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28 février 2017 2 28 /02 /février /2017 05:55

Né en 1950, David Binder est originaire du Tennessee. Après la guerre du Vietnam, il s’est marié avec Corrie, de cinq ans sa cadette. Ils ont eu une fille à la fin des années 1970, se sont installés à Chicago. Pendant quelques temps, David est à la fois ouvrier et écrivain. Il finit par trouver un grand éditeur pour son premier roman, vers 1980. L’ouvrage connaît un succès, à relativiser toutefois. Son deuxième manuscrit est effectivement mauvais, David doit le reconnaître. Son agente lui suggère d’entamer un roman plus commercial. Les histoires étranges et angoissantes se vendent bien. Dans un livre, il découvre celle de la jeune Virginia Beale, qui s’est déroulée environ un siècle plus tôt, dans le Tennessee.

En 1982, David décide de louer pour au moins six mois la propriété des Beale, dans le but de s’imprégner de l’ambiance. Selon l’agent immobilier, ces rumeurs de maison hantée ne reposent sur rien. Enceinte de leur deuxième enfant, Corrie n’est pas enchantée de vivre dans cette demeure. Leur fille Stephanie, mûre pour ses cinq ans et proche de son père, s’en accommode assez bien. Pour David, c’est un calvaire d’installer correctement une antenne de télévision, et climatiser l’intégralité de l’habitation apparaît impossible. Mais il ne se décourage pas. D’autant qu’il a retrouvé les traces de la première maison de cette famille Beale, qui fut rasée cent quarante ans plus tôt, suite à un drame.

Un vieil habitant de la région, Charlie Cagle, rappelle à David que la propriété des Beale connut une autre affaire bizarre, durant la décennie 1930. Son ami Owen Swaw, métayer, était marié et avait quatre filles. La chance leur sourit quand on leur offrit de loger dans la demeure des Beale, d’en exploiter les terrains, de bénéficier d’une part des récoltes. Mais Owen Swaw se dit bientôt que cette maison lui était hostile. Il eut des visions, imaginant un prédicateur et sa jeune sœur campant sur la propriété, entourés de serpents. Des hallucinations, sans nul doute, qui s’aggravèrent au fil du temps. Et qui plongèrent Owen Swaw dans un état délirant, ceci expliquant l’issue malheureuse de l’affaire.

David inclura sûrement cet épisode dans son roman, dont l’écriture avance bien. Lui aussi est victime d’hallucinations, croyant entendre une jeune fille chantonnant la nuit dans la maison. Un autre ouvrage historique raconte le parcours de Jacob Beale, au 19e siècle. Il fit souche dans le Tennessee, après un sombre scandale qui s’était produit ailleurs. Riche, il exploita le domaine avec rigueur. Hélas, des phénomènes inexplicables le harcelèrent rapidement. Même si le révérend Joseph Primm s’efforça de désensorceler les lieux par la prière, le fantôme logeant là poursuivait son œuvre. S’il existait un lien avec l’adolescente Virginia Beale, qui passait pour une sorcière, personne ne le comprit réellement…

William Gay : Petite sœur la mort (Éd.Seuil, 2017)

David produisait sur vous une forte impression : celle d’une détermination inébranlable, dont l’intensité était trop forte. Jamais il ne paraissait détendu. Corrie croyait fermement qu’il était capable d’accomplir tout ce qu’il avait décidé de faire. Même pendant la période où il était barbu et chevelu et traînait vêtu d’un vieux treillis de l’armée, il n’avait pas un instant perdu de vue qui il était, et ce qu’il était, et ce qu’il allait faire de sa vie.
Il était né pour écrire. À ce moment-là, il envoyait déjà des nouvelles à des revues littéraires, et on les lui retournait accompagnées d’un petit mot impersonnel de refus poli. Mais pour Corrie, de toute évidence, David était écrivain et le savait pertinemment : il attendait simplement que le monde dans lequel il vivait en prenne conscience – ce qui avait fini par se produire, à Chicago.

Les légendes de sorcellerie sont universelles, qu’on les situe dans les Carpates, en Afrique noire, dans un château écossais, dans une région rurale française, au cœur du Tennessee ou ailleurs. D’où venaient les croyances alimentant ces contes maléfiques, ces mystères diaboliques ? Servirent-ils à effrayer les populations crédules, à désigner un fautif quand aucune autre explication ne semblait possible ? Et si, plus simplement, il était dans la nature humaine de s’inventer du danger, des actes intrigants prêtant à une interprétation surnaturelle ? À moins que, depuis des temps immémoriaux, de facétieux fantômes se complaisent à contrarier les vivants, sait-on jamais ? Alors, ils ne seraient malfaisants que par nos exagérations. À travers le monde, quel que soit le terroir, lesdites légendes peuvent s’avérer obsédantes, même pour des gens sains de corps et d’esprit.

Le héros créé ici par William Gay (1941-2012) lui ressemble par certains aspects. Là où l’auteur observe et décrit, son personnage d’écrivain s’implique bien davantage, se laisse influencer par le contexte historique et malsain. Probablement, dans un lointain passé, tel endroit fût-il le théâtre d’une affaire sordide, infiniment glauque. Qu’en reste-t-il ? Est-il pensable que des faits dramatiques se renouvellent périodiquement dans le même lieu ?… La préface de l’écrivain Tom Franklin nous éclaire sur "l’ambition littéraire" de William Gay. Sur le pragmatisme de sa vie en parallèle avec sa passion de l’écriture, en particulier. Si on conseille rarement de s’intéresser aux préfaces, celle-là mérite amplement d’être lue.

La collection "Seuil policiers" fait peau neuve, devenant "Cadre noir". Initiative destinée à élargir l’image d’une littérature qui ne se réduit pas à une seule catégorie de romans. Que l’on aime les enquêtes, les ambiances noires, toute forme de mystère ou de sujet plus sociologique, ce sont des thèmes variés abordés par le biais du suspense. Débuter cette nouvelle présentation avec un écrivain aussi remarquable que William Gay, via une histoire insolite construite et racontée superbement, un signe de bon augure pour "Cadre noir".

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 05:55

À l’origine, c’est à l’orphelinat Saint-Gabriel que se forma cette "famille". William Malone, surnommé Boo, et Darrell McCullough, qu’on appela Junior, y devinrent des frères pour la vie. Il y avait aussi Twitch, aux capacités surprenantes, et Ollie, le plus fragile d’entre eux. Leur union les souda face à un costaud pervers de leur âge tel que Zack Bingham. Depuis, vivant tous à Boston, ils restent proches. Boo et Junior ont monté une petite société de sécurité. Rien d’aussi prestigieux que leurs concurrents de l’IronClad Security, qui bossent pour le caïd Ian Summerfield, patron de boîtes de nuits sélects. Boo et Junior exploitent aussi un club, le Cellar. Clientèle alcoolo-rock’n’roll, qu’ils ont intérêt à maîtriser. Avec ses cent kilos, Boo fait généralement le poids pour calmer la faune des excités.

Ayant été blessé à une jambe dans une précédente affaire, Boo boitille quelque peu, et ça l’handicape en cas de baston. C’est ainsi qu’il se fait humilier lors d’une sévère bagarre par Marcus, de l’IronClad, et par Summerfield. Double honte pour Boo, car son ex-petite amie Kelly Reese fricote en ce moment avec le mafieux en question. Par ailleurs, la serveuse du Cellar, Ginny, a besoin d’un coup de main. C’est sa coloc Dana qui est harcelée par son ancien petit copain, Byron Walsh. Ce musicien de jazz plus ou moins junkie veut récupérer les objets lui appartenant, laissés chez Dana et Ginny. Sûrement des trucs plus précieux que sa trompette et quelques frusques, peut-être de la drogue. Boo et Junior s’arrangent pour piéger et secouer le nommé Byron avec une bonne dérouillée, aussi solide soit-il.

Boo et Junior s’aperçoivent que Dana n’est pas "une" colocataire, c'est un homme. Byron et lui sont gays. Depuis sa jeunesse, Junior a des raisons de se montrer homophobe, Boo l’admet. Dans l’immédiat, il faut riposter lorsque les gros bras de l’IronClad reviennent à la charge. Twitch a anticipé ce genre d’embrouille, tous les quatre – y compris Ollie, moins impliqué – se replient au Cellar. C’est là qu’apparaît le cinquième mousquetaire de Saint-Gabriel : Brendan Miller, surnommé Underdog. Il est devenu inspecteur de police. Même si c’est leur ami, il vient faire son job de flic. Byron Walsh a été retrouvé mort après avoir été copieusement frappé. Boo et Junior l’ont cogné, pas tué. Sauf qu’un indice désigne formellement Junior, bientôt arrêté. Un cas de meurtre homophobe, c’est du sérieux.

La menace reste forte autour de Ginny et Dana. Leur appartement va être le théâtre du meurtre d’un policier, abattu par Twitch en présence de Boo. Peu importe que la victime ait été vraiment flic ou pas, il faut rapidement se débarrasser du cadavre. Heureusement, les gangs irlandais locaux disposent d’un service de déménagement assez efficace. Même si Boo fait appel à eux, il y aura comme toujours des complications. Parfois, le courage est dans la fuite. Il finit par découvrir plusieurs choses. Ce que cherchait Byron dans l’appart’ de Ginny et Dana. Que la chanteuse du club de jazz Blue Envy n’est pas ce qu’elle semble être. Et pas mal d’autres détails important sur tout ce qui est lié à la mort de Byron…

Todd Robinson : Une affaire d’hommes (Gallmeister, 2017) – Coup de cœur –

Alimentée par ma colère et ma tristesse générale, l’idée persista tandis que je m’étendais au maximum sur le petit canapé deux places qu’on avait trouvé dans la rue. Un meuble plus grand n’aurait pas tenu dans l’espace exigu que nous appelions un bureau. Une table placée dans la réserve d’alcools ne fait pas un bureau, mais un canapé aidait. Je posai ma tête sur le côté qui sentait le moins la pisse de chat et fermai les yeux.
Je repensai à ce qu’avait dit Luke. J’étais content qu’il ne me considère pas comme un mauvais garçon, même si le reste du monde ne semblait pas d’accord. Je ne parlais pas de moi en particulier, mais Luke avait asséné une autre vérité. Je n’incarnais peut-être pas les ténèbres ordinaires, mais j’aurais pu en être un avant-goût. Par chance pour mes démons et mon esprit imbibé de whisky, mon portefeuille me rentrait dans le cul, donc je le retirai de ma poche…

Dans le roman noir américain, il existe une tradition moins souvent respectée aujourd’hui, celle des scénarios à la fois percutants et jubilatoires. On aime le suspense psychologique ou sociologique, voire ethnographique avec ces bouseux de "rednecks". Mais on adore tout autant, peut-être davantage, les tribulations tumultueuses et drôles vécues par des héros confrontés à des situations critiques incessantes. Avec “Une affaire d’hommes”, nous voilà en plein dans ce genre d’histoires. De la castagne, du bourre-pif, de la bastion endiablée, c’est encore le meilleur moyen de régler certains différends. Une bonne "mise aux poings" assaisonnée d’une grosse dose d’adrénaline, ça défoule franchement même si l’on sait que ça ne solutionne rien. Nos protagonistes prennent des coups en tous genres, mais il ne sont pas avares pour en distribuer également. Pas de temps mort, de l’action !

On peut supposer que Todd Robinson est un véritable adepte de la "culture polar". S’il en a saisi les codes, s’il a choisi ce tempo effréné, c’est qu’il connaît fort bien ses classiques. En témoigne ce passage : “La petite voix qui me harcelait dans ma tête et qui avait lu trop de romans d’Ed McBain avait besoin de savoir […] J’ai bien mérité au moins un burrito en remerciement d’avoir récupéré le paquet. Voilà ce que me disait la voix qui avait lu toutes les aventures de Travis McGee par John D.MacDonald.” Ceci démontre qu’il ne suffit pas de savoir raconter, mais que posséder des vraies bases est un atout supplémentaire.

Ce qui n’empêche nullement de développer un style personnel, on le constate ici. C’est Boo Malone qui raconte, avec une belle part d’autodérision, les mésaventures traversées par ses potes et lui-même. Dans le pétrin, ils y sont jusqu’au cou. Leurs muscles peuvent les aider à ne pas sombrer, mais un brin de réflexion n’est pas à exclure. Des péripéties agitées et souriantes, où l’humour s’appuie sur une intrigue criminelle structurée. Un régal pour les lecteurs de noirs polars super-rythmés.

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24 février 2017 5 24 /02 /février /2017 05:55

En ce mois de décembre 1931, le commissaire Ricciardi est en poste depuis déjà quelques années à Naples. D’une famille riche, cet homme de trente-et-un ans possède plusieurs propriétés, dont s’occupe sa tante âgée Rosa. Côté cœur, il est épris d’Enrica, vingt-cinq ans. Si elle est également amoureuse de lui, et bien qu’elle ait la confiance de Rosa, leur relation reste incertaine. Car la séduisante romaine Livia Lucani s’est installée à Naples, afin d’être plus près de Ricciardi. Cette jeune femme appartient au cercle des proches du Duce. Si elle est attirante, le commissaire observe une certaine neutralité vis-à-vis de Mussolini. À l’inverse de son ami le légiste Bruno Modo, athée et plutôt anti-fasciste.

Quinquagénaire, marié et père de famille, le brigadier Raffaele Maione est le principal adjoint du commissaire. Probablement le seul auquel Ricciardi puisse se fier. Luca, le fils du brigadier, s’était engagé dans la police mais fut tué trois ans et demi plus tôt. Le tueur croupit en prison, sous la garde du gardien-chef Franco Massa, ami d’enfance de Maione. Le brigadier est en contact avec un indic privilégié, Bambinella, taquin mais sérieux, bien renseigné sur la vie napolitaine. Maione est aussi doué pour les planques, capable de se fondre dans le décor, y compris dans les quartiers modestes. S’il accompagne souvent Ricciardi, le brigadier sait faire preuve d’initiative, enquêtant de son bord.

Le 18 décembre, deux musiciens père et fils alertent la police pour un crime commis dans le quartier de Mergellina. Dans un bel appartement de cet immeuble, la police constate un double meurtre. Emanuele Garofalo et son épouse Costanza ont été poignardés chez eux, l’assassin s’étant acharné sur le mari. Heureusement, leur fillette était déjà partie partie pour l’école avec sa tante, la religieuse Veronica, sœur de la signora Garofalo. La scène du crime est particulièrement sanglante. Le médecin légiste Bruno Modo pense qu’il y avait deux tueurs. Le commissaire Ricciardi remarque la très belle crèche familiale. Le santon représentant saint Joseph a été brisé et caché sous le décor de Noël. Les Garofalo avaient bonne réputation, surtout parce que faisant partie des adeptes de Mussolini.

En effet, le "capitaine" Garofalo était "centurion" dans la milice fasciste du port. Ricciardi et Maione sont reçus par le colonel dirigeant cette administration. S’il leur explique avec courtoisie le fonctionnement de ses services, il leur montre aussi qu’il est bien informé à leur sujet. Garofalo traquait dysfonctionnements et irrégularités chez les pêcheurs ou sur le fret passant au port de Naples. S’il est vite monté en grade, c’est en raison d’une affaire trouble qu’il dénonça. Récemment sorti de prison, le coupable pourrait figurer parmi les suspects. Selon l’indic du brigadier, même s’il feignait d’être incorruptible, le centurion Garofalo rackettait quelques pêcheurs. Que l’on peut soupçonner également.

Tandis que Maione cherche à en savoir davantage sur le vrai assassin de son fils Luca, le commissaire s'adresse à un prêtre au sujet du symbole de saint Joseph. Le duo de policiers s’interroge sur les motivations du double meurtre: “Il faut une rage inouïe, je crois. Ou un très grand désespoir. Quoi qu’il en soit, de la souffrance, de la douleur.” Garofalo avait sans nul doute gâché la vie de plusieurs personnes, pouvant susciter une vengeance…

Maurizio de Giovanni : Le Noël du commissaire Ricciardi (Rivages, 2017)

— Saint Joseph, commissaire, représente différentes choses. C’est le plus humain, n’étant ni la Vierge, ni le Fils de Dieu. C’est un homme et comme vous pouvez le constater il est habillé comme un berger. Mais il est aussi le père putatif de Jésus, et c’est un charpentier. Pour les chrétiens, il représente, outre la paternité, le travail, la dureté de la vie pour élever un enfant, le sacrifice quotidien.
Ricciardi posa enfin la question qui le taraudait depuis le début : "Et à votre avis, mon père, celui qui aurait profané une seule statuette de la crèche, saint Joseph, justement, qu’est-ce qu’il aurait pu vouloir dire ?"
Don Pierino porta la main à son menton et le caressa, pensif. "Ce n’est évidemment pas très joli, commissaire. Je n’en ai pas la moindre idée. Cela pourrait se référer soit à la paternité, soit au travail. Quelqu’un qui a voulu exprimer son malaise d’être privé d’un de ces deux droits, le travail surtout. Saint Joseph est le patron des travailleurs. C’est tout ce que je peux vous dire.

Les romans de Maurizio de Giovanni se déroulent à Naples, sa ville. Une de ses séries a pour héros le commissaire Lojacono, policier contemporain (La méthode du crocodile, La collectionneuse de boules de neige, Et l’obscurité fut). L’autre série, qui le fit connaître, met à l’honneur le commissaire Ricciardi et son fidèle adjoint le brigadier Maione. Après les quatre romans du “cycle des saisons”, cette enquête précédant Noël est la première du “cycle des fêtes”. On y retrouve les mêmes protagonistes principaux, le policier étant de retour après un accident qui resta sans conséquences graves pour lui. À travers sa tante âgée Rosa et ses deux amoureuses, Enrica et Livia, nous avons un aperçu de la vie privée du commissaire. Marié à Lucia, à la tête d’une famille nombreuse, Raffaele Maione participe à part entière à ces affaires criminelles, y compris à titre personnel.

En Italie, c’est l’époque du fascisme triomphant, du moins selon la propagande. Le colonel de la milice portuaire avoue à demi-mot les approximations dans la mise en place de ce régime, sur le terrain. Néanmoins, la méfiance est de mise, les espions de Mussolini étant très actifs. L’intelligence de l’auteur consiste à ne pas alourdir l’ambiance, le contexte se suffisant à lui-même. Il nous introduit dans les quartiers du Naples d’alors, chez les plus pauvres, les artisans, les pêcheurs, dans un couvent. C’est avec curiosité que l’on suit les investigations du duo de policiers, au fil d’un récit fluide et maîtrisé.

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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 05:55

Romain Delvès et Margot Garonne sont âgés d’une trentaine d’années. Tous deux sont flics dans le même commissariat, policiers de base. Ils se connaissent, amis sans plus, gardant une certaine distance. Romain fait équipe avec Ivo Fonzi, qui joue volontiers les cadors, un adepte des opérations musclées, un partenaire ayant "l’esprit flic". Romain est issu d’un milieu très aisé. Paul Delvès, son père, fut l’unique héritier de la fortune familiale. Anna, sa mère, évolua un temps dans le cinéma. Lassée de l’attirance de son époux pour les jeunes filles, Anna s’exila au Canada, où elle vit depuis longtemps avec sa compagne. Il est vrai que, dans le chalet montagnard des Delvès, on accueillait beaucoup de jeunes, surtout des groupes de filles. Ce qui n’était pas sans créer des incidents, parfois violents.

Ce que Romain retient de positif, c’est sa relation avec Dimitri, venu de Lettonie. Dimitri avait douze ans de plus que le petit Romain, âgé de deux ans. Une relation fraternelle et complice s’établit entre eux. D’ailleurs, Dimitri s’est établi dans la région depuis. Le drame pour Romain se déroula quand il avait six ans. Son père fut abattu par des inconnus, une affaire jamais élucidée. C’est ce qui l’incita a entrer dans la police. De son côté, Margot Garonne est divorcée, mère de trois filles. Avec elles et son métier, sa vie est bien remplie. Quand Romain et Ivo Fonzi sont victimes d’un traquenard monté par des malfrats, Ivo ne tarde pas à mourir, tandis que Romain risque de sévères séquelles. Margot devient sa garde-malade, avant qu’il s’efforce de récupérer physiquement sa forme d’avant.

Romain a évoqué pour Margot le meurtre de son père Paul. La jeune femme fait bientôt une fixation sur l’affaire, remontant à un quart de siècle. En parallèle de son métier, elle retrouve Zoé Gardel, une des adolescentes qui séjournèrent au chalet des Delvès. Elle fut témoin du crime, se souvient qu’il s’agissait de la vengeance d’une femme, accompagnée par deux comparses. Le prénom de la tueuse sonnait américain, mais elle ne s’en rappelle plus exactement. Peut-être cette Jessica, qui joua dans le film réalisé par Anna ? Margot déniche le vrai nom de cette personne, Jeanne, et se rend dans le village côtier au bord de l’océan, où elle vit. Quant à Romain, il a choisi de traquer les assassins d’Ivo Fonzi. S’il retrouve leur piste, grâce au détective qu’il a engagé, il sera sans pitié envers ces tueurs.

L’avenir de Romain n’est certainement pas dans la police, d’autant que le vrai flic, c’était son défunt partenaire. Autant faire rénover le chalet familial des Delvès, et s’y installer. Margot ne renonce pas, quant à elle, rencontrant un gendarme retraité qui enquêta sur le meurtre de Paul. Lorsqu’elle fait la connaissance de Dimitri, Margot entame une nouvelle étape dans sa vie. Convaincre sa hiérarchie de relancer l’affaire Paul Delvès ? Pas facile…

Jacques Bablon : Nu couché sur fond vert (Éd.Jigal, 2017)

Titillée par le meurtre de Paul Delvès, [Margot] avait demandé à Romain de rassembler ce qui avait trait à l’été meurtrier. Il avait mis dans une boite tout ce qu’il avait ramené du chalet.
Romain ne savait pas quoi penser de l’insistance de Margot à reprendre en main l’enquête. Qu’elle s’occupe de son père mort qu’elle n’avait pas connu vivant était troublant. Ça tenait de l’hommage ? De l’intrusion déplacée ? Il se dit surtout qu’il ne risquait rien à la laisser faire. Au mieux, il ne serait pas mécontent que l’assassin de son père se fasse choper. Ce serait sans l’ordre des choses. Mais pas plus, il n’était plus motivé par le sujet. Il savait que ça ne réparerait pas les dégâts que ça lui avait causés, qu’il n’y avait pas d’autre choix que de faire avec.

