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23 février 2015 1 23 /02 /février /2015 07:30

Pour les retardataires n'ayant pas encore goûté aux aventures de Mémé Cornemuse, une formation accélérée permettra de situer le personnage : “Plus que le pognon dont elle n'avait jamais été l'esclave, Cornemuse aimait foutre la pagaille. S'éclater était son but principal et l'avait toujours été. Au cours de sa vie tumultueuse, elle avait navigué entre la pauvreté et la richesse, prouvant que "bien mal acquis profite souvent". Mais elle était capable de tout plaquer pour rester libre. "Ni Dieu, ni maître", comme Carmen Cru. Et pas de morale, non plus. Enfin, elle avait la sienne. Une sorte de logique à l'envers. Un peu pareil à un vieux réveil qui continue à faire tic-tac mais qui ne donne jamais l'heure exacte...” Vous voyez la farfelue, vous situez l'excentrique, vous cernez l'extravagante ?

Mémé Cornemuse, c'est comme le phœnix capable de renaître de ses cendres. Fabuleux drôle d'oiseau qui a fini en captivité, internée chez les dingos, quand même. Comme une pause, avant de rebondir sur le trampoline de son imagination. L'intrépide Mémé a d'abord mis le grappin sur Gilberto Van Pinderlok, un vieux qui avait l'air riche à millions, avant de s'échapper ensemble de la cage aux chtarbés. Direction Saint-Amand-sur-Fion, charmant village du département de la Marne. Voilà où se trouvait le château féerique de son pigeon du moment, Gilberto. Pas la première fois qu'elle doit déchanter, Mémé Cornemuse. C'est de la bâtisse déclassée, du prestigieux vermoulu, le soi-disant palais de son prince décati. Bah, s'il lui reste encore quelques tableaux de maîtres à fourguer, on doit pouvoir refaire la toiture et rénover tant bien que mal le manoir.

Tant pis si Jules Pignet, le maire, avait eu d'autres projets. Qu'il s'occupe de sa femme Ramona et de son fils Kéké, celui-là. Mémé Cornemuse, c'est l'Attila du progrès villageois. On fait comme elle dit, et on s'écarte de son chemin. Le “jeune couple” s'est offert un voyage de noces, entre-temps à Étretat ─ jolie allitération, non? On voit mal Mémé qui s'encombrerait longtemps d'un conjoint, une fois pompé l'essentiel de sa fortune. Petite photo en bord de falaise, et la voici accidentellement veuve. Elle aurait juste dû prendre le temps de vérifier l'état du cadavre de Gilberto, mais Mémé Cornemuse est une fonceuse qui ne jette jamais un œil dans le rétro. Retour sous le doux climat de Saint-Amand-sur-Fion. S'agirait maintenant que son parc d'attraction, The Kingdom of Bimbo Land, lui fasse gagner un peu de fric.

Nadine Monfils : Maboul Kitchen (Éd.Belfond, 2015)

Mémé ne tarde pas à trouver une famille fortunée à racketter, les Duprez de la Tour. Vrai-faux kidnapping de leur gamin, Yanus, le temps d'une virée explosive ensemble chez Euro Disney. Après cette parenthèse hallucinée, Mémé rend le môme à ses parents, fait accuser le maire, et voit le curé local s'envoler avec la rançon. Tout est en ordre, donc. Et si on transformait le domaine en imitation de Lourdes, avec sa grotte miraculeuse et tout le bizness que ça entraîne ? C'est bien pour la notoriété de l'endroit, mais rien ne vaut un bon vieux lupanar pour attirer la clientèle. Déjà, Mémé Cornemuse a d'autres idées qui fusent dans son esprit obsédé par Jean-Claude Van Damme. Et voilà un chirurgien esthétique se nommant Mickey Spillane, comme l'écrivain de polar, et Jackie Stallone en guise de marraine. Y a que la mort qui pourrait un jour arrêter cette Mémé Cornemuse…

 

Avec leurs péripéties foisonnantes et des brochettes de personnages originaux, les romans de Nadine Monfils appartiennent à la catégorie du polar. Néanmoins, on est loin du petit suspense balisé, ou même de l'intrigue noire sur fond social. C'est un univers perso que développe depuis une vingtaine d'années cette romancière. Ses héros s'exposent aux situations les plus insensées, ne sont excités que par l'excès, ne sont jamais loin d'une démence capable d'atteindre des sommets.

Depuis qu'elle a créé le personnage de Mémé Cornemuse (Les vacances d'un serial killer, La petite fêlée aux allumettes, La vieille qui voulait tuer le Bon Dieu, Mémé goes to Hollywood), Nadine Monfils s'en donne à cœur-joie. La vie est trop courte pour les “prises de tête” permanentes, pour ne pas goûter les plaisirs qui s'offrent à nous. L'auteure nous invite a une philosophie Carpe Diem, la plus rigolote possible. Amusons-nous une fois de plus avec cette fort sympathique comédie.

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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 08:30

Dans une affaire criminelle sans cadavre, le doute doit légitimement bénéficier à l'accusé. En 1924, le procès de Guillaume Seznec aurait donc dû connaître un verdict plus clément qu'une condamnation au bagne. Pourtant, suivre aveuglément le slogan “Seznec innocent” ne serait pas juste, non plus. Car la réalité des faits établis reste bien plus solide que les discours jouant sur l'affectif, l'émotionnel. Tous les Bretons natifs gardent en mémoire cette affaire, une grande partie de la population française aussi. L'excellent téléfilm d'Yves Boisset, en 1993, y a contribué. Néanmoins, répéter la chronologie détaillée des éléments est nécessaire, comme le fait ici Denis Langlois de façon vive et illustrée.

Guillaume Seznec, né en 1878, entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, et Pierre Quéméneur, né en 1877, négociant domicilié à Landerneau, conseiller général du Finistère, entreprennent le vendredi 25 mai 1923 un voyage en Cadillac de Rennes à Paris. Quéméneur a rendez-vous le lendemain avec un certain "Sherdly" ou "Chardy" pour traiter une grosse affaire de vente de véhicules d’occasion. Leur Cadillac appartient à Seznec, tout en étant gagée au profit de Quéméneur pour garantir un prêt. Seul, Seznec regagne Morlaix avec l’automobile, dans la nuit du 27 au 28 mai 1923. À la famille Quéméneur inquiète, Seznec explique qu’en raison de pannes répétées tout au long du voyage, il a dû regagner Dreux, à la nuit tombante, pour y déposer Quéméneur à la gare. Depuis lors, il ne l’a pas revu, ni n’a pas obtenu de nouvelles de lui. Le 10 juin, la disparition est signalée à la 13e brigade de police mobile de Rennes. Le 26 juin, Seznec, entendu à son domicile sur commission rogatoire par le commissaire rennais Cunat, confirme son récit.

Entendu à nouveau le 28 juin 1923, cette fois à Paris par le commissaire Vidal, Seznec fournit davantage de précisions sur les pannes qui entravèrent la progression des voyageurs et conduisirent à leur séparation à la gare de Dreux (en réalité, à Houdan). Par arrêt du 28 juillet 1924, Guillaume Seznec est renvoyé devant devant la cour d’assises du Finistère, siégeant à Quimper, pour avoir : - du 25 au 26 mai 1923, volontairement donné la mort à Pierre Quéméneur et ce, avec préméditation et guet-apens ; - courant juin 1923, commis un faux en écriture privée en fabriquant ou faisant fabriquer un acte sous seing privé aux termes duquel Pierre Quéméneur était censé lui consentir une promesse de vente d’une propriété dite Traou Nez, sise à Plourivo (Côtes-du-Nord). Guillaume Seznec frôle la condamnation à mort. Il sera envoyé à Cayenne.

Très vite, en partie grâce aux initiatives de son épouse, il se trouve beaucoup de gens voulant innocenter Guillaume Seznec. Parmi les témoins, il y a aura un certain François Le Her, dont on verra le manque de fiabilité au procès. Le plus halluciné entre tous est sans nul doute l'ancien juge Charles-Victor Hervé, mobilisant les foules autour du cas Seznec. Des pistes imprécises mal exploitées, souvent par impossibilité, il y en eût. Des témoignages clairs, contrairement à certaines allégations, on en produisit aussi. Retenir le détestable nom de l'inspecteur Pierre Bonny, en tant que “grand truqueur de l'enquête”, ne serait pas sérieux ; nous sommes en 1923-24, pas quinze-vingt ans plus tard. Une institutrice sincère, Françoise Bosser, amena la Ligue des Droits de l'Homme à s'engager.

Après-guerre, Seznec revient en métropole, gracié. S'il affiche une image de patriarche, il reste très actif avec sa fille Jeanne, mariée entre-temps à François Le Her. Il ne faudrait pas confondre le taiseux Gaston Dominici avec Guillaume Seznec, qui a de la répartie. En légitime défense, Jeanne abat son marie, mais êtes innocentée. Un nouvel excité apparaît alors dans leur univers, le journaliste Claude Bal. Sa demande de révision du cas Seznec est truffée d'inexactitudes. Juste avant le décès de Seznec, on tente de vaines fouilles dans la propriété de Plourivo. Puis, tandis que la famille de Jeanne vivote, l'affaire connaît moins d'écho jusqu'au milieu des années 1970.

Denis Langlois : Pour en finir avec l'affaire Seznec (Éd.La Différence, 2015)

Connu pour son militantisme au sein de la Ligue des Droits de l'Homme, Denis Langlois est contacté par la famille Seznec. Commence pour lui un travail de fond, afin d'obtenir une révision du procès. Mais il sent les rivalités familiales, en particulier entre Denis Le Her et son frère aîné Bernard. À cette époque, s'il entend déjà devenir seul défenseur de son aïeul, Denis Le Her n'en est pas encore à “ce merveilleux grand-père” qu'il va ensuite parer de toutes les vertus. Dès 1979, la médiatisation s'intensifie grâce à un programme de Pierre Bellemarre sur Europe1. Denis Le Her contrôle tout ça d'un œil jaloux. Tandis que l'avocat Denis Langlois cherche les meilleures hypothèses, Denis Le Her s'enfonce dans une stratégie du “100 % innocent”. Ça porte ses fruits dans les médias, mais c'est catastrophique sur le plan judiciaire, annulant tout espoir de révision.

Bernard Le Her confie à l'avocat le secret détenu par Petit-Guillaume, un des fils Seznec, frère de Jeanne Le Her. Dès lors, on ne peut plus du tout considérer l'affaire de la même façon. Et des témoignages annexes non-retenus prennent tout leur sens. Piste probable, que Denis Le Her ignore avec mépris. Bientôt, les désaccords incessants avec l'avocat (resté bénévole) conduisent à une séparation. Le secret de famille a été gardé, dissimulé, jusqu'ici. Après un long temps de recul, Denis Langlois l'étale au grand jour, afin que chacun puisse y réfléchir en toute justice.

Une certaine démesure accompagne l'ensemble de l'affaire. D'ailleurs, le projet initial de ventes de voitures de Quéméneur apparaissait déjà démesuré. L'enquête policière tous azimuts autour d'un unique suspect est tout aussi énorme. Il suffit d'observer la galerie de personnages qui exploitent l'affaire criminelle, pour éprouver le même sentiment d'excès. Si “l'erreur judiciaire” est dramatique, voire monstrueuse, les moyens de la démontrer ne doivent assurément pas friser l'hystérie. On n'en était pas loin, il faut le dire, lors des dernières demandes en révision de Denis Le Her. Ne pas admettre que Guillaume Seznec ait été un combinard et un magouilleur, oublier que même au bagne il s'arrangea pour ne pas être trop mal traité, jouer sur l'image positive du brave grand-père sans tache, c'est abuser l'opinion publique. Ça n'en faisait pas forcément un assassin.

Denis Langlois nous présente une sorte de “bilan final” de l'affaire Seznec. Si son premier livre, en 1988, nous offrait les bonnes clés, en incluant les plus infimes détails, celui-ci est carrément une référence sur ce dossier. Un ouvrage absolument remarquable !

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18 février 2015 3 18 /02 /février /2015 05:55

En ce mois de mai 1983, c'est dans le Haut-Quercy que séjourne Séraphin Cantarel, conservateur en chef des Monuments français. Toujours accompagné de son assistant, le jeune et dynamique Théo Trélissac. Cité médiévale à flanc de falaise et citadelle de la Foi, où l'on vient prier la Vierge Noire protectrice des marins du monde, Rocamadour est un site que Cantarel apprécie tout particulièrement. Pour ses trésors, autant que pour ses jardins magnifiques, dus à Vincent Alvignac, un jeune homme très inspiré qui s'en charge à l'année. Certes, le confort est un peu rudimentaire dans cette Chambre de l’Évêque, rarement ouverte, où loge Séraphin Cantarel. Il s'en accommode, le temps de sa mission.

Il n'a pas commencé sous de bien gais auspices, le voyage dans le Lot de Cantarel et de Théo. Le cirque Di Cantelloni annonçait un spectacle de féerie et de frissons. En effet, le principal numéro présenté par un couple d'artistes s'avéra plein de fascinant suspense, dans une tension palpable. On pouvait croire le partenaire en danger, jusqu'à la fin. Alors que le numéro semblait fini, un drame étrange se produisit. Séraphin Cantarel ne peut pas totalement gommer ces cruelles images. Ce matin-là, c'est un des joyaux du musée local qui vient de disparaître. “La Pomme d'or” contient huit-cent-cinquante grammes d'or pur, ce qui représente un beau pactole. L'objet par lui-même n'est pas monnayable, mais le métal précieux trouve toujours acquéreur.

Il ne semble pas y avoir d'effraction. La châsse contenant l'objet précieux n'a pas été fracturée. Rien d'autre n'aurait été volé. Avant même l'arrivée des gendarmes, plusieurs notables locaux se mêlent de l'affaire. À commencer par le père Pechmalbec, responsable religieux, et le prétentieux colonel Delmont de Gay-Lussac, président des Amis du musée d'Art sacré. Cantarel laisse les enquêteurs opérer non sans éprouver, comme à chaque fois qu'il est face à un mystère, une certaine excitation. En partie due à l'orage aussi, qui sait ? Conservateur du musée, l'historien Christian Lasourre ne serait pas fâché que l’État soit le futur propriétaire des lieux. Mais une anonyme lettre de menace vient de lui parvenir, qui doit être l'œuvre de quelqu'un de connaissance. Il devrait probablement prendre la chose au sérieux. Déjà, la presse s'empare de l'affaire. Cantarel et son entourage n'en sont qu'au début de leurs tribulations...

Jean-Pierre Alaux : La Pomme d'or de Rocamadour (Éd.10-18, 2015)

Voici la cinquième aventure mettant à l'honneur Cantarel et Trélissac, hommes de culture et détectives amateurs. C'est durant les décennies 1970-80 que se situent les intrigues présentées. Un très bon choix de l'auteur permettant de restituer des ambiances moins technologiques, quant aux enquêtes. Certes, les lieux choisis connaissaient déjà un tourisme de masse, bien exploité. Pourtant, on échappait encore à un désolant “calibrage” parfois observé depuis dans les lieux touristiques populeux. Ces années-là, Rocamadour se visitait agréablement, je peux en témoigner. Un site effectivement singulier.

Coauteur par ailleurs avec Noël Balen de la série Le Sang de la Vigne, Jean-Pierre Alaux n'a nul besoin d'éloges pour souligner sa maîtrise des histoires. Le récit est émaillé de multiples références – précises et bienvenues – sur les facettes diverses des lieux, du passé, de faits plus ou moins récents. Bonne occasion de s'instruire, bien sûr. Dans le même temps, l'énigme est fortement présente, peut-être teintée d'étrangeté, avec ses protagonistes à surveiller. Notons encore que le jeune Théo trimballe toujours ses petits secrets personnels, au fil des épisodes. Et que l'ironique Mme Cantarel apparaîtra, elle aussi. Encore un très bon suspense dans cette série, qu'on prend grand plaisir à lire.

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15 février 2015 7 15 /02 /février /2015 05:55

Il faut des prédispositions pour devenir tueur à gages. Ce n'est pas Dick Lapelouse qui dira le contraire. Né en 1970 d'une honnête mère aimante et d'un père truand abattu dans un règlement de comptes, Richard fit son apprentissage en autodidacte. Avec succès, puisque dès l'âge de vingt ans, il entre au service d'un mafieux niçois. Il sera son homme de main durant quinze ans, sans accroc, dans un milieu pourtant instable. Ayant développé un sens du meurtre sans états d'âme, choisissant la région bordelaise, Dick Lapelouse entreprend de se lancer en indépendant dans cette activité. Cela s'avère bientôt très rentable, car en ces temps de crise, qui n'a pas envie de supprimer les fâcheux de son entourage ? Son bureau voisinant avec celui du psy Malcolm Braun, ceux qui ont besoin d'aide peuvent se contenter d'une analyse ou faire appel au tueur à gages, c'est pratique.

Dick Lapelouse n'a pas de grandes ambitions, juste de rendre service à moindre coût, compréhensif quand il s'agit de néfastes à éliminer. “Alors non, je ne suis pas pour la peine de mort et je ne traite que rarement les cas de vengeance criminelle… Mon métier, c'est de supprimer des salopards à qui la justice ne s'intéresse pas et qui salissent et oppriment des vies entières. Mais sur demande des plaignants uniquement, parce que je ne combats pas le crime.” Bien qu'il ne soit nullement un vengeur, on se bouscule pour l'engager. Au point qu'il lui faut absolument une secrétaire. La quinquagénaire et massive Camille, fan nostalgique de Claude François, employée moitie-moitié par l'exécuteur et par le psy, fera parfaitement l'affaire. Il s'agit juste qu'elle pense que Dick est plutôt détective privé. Néanmoins, davantage que durant son enfance, il a parfois besoin de séances psy.

Dick est sélectif parmi sa clientèle, prudent dans l'énoncé des contrats. Quand l'ex-policier Blondel le contacte, il multiplie les précautions reniflant le coup fourré. À l'heure de passer à l'acte, l'affaire des frères Blondel se vérifie compliquée. Dick lui-même est légèrement blessé, ce qui justifie qu'il se mette au vert à Arcachon quelques jours. Après tout, il ne se prend pas pour un héros de films d'action. Il préférerait sans doute qu'une blonde qui se prénommerait Dionne lui serve d'ange gardien. Dans l'enquête Blondel, il reste attentif à ce qu'en dit la presse. Et voilà qu'on lui présente le cas d'un authentique fumier, Ramón Suñer Llanos. Du genre intouchable, malgré un parcours monstrueux. C'est son fils Carlos, sexagénaire, qui souffre d'avoir eu un tel père. D'autant que, âgé de quatre-vingt-dix ans, Ramón Suñer Llanos renverse les rôles, faisant passer son fils pour un type ignoble.

Dick prend le temps de régler, à la demande d'une brochette d'enfants, le cas du maire Duvernois, Célibataire, cinquante-cinq ans, chasseur, gros buveur, auteur d'abus sexuels, cet ogre aura mérité son sort. Puis Dick se rend à Lisbonne, sur la piste de Ramón Suñer Llanos. Et aussi sur celle de Pepe Carvalho, le héros de Manuel Vázquez Montalbán, avec une pincée de Donald Westlake pour faire bonne mesure. La spectrale Dionne n'est pas loin, réprobatrice quant à cette mission peu rentable. Dick va ensuite devoir faire le détour par Paris, pour une mise au point avec sa mère au sujet de son père. Mais ses aventures ne s'arrêtent pas là…

Sébastien Gendron : La revalorisation des déchets (Éd.Albin Michel, 2015)

Après “Le tri sélectif des ordures (et autres cons)” (Pocket), voici la suite des tribulations de Dick Lapelouse. Pour être précis, ce nouvel opus permet de pénétrer plus intimement dans l'univers de ce singulier tueur à gages. Si l'assassinat est un art, il a aussi une sorte de morale : “Il serait plus juste de dire de moi que je n'accepte pas la revalorisation des déchets, que je n'accepte pas la respectabilité masquant l'infamie, que je n'accepte pas qu'il puisse y avoir des hommes, des femmes, des fils, des filles, des mères ou des pères qui, jouant de leur rôle, sèment l'horreur autour d'eux dans la plus totale impunité. Cette tâche que je me suis donnée ne fait nullement de moi un justicier. Je refuse la section en noir ou blanc de l'humanité.”

Hanté par une fantomatique blonde, et par quelques détails de sa propre vie, il a bien de la chance de voisiner avec un psy, même si celui-ci ne lui fait pas de “prix d'ami”. Pour qu'une comédie policière fonctionne, il faut plus que des situations humoristiques. On attend une tonalité narrative, une inventivité débridée, une certaine ironie, en un mot : une écriture. C'est ce que nous offre ici Sébastien Gendron. La construction du récit n'a rien de linéaire, avec ses courriers, ses réflexions perso bardées d'auto-dialogues ou d'alinéas numérotés. Le “conte de l'ogre Duvernois” est délicieusement présenté. Voilà un roman très drôle, qui permet de savourer un fort agréable moment de lecture.

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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 05:55

Recueil de nouvelles de Marc Villard, en majorité inédites.

"Le dernier combat" – Précaire, la vie d'Hakim Kosta, de sa femme Nina et de leur fillette de trois ans, dans ce coin de Belgique. Hakim est un boxeur de quartier, sans gloire. Nina chante dans des bars, selon la générosité de quelques clients. Elle possède une vraie voix, et s'accompagne à la guitare. Mais leur avenir est plus terre-à-terre que leurs espoirs.

"Mama-San" – À Bruxelles, Daniel et deux amis forment un groupe musical qui s'inspire de Crosby, Still, Nash & Young. Ils ont décroché un contrat à Ostende, pour une soirée au club Mama-San. C'est un tout autre genre de contrat que M.Vorenkamp propose à Daniel. Le comptable Benitez s'est mal comporté. Il faut sévir avant qu'il quitte la capitale belge.

"L'harmonica" – À Saint-Quentin, Paul Declerck est un VRP en électroménager et un virtuose de l'harmonica. Divorcé de Sylvia, il est aussi le père du petit Gérôme. Même à bord d'une Cadillac bleu lagon, les balades trop rares avec son fils s'avèrent déprimantes, sujettes à boire quelques verres de trop. Quant à imaginer un hypothétique départ, est-ce illusoire ?

"Hallucinex" – Elle est mal dans sa tête et dans sa vie, Brigitte. Ce n'était pas le chanteur Alan qui pouvait lui apporter un quelconque équilibre, ni une réponse aux médicaments dont elle abusait. Fuir une clinique psy pour se retrouver sur le trottoir parisien n'était pas de nature à l'aider, non plus. Il n'y aurait qu'un repos forcé qui puisse la soulager.

"Le stade Jean Carillon" – C'est dans ce modeste stade de Lamberville que s'entraînent Fabien et ses copains d'une douzaine d'années. Avec les frères Masnaghetti, des graines de pros, peut-être ? Âgé de dix-huit ans, Freddy traîne souvent dans le tribunes, chantonnant des standards du rock. Sa disparition va finir par perturber la vie de Fabien.

"La rivière argentée" – C'est dans un décor forestier que le jeune Belge Alex, ouvrier pour l'été dans une scierie, et la belle Eva, dix-sept ans, se sentent mutuellement attirés. Ensemble, ils chantent le répertoire emprunté aux Everly Brothers, et font de promenades en barque. Alex compte suivre des études de cinéma, tandis qu'Eva espère poursuivre dans la musique.

"Le voyageur immobile" – Thierry est originaire de Roubaix. Pas vraiment majeur, il squatte dans la Gare du Nord avec sa copine d'infortune Stella. Tous deux se prostituent afin de s'offrir quand c'est possible une modeste chambre d'hôtel, pour un peu d'hygiène. Un jeu sale qui peut devenir dangereux. Car ils ne sont pas les seuls déclassés à rôder dans cette gare, à hanter les wagons vides isolés.

Marc Villard : Harmonicas et chiens fous (Cohen & Cohen Éd., 2015)

"Né dans le bayou" – Natif de la région de Lafayette, en Louisiane, Tim a trouvé l'occasion d'étudier le français en Europe. Très habile joueur d'accordéon sudiste, il se produit dans des animations "square dance" en pays wallon. De la country pour des cow-boys de pacotille. Sur leurs motos, certains d'entre eux apparaissent menaçants, quand même. Jusqu'à se croire des héritiers du Klan et de ses méthodes ? Tim se demande s'il faut les dénoncer ou rester prudent.

"Jaurès-Stalingrad" – Employé des Assurances réunies, Martin est surtout un passionné de musique. Un vendeur de partitions rares, inédites, lui a fixé rendez-vous dans le métro parisien. Le nommé Silver n'est pas venu, cas de force majeure. Néanmoins, Martin va réussir à s'emparer desdites partitions. Tant pis s'il faut supprimer l'intermédiaire.

"Beauduc" – Le parcours d'Ulrike, trente-six ans, a été chaotique depuis son Allemagne natale jusqu'à cette plage de Beauduc. Sans doute était-ce une chanteuse possédant un certain talent. Maintenant, elle vit avec sa fille dans son bus échoué là, non loin d'autres marginaux. Nina, sa fille de dix ans, semble avoir disparu. Elle ne doit pas trop compter sur la solidarité de ses voisins, passifs de nature.

La réputation de Marc Villard n'est plus à faire : c'est un maestro de la nouvelle, un prince du texte court. Tel un rockeur inspiré donnant le maximum dans chacun des morceaux qu'il a créé et qu'il interprète, il nous entraîne sur les pas de ses personnages. Des anti-héros ? La formule serait trop facile, et inexacte. Ce sont des “esquintés”, malmenés par leurs choix personnels de vie, où parce que le hasard néfaste s'en mêle. Ça s'arrangera ou bien ça empirera pour eux ? Allez savoir ! Ils ont perdu leur capacité de résilience, mais subsiste peut-être une lueur en eux. À part sur la plage de Beauduc, près de l'Etang du Vaccarès, c'est par temps de grisaille en Belgique et dans le Nord de la France que nous fait cette fois voyager Marc Villard. Des nouvelles à savourer !

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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 05:55

À Bucarest (Roumanie), Andreï Mladin est un journaliste âgé de vingt-sept ans vivant avec son chat Mécène. Mal réveillé ce jour-là, il découvre un corps étalé au milieu de ses livres, tué à coups d'haltères. Il se souvient mal de la soirée de la veille. Le plus urgent reste de faire disparaître le cadavre, sans que sa curieuse voisine Madame Margareta s'interpose. Après avoir caché le mort à la cave, il nettoie son appartement…

Tout a commencé par l'interview de la jeune et belle violoniste Mihaela Comnoiu. Coup de foudre entre le journaliste et la virtuose. Certes, le père de la jeune femme, le Dr Paul Comnoiu se montre plutôt méprisant envers Andreï Mladin. Et le journaliste peut craindre que des rivaux, tel l'acteur beau-gosse Marian Sulcer, entravent leur idylle. Pourtant, l'enjôleuse Mihaela apparaît vraiment amoureuse de lui. Le journaliste reçoit des lettres de menaces, avant d'être agressé dans la rue. Puis au téléphone, des gens semblent prêts à payer cher pour qu'il cesse sa relation avec Mihaela.

Le cadavre est celui du vieux Valentin Meranu, qui est au service de la famille Comnoiu. La veille, lors d'une soirée chez le père de Mihaela, on a cru Andreï Mladin ivre parce qu'il était victime d'un malaise. Valentin et l'acteur Marian Sulcer l'ont raccompagné chez lui. Il semble que Sulcer ne soit pas monté à l'appartement du journaliste. Si l'acteur a un alibi, celui-ci est bientôt informé par sa concierge. Le Dr Paul Comnoiu n'apprécie guère quand le journaliste l'interroge sur son emploi du temps de la nuit en question. Et, inquiète pour le vieux Valentin, Mihaela lui reproche son comportement d'alcoolique.

Une inondation a envahi la cave de l'immeuble d'Andreï Mladin. Le corps de Valentin ne s'y trouve plus, on l'a ramené à l'appartement. Le journaliste s'arrange pour s'en débarrasser, malgré sa voisine curieuse, Madame Margareta. Dès le lendemain, la police découvre le cadavre sur un terrain vague voisin. Andreï Mladin poursuit son enquête, sur la piste d'une Ford Capri rouge. S'ensuivent de multiples péripéties, indiquant qu'il est personnellement visé par une complexe machination. Les bienveillants policiers Buduru et Pahonţu vont discrètement suivre l'affaire, et ne seront pas loin pour arrêter les coupables…

George Arion : Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? (Genèse Éd., 2015) — Coup de cœur —

Préfacée par Claude Mesplède, cette excellente comédie policière nous est racontée par le héros, Andreï Mladin, ce qui donne comme toujours une belle vivacité à l'histoire. D'autant que les chapitres courts relancent le récit. Parmi les éléments souriants, il utilise de nombreuses fois l'expression “fin de citation” après avoir évoqué des paroles venues de son grand-père, par exemple. On nous l'explique : “Pendant le régime autoritaire, l’expression «fin de citation» était employée par tout orateur reprenant les propos du Conducator. La redondance de cette rhétorique est bien entendu tournée ici en dérision par l’auteur.”

Car c'est bien dans la Roumanie du temps de Nicolae Ceaușescu, que se déroule cette affaire. On le constate aussi par certains détails : la nourriture provient des pays frères et amis : “En route vers mon appartement, je prends mon courage à deux mains et entre dans un magasin pour y faire quelques courses : une boîte de haricots chinois, un pot de poivrons bulgares, une boîte de sardines soviétiques et une bouteille de vin albanais...”

Un petit journaliste face à la bourgeoisie communiste, telle est la place d'Andreï Mladin : “– J’ai élevé Mihaela loin de toute vulgarité. Je lui ai appris à résister, à ne pas être engloutie par l’anonymat, à monter aussi haut possible, parmi les élus, les génies. Ce sont eux les véritables maîtres du monde (…) Toi aussi, tu as voulu rejoindre cette sphère, Mladin ! En vain ! Il est impossible à un vagabond de prendre la place d’un roi ! Tu auras beau porter les vêtements les plus élégants, fréquenter les salons les plus huppés, tu resteras un insecte rampant qui n’habitera jamais qu’une grotte sordide.”

Entre cadavre encombrant et innocent persécuté, l'histoire est racontée avec une bonne part d'humour. C'est ainsi que George Arion s'inscrit dans la meilleure tradition du polar. On a hâte de lire d'autres romans de cet auteur.

 

- Disponible dès le 13 février 2015 -

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9 février 2015 1 09 /02 /février /2015 05:55

Élève au collège Valdelosa, Soledad est âgée de douze ans. Une sortie scolaire conduit sa classe, sous la surveillance de sœur Esther, dans un ermitage à l'allure sinistre. Se sentant la trente-septième sur les trente-six enfants présents, Soledad s'imagine volontiers tel un fantôme. Elle s'éclipse du groupe, passe une porte, emprunte un escalier tortueux, arrive jusqu'à une pièce secrète et exiguë. Quatre étranges personnes sont réunies là assises, deux hommes et deux femmes. Soledad est acceptée comme témoin, tandis que chacun d'eux narre des histoires insolites.

C'est l'irritable M.Formes qui commence avec deux récits. Le premier raconte le cas de Gertrude Webber, une dame qui se pensait investie de l'esprit de Marie Curie. Cette dame consultait un psychanalyste de renom, Alfred Dobbin, qu'elle entraîna dans sa croisade contre une force qu'elle estimait maléfique. Le chaos qui s'ensuivit leur fit rencontrer l'Être qu'ils pourchassaient. Mais qu'ils ne pouvaient détruire, car il faisait partie de la nature. Dans le second récit, M.Formes évoque ses recherches archéologiques en Méditerranée avec le riche Grigori Fasev. Vénus ou Aphrodite, Astarté, Ishtar, Astaroth, le mythe de la beauté absolue les fascinait. Si M.Formes trouva un idéal en la personne de la belle Sophia, Grigori découvrit un vestige qu'il associa à la naissance de Vénus. Drôles ou émouvants, Soledad n'est pas sûre d'avoir compris ces deux contes.

Puis, c'est Mme Lefo qui entame une troisième histoire. Dans une soirée mondaine parisienne, entre art et orgie, on pouvait alors croiser un certain Roberto Lupino. Ce facétieux dandy avait un jeu favori, voler les petites culottes des dames dans les toilettes. Ce qui eut pour conséquence de causer la fureur de Mme Katharina Karsova. En effet, cette simple culotte cachait des secrets. Quand elle voulut la récupérer, le farfelu Lupino trouva l'occasion d'un chantage d'une perversité très particulière. Mme Lefo raconte encore l'histoire du jeune Lustucru, seize ans, adolescent sympathique mais un brin arriéré, vivant dans un petit village. Il semble être tombé amoureux d'une photo, celle de Jennifer Budoski, que l'on suppose être une star de Hollywood. Le pauvre est poursuivi dans ses rêves par cette obsession, qui finit par toucher toute la famille.

Ces deux contes ont-ils un point commun, Soledad n'en est pas sûre. C'est maintenant au tour de M.l’Évêque de Godorna de détailler une soirée entre actionnaires d'une florissante entreprise, à laquelle ce prélat fut convié. L'idée d'abandonner leur fortune pourrait-elle les effleurer un instant ? Ou restent-ils férocement jouisseurs ?… L’Évêque raconte aussi l'exotique aventure de Frances Fresh, américaine de treize ans. Puis vient la dame en blanc, Mme Win ou Mme Güín, qui narre ses propres contes. La pure Soledad pourra-t-elle le moment venu franchir le pas, et raconter aussi une histoire quelque peu malsaine ?…

José Carlos Somoza : Tétraméron (Actes Sud, 2015)

Il ne s'agit ni d'un polar, ni d'un roman noir. L'auteur reprend le principe du “Décaméron” de Boccace, célèbre œuvre allégorique présentant des récits de débauche entre érotisme et drame. Dans une ambiance énigmatique, face à une ado, quatre protagonistes narrent des scènes déroutantes. À son âge, Soledad est sensible aux contes, s'avouant que “dans un conte, je suis qui je veux.” Faut-il tirer une leçon, une morale, de ces récits ? Ce serait comme créer son propre labyrinthe, dans lequel on risque fort de se perdre : “De son point de vue, chercher des explications aux contes est une autre énigme en soi. Elle s'est creusée la cervelle avec les histoires, elle s'en aperçoit maintenant et se trouve ridicule. "Nous créons parfois nous-mêmes les problèmes que nous tentons de résoudre", se rappelle-t-elle...”

En effet, chacun peut interpréter une anecdote, un récit authentique ou plus fantasmé, à sa manière. En tirer expérience à long terme, ou se contenter de sa réaction instinctive. Il y a quelque chose d'hallucinatoire, d'onirique, d'outré, dans tous les contes. On verra ici qu'un second récit peut s'insérer au milieu d'une histoire. La lecture permet d'exciter notre imagination, d'illustrer la fiction par nos images personnelles, d'éprouver des émotions. Le jeu, non dénué de philosophie, que propose José Carlos Somoza est bien celui-là. Qu'il soit sous doute un peu complexe n'empêche nullement d'y adhérer, avec un certain plaisir.

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 05:55

Elspeth Howell vient de passer quatre mois en ville, exerçant son métier de sage-femme. En ce neigeux hiver 1897, elle rentre dans sa ferme isolée du nord de l’État de New York. Son mari Jora et leurs enfants (Mary, Emma, Jesse et Amos) ont été massacrés. Cinq ou six jours plus tôt, trois hommes portant des foulards rouges ont débarqué ici, tuant sans pitié toute la famille. Sauf Caleb, douze ans, fils solitaire des Howell. Il a tout vu depuis le fenil, dans la grange où il passait son temps. Bien que possédant un fusil Ithaca, il n'a pas pu intervenir. Sans le vouloir, Caleb blesse sérieusement sa mère à son arrivée. Fiévreuse, Elspeth reste semi-inconsciente durant plusieurs jours. Son esprit lui restitue des images de leur vie passée, entre la pieuse dureté de Jora et leur histoire familiale. C'est le feu qui va intégralement purifier le décor meurtrier. Caleb et sa mère se réfugient dans la grange.

Le garçon réfléchit à la suite : “Ils auraient besoin d'un plan, et pour la première de fois depuis le drame, il envisagea la possibilité d'un avenir. La seule chose qu'il révélerait à sa mère, c'est qu'il prévoyait de tuer ces hommes. Sans doute le voudrait-elle aussi.” Après quelques jours de répit, Elspeth affaiblie et Caleb partent à pied dans la neige et le brouillard. Un long chemin de croix dans les campagnes sans vie. Ils échouent finalement dans la maison d'un couple de vieux, William H.Wood et sa femme Margaret. Ceux-ci leur procurent chaleur et réconfort. Quatre jours plus tôt, le trio de tueurs a brutalisé William, dérobant ce qu'ils pouvaient. Ils sont partis en direction de Watersbridge. Elspeth connaît la ville, près du lac Erié, car c'est là que naquit Caleb. William et Margaret ne peuvent retenir la mère et son fils, pressés de rester sur les pas du trio criminel.

Tandis qu'ils se logent dans un hôtel, Caleb découvre la civilisation. Déguisée avec les vêtements de son défunt mari, Elspeth se voit offrir un job d'homme à la Compagnie des Grands Lacs. Un boulot difficile où elle fait équipe avec Charles Heather, au caractère plutôt bienveillant. Elle ne peut rien lui révéler dans l'immédiat. Caleb ayant entendu parler de la Taverne de l'Orme, un lieu mal famé, il a été engagé pour un petit job de service par le patron, London White. Il est convaincu que c'est là qu'il trouvera la trace des trois tueurs. Caleb s'est acheté un Colt, qui ne le quitte pas. À l'Orme, il croise des types comme Owen Trachte, qu'il sent animé d'une sourde colère, ou Martin Shane, un habitué paraissant énervé de nature. Mais il y a également la jeune Ellabelle, qui l'impressionne quelque peu. Tandis qu'Elspeth reste hantée par son passé, il n'est pas question pour Caleb de renoncer à sa vengeance…

James Scott : Retour à Watersbridge (Éd.Seuil, 2015)

À la toute fin du 19e siècle, l'Amérique reste largement un décor de western, la ruralité s'appliquant toujours à de petites villes comme Watersbridge. C'est une époque rude, où le confort reste relatif pour la population modeste, gens ordinaires menant une vie sans luxe, chacun défendant ses maigres biens ou sa tranquillité. Non sans utiliser des armes, au besoin. Des notables de la classe un peu plus aisée, tels ceux qui employèrent Elspeth Howell, il en existe. Ces conditions de vie engendrent une sélection naturelle au détriment des plus faibles, y compris des bébés. On se raccroche dans certains cas aux préceptes bibliques, comme le fit Jora Howell. Ou on traîne sa peine et ses secrets, telle Elspeth.

Ce que l'on retient en priorité, c'est l'écriture de James Scott, capable de faire passer cette âpreté de l'ambiance d'alors. Certes, il y a des règlements de comptes dans l'air. Au-delà de ça, c'est l'ensemble des rapports entre tous les protagonistes qui sont sous perpétuelle tension. Beaucoup de méfiance, assurément une dose de rancœur. Néanmoins, l'auteur parvient à nuancer, à travers des personnages plus modérés : William et Margaret Wood, le patron de l'hôtel Frank, l'ouvrier Charles Heather, et d'autres encore. Quelques lueurs humanistes percent dans toute cette noirceur.

Quant à l'intrigue, le massacre initial en est le moteur, bien sûr. Toutefois, c'est dans l'histoire d'Elspeth et de ses proches que l'affaire prend sa source. Bien que de style personnel, ce roman puissant n'est pas sans rappeler ceux de Ron Rash. C'est avec une très belle maîtrise que James Scott nous raconte ces destins tourmentés.

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