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4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 06:33

 

Chez Geste Éditions, les amateurs de vrais romans noirs devraient adorer celui de Joël Nivard Dernière sortie avant la nuit (coll.le Geste Noir).

Joss est de retour à Limoges, la ville de sa jeunesse. Des souvenirs datant de près de trente ans lui reviennent en tête, dans ce décor quasiment inchangé. NIVARD-2011Jour de pluie, jour de deuil. Son ami Bob est mort, exécuté en pleine rue. Sobre cérémonie d’adieu au crématorium, en présence de Lola, la compagne de Bob. Malgré les circonstances, elle est contente de revoir Joss. Ils se retrouvent plus tard, pour évoquer cette mort brutale. Joss s’exprime peu, la laissant parler. Lola ignorait les activités réelles de Bob, et quels ennemis iraient jusqu’à le tuer. Elle l’a expliqué aux flics, déjà. Les truands locaux, tels Berthier et le Mainate, Joss les rencontre peu après. Il est surtout là pour faire le point sur les conséquences du décès de Bob.

Les nuits limougeaudes ne sont pas si tranquilles. Dans leur BMW, un trio de proxénètes veille sur le cheptel du trottoir. Ce qui n’empêche pas qu’une pute soit enlevée et tuée, avant d’être rendue en piteux état à ses macs. Dans des quartiers réputés sensibles, les vieux immigrés observent sans plaisir les trafics des jeunes. Une BMW apparaît, et c’est une fusillade vengeresse visant la nouvelle génération de malfrats. Arezki, lui, est un homme qui vit la nuit. Son club est bientôt saccagé par une mitraillade imprévue. Puisque c’est la guerre, Arezki prépare sans tarder la riposte. Pourtant, il n’est probablement pas le plus fort dans le jeu mortel nocturne qui secoue désormais la ville.

Pour Joss, Paul est un ami d’autrefois, ouvrier qui n’a jamais voulu basculer dans le pur banditisme. Il apporte son aide logistique, appartement à disposition, voiture et armes au besoin. Joss consulte les dossiers de Bob, toutes ses affaires occultes. Le bilan est aisé à établir: le Milieu traditionnel est totalement dépassé, inconscient que de nouvelles bandes occupent le terrain. Joss est là pour assurer le nettoyage. La mort de Bob, ça fait désordre dans la sérénité locale. Les armes à feu, ça change des messes basses dans l’ambiance feutrée du club-house des terrains de golf, et des cuites bon enfant dans des réceptions cosy… ironise Lola. Tandis que se poursuivent les règlements de compte, même un truand comme Berthier finit par réaliser que les jours à venir auront un goût de mort. Après une première alerte, Joss n’ignore pas qu’il est lui aussi menacé…

 

Limoges, capitale du crime ? Non, bien sûr. Peut-être moins visibles qu’ailleurs, les activités illégales y fleurissent pourtant, dans cette histoire. Des quartiers centraux aux secteurs plus mal famés, en plein jour ou masquée par la nuit, la loi du plus fort règne au sein du banditisme limousin. Ne nous y trompons pas, c’est un authentique roman noir que nous propose l’auteur. Héros observateur silencieux mais actif, inévitable femme fatale, intrigue criminelle comprenant trahisons et violence, ambiance sociale des lieux : les codes sont respectés. Sur fond musical rock’n’roll, comme il se doit. Il faut souligner l’écriture. Mesurée et percutante, phrases courtes et parlantes, souvenirs ébauchés et présent morose. Ce qui offre une juste tonalité au récit, proche du béhaviorisme. Ce noir polar de Joël Nivard est de très belle qualité.

Pour en savoir plus sur cette collection, le site de l'éditeur est ici.

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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 06:27

 

Après Pile & face de Dominique Delahaye, les Éditions Rue du Départ nous proposent un roman de Pascal Millet : Ton visage

Mathilde et lui, un couple actuel. Mathilde est dans l’évènementiel artistique. MILLET-2011En ce moment, elle organise la future prestation française de Peter Swan. Elle a passé le week-end aux Pays-Bas pour élaborer le projet avec celui-ci. C’est un artiste d’inspiration macabre, ce Peter Swan. Pour la mise en scène évoquant un accident qu’il prépare, il a besoin d’une voiture abîmée sur laquelle une actrice jouera le cadavre. Mathilde s’active pour tout préparer. Lui, il est scénariste. Pas très connu, sans doute. Il utilise une machine à écrire Olivetti; peut-être qu’il l’estime propice à son inspiration. Il commence un nouveau scénario, nébuleuse histoire noire et criminelle, aux ambiances mystérieuses et incertaines.

Ce scénario est quelque peu issu d’un cauchemar obsessionnel et morbide. Et surtout du problème qui est soudainement apparu : il ne reconnaît plus le visage de Mathilde. Plus précisément, il ne le mémorise pas. Leur vie quotidienne se poursuit; sa compagne est là; elle va et vient selon les impératifs de son métier; elle lui parle et il lui répond. Pourtant, il n’est jamais sûr que c’est bien sa compagne à laquelle il s’adresse. Lors d’une soirée amicale, il confond plusieurs jeunes femmes, se repère difficilement pour retrouver Mathilde. Il a aussi cette lubie d’acheter des poissons rouges. Et puis, se découvrant voyeur, il est troublé par cette voisine de l’immeuble d’en face, qui expose ses sous-vêtements.

Son scénario prend une tournure aussi surréaliste que sinistre : L’homme ouvre le coffre de la grosse berline noire et fait aussitôt un pas en arrière. Il est horrifié par ce qu’il vient de voir. Une tête de femme blonde repose sur un tissus bleu ciel. Est-ce que vous voulez dire que ? Vous, oui. Vous avez assassiné votre femme. Son histoire imaginaire et sombre présente des points communs avec sa réalité, probablement, même s’il ne comprend guère. Ne pas mémoriser le visage de Mathilde, c’est aussi la tuer. D’autant que Peter Swan est arrivé, et installé à l’Hôtel du Lys. Le scénariste peut s’interroger sur les rapports réels entre Mathilde et l’artiste hollandais…

 

Ce roman court est destiné à déstabiliser le lecteur, à l’entraîner dans une sorte d’histoire onirique, sous le signe du cauchemar décrit au début du récit. Le héros fantomatique avance dans ses brumes ressemblant à une amnésie, tandis que plane l’ombre malsaine des œuvres de Peter Swan. Sans oublier le poison de la jalousie, sentiment indescriptible. Tout en intériorité autant qu’en interrogations, l’intrigue ne manque certes pas de force. S’y ajoute un noir scénario suggérant l’issue dramatique d’une telle affaire. L’écriture de Pascal Millet joue sur toute la gamme des incertitudes, des tensions, des ambiances voilées. C’est ainsi que ce roman montre sa différence.

 Ton visage est publié dans la collection Voyage Noir des éditions associatives Rue du Départ. Il est surtout disponible en Haute-Normandie, ainsi qu’à la librairie Terminus Polar à Paris. Le plus sûr est de le commander aux éditions Rue du Départ, 26 rue des Galions, 76600 Le Havre.

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 06:28

 

Avec les remarquables Absente et Adieu Gloria, Megan Abbott a séduit bon nombre de lecteurs français. Voici Red Room Lounge, son tout premier titre qui risquait de nous paraître moins élaboré. Il n’en est rien, ce troisième roman publié en français s’avère aussi maîtrisé que les deux autres…

ABBOTT-2011En 1954, à Pasadena et dans la région de Los Angeles. Lora King est professeur au lycée de filles de Westridge. Bill, le frère de la jeune femme, est policier. Il a vite mérité ses galons d’inspecteur. N’ayant pas de famille, Lora et Bill ont vécu longtemps ensemble. Il sont séparés depuis que Bill a épousé Alice Steele, après l’avoir courtisée pendant cinq mois. Lora et son frère restent proches, mais elle a du mal à considérer Alice comme une sœur.

Ancienne costumière à Hollywood, celle-ci n’est pas d’une grande beauté, mais elle possède une vitalité attirante. Issue d’un milieu modeste, Alice garde de moins bons souvenirs d’enfance que Lora et Bill. Elle se comporte telle une parfaite femme au foyer. Pourtant, Lora devine qu’Alice possède une face cachée. Elle obtient un poste d’enseignante pour sa belle-sœur, mais le doute plane sur ses diplômes et sa qualification.

Lois Slattery est une amie d’Alice, figurante dans quelques films vivotant dans un logement miteux. Une habituée des soirées hollywoodiennes, semble-t-il. À peine cache-t-elle ses expériences sexuelles agitées et sa consommation de drogues. Bien qu’ayant tourné la page, menant une vie rangée loin du monde du cinéma, Alice est toujours bienveillante envers Lois. Une photo érotique confirme à Lora que les deux jeunes femmes ont fréquenté les mêmes milieux pervers.

Plus affirmée, Alice détonne quelque peu parmi les épouses des collègues de Bill. C’est elle qui a incitée Lora à sortir avec Mike Standish, agent de publicité dans le cinéma. Bien qu’ils soient intimes et fassent la fête ensemble, Lora refuse de le considérer comme son petit ami. Sans doute à cause du léger cynisme de Mike. Surtout parce qu’elle pense qu’il est trop proche de sa belle-sœur.

Lora continue à glaner des renseignements sur Alice. Elle réalise peu à peu le rôle de l’omniprésent Joe Avalon, connu sous plusieurs identités, familier des studios de cinéma. Elle s’étonne que l’épouse d’un collègue policier de Bill soit en relation avec cet homme. Lora ne voit pas comment confier à son frère, qui reste hypnotisé par Alice, tout ce qu’elle a déjà découvert. Le cadavre d’une femme martyrisée retrouvé dans Bronson Canyon incite Lora à contacter le policier Cudahy. Car elle a déjà mis un nom sur cette victime. Mike Standish peut aussi l’aider à comprendre, à condition de lui faire confiance. Grâce à lui, les archives d’une société cinématographique offrent des éléments à Lora. Le témoignage monnayé d’une maquerelle lui est aussi fort utile…

 

La subtilité de l’intrigue et la souplesse narrative constituent les atouts majeurs de ce scénario, une fois encore. L’agent de publicité du cinéma Mike Standish semble une première esquisse de Gil Hopkins, le héros de Absente. On savoure l’ambiance de l’Amérique des années 1950, que l’auteure sait si merveilleusement restituer. D’autant qu’elle fait se côtoyer deux mondes bien distincts.

Lora, la jeune prof, cultive une relation fusionnelle sans ambiguïté avec son frère Bill, soldat durant la récente guerre, devenu flic exemplaire. Du côté d’Alice, c’est d’un univers malsain qu’elle vient. Image de la femme fatale ? Oui et non. Si elle est attirante, glamour, elle ne possède pas cette supériorité élégante dont sont dotées les vamps. Elle a encore des similitudes avec les filles perdues, telles Lois Slattery. Si Lora est forcément troublée par la perversité qu’elle découvre, elle s’en méfie.

On l’aura compris, beaucoup de nuances et de finesse dans les relations entre les protagonistes. Dans le rôle de la police aussi, faisant plus partie du décor qu’elle n’est impliquée directement. S’inspirant des romans noirs d’autrefois, Megan Abbott est vraiment la meilleure.

Ici, mes chroniques sur : "Absente" et "Adieu Gloria".

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 06:41

 

Voilà un polar psychologique, publié chez First en 2008, que l’on désespérait de voir rééditer en format de poche. C’est une intrigue tourmentée de haute qualité et un noir suspense que nous présente Adele Hartley dans Écorchée.

HARTLEY-2011Élevée dans la région de Toronto, Cassie (Cassandra) est une gamine farouche. Par miracle, elle se lie d’amitié avec une jeune voisine de son âge, Jen (Jennifer-May). Durant leur adolescence, la turbulente Cassie reste amie avec la raisonnable Jen. À la mort brutale de son père, Cassie est très choquée. Introvertie, neurasthénique, elle se refuse à un retour au monde. Malgré l’aide de Jen, elle sombre dans les abus alcoolisés. Son job de photographe laissant à Cassie beaucoup de liberté, elle continue à dériver entre ivresse et rencontres sexuelles douteuses. Elle ne s’aime pas, se détruit.

Skirving fut un enfant solitaire. Observant les gens, il méprisa bientôt haineusement tout le monde. Ado, il rêvait d’un amour total, idéalisé. Shauna, la femme de sa vie, la compagne parfaite, a été victime d’un horrible meurtre. Commence pour lui une quête impossible. Trouver l’équivalent de Shauna est le prétexte à une série de crimes cruels, inspirés des supplices de l’Inquisition. Emily, Rachel, Nell, toutes sont si décevantes.

Biologiste, Jen fait la connaissance du beau Mac lors d’une conférence à l’étranger. Perdue entre une relation avec un homme marié, des amants de passage, et son alcoolisme chronique, Cassie plane loin de la sage réalité de son amie. Ivre un soir de Noël, elle se montre lamentable quand Jen lui présente le sympathique Paul, ami de Mac. Continuant à fréquenter des inconnus, Cassie connaît une légère frayeur qui pourrait la faire réfléchir. Paul ne renonce pas, l’invitant à dîner sans arrière-pensée sexuelle. Amoureux patient, il prolonge son séjour canadien pour Cassie, lui apportant un certain équilibre. Skirving s’installe clandestinement dans l’appartement voisin de celui de Cassie. Il a repéré la jeune femme, estimant une fois de plus avoir trouvé l’âme sœur. Encore faut-il créer les bonnes conditions psychologiques pour Skirving. Il espionne Cassie avant de passer à l’action…

 

La force de ce passionnant suspense ne se trouve pas dans le dénouement, quelque peu attendu, mais dans le parcours des personnages. Cassie la survoltée est vraiment attachante, dans ses excès comme dans sa détresse intérieure. Son état d’esprit est-il si éloigné de celui du tueur ? Lui aussi est un solitaire, mais guidé par un instinct pervers, alors qu’elle est plutôt dépressive. La fidélité de Jen, l’amie saine, n’est pas sans heurts ni doutes. La relation entre Cassie et elle est décrite avec une belle justesse. L’auteure ne s’apitoie pas sur le cas de ses héros. Au contraire, elle utilise souvent l’ironie, évoquant par exemple les beuveries de Cassie ou le chien défenestré de Skirving. Grâce à cette tonalité enjouée voire mordante, les moments plus dramatiques évitent toute lourdeur. Ce premier roman d’Adele Hartley est absolument impeccable !

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 06:30

 

Publié chez Kyklos Éditions, Viandes et légumes de Guillaume Gonzales porte un fort curieux titre pour un polar, non ? Un survol de cette histoire permettra de mieux situer le climat de ce roman mouvementé…

GONZALES-2011Ancien ouvrier, Galaad Corentin vient s’installer à Brou, en Eure-et-Loir. Il hérite du bar à strip-tease créé par son frère Arthur. Excentré par rapport à la ville, ce club a été baptisé Viandes et légumes. Aucune enquête sérieuse ne semble avoir été menée sur le meurtre d’Arthur et d’une de ses employées, une autre restant dans le coma. Quant à reprendre l’activité du club, ça s’annonce mal. Le personnel préfère aller voir ailleurs.

Notable local possédant entre autres un club du même genre au centre de Brou, Demetrius Janus va user de tous les moyens pour entraver le fonctionnement de Viandes et légumes. Il y a aussi un certain M.Moulin, qui réclame avec insistance une mallette qu’Arthur devait lui rendre. Galaad tente d’ouvrir le club, sans strip-tease, mais ça ne peut attirer le client.

Non sans complications, il parvient à engager une poignée de danseuses. Avec son copain Freddy en guise de barman, et deux balèzes pour la sécurité, Galaad ouvre le club sans incidents majeurs. Désargenté, il n’a qu’un moyen de couvrir les frais pour relancer l’affaire. Il s’agit de vendre le précieux tableau trônant derrière le bar du club. Une spécialiste de l’Hôtel Drouot est chargée d’expertiser l’œuvre.

Fidéliser la clientèle n’est pas impossible, sauf que divers problèmes se succèdent. Une bande de motards bagarreurs payés par Demetrius essaie de semer la pagaille. Puis c’est une visite de contrôle des flics, mais l’établissement est parfaitement en règle. Même à Samuel, le videur Cajun au langage à peu près incompréhensible, on ne peut rien reprocher. Et M.Moulin insiste toujours.

Ayant subi un enlèvement et une séquestration, Galaad s’en sort sans trop de dégâts physiques. Dans une petite ville telle que Brou, un calomnieux article de presse peut nuire à la fréquentation d’un club de strip-tease. Galaad s’invite à une réunion des élus municipaux, eux aussi hostiles, pour mettre les choses au point.

Divorcé, Galaad espérait conquérir la séduisante Lola, sœur de l’employée encore hospitalisée dans le coma. C’est raté, mais une des danseuses du club s’est amourachée de Galaad. Celui-ci est pisté par un détective privé, payé par ses ennemis. L’homme n’ayant aucune sympathie envers eux, il peut s’avérer un précieux allié pour Galaad. Il a renouvelé son personnel après les fêtes de Noël. La partie adverse mettant la pression, la situation de Galaad ne s’améliore pas…

 

Pour dénicher des talents actuels dans le polar, il est parfois nécessaire de sortir des chemins tout tracés. Dominique (dit Holden) a attiré mon attention sur ce roman publié par un éditeur encore méconnu. Excellente initiative de sa part, il faut l’admettre. Car c’est une intrigue diablement agréable que nous concocte ici Guillaume Gonzales. Une belle part d’humour accompagne les tribulations de son héros, portant le nom d’un chevalier de la légende arthurienne.

Entre le menaçant Demetrius qui se prend pour le roi du jeu de mots, le racketteur Moulin, le sinistre Professeur, et autres faiseurs d’embrouilles, Galaad a intérêt à garder le moral face à l’avalanche de mésaventures qui lui tombent sur le poil. On ne s’ennuie pas un instant, à suivre les multiples péripéties se bousculant dans sa vie. Ses amours contrariés ne sont pas si réconfortants, non plus. Un peu de rock’n’roll lui est bien utile pour surmonter tous ses tracas et pour alléger l’ambiance. Voilà un véritable polar rythmé, vraiment savoureux, dû à un auteur qui apparaît très inspiré.

Le site de Kyklos Editions est ici.

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 06:20

 

Publié en cette fin 2011 aux Éditions Coop Breizh, l’ouvrage d’Annick Le Douget Crime et justice en Bretagne est à classer dans la catégorie Beaux Livres. Voilà une étude susceptible d’intéresser les lecteurs, bien au-delà de cette région. La Justice n’est ni mieux, ni plus mal rendue en Bretagne. Dans l’Histoire, il n’y eut pas plus de malfaiteurs ou de criminels ici qu’ailleurs. On garde en mémoire des procès marquants, tels ceux de Dreyfus ou de Guillaume Seznec, c’est vrai. Mais l’auteure ne se borne pas à un retour sur des affaires spectaculaires, traitées par d’autres livres. Elle présente un panorama très complet de la Justice régionale, servi par une excellente iconographie.

 

LE DOUGET-2011Relier Bretagne et Justice n’est pas difficile: le patron des magistrats n’est autre que Yves Hélory de Kermartin, autrement dit Saint-Yves de Tréguier. Il ne fut pas le seul à jouer un grand rôle dans l’institution. On nous rappelle quelques grands noms d’avocats, hommes de loi, juristes et ministres issus de la région. Si les Waldeck-Rousseau, avocats nantais de père en fils de la fin 19e et début du 20e siècle se montrèrent brillants, les Ponthier de Chamaillard (père et fils aussi) furent des anti-républicains acharnés à la même époque.

On s’intéresse également à l’architecture des Palais de Justice. Ne croyons pas que tous se ressemblent. Les bombardements de la Seconde Guerre mondiale ont entièrement détruit Brest, Lorient, Saint-Nazaire ou Saint-Malo. Les édifices qu’on y a reconstruits sont d’aspects bien différents des Tribunaux traditionnels. Plus tard, la Cité judiciaire de Rennes, et celle conçue à Nantes par Jean Nouvel, sont résolument originales dans leurs formes.

La Justice, c’est la sanction. Parfois la peine capitale. On se souvient des Deibler, grande dynastie de bourreaux. Joseph Deibler est nommé exécuteur-chef à Rennes en 1853. Son fils Louis est désigné ensuite Grand exécuteur de Bretagne. Fils de Louis, Anatole Deibler exercera partout en France de 1899 à 1939. La peine la plus lourde fut longtemps le bagne. Celui de Brest n’avait rien à envier question dureté à ceux de Toulon ou de l’Île de Ré. Évadé du bagne de Brest et vite repris, le célèbre François Vidocq goûtera aux prisons bretonnes, parvenant à s’en échapper. Parmi les prisons ordinaires, celle de Guingamp qui servit de 1836 à 1934, est d’une conception singulière. On nous parle des établissements correctionnels pour enfants, dont celui de Belle-Île-en-mer figura parmi les plus pénibles. En 1934, un scandale révéla la maltraitance qui y régnait envers les adolescents, censés être là pour leur réinsertion sociale.

Quelques affaires judiciaires sont évoquées ici, pour leur particularités. Le cas de ces parents qui ne purent donner à tous leurs enfants des prénoms bretons n’est pas si anecdotique. Plus sérieux, on jugea en Bretagne des pilleurs d’épaves, des aventuriers tels que le Marquis de Rays qui créa une lointaine colonie sans en posséder les terres, de véritables flibustiers tels que les frères Rorique. Justice politique parfois, concernant les grands combats du syndicalisme agricole ou du refus de la centrale nucléaire de Plogoff. Au 19e siècle, on relevait trois cas de figure particuliers en Bretagne : l’alcoolisme entraînant la criminalité; un nombre conséquent de femmes criminelles (dont Hélène Jégado, restée célèbre); et l’utilisation de la langue bretonne dans les prétoires, certains accusés ne parlant et ne comprenant guère la langue française. Images lointaines, heureusement.

Parmi quantité d’autres sujets abordés, l’auteure n’oublie pas d’évoquer l’engouement des lecteurs pour le polar breizhoneg, l’ethno-polar breton. En effet, depuis l’énorme succès des romans de Jean Failler (série Marie Lester), il s’est développé une vraie tendance. Intrigues locales et décors typique offrant de l’authenticité ne justifient pas tout. Ce succès ne peut être garanti que dans une région à forte identité culturelle, et c’est sans doute la véritable explication du phénomène littéraire constaté en Bretagne. On ne peut qu’adhérer à cette analyse d’Annick Le Douget. Son passionnant Crime et justice en Bretagne apparaît d’ores et déjà comme ouvrage de référence.

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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 06:30

 

Aux Éditions Michel Lafon, voici le troisième roman d’Helene Tursten, Le silence des corps. En Suède, l’inspecteur Irene Huss et son collègue Tommy Persson enquêtent sur la mort de Kjell B.Ceder, propriétaire de restaurants étoilés et d’un hôtel réputé. Il a été abattu de deux balles, dans la villa où vivent son épouse Sanna Kaegler et leur fils. Lui-même habite plutôt son appartement en ville. On a profité de l’absence de sa famille pour le tuer. Sous le choc, Sanna s’est réfugiée avec leur fils chez la mère de la jeune femme. Son alibi est aisément vérifié, puisqu’elle se trouvait chez sa sœur, mariée au Dr Fenton. TURSTEN2011L’emploi du temps de Ceder est vite reconstitué. Guère de témoins dans le voisinage, car les villas sont peu occupées par leurs propriétaires citadins. On aurait aperçu un joggeur, piste assez vague.

Plus âgé que Sanna, son mari avait déjà été marié. Sa première épouse fut victime d’un accident mortel, chutant d’un voilier. Affaire suspecte ou non, c’est difficile à dire. Par contre, il est avéré que l’homme a été opéré, une vasectomie. En aucun cas, il ne peut être le véritable père de l’enfant de Sanna. Un double meurtre a été commis en parallèle, qui présente d’évidents points communs. Les deux hommes, Rothstaahl et Bergman, ont été abattus de deux balles par le même type d’arme. Certes, ils étaient toujours citoyens suédois, mais vivaient à Paris, boulevard Raspail. À une époque pas si lointaine, Bergman et Sanna ont été associés en affaires. Ils étaient proches du financier Thomas Bonetti.

Irene Huss se souvient parfaitement de l’enquête sur la mystérieuse disparition de Bonetti. Peu avant l’an 2000, celui-ci faisait partie des gens s’étant enrichis grâce à la bulle Internet. Des investisseurs en capital-risque avaient dépensé des sommes colossales dans de douteuses start-up, dont celle de Bonetti, Sanna et Bergman. Le disparu avait détourné beaucoup d’argent, pour un total que l’on avait certainement sous-estimé. Pour [Irene], il n’était qu’un escroc. Sana n’avait-elle pas dit aussi que Philippe Bergman était un grand homme d’affaires? Ces hommes-là se considéraient-ils vraiment comme d’honnêtes travailleurs ?

On ne peut exclure que l’associé norvégien de Bonetti, Erik Dahl, qui servit de bouc émissaire suite à ces escroqueries, soit revenu se venger. L’univers de la finance apparaît encore quand on apprend que le mari de la sœur de Sanna, le Dr Fenton, a un frère banquier investisseur à Londres. Ce réseau de relations ne suffit pas à expliquer les trois meurtres récents. Il faudrait définir le rôle auprès de ce cercle de la banque d’investissement H.P.Johnson’s. Irene s’intéresse au témoignage d’Annika Hermansson. Cette alcoolique fut la dernière à voir le bateau de Bonetti avant sa disparition. Elle évoque un cairn déplacé, possible piste. Irene poursuit ses investigations au domicile parisien des deux victimes. Mais elle doit franchir bien d’autres étapes avant d’approcher la vérité…

 

Il s’agit d’un vrai roman d’enquête, dans la plus solide tradition du genre. C’est un dossier très touffu auquel s’attaque la policière, sur fond de malversations financières colossales. En effet, que sait-on des sommes volatilisées autour des start-up vers l’an 2000 ? Établir toutes les connections exige des recherches fouillées pour Irene Huss : relever tous les détails, noter certaines incohérences, émettre des hypothèses entraînant d’autres questions, etc. Il se peut même qu’elle retrouve la trace du disparu Thomas Bonetti, sans que cela éclaircisse si simplement les faits. Une affaire aussi complexe aux nombreux méandres, nécessite une narration fluide et même limpide, comme c’est le cas ici. On suit avec un intérêt certain la progression de cette histoire longtemps énigmatique.

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 06:30

 

Coup de cœur. Quand Andrea Camilleri et Carlo Lucarelli écrivent à quatre mains Meurtre aux poissons rouges (Fleuve Noir), ça donne un singulier roman...

CAMILLERI-LUCARELLI-2011À Bologne, la policière Grazia Negro enquête sur une curieuse affaire, si bizarre qu’elle a besoin des conseils du commissaire sicilien Salvo Montalbano. Sans en référer à leur hiérarchie, l’inspectrice adresse par courrier la copie des éléments du dossier à son collègue. Montalbano décline cette collaboration, autant à cause de la jalousie de sa compagne Livia, que de la surveillance dont tout policier est l’objet en Italie. En réalité, Grazia et Montalbano vont quand même correspondre par courrier, officieusement, en prenant de grandes précautions. Utiliser divers subterfuges est parfois hasardeux, surtout si Montalbano confie cette mission à cet imbécile de Catarella ou à ce dragueur de Mimì Augello. La policière Balboni, collègue lesbienne de Grazia, leur apportera sans doute un meilleur soutien.

Qu’en est-il de ce meurtre bolognais ? Un nommé Arturo Magnifico été retrouvé mort chez lui, étouffé par un sac plastique ayant peut-être contenu ces poissons rouges découverts près du cadavre. Il gisait dans sa cuisine, habillé, seule une de ses chaussures ayant disparu. Ses cheveux et la partie supérieure de sa chemise étaient humides. On ne relève pas de vraies traces de luttes. Certains détails de l’autopsie n’ont, toutefois, pas été transmis clairement à Grazia. Salvo Montalbano lui indique les bonnes questions à se poser dans cette enquête. Il semble bientôt que les investigations de Grazia dérangent des gens, car elle est blessée dans un accident de voiture. Malgré la menace, elle maintient le contact avec son collègue sicilien, plus prudemment que jamais.

Une espèce très particulière de poissons rouges offre au deux policiers une piste, qui les oriente vers une jolie femme vite surnommée Gros Nichons. Un sobriquet machiste, mais justifié. Il peut exister un lien entre le meurtre de Magnifico et les carabiniers. En effet, le suicide du brigadier Pesci est troublant, vu l’endroit où on a découvert son corps. L’ombre d’une discrète équipe des Services Secrets italiens semble maintenant planer sur ces morts. Nos deux limiers sont certains d’avoir identifié la bonne suspecte, encore faut-il trouver le moyen de la piéger. Séparément, Montalbano et Grazia Negro vont séjourner à Milano Marittima. Si le Sicilien croit encore que leur suspecte ignore son rôle, il doit déchanter. Car les fiches des deux policiers se trouvent dans le sac à mains de Gros Nichons…

 

Andrea Camilleri et Carlo Lucarelli étant des virtuoses du polar, cet exercice de style s’avère remarquable. Dans l’épilogue, l’éditeur nous explique dans quelles circonstances ce roman les a réunis. Avant d’apprécier ce final, il faut savourer la maestria des auteurs. Des mois durant, ils ont joué ensemble à composer cette intrigue. Avec malice, certes, mais surtout en rivalisant de trouvailles pour que le résultat soit à la hauteur.

L’histoire se présente sous la forme de pièces du dossier, avec l’échange de courriers ainsi que d’autres documents. Les héros respectifs des deux romanciers sont face à un dossier criminel très sérieux. À ne pas traiter à la légère, car l’adversaire élimine facilement les gêneurs. Camilleri et Lucarelli mesurent les imperfections de leur pays, et y font allusion.

Ceux qui aiment Montalbano retrouveront en filigrane son équipe, non sans sourires, et la jalouse Livia : Catarella a balancé que j’étais là [à Milano Marittimo]. Elle m’a appelée, furibonde. Elle est convaincue que je suis là à cause d’une aventure et menace de débarquer d’un moment à l’autre. Donc, il faut se dépêcher. L’entourage de Grazia Negro dont son concubin, enseignant aveugle est également évoqué. Entre ces deux grands du polar, une belle complicité que le lecteur partage avec délices. Ce qui mérite forcément un Coup de cœur.

 

Mes chroniques sur les enquêtes de Salvo Montalbano : "La piste de sable", "Les ailes du Sphynx". Un autre article évoque trois autres affaires du policier sicilien : "La forme de l'eau", "Le tour de la bouée", "La lune de papier". Hors série, ma chronique sur "Le tailleur gris".

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