Il est bon de préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un roman d’enquête, mais d’un authentique polar. On pourrait même dire : un polar de qualité supérieure. Sa finesse provient d’abord des portraits des protagonistes. L’auteur n’oublie pas que, dans la vraie vie, chacun à son propre parcours, linéaire ou plus chaotique. Margot, mère de famille divorcée, n’est pas si proche du célibataire Romain, fils d’un milieu fortuné marqué par des drames. Elle n’a pas de motif "objectif" de fouiller dans le passé, mais cela donne un sens à ses capacités mal exploitées dans la police. Quant à la relation entre Dimitri et Romain, elle est exemplaire dans sa subtile description : on a envie de répondre en écho que c’est bien ainsi que peut démarrer une longue et solide amitié mutuelle.

Cette histoire n’est pas située géographiquement, pas d’indication de ville ou de région. De tels détails n’étaient pas indispensables. Néanmoins, les décors sont habilement esquissés. Visuelles et réalistes aussi, les scènes s’y déroulant s’avèrent très vivantes. Les allers-retours dans les époques ajoutent du piment au récit. Tous les éléments de cette intrigue captivante en font un suspense riche, que l’on dévore avec passion.

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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 05:55

Mary Higgins Clark ou Mary Jane Clark ? Aux lectrices et aux lecteurs de choisir entre ces deux romans, désormais disponibles en format poche… ou de lire les deux.

 

Mary Jane Clark : Vengeance par procuration (Éd.Archipoche, 2017)

Eliza Blake est une journaliste de télévision new-yorkaise, présentant la session matinale d'infos "Key to America". Elle élève seule sa fille de sept ans, Janie. Elles sont encore sous protection depuis que la gamine a été victime d'un kidnapping durant cinq jours. Eliza à pour ami de cœur son collègue Mack McBride, trop absent car en poste à Londres. Avec BJ et Annabelle, Eliza forme une bonne équipe pour son programme, sans oublier son amie psy Margo Gonzalez. La journaliste a ses entrées dans la haute société de New York. Elle est proche de Vincent et Valentina Wheelock. Cette dernière fut gouverneur de l’État de New York, puis ambassadrice des États-Unis en Italie. Un long séjour à Rome que Vincent, conseiller officieux de son épouse, apprécia beaucoup et dont il est nostalgique.

De retour depuis quelques temps, le couple s'est installé à Tuxedo Park, dans la demeure familiale de Valentina. Leur fils étudiant Russell y loge aussi, tout en se consacrant à son avenir. Situé à soixante-dix kilomètres au nord-ouest de New York, Tuxedo Park est un site paysager tranquille réservé à l'élite. Le chef de la sécurité Clay Vitalli, père d'une jeune fille handicapée, veille strictement aux accès. Vincent a fait rénover la vieille demeure par le brillant architecte Zachary Underwood. Devenu idolâtre de Saint François d'Assise, Vincent a décidé de tout, et rebaptisé la maison "Pentimento" (le "repentir" en peinture). Le couple organise une grande fête qui sert d'inauguration, mais surtout dédiée à Saint François d'Assise. Ils reçoivent une centaine d'invités, dont Eliza Blake.

À la surprise générale, après un discours aux personnes présentes sur le thème de la repentance, Wheelock se suicide dans la serre. Eliza a pris des photos en cachette, mais pas pour les diffuser. À la télé, elle souligne néanmoins que Vincent s'est infligé des stigmates comparables à ceux du Christ. Annabelle et BJ remarquent sur une photo un pot de terre portant une double inscription. Cet indice laissé par Vincent, ils vont bientôt en découvrir le sens, ça concerne Tuxedo Park. Quelqu'un estime qu'Eunice, l'employée de maison des Wheelock, est un témoin gênant. Son décès passera pour une chute accidentelle. Valentina prépare les funérailles de Vincent, selon les volontés de celui-ci. On y lira "Le cantique de Frère Soleil", de Saint François d'Assise. Tandis que le politicien Peter Nordstrut, vieil ami des Wheelock, apparaît inquiet, Zachary Underwood l'architecte pense que Vincent a laissé un puzzle d'indices qui a un sens. Encore un témoin à supprimer…

Un suspense impeccable peut se comparer à une fine mécanique d'horlogerie. Pour que tout fonctionne avec précision, chaque élément doit trouver sa place au millimètre. Le sentiment que l'on ressent à la lecture de ce roman de Mary Jane Clark, c'est que l'intrigue y a été peaufinée afin d'approcher une perfection d'horloger. Dans la construction du récit, bien sûr, plus de cent-cinquante scènes courtes se complétant avec harmonie pour former un tableau complet. Ainsi que par la présentation détaillée, nuancée des personnages, ayant un rôle à jouer dans l'affaire, même lorsqu'il semble flou. Tout ça permet, on s'en doute, de suggérer une belle galerie de suspects. Ici, on évolue dans la société de haut-rang, entre notions intellectuelles, religieuses, et politiques. C'est l'ambiance dans les sphères dirigeantes, familles possédant du pouvoir et de la fortune depuis bien longtemps, qui est décrite dans cette histoire. Avec une belle part d'hypocrisie, et parfois quelques indicibles secrets.

Mary Higgins Clark ou Mary Jane Clark ? Deux suspenses en poche !

Mary Higgins Clark : La boîte à musique (Le Livre de Poche 2017)

À New York, Lane Harmon est une jeune veuve, mère de la petite Katie, quatre ans. Elle est la fille d'un défunt politicien. Sa mère et le nouveau mari de celle-ci sont proches des cercles du pouvoir. Lane est l'assistante de Glady Harper, célèbre décoratrice d'intérieur au caractère affirmé. Cette dernière accepte d'aménager la nouvelle maison d'Anne Bennett, à Montclair, dans le New Jersey. Nul ne peut ignorer qu'elle fut l'épouse d'un investisseur financier escroc, Parker Bennett. Il a disparu en mer suite au naufrage de son voilier, il y a deux ans, au moment où les preuves de ses méfaits étaient avérées. Parker Bennett, qui aurait soixante-seize ans aujourd'hui, a détourné cinq millions de dollars. Si son fils Eric a remboursé ce qu'il pouvait, l'essentiel du pactole reste caché quelque part.

Eric Bennett tient à prouver qu'il n'était pas complice de l'escroquerie paternelle. Il a d'ailleurs engagé le cabinet d'investigations de Patrick Adams pour le démontrer. Pourtant, beaucoup sont sceptiques au sujet de tous les Bennett. À commencer par certaines victimes, d'origine modeste. Tel Ranger Cole, dont l'épouse vient de mourir, qui cultive une envie de vengeance. Il s'est procuré une arme à feu. Au FBI, Rudy Schell continue depuis deux ans à mener l'enquête. Ce qui se traduit bientôt par l'inculpation de la secrétaire de Parker Bennett. Sans doute Eleanor Becker fut-il fascinée par son patron, mais elle ne mesurait pas l'arnaque. Sous un faux nom, l'agent du FBI Jonathan Pierce s'est installé dans la maison voisine de chez Anne Bennett, surveillant ses visites.

Lane Harmon s'avoue attirée par Eric Bennett. Malgré l'opinion générale, elle accepte de dîner avec lui. Tous deux vont beaucoup se rapprocher, ce qui semble convenir à Katie. La décoratrice Glady a aussi pour cliente la comtesse Sylvie de la Marco, héritière d'un vieux mari. Née dans un milieu pauvre, celle-ci s'appelait Sally Chico. À vrai dire, elle n'est pas si sûre de toucher la fortune de son époux. Pour financer ses travaux, la comtesse de la Marco fait chanter un certain George Hawkins, un Anglais vivant depuis deux ans dans une île des Caraïbes. Elle est la seule à savoir qu'il s'agit de l'escroc en cavale. Outre ce chantage, Parker Bennett a un autre souci : dans sa fuite, avant de quitter le pays, il a laissé le numéro de son compte en Suisse caché auprès de sa femme Anne…

Ce résumé ne révèle rien de plus qu'une part de la base de l'intrigue, telle que racontée par l'auteure dans le premier tiers du récit. C'est dire qu'il y a bien d'autres choses à découvrir, que de multiples péripéties attendent les lecteurs. On peut compter sur le savoir-faire incontestable de Mary Higgins Clark pour faire mijoter à sa façon tous les ingrédients à sa disposition. Elle maîtrise toujours à la perfection son histoire. On évolue ici dans la haute société, avec ses valeurs et ses codes. On vit dans des quartiers huppés, des demeures décorées à grands frais. L'investisseur financier Parker Bennett s'inspire ouvertement de Bernard Madoff, qui ruina des petits épargnants par ses magouilles. Un suspense bien mené, évidemment.

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20 février 2017 1 20 /02 /février /2017 05:55

Âgé de trente-sept ans, Andreï Mladin est journaliste dans la Roumanie démocratique des années 1980, sous le règne éclairé de Nicolae Ceaușescu. C’est un honneur pour Mladin de passer quelques jours dans la petite ville de Marna, où il réalise une série de reportages à la gloire de la florissante agriculture roumaine. En réalité, Mladin ne s’y amuse guère, en ce mois d’octobre pluvieux, plus humide que jamais. Certes, il fait la connaissance de la sculpturale Mirela, véritable déesse blonde. Toutefois, le journaliste n’est pas un de ces séducteurs claquant des doigts pour conquérir des femmes superbes. Il croise également deux figures locales, le vieil alcoolique Timofte et le jeune fada Miron.

L’homme prétendant avoir des révélations à lui confier, Mladin est le premier à découvrir le meurtre de Timofte. Ce qui ne peut qu’entraîner de la suspicion chez les policiers zélés de Marna, mais son métier le protège un peu. Surtout, les enquêteurs ont un coupable tout désigné : Miron. Son couteau est resté sur la scène du crime, et un voisin affirme l’avoir vu entrer chez Timofte. Même si Mladin est sceptique, l’évidence s’impose. Quand la mère de Miron fait appel à lui, le reporter est vite convaincu de l’innocence du simple d’esprit, bien incapable de "signer" son crime. Enquêter pour disculper Miron, pourquoi pas ? Mais Mladin ne dispose d’aucune preuve, et la police n’a pas de raison de l’aider.

En compagnie de Mirela, le journaliste découvre le principal lieu de plaisir de Marna, la Maison des Loisirs. On peut y gagner jusqu’à quatre cent lei aux machines à sous, y boire de l’alcool en catimini. Par contre, l’accès à la bibliothèque est contrôlé par un vigile aux airs de rhinocéros, afin de ne pas troubler la tranquillité des lecteurs. Ce qui provoque un incident pugilistique entre Mladin et le gardien costaud. Le directeur, Marin Bodea, se montre très arrangeant envers le reporter. Après avoir interrogé les rémouleurs de Marna, au sujet du couteau de Miron, Mladin entre en contact avec le colonel de police Dumitru Valerian. Ce dernier a besoin du journaliste pour de discrètes investigations.

Le major Pompiliu enquêtait sur des trafics massifs à la Grande Fabrique, l’usine locale. Il semble s’être suicidé, mais il a plus sûrement été assassiné. Mladin s’en convainc bientôt, la lettre d’adieu du policier apparaissant carrément fausse. Une visite clandestine nocturne à la Maison des Loisirs va permettre à Mladin de découvrir quelques éléments. Au risque d’attraper un mauvais rhume tenace. Que le reporter fouine bien trop en ville, cela déplaît fort au maire de Marna. Par contre, le directeur de la Grande Fabrique fait preuve d’une parfaite courtoisie, invitant même Mladin et Mirela à une réception dans sa belle demeure. L’assassin commet un troisième crime, toujours pour protéger son lucratif secret…

George Arion : La vodka du diable (Genèse Éd., 2017)

La différence de carrure entre lui et moi est nettement en sa faveur. Je décide donc de me pencher en avant, comme pour refaire mon lacet. Pris dans son élan, ce Goliath ne peut arrêter son geste et frappe dans le vide. Furieux d’avoir manqué son coup, il fonce vers moi, tel un bulldozer. Je m’écarte légèrement et tends la jambe, en faisant mine de vérifier le nœud de mon lacet. Quoi de plus efficace pour aider cet animal à entrer au plus vite en contact avec le sol ? Le colosse s’écrase sur le ventre et glisse dans un mouvement rectiligne à vitesse constante jusqu’à ce que son crâne percute une colonne. La collision est telle que l’ensemble du bâtiment en vacille…

Jusqu’en décembre 1989, le peuple roumain ne pouvait pas se plaindre de son quotidien. À la mort du dictateur Ceaușescu, la population a pu enfin se plaindre d’un régime qui ne fut nullement paradisiaque. Entre-temps, George Arion publia des romans policiers dans lesquels, loin de la propagande officielle, étaient décrits certaines réalités de l’époque. Même dans un pays supposé communiste, prospéraient des profiteurs et des combinards à l’abri du besoin, tandis que la plupart des habitants vivaient modestement. Quant à se fier à la police, institution politico-militaire, on la redoutait trop pour s’adresser à elle. On le devine ici, à travers le colonel de police qui évoque un épisode du passé pour qu’Andreï Mladin lui fasse confiance. Le contexte qui apparaît en filigrane renseigne le lecteur sur la Roumanie d’alors.

Avant tout “La vodka du diable” est une excellente comédie policière. C’est avec beaucoup d’humour que nous sont racontées les tribulations du reporter Mladin. Ce personnage n’a rien d’un super-héros, il subit davantage qu’il ne maîtrise les situations. “Quand on n’est pas le plus fort, il faut être le plus malin” dit un vieil adage, dont l’équivalent devait exister chez les Roumains. Le salut est parfois dans la fuite ou, au moins dans l’esquive, Mladin l’a bien compris. Derrière ses mésaventures souriantes, c’est une intrigue criminelle classique et solide qu’a concocté George Arion, ne nous y trompons pas. Un vrai roman policier, qui nous offre une belle dose de plaisir.

George Arion en 2014, à Penmarc'h (au festival Le Goéland Masqué).

George Arion en 2014, à Penmarc'h (au festival Le Goéland Masqué).

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19 février 2017 7 19 /02 /février /2017 16:00

Il arrive que le lecteur intensif que je suis s’interroge sur son propre enthousiasme. Le doute ne vient pas de la qualité du roman évoqué, mais du risque d’exagération. Si tel titre mérite des louanges, si j’ai flashé sur lui, peut-être ai-je tort de m’emballer. Certes, je ne me suis pas trompé sur des auteurs comme Marin Ledun, Romain Slocombe, Nicolas Mathieu, Joseph Incardona… Par la suite, tous ont été consacrés par de prestigieux prix littéraires polar, du Prix Mystère au Grand Prix de Littérature Policière, en passant par les Trophées 813 et quelques autres. Outre cette ribambelle de récompenses pour chacun d’eux, un large public s’est montré curieux envers ces auteurs de talent. La confirmation, ce sont les lectrices et les lecteurs qui l’apportent ainsi.

Néanmoins, même en faisant preuve d’un certain discernement, nul n’est à l’abri d’une erreur, d’une fausse impression. En mai 2016, quand est publié “Rien ne se perd” de Cloé Mehdi, j’ai été happé par la lecture de ce roman. Dès les premières pages, j’ai compris qu’il s’agissait d’un livre d’exception. Me voulant aussi objectif que possible, j’ai cherché la faille, quelque scorie qui aurait modéré mon sentiment très favorable. Impeccable, cette jeune Cloé Mehdi avait écrit le meilleur roman de l’année, à coup sûr. Enthousiaste, donc. Mais serais-je le seul à lui trouver tant de perfection ? Des échanges avec des lecteurs avisés me rassurèrent un peu, ainsi que la lecture de quelques chroniques très positives.

Prix Mystère de la critique : les vainqueurs 2017

Puis “Rien ne se perd” fut récompensé par le Prix Étudiant du Polar 2016, et par le Prix Dora Suarez 2017. Moi-même, je classai ce livre en tête de ma sélection annuelle, le TOP 20 des meilleurs polars 2016. Outre le Grand Prix de Littérature Policière, il existe une distinction que je respecte depuis toujours, c’est le Prix Mystère ― créé en 1972. Il suffit de consulter la liste des lauréats pour se convaincre qu’il n’y a pas de fausse note dans l’attribution de cette récompense-là. Quarante-cinq auteurs français de premier plan se succèdent au palmarès. La dernière en date, c’est donc Cloé Mehdi pour “Rien ne se perd”. Être satisfait d’avoir mesuré tôt son talent, c’est une chose. L’essentiel reste qu’un large lectorat adopte ce roman. Le Prix Mystère contribuera à une reconnaissance publique.

Les 32 membres du jury ont par ailleurs décerné le du Prix Mystère du meilleur roman étranger à “Cartel” de Don Winslow, suite de son best-seller “La griffe du chien”, publié aux Éd.Seuil.

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18 février 2017 6 18 /02 /février /2017 05:55

Voilà bien longtemps qu’elle a décidé d’occulter son prénom qu’elle déteste, ne conservant que son patronyme : Blum. À Innsbruck, en Autriche, elle fut élevée "à la dure" par ses parents adoptifs. Ils possédaient une entreprise de pompes funèbres. Très jeune, Blum fut contrainte de les aider. À l’âge de vingt-quatre ans, elle décida d’en finir avec ce couple tyrannique, et les élimina impunément. C’est ainsi qu’elle rencontra Mark, qui est son mari depuis huit ans. Ils ont deux fillettes en bas âge, et Karl – son beau-père – vit avec eux. Mark est un bon flic, dans la lignée de son père, policier retraité. C’est lui qui fait engager Reza, un réfugié bosniaque, pour assister Blum aux pompes funèbres. Entre-temps, elle a modernisé l’entreprise de ses parents, et ne manque pas d’ouvrage.

Blum a trente-deux ans quand, alors qu’il quitte leur maison, Mark est victime d’un accident mortel à moto. Le chauffard s’est enfui. Blum et ses proches sont sous le choc. Elle peut compter sur le soutien moral de Massimo Dollinger, collègue de Mark et ami du couple. De son côté, son épouse Ute étant stérile et alcoolique, il trouve ainsi l’occasion de changer d’atmosphère. Pilotant la puissante moto réparée de Mark, Blum songe un temps au suicide. À quoi bon survivre après cet amour fusionnel avec son mari décédé ? Dans les archives de Mark, elle découvre le témoignage d’une nommé Dunja, une Moldave sans-papiers. Elle fut employée clandestinement dans un hôtel du Tyrol. Puis elle fut enfermée dans une cave avec deux autres personnes, durant cinq longues années.

Quand Blum retrouve Dunja, elle finit par lui confirmer avoir été victime de violences et de viols, par un groupe de cinq hommes. Le Photographe, le Prêtre, le Chasseur, le Cuisinier, le Clown, c’est ainsi qu’elle les appelait, en fonction des masques qu’ils portaient. Les deux autres personnes avec Dunja sont mortes aujourd’hui. Blum se rend dans le Tyrol, où l’hôtel qui employait la jeune Moldave a été vendu depuis. L’ex-propriétaire est devenu responsable politique. Amer, l’ancien concierge floué n’oublie pas que le fils de son patron se prenait pour un grand photographe. Blum y voit une piste à suivre. Quand elle en parle au policier Massimo, il pense que Dunja n’est qu’une malade mentale ayant tout inventé. Blum se sent parfaitement capable d’agir seule pour punir le Photographe.

Elle approche l’ex-propriétaire de l’hôtel, mais son heure à lui n’est pas encore venue. Il n’est pas très difficile pour Blum de repérer le Prêtre pervers. Séquestrer et éliminer ses cibles n’est pas compliqué quand on opère dans le domaine funéraire. Encore faut-il que les proches de Blum ignorent tout. Peut-être sera-t-il nécessaire d’impliquer Reza, quand même. Lorsque ses adversaires s’attaquent à Dunja, que Blum a recueilli, il est temps pour elle de passer à la vitesse supérieure, de piéger les derniers monstrueux complices…

Bernhard Aichner : Vengeances (Éd.Pocket, 2017) — Coup de Cœur —

Trois heures plus tôt, Blum avait ouvert la porte de la chambre froide. Il était allongé entre deux cercueils sur la table d’aluminium. Avant de le déposer là, elle l’avait attaché, ficelé comme un paquet, craignant qu’il ne se réveille avant son retour, et caché pour le cas où Karl ou une des filles serait, malgré tout, entré par inadvertance dans la salle de préparation. Blum était seule avec lui.
Le monstre qu’elle avait attrapé était étendu là. Elle l’avait terrassé et tiré hors de la voiture comme un paisible morceau de viande ne présentant plus aucun danger. Elle l’avait emmené en catimini dans la salle de préparation, transféré sans difficulté sur la table d’aluminium, avant de le faire rouler jusqu’à la chambre froide. Un jeu d’enfant ; tout s’était déroulé comme elle l’avait imaginé…

Même quand on lit intensivement, il arrive que l’on rate des petits chefs d’œuvres à leur publication initiale. Heureusement, une réédition en format poche permet de se rattraper. Bel exemple avec ce “Vengeances” de l’auteur autrichien Bernhard Aichner. “La maison de l’assassin”, son nouveau roman vient d’ailleurs de sortir chez l’Archipel. On y retrouve son héroïne singulière, Blum. Nous faisons sa connaissance dans ce premier opus. Blum n’est pas un personnage cynique, qui tuerait pour s’amuser, animée d’un vice meurtrier. Elle éprouve des sentiments profonds, allant jusqu’à la hantise et aux cauchemars. Blum est compatissante, "ouverte aux autres", employant un Bosniaque, accueillant une Moldave. Forte mais avec ses failles, Blum est de nature humaniste.

Mais la mort hautement suspecte de son mari adoré a changé la donne. Elle légitime une sanction envers chacun des coupables, des actes de vengeance aussi cruels qu’ils l’ont été eux-mêmes. Élevée dans une rigueur excessive, Blum sait garder son sang-froid quand il faut sévir. Cette histoire ne prétend pas justifier la Loi du Talion. D’autant que Blum agit sur des indices et non sur des preuves concrètes. À l’instar des intrigues de William Irish (Cornell Woolrich), c’est la démarche punitive qui guide le récit. Au final, on verra si Blum était dans son droit, ou non. Ajoutons que la narration de Bernard Aichner est à la fois fluide et subtilement écrite. Un suspense de haut niveau, à lire absolument.

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