Coup de cœur. Quand Andrea Camilleri et Carlo Lucarelli écrivent à quatre mains “Meurtre aux poissons rouges” (Fleuve Noir), ça donne un singulier roman...
À Bologne, la policière Grazia Negro enquête sur une curieuse affaire, si bizarre qu’elle a besoin des conseils du commissaire sicilien Salvo Montalbano. Sans en référer à leur hiérarchie, l’inspectrice adresse par courrier la copie des éléments du dossier à son collègue. Montalbano décline cette collaboration, autant à cause de la jalousie de sa compagne Livia, que de la surveillance dont tout policier est l’objet en Italie. En réalité, Grazia et Montalbano vont quand même correspondre par courrier, officieusement, en prenant de grandes précautions. Utiliser divers subterfuges est parfois hasardeux, surtout si Montalbano confie cette mission à cet imbécile de Catarella ou à ce dragueur de Mimì Augello. La policière Balboni, collègue lesbienne de Grazia, leur apportera sans doute un meilleur soutien.
Qu’en est-il de ce meurtre bolognais ? Un nommé Arturo Magnifico été retrouvé mort chez lui, étouffé par un sac plastique ayant peut-être contenu ces poissons rouges découverts près du cadavre. Il gisait dans sa cuisine, habillé, seule une de ses chaussures ayant disparu. Ses cheveux et la partie supérieure de sa chemise étaient humides. On ne relève pas de vraies traces de luttes. Certains détails de l’autopsie n’ont, toutefois, pas été transmis clairement à Grazia. Salvo Montalbano lui indique les bonnes questions à se poser dans cette enquête. Il semble bientôt que les investigations de Grazia dérangent des gens, car elle est blessée dans un accident de voiture. Malgré la menace, elle maintient le contact avec son collègue sicilien, plus prudemment que jamais.
Une espèce très particulière de poissons rouges offre au deux policiers une piste, qui les oriente vers une jolie femme vite surnommée Gros Nichons. Un sobriquet machiste, mais justifié. Il peut exister un lien entre le meurtre de Magnifico et les carabiniers. En effet, le suicide du brigadier Pesci est troublant, vu l’endroit où on a découvert son corps. L’ombre d’une discrète équipe des Services Secrets italiens semble maintenant planer sur ces morts. Nos deux limiers sont certains d’avoir identifié la bonne suspecte, encore faut-il trouver le moyen de la piéger. Séparément, Montalbano et Grazia Negro vont séjourner à Milano Marittima. Si le Sicilien croit encore que leur suspecte ignore son rôle, il doit déchanter. Car les fiches des deux policiers se trouvent dans le sac à mains de Gros Nichons…
Andrea Camilleri et Carlo Lucarelli étant des virtuoses du polar, cet exercice de style s’avère remarquable. Dans l’épilogue, l’éditeur nous explique dans quelles circonstances ce roman les a réunis. Avant d’apprécier ce final, il faut savourer la maestria des auteurs. Des mois durant, ils ont joué ensemble à composer cette intrigue. Avec malice, certes, mais surtout en rivalisant de trouvailles pour que le résultat soit à la hauteur.
L’histoire se présente sous la forme de “pièces du dossier”, avec l’échange de courriers ainsi que d’autres documents. Les héros respectifs des deux romanciers sont face à un dossier criminel très sérieux. À ne pas traiter à la légère, car l’adversaire élimine facilement les gêneurs. Camilleri et Lucarelli mesurent les imperfections de leur pays, et y font allusion.
Ceux qui aiment Montalbano retrouveront en filigrane son équipe, non sans sourires, et la jalouse Livia : “Catarella a balancé que j’étais là [à Milano Marittimo]. Elle m’a appelée, furibonde. Elle est convaincue que je suis là à cause d’une aventure et menace de débarquer d’un moment à l’autre. Donc, il faut se dépêcher.” L’entourage de Grazia Negro —dont son concubin, enseignant aveugle— est également évoqué. Entre ces deux grands du polar, une belle complicité que le lecteur partage avec délices. Ce qui mérite forcément un Coup de cœur.
Mes chroniques sur les enquêtes de Salvo Montalbano : "La piste de sable", "Les ailes du Sphynx". Un autre article évoque trois autres affaires du policier sicilien : "La forme de l'eau", "Le tour de la bouée", "La lune de papier". Hors série, ma chronique sur "Le tailleur gris".
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