Novembre 1918. Âgée de trente ans, Léonie Rivière est veuve de guerre. Mort sur le front, son mari Antoine avait déjà perdu sa fortune par des investissements douteux. Léonie vit seule à Paris, dans ce quartier de Montparnasse où elle croise des artistes tels Modigliani ou Cendrars. Elle survit en écrivant quelques piges pour les journaux, sous le pseudo de Lys de Pessac. En ce 11 novembre, règne partout une excitation particulière, symbole du conflit terminé. Gagner maintenant la paix, se déshabituer de la guerre, ça viendra avec le temps. Léonie rencontre Edgar Prouville, séduisant ancien combattant. Elle a envie qu'il lui parle de cette guerre qui lui a pris son mari Antoine. De son côté, Edgar a vécu un épisode sanglant au printemps 1917, non loin du Chemin des Dames. Bien que sur ses gardes, ce rescapé est légèrement blessé par un coup de poignard, qui ne s'explique guère.
Se disant marchand d'art, Edgar est devenu l'amant de Léonie. Celle-ci préfèrent ne pas s'arrêter à ses idéaux réactionnaires et à sa conception cynique du marché de l'art. Après les obsèques de Guillaume Apollinaire, Léonie accepte de stocker dans son appartement les toiles achetées par Edgar. Elle ignore comment il se procure ces tableaux, dont l'un est signé Modigliani. Finalement, Léonie est engagée par les journaux L'Excelsior et Le Petit Parisien. Elle va faire équipe avec le photographe Norbert Rameau, qu'elle croisa furetant à Montparnasse. Leur première enquête concerne les agences matrimoniales, florissantes avec tant de veuves. Léonie interroge une spécialiste sur les méthodes de ces officines, et sur les motivations de ces candidates au mariage. En catalogue, l'agence dispose d'une photo appât du sémillant Edgar. Qui se fait appeler dans ce cas Arthur Séverin.
Edgar a disparu. Chez Léonie, des traces de sang s'avèrent inquiétantes. Parmi leurs amis artistes, on prétend ne pas connaître Edgar ou Arthur. Norbert Rameau et Léonie trouvent le gourbi où il logeait, impasse de la Gaîté. Ils sollicitent les ministères, où l'on finit par avoir trace de l'affaire sanglante du printemps 1917. Arthur Séverin en aurait réchappé, effectivement. Mais rien n'indique qui a pu vouloir aujourd'hui le faire disparaître. Le duo découvre, rue Delambre, le véritable appartement d'Arthur ou d'Edgar. Divers documents démontrent qu'il a agi tel un escroc au mariage, sans vergogne. Les tableaux stockés chez Léonie seraient-ils des faux ? Le Modigliani est bientôt authentifié par un expert. Norbert et Léonie aimeraient que le policier Meissonnier et son adjoint Bonny les aident. Occupé sur une autre grosse affaire, l'inspecteur vérifie finalement une série d'empreintes digitales...
Si Michel Quint est l'auteur de l'excellent “Effroyables jardins”, les lecteurs devraient aussi se souvenir qu'il fut récompensé par le Grand prix de Littérature policière pour “Billard à l'étage” (1989). Et que sur environ quarante ouvrages, longs ou plus courts, aucun n'est ni moyen, ni passable. Tous ses livres possèdent de véritables qualités, liées en majeure partie à l'écriture.
Descriptif ou plus lyrique, Michel Quint donne toujours le mot juste, la tournure adéquate. Exemple d'une scène lumineusement décrite en quelques lignes : “Ils sont à La Rotonde, Libion à son poste, colosse hiératique derrière son zinc, et il écoute Léonie rappeler ses frasques à Modigliani, éternel costume en velours, d'ouvrier, qui dessine dans son cahier bleu, d'un seul trait, main droite, et tient son ballon de rouge de l'autre.” Pour évoquer une période si oubliée, Michel Quint est un des rares écrivains qui possède cette force évocatrice capable de reconstituer parfaitement l'ambiance d'alors.
Apollinaire est encore dans tous les cœurs, l'ombre d'André Breton grandit, Jean Cocteau couche avec l'éphèbe Radiguet, Gertