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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:18

DEUX AUTEURS BRESTOIS :

CHRISTIAN BLANCHARD & YANNICK LETTY

 

Christian Blanchard est né le 20 juin 1959 à Dieppe. Titulaire d’un DESS de sciences humaines, il a été professeur de dessin industriel, puis proviseur. Il crée en 2004 à Brest les Editions du Barbu, publiant ses romans. Le héros des cinq premiers titres est Claude Le Noan. Célibataire de trente ans, ce passionné d’informatique et de photo, vit seul dans sa maison des Monts d’Arrée, en Bretagne. Son amie de cœur est lieutenant de police à Rennes. Après deux aventures à suspense, l’état psychologique de Le Noan se dégrade. Il devient accro à l’alcool et aux drogues dures. Dans La double « O », il est confronté à une dangereuse secte. Le chemin de souffrance l’amène à enquêter sur ses troubles origines, face à un adversaire sans pitié et bien renseigné. Pour Résiliences, il est impliqué dans une expérience risquant de le traumatiser définitivement. Cette très noire série explore les limites de la dépendance et de la résistance humaine. Sans rapport avec les précédents, Chairs amis est aussi extrême. Il s’agit d’une descente aux enfers dans le monde du vice avilissant et morbide. De jeunes hommes sont piégés afin d’assouvir les fantasmes de cruels obsédés. Les romans singuliers de Christian Blanchard s’adressent en priorité à un public adulte aux nerfs solides.

Bibliographie [Editions du Barbu, « Suspense et romans noirs »]

La mort des sens (2004) ; Incendie(s) (2005) ; La double « O » (2005) ; Le chemin de souffrance (2005) ; Résiliences (2006) ; Chairs amis (2006) ; Le théorème du Singe (2007) ; Que les gens sont laids! (Pamphlet, 2007)undefined

 





















Yannick Letty
est né le 16 mai 1959, Brest. De formation scientifique (océanographie), il a été pendant une douzaine d’années instituteur dans de petites écoles rurales du Finistère, avant de devenir professeur de sciences de la vie et de la terre. L’héroïne de ses romans est Marguerite Coadou. Dans Empreinte génétique, elle est inspecteur de police. Après dix ans à Paris, elle est de retour à Brest. Elle doit y affronter des souvenirs marquants. Elle enquête sur une série de meurtres, visant des employées d’un centre de recherche. Le principal suspect est l’ancien compagnon de Marguerite. Les analyses ADN sont formelles. Refusant d’y croire, la jeune femme interroge les proches de son ami. Jusqu’à ce qu’une autre piste s’impose. Pour Mémoire de sang, Marguerite a démissionné de la police et ouvert une librairie. Elle mène deux enquêtes parallèles. L’une concerne une affaire vieille de trois siècles, jamais élucidée, évoquée dans un récit de l’écrivain Anatole Le Braz ; l’autre, sur la mort d’un retraité, auteur d’un manuscrit racontant la 2e Guerre en Bretagne. Avec sa voisine et amie, Marguerite découvre des secrets oubliés. Poupées russes a pour décors les Alpes, où la brestoise va passer ses vacances d’hiver. Elle vient en aide à une jeune russe pourchassée. Une étrange clinique Italienne est au centre d’un trafic d’êtres humains. Seul l’inspecteur Pietramorta accepte de croire Marguerite. Avec lui, elle tente de regagner la France. Mais des tueurs sont à leurs trousses. Sur leur chemin, une forteresse cache de sombres expériences. Dans Passé décomposé, Marguerite enquête sur sa famille, tenant de comprendre ce qui a conduit sa mère et sa grand-mère à la folie. Pendant ce temps, un tueur enlève des femmes de la région. L’histoire de Brest, autrefois bombardée et rasée, plane sur cette affaire. Toute guerre est traumatisante ; celle d’Irak est à l’origine de ce roman.

Bibliographie [Editions Terre de Brume, « Granit Noir »]

Empreinte génétique (2001) ; Mémoire de sang (2002) ; Poupées russes (2003) ; Passé décomposé (2006)

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:16

Deux romans de Renaud Marhic

« Schisme'n'Blues » (Terre de Brume, 2003)

Le narrateur est un journaliste quadragénaire désabusé, exagérant les beuveries. La chronique hebdomadaire de cet anti-conformiste athée est supprimée. Heureusement, il a Sandya. Cette étudiante en histoire pourrait être sa fille ; c’est sa « p’tite caille ». Parmi tous les « revendicatifs neuneux » lui proposant des sujets improbables, Désiré Cailleron lui présente un curieux dossier... Le Grand Schisme d’Occident date d’il y a six siècles, époque où les papes siégeaient en Avignon. Nombreuses furent les embrouilles pour qu’ils retournent à Rome. Une tendance de la chrétienté s’y opposa, celle de Benoît XIII. Soutenus par saint Vincent Ferrier, ses partisans et lui résistèrent jusqu’à leur apparente extinction. Cailleron pense qu’existent encore des « papes de l’ombre ». Cailleron a disparu. Avec Sandya, le journaliste visite les sites évoqués dans son rapport. A commencer par l’île du Comte, devenu centre de villégiature, où il reconnaît des symboles de la papauté sécrète. Ici furent reçus des puissants de ce monde. Des enjeux stratégiques et géo-politiques justifieraient qu’ils aient tenté des alliances avec les descendants de Benoît...

Les sectes, les sociétés secrètes, les Eglises, ce sont les sujets de prédilection de Renaud Marhic. La vie et l’œuvre de Benoît XIII ne nous sont certes pas familières. Mais la narration vivante entraîne les lecteurs dans les arcanes de ce lointain schisme. On suit avec grand plaisir les ironiques mésaventures du héros. Ce loser très crédible est en quête d’une incertaine vérité qui n’intéresse plus que lui – et nous. L’écriture peut déconcerter, mais elle offre le ton adéquat au récit. Un roman plutôundefinedt original, fort convaincant.

« Teminus Brocéliande » (AK Editions, 2007)

Etudiant rennais, Christophe R. a disparu au cœur de la forêt de Brocéliande, au “Val sans retour”. La mère du jeune homme engage un profiler afin de retrouver son fils. Si le parcours de Maël Mac’Herig est particulier, il connaît bien les affaires de “playing killers”. Pourtant, il se sait mal accepté par les spécialistes. Christophe R. a laissé des textes et autres signes, qu’il s’agit de décrypter... L’étudiant tente d’explorer un monde parallèle, où vit la troublante Linoï. N’ayant pas toutes les clés, il traverse des scènes éprouvantes dans cet étrange Méta-Monde. Il participe à un Jeu de l’Oie animé par un gnome, suit la “Caravane des Semences” jusqu’à la cité de Versalia, survole des paysages inconnus, fréquente un bar issu du passé, cherche en Arcadie les traces du Grand Pan, aperçoit parfois Linoï... Grâce à un appel à témoins sur une radio indépendante, Mac’Herig tient une piste sérieuse. Christophe R. et ses amis satanistes se réunissent en secret. La cérémonie qui se prépare risque d’être fatale à Christophe R. La police intervient. Le quiproquo frôle la bavure. Par ailleurs, l’étudiant était en contact avec un mystérieux bouquiniste...

Le jeune disparu nous entraîne dans ses délires fantasmagoriques, “de l’autre côté du miroir”. On le suit avec curiosité dans cet univers décalé. Néanmoins, l’auteur est plus cartésien qu’il y paraît. L’ésotérisme démoniaque et les mythes celtiques sont ici le prétexte (bien documenté) à une vraie enquête. S'il ne manque pas d’expérience, le solitaire Mac’Herig se laisse convaincre par des faux-semblants. Marhic maîtrise avec subtilité le rythme de ce kaléidoscope, avant d’en décoder les images. Un “thriller féerique”, déroutant, atypique. Un roman d'une belle originalité.
- Cette collection est désormais rééditée par les Editions du Barbu, coll.
Polars & Grimoires -

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16 janvier 2008 3 16 /01 /janvier /2008 15:51

Viviane Veneault : La disparue des Baronnies
(Ravet-Ance07-VENEAULT-copie-1.JPGau, Polars en région n°4, décembre 2007)


Dans ce village de la Drôme, vivent trois amis. Homme mûr, Paul produit des abricots, avec sa famille. Veuf de 48 ans, Stanislas est un romancier reconnu. Jeune gendarme, Manu a de l’ambition. Dans l’intention d’aider son protégé Paco, qui ignore encore le secret de sa naissance, Paul rend visite à la vieille et acariâtre Mme Raplin, grand-mère du jeune homme. Il aimait bien Mina, la défunte fille de celle-ci. Dans sa fureur, Mme Raplin est prise d’un malaise. Paul s’enfuit, sans lui apporter d’aide. Par la suite, il hésite à se confier à Stan, et ne parvient pas à en parler à Manu. La disparition de Mme Raplin n’est que tardivement signalée par son voisin, Raoul Malvers, qui était absent. Voulant se dénoncer, Paul tergiverse. Gagné par des idées suicidaires, il est gravement blessé dans un accident de la route. Manu enquête sur le cas de la vieille dame. Sans être suspect, le vieux voisin ne dit sans doute pas tout ce qu’il sait.

C'est le qualificatif « roman de secrets » qui convient ici. Tous les protagonistes dissimulent des aspects de leur vie, de leurs sentiments. Les personnages annexes ne sont pas moins dignes d’intérêt. Non pas un « pur polar », mais une intrigue psychologique très réussie.

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16 janvier 2008 3 16 /01 /janvier /2008 11:26

GERARD ALLE EN DEUX QUESTIONS undefined

 

Né en 1953, Gérard Alle est un romancier guidé par une exigence de qualité, dans un univers proche du roman noir. Depuis ses débuts chez Baleine en 2000, il a publié six romans, dirigé ou participé à plusieurs recueils de nouvelles, et sorti en 2007 Les papys féroces, regroupant trois courts “romans gris”. Sur RayonPolar.com, il a largement répondu à deux questions qui l'inspirent.

 

Claude Le Nocher : Dans quelle mesure le roman doit-il être le reflet de la réalité ?

Gérard Alle : Le rapport à la réalité est en effet préoccupant. Je vois le romancier comme un conteur. Il doit être capable de faire avaler des couleuvres au lecteur. Plus la couleuvre est grosse tout en restant consommable, plus le livre est réussi. C'est sans doute l'intérêt premier de l'écriture de fiction, car chacun peut constater à quel point la réalité est déjà incroyable et peu crédible. La fiction doit nous affranchir des contraintes de l'espace et du temps. Dans ce sens, les contraintes de la langue sont parfois un frein à l'imaginaire et au basculement nécessaire du point de vue. Il faudrait pouvoir écrire à la première personne quand il s'agit de toucher le réel de l'émotion, du ressenti, au plus près, et passer à la troisième personne quand on veut donner de la distance. Il faudrait en même temps pouvoir écrire au présent, pour être au plus près de l'action, et au passé, pour installer la narration. Il faudrait aussi être ici et ailleurs, au même instant, et puis vivant et mort. Il faudrait se débarrasser de la structure même du langage, parfois, pour traduire l'urgence, la fulgurance d'un instant.  G--rard-ALLE.JPG

Mais la réalité est le port d'attache du lecteur. Et il faut l'entraîner à larguer les amarres. Pourquoi ? Parce que l'imaginaire c'est l'aventure de l'esprit, la subversion. Celui qui n'entre jamais dans l'imaginaire d'un auteur a peu de chance de libérer le sien, d'imaginer sa propre vie, et risque fort de se laisser dicter ses choix. Mais il ne faut pas oublier pour autant le port d'attache. Le réel contient sans doute toutes les merveilles du monde, là, à portée de la main, dans notre quotidien. Mais notre sensibilité est émoussée, on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre, on ne veut pas savoir, on veut oublier, aussi. Embrasser dans l'instant toute la réalité passée, présente et à venir est sans doute quelque chose d'insupportable pour notre cervelle et nos sens. Et comme notre vision de la réalité est forcément partielle, il faut changer de temps en temps d'angle de vue.

Souvent, imaginer, ce n'est pas inventer de toutes pièces une situation, mais c'est coller ensemble deux situations réelles ou vécues qui n'avaient rien à voir au départ; c'est aussi créer un personnages en assemblant les morceaux épars de plusieurs caractères bien réels. La littérature est là au moins pour nous proposer d'aborder les choses sous un angle inattendu. Tout part du réel, l'important c'est de ne pas y rester. Le reflet pur et simple de la réalité est sans intérêt. Il faut pour le moins que le reflet trouble nous trouble, que le miroir déformant nous déforme. S'il fallait donner un seul exemple, je citerai cet écrivain irlandais (Joyce ? Becket ? Oscar Wilde ?... je ne sais plus) qui a dit : “La réalité n'est qu'une hallucination due au manque d'alcool.”

 

Le roman peut-il cultiver la prise de conscience citoyenne sur l’environnement et l’écologie (respect de la nature et du cadre de vie, pollutions évitables et risques pour la santé) ? 

Gérard Alle : Il est toujours risqué d'utiliser la fiction romanesque pour essayer de faire passer un message, quelle que soit la pertinence de ce message. Il m'est arrivé de décrire certaines dérives agri-environnementales, notamment dans un roman intitulé Il faut buter les patates [Baleine, 2001], et l'absence de réaction de la part des lobbies mis en cause montre à quel point la littérature n'est pas faite pour changer le monde - tout au plus peut-elle changer les gens (une personne, ici ou là, pourra être chamboulée par la lecture d'un ouvrage). En fait, les coupables sont cyniques, sûrs de leur puissance, et les citoyens, quelque peu fatalistes, alors, l'inertie est immense.

Le plus efficace - j'entends au sens littéraire du terme, est peut-être la science-fiction, le roman d'anticipation, quand il nous projette dans un avenir inquiétant et nous oblige à refuser cette fatalité. Le roman noir, aussi, peut nous bousculer, en nous faisant voyager dans la réalité glauque d'un complexe chimico-oligo-mafieux du fin-fond de la Russie ou de la Chine, par exemple, mais il risque, alors,  de nous faire croire que le danger vient d'ailleurs, alors qu'il vient surtout de nous-mêmes.

Le roman que je suis en train d'écrire en ce moment, troisième d'un cycle intitulé Lancelot fils de salaud (*), nous projette dans une vingtaine d'années. La technologie y côtoie le chaos, plein de choses en lesquelles nous croyons aujourd'hui ne fonctionnent plus, ou par intermittence; il y a des vieillards séniles dans les maisons; il fait un brin plus chaud, ce qui permet de faire du vin en Bretagne et même en Suède (en fait ce sont les amplitudes climatiques qui augmentent, ainsi que les tempêtes). Le chaos qui règne dans certaines zones fait des dégâts socialement, mais il permet aussi des expériences originales, lorsque les hommes savent désobéir et se réinventer un vivre ensemble.

En fait, la question centrale, dans ces histoires de littérature et d'écologie est celle du contrôle social. Agiter la peur de la pollution, de la maladie et de la mort est très contre-productif, politiquement parlant : si tout est foutu, pourquoi se battre ? Si l'on joue avec cette matière explosive, il faut aussi, en face, jouer avec l'utopie. Aujourd'hui, nos enfants nous entendent dire à longueur de temps que le monde est pourri, et que leur vie sera plus dure que la nôtre. Or, demain leur appartient et sera ce qu'ils en feront. En ce sens, le catastrophisme littéraire est réactionnaire. Vive l'utopie !

 

(*) La fugue de l’escargot et L’arbre aux chimères. En 2007 est paru Les papys féroces, tous aux éditions Coop Breizh. 

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16 janvier 2008 3 16 /01 /janvier /2008 11:22

DOMINIQUE SYLVAIN 
« L’absence de l’ogre », le nouveau roman de Dominique Sylvain, est sorti en mai 2007 (Editions Viviane Hamy). On y retrouve la commissaire retraitée Lola Jost, et son amie américaine Ingrid Diesel.
Brad, un jardinier aux allures de grizzli, originaire de La Nouvelle-Orléans, vit à Paris sous une fausse identité. Il est recherché pour le meurtre de Lou Necker, une rockeuse. Ingrid le connaît bien, et doute de sa culpabilité. La et elle enquêtent, dans les parcs parisiens, et au Centre Artistique Jarmond, squat où vivait la victime. Mais une regrettable opération immobilière, un livre sur un botaniste d’autrefois, l’ambition de l’épouse d’un policier, la réaction des jardiniers de Paris, l’alcoolisme contrarié de Brad, et quelques autres problèmes compliquent cette affaire… Un roman foisonnant et palpitant, réellement entraînant. 
Dominique Sylvain a longuement répondu à trois questions sur le site www.rayonpolar.com, autant sur ses goûts littéraires, que sur sa propre écriture. Une manière d’approcher cette excellente romancière…

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Claude Le Nocher : Dans la Littérature Policière, quel romancier vous a le plus marqué, et a peut-être influencé votre propre écriture ? 
Dominique SYLVAIN : Plutôt qu’un auteur, je citerai un trio : Chandler, Leonard, Montalban. J’ai eu le coup de foudre pour Chandler étant ado. L’élégance de son style, son romantisme désabusé, son humour raffiné et mélancolique et le charme de Philip Marlowe m’ont enthousiasmée, et remuée. Quand j’ai commencé à écrire des polars, en 1993/94, j’ai tout de suite voulu mettre en scène un privé. J’ai choisi un personnage féminin, Louise Morvan, mais lui ai donné quelques aspects du caractère de Marlowe, plus ou moins consciemment. Louise est un rien cynique et désabusée, mais reste une grande romantique capable de panache, pour la simple beauté du geste. Elle a un côté « chevalier blanc » comme Marlowe, et « ni Dieu ni maître ». Comme lui, elle boit pas mal, accumule les relations sentimentales sans suite, se coltine physiquement avec ses adversaires, vit chacune de ses enquêtes comme un voyage initiatique. Elle est intuitive, mais pas seulement : elle mouille sa chemise pour arriver à ses fins et mise sur la logique. C’est une bagarreuse, et une raisonneuse. Mes deux nouvelles héroïnes, Ingrid Diesel et Lola Jost, ont ces deux points communs avec Louise, et Marlowe.

J’ai découvert Elmore Leonard et son humour subtil avec « Freaky Deaky », l’histoire d’un héros cool et malin aux prises avec des ex-activistes des années 60 reconvertis dans le gangstérisme. J’ai été épatée par sa technique. La fluidité de son style, sa manière de bâtir une histoire en trouvant des angles inédits, sa mécanique du suspense rigoureuse et qui ne laisse pas voir les coutures. Son univers est réaliste et jubilatoire. Quand il écrit une scène de séduction, Leonard ne tombe jamais dans la mièvrerie ; il sait parler de la connivence et de l’amitié comme personne, ses scènes d’action sont redoutablement efficaces et la violence n’y est jamais gratuite. Ses héros ont un charme irrésistible, notamment Chili Palmer dans « Get Shorty » (mon polar favori). Leonard prend son temps et accélère sans prévenir pour écrire une scène d’action magistrale, sans un effet de trop, sans une virgule inutile (la scène de massacre entre dealers dans « Out of Sight » est un modèle du genre). Ses méchants sont particulièrement réussis : le duo entre le tueur à gage indien et le petit blanc hystérique de « Killshot » est un morceau de bravoure. Comme tous les grands auteurs américains, Leonard est également très rigoureux dans les détails techniques ou historiques. J’admire ce professionnalisme. La rigueur mariée à une imagination impressionnante, c’est de la dynamite.

Un peu plus tard, je me suis plongée dans Manuel Vazquez Montalban pour lire tous ses Pepe Carvalho à la suite. La proximité du français et de l’espagnol, la qualité des traductions m’ont permis de goûter sans réserve la grande beauté de son style. Il m’arrivait quand j’avais un coup de mou pendant l’écriture d’un roman, d’ouvrir un Montalban au hasard et de lire quelques pages pour me redonner de l’énergie. Son écriture est à la fois délicate et puissante, sa vision du monde lucide et élégante, en grande partie parce qu’il n’assène jamais de leçon politique. Il donne à voir à des lecteurs adultes, leur offre un univers complexe et sensuel, et un regard singulier. Je crois que c’est Montalban qui a dit que le politique finissait toujours par transparaître, et que du coup il n’était pas nécessaire de durcir le trait.

Je suis allée à l’école du polar avec ces trois maîtres et j’ai mis des années à digérer leur technique, et à trouver ma propre voix. Dix ans au bas mot.

Claude Le Nocher : Réel ou réaliste, dans quelle mesure le roman doit-il être le reflet de la réalité ? 

Dominique SYLVAIN : Je n’ai pas de certitudes dans ce domaine. Plutôt des impressions variées. Les trois romans qui m’ont emballée récemment, « Lunar Park » de Bret Easton Ellis, « Kafka on the Shore » (Kafka sur le rivage) de Haruki Murakami et « White Teeth » (Sourire de loup) de Zadie Smith, réinventent un monde en partant (scrupuleusement) du nôtre. A partir de bases plausibles, ils nous embarquent dans un voyage stylistique, narratif, émotionnel d’autant plus fort qu’il est savamment architecturé. Les personnages s’expriment, s’habillent, vivent à peu près comme nos contemporains. Ils ont nos mauvaises habitudes et nos inquiétudes. Mais ce n’est que le début de l’aventure.

Ce qui est intéressant et source d’émotion, c’est que ces mondes recréés nous montrent des « reflets » de notre réalité. Dans le sens où le fantastique est juste derrière la porte. Comme dans ce roman de Murakami, « Danse, danse, danse » où le héros débarque dans une réalité parallèle grâce à l’ascenseur de l’hôtel du Dauphin. Le basculement du monde « réel » vers le monde imaginaire tient à peu de choses. C’est un froissement léger de la réalité, une discrète courbure de l’espace temps.

A priori, un roman qui est le reflet de son époque m’intéresse plus que celui qui est un reflet de la réalité. D’une part parce que la réalité est subjective : nous percevons le monde à travers le crible de nos sens, or, on sait par exemple que les couleurs n’existent pas dans l’absolu mais sont une production de notre perception. Et que la lumière est maîtresse du jeu. D’autre part parce qu’une époque englobe plusieurs réalités.

En revanche, j’émets un bémol concernant le polar. En tant que lectrice, je suis gênée par la réalité tronquée, et les histoires invraisemblables. Quand le revolver se comporte comme un pistolet, ou que les flics se prennent pour Prévert toutes les cinq minutes, ou au contraire passent leur vie à soigner leur gueule de bois, ou que les intrigues se résolvent à coups d’intuition subite. Il y a des éléments de réalisme de base qui me semblent indispensables, une fois ce fait admis, on peut décoller, délirer, réinventer, etc. Mais il faut un minimum. Et je crois que c’est pour cette raison que j’aime la façon dont le polar américain empoigne le réel. Même dans « Shutter Island » qui est un rêve, tout est réaliste. Ça n’empêche pas Dennis Lehane d’avoir un style éblouissant (à ne pas confondre avec un style joli) et de nous offrir un voyage vers des territoires mentaux à la fois connus et inconnus.

L’intéressant, c’est justement quand un auteur évoque une réalité proche de la nôtre et, dans le même temps, nous la fait voir sous un angle complètement nouveau. Un effet de proximité/distance difficile à réussir.

Souvent, pour écrire une scène, il est intéressant de partir du réel. On décrit la vitrine d’un magasin d’antiquité à Tokyo, située à côté d’un cimetière, et tout est vrai. Les objets dans la vitrine, l’allure déglinguée de l’enseigne en bois, les kanji écaillés sur la vitrine, le cri des corbeaux dans les arbres du cimetière. Et la fiction émerge d’autant mieux de cette réalité. Partir de données précises donne souvent du muscle à la fiction. Parce que l’histoire, les personnages obéissent alors à une logique. On en revient à l’histoire de l’ossature solide. Mais c’est pareil pour tous les arts. L’œuvre ne tient pas sans la composition.

D’autre part, j’avoue avoir un faible pour les auteurs qui osent se coltiner à la réalité, même s’ils en donnent une version subjective. Ils sont les plus courageux d’entre nous. Dans ce registre, j’admire Jonquet. Il est le seul à avoir osé travailler sur les émeutes de banlieues. Justement parce que c’est le sujet qui gêne, qui fâche, surtout à gauche. J’admire aussi « Les Particules élémentaires ». Ecrit dans un style volontairement plat, c’est un des rares romans français qui observe la réalité du déclin de l’occident. Pour moi, c’est un livre troublant. Il commence dans le marasme le plus réaliste, il finit comme un roman de science fiction. Tout comme dans « Lunar Park », le réel cède le terrain doucement à l’expression d’une sorte d’hyper réalité romanesque.

Claude Le Nocher : Qu’il s’agisse de la planification par un meurtrier avec préméditation, de la folie ou de la cruauté d’un tueur en série, de l’esprit de vengeance d’un assassin rancunier, les motivations des criminels de romans ressemblent-elles vraiment à la réalité, ou en sont-elles logiquement éloignées ? 

Dominique SYLVAIN : A mon avis, ces motivations ont plutôt intérêt à être logiques et vraisemblables. Et ça concerne tous les personnages et pas seulement les meurtriers. Il m’est arrivé de partir sur une histoire avec une grosse envie de feu d’artifice. Je me construisais mon petit opéra noir dans ma tête, avec l’intention de mettre les personnages au service de cette idée : il fallait que leurs motivations collent à mon projet pour obtenir l’effet escompté. Je les traitais comme des objets parfois, au lieu de les voir comme des êtres de chair et de sang, avec leurs propres désirs, leurs peurs, et surtout leur fonctionnement spécifique dans un écosystème économique. Aujourd’hui, j’ai changé de méthode. J’ai fini par comprendre qu’injecter du réel dans une histoire est un passage obligé, sinon on risque de déraper dans l’artifice, et d’écrire des histoires rocambolesques. J’ai compris qu’en veillant à toujours donner de vraies motivations aux personnages, on débouche sur des histoires intéressantes et touchantes aussi. C’est dans cet esprit que j’ai réécrit « Baka ! », mon premier roman qui était épuisé. J’ai revu toute l’histoire en donnant de vraies motivations à tous les personnages, même aux secondaires. Et cette deuxième version est à mon avis nettement meilleure que la première. Bien sûr, je recherche toujours le feu d’artifice et la jubilation, mais ça passe désormais par le travail sur le style, les inventions langagières, et l’angle d’attaque des scènes. Pour ce qui est des personnages, je me suis mise à les respecter, et à essayer de comprendre encore mieux leur vie. Même si je ne révèle pas tout, j’ai glané suffisamment d’informations pour les rendre plus denses. Par exemple, je dois savoir où ils vivent, visualiser leur rue, leur appartement, connaître une partie de leurs goûts, leurs moyens financiers, leurs amis, etc. Evidemment pour un meurtrier en série ou pour n’importe quel psychopathe, c’est plus délicat. Mais c’est jouable. Il faut se glisser un peu dans sa peau. Quelquefois, ça fatigue mais ça vaut la peine. Ce qui est difficile, c’est la cruauté. Il s’agit d’être plausible mais pas gore pour autant. Un détail suffit quelquefois, mais il faut réussir à le trouver. Il faut du temps, et de l’intuition. De la documentation aussi, mais pas seulement. Et il faut faire très attention parce que notre vécu est largement imbibé par la fiction visuelle, notamment celle des films et des séries policières. Il y a un panthéon grouillant de criminels sous nos crânes. Ils peuvent nous aider mais il faut savoir s’en dégager, trouver l’alchimie.

LES ROMANS DE DOMINIQUE SYLVAIN
Aux Editions Viviane Hamy : « Baka » 1995 - « Sœurs de sang » 1997 - « Travestis » 1998 - « Techno bobo » 1999 - « Vox » 2000 - « Strad » 2001 - « Cobra » 2002 - « Passage du désir » 2004 - « La fille du samouraï » 2005 - « Manta Corridor » 2006 - « L’Absence de l’ogre » 2007 - « Baka ! » mai 2007 (réédition du roman de 1995, dans une nouvelle version).
« Les passeurs de l’Etoile d’Or » (2004, Editions Autrement « Noir Urbain ») - « Mon Brooklyn de quatre sous » (2006, Editions Après La Lune « La Maîtresse en maillot de bain ») – Nouvelles dans « Petite ceinture » (2006) et « Bains Douches » (2007), Arcadia Editions 

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Roland Sadaune est romancier, peintre de talent, et un ami fidèle.

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