célèbre n°1 du Livre de Poche, c’est “L’Atlantide” qui fit sa gloire. Un roman aux allures coloniales, que Régis Messac n’apprécia guère. [Ceux qui l’étudièrent étant scolaires n’en gardent sans doute pas non plus un si bon souvenir]. Un article d’époque (1932) évoque le film que G.W.Pabst tira de cet ouvrage, plus convaincant qu’une précédent version signée Jacques Feyder.

Chaque numéro de la revue “Quinzinzinzili” coûte 7€. On peut s'y abonner en s'adressant à la Société des Amis de Régis Messac (71 rue de Tolbiac, Paris 13e). À Paris, cette revue est disponible chez plusieurs libraires. Les romans et autres écrits de Régis Messac sont réédités aux éditions Ex-Nihilo, 42bis rue Poliveau, Paris 5e. Il publia plusieurs livres dont "Quinzinzinzili" (qui donne son titre à la revue), "Le miroir flexible", "La cité des asphyxiés", "A bas le latin !", "Valcrétin", "La loi du Kampilan". Sans oublier sa thèse “Le «detective Novel» et l'influence de la pensée scientifique”, rééditée chez Les Belles Lettres, Prix Maurice Renault 2012 de l’association 813.

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2 mars 2017 4 02 /03 /mars /2017 05:55

C’est en 1895 dans le Pays Bigouden que débute l’épopée de la comtesse Hortense de Penarbily et de son fils Gonzague. Âgée de quarante-neuf ans, Hortense est veuve. En son manoir, elle maintient un certain standing en accueillant des hôtes payants. Gonzague et sa sœur Bérénice furent éduqués par une préceptrice galloise. À vingt-huit ans, bilingue, Gonzague s’affiche étudiant en droit. C’est surtout un fêtard, séducteur et dépensier. Sa mère est endettée, il l’est encore bien davantage. Va-t-il s’assagir en épousant une fille de la bonne société nantaise ? Non, il s’agit d’une filouterie au détriment de sa belle-famille. Qui ne tarde pas à porter plainte. Ce qui oblige Gonzague à quitter la France au plus tôt.

Sur le paquebot à destination de l’Amérique, le jeune homme découvre une invention qui paraît promise à un bel avenir : le cinématographe. Gonzague s’installe quelques temps à New York. Si la métropole le fascine, il n’a pas les moyens d’investir dans la projection de films. Retour en Bretagne, pour solliciter la comtesse Hortense. Celle-ci n’est pas opposée à vivre l’expérience avec son fils. L’argent du futur mari de Bérénice permettra au duo de se lancer dans l’aventure. Les frères Lumière fournissent des films éducatifs, et ceux de Georges Méliès sont spectaculaires. L’incorrigible Gonzague y ajoute un film grivois. Et les voilà partis pour le Canada. Car c’est à Montréal qu’ils comptent s’établir.

Grâce à un cousin consul de France, et avec la bénédiction d’un archevêque, une salle est aménagée pour la projection. La première séance est encensée par le journal "La Presse", et le succès est vite au rendez-vous. Certes, ils ont un concurrent français agressif, qui se fait appeler Harry Foxfield. Malgré lui, les séances en salle et la tournée des écoles à des fins pédagogiques rapportent gros. Partout, ils sont bien accueillis. En particulier par le curé, Breton d’origine, de Saint-Jérôme, dans les Laurentides. Un nouvel archevêque va contrarier le programme. Qu’importe ! Hortense et Gonzague continuent à Ottawa, évitant tout contact avec les religieux cette fois, avant de se diriger vers New York.

Le cinématographe est déjà omniprésent dans la grande ville américaine de leurs espoirs. Ils vivotent, ne pouvant rien développer à leur idée. Pour Hortense, un rapide détour par la Bretagne est nécessaire, afin de rebondir et d’améliorer leur sort. Quand elle retourne en Amérique, Gonzague leur a trouvé un riche mécène, propriétaire à Atlantic City. Cet Irlandais ne tardera pas à devenir très intime avec Hortense. La comtesse et son fils ne s’interrogent guère sur la source financière de ses investissements, même si ce Dermot a beaucoup de partenaires et de "cousins". C’est en Floride puis à Saint-Louis, Missouri, que l’Irlandais place sa fortune. Pour Hortense et Gonzague, c’est l’heure de l’opulence.

Peut-être leur faudra-t-il un jour plier bagage. Pourtant, le périple du duo se poursuivra de Saint-Pierre-et-Miquelon jusqu’à Saint-Malo. Si la comtesse Hortense regagne son manoir en Bigoudénie, Gonzague tente avec sa compagne Suzanne de nouveaux exploits dans le Paris artistique du début du 20e siècle. À cœur vaillant, rien d’impossible. Gonzague serait même capable de produire, outre des coquineries, un vrai film de cinéma !…

Hervé Jaouen : Le vicomte aux pieds nus (Presses de la Cité, 2017)

D’abord rembrunis par son culot, au fil de la journée ils se montrèrent de plus en plus prolixes, surpris et flattés de la curiosité de ce passager. Ses questions pertinentes tranchaient sur les conversations mondaines qui les avaient bassinés la veille au soir. En vérité, si ce n’est qu’il fut interrompu par les siestes et les soirées festives, le dialogue dura jusqu’à la fin de la traversée. Au passage du paquebot sous la Statue de la Liberté, Gonzague aurait pu prétendre au brevet de technicien du cinématographe.
Qu’avait-il réclamé qu’on lui apprenne ? Comment saisir les images et comment les projeter. Qu’avait-il mémorisé ? Les tâtonnements qui avaient précédé la mise au point du procédé des vues animées à partir d’images fixes […] Edison met au point son kinétographe qui permet d’enregistrer le mouvement sur une pellicule de 35mm de largeur qu’une manivelle fait avancer grâce à des perforations et à un système de griffes ; suit l’invention, par le même Edison, du kinétoscope qui restitue, par l’avancement du ruban selon le même système, le mouvement capté par le kinétographe…

Certains Bretons d’autrefois s’éloignèrent de leur région en devenant marin. Par goût d'exotisme, quelques-uns s’expatrièrent pour ne plus revenir. D’autres choisirent de fuir la misère des campagnes et des familles trop nombreuses, s’installant à Paris ou ailleurs en France. Les plus téméraires franchirent l’Atlantique pour vivre sur le continent américain. Des passionnés d’Histoire se souviennent du cas de Marie de Kerstrat qui, avec son fils Henry, crut en l’avenir de cette invention qui attirait les foules, le cinématographe. Il n’est pas question pour Hervé Jaouen de présenter une biographie de ce duo, à propos duquel d’autres ont déjà écrit. Il s’inspire de l’originalité et du volontarisme de ces personnages, afin de concocter un roman fertile en rebondissements, dans un contexte attirant pour les plus hardis des Bretons.

Quand on réfléchit à ces débuts de l’industrie du cinéma, on prend conscience que son essor fut fulgurant. En moins de vingt ans, ça devient le spectacle par excellence, avec les gains faramineux qu’il engendre. Époque héroïque, s’il en fut ! Nous voici entraînés à l’Est des États-Unis. Non sans être passés par le Québec, tout aussi dynamique que son voisin, encore que le poids religieux y soit toujours lourd en ce temps-là. Ne nous étonnons pas d’y croiser un bienveillant curé breton, ils étaient partout. Toujours un certain humour dans les histoires de cet auteur, ne l’oublions pas. Écrivant depuis environ quarante ans, Hervé Jaouen a été légitimement récompensé par de nombreux prix littéraires prestigieux. Il n’est donc pas indispensable de souligner sa maestria. Ce foisonnant roman d’aventure séduira autant ceux qui connaissent son talent que, sûrement, de nouveaux lecteurs.

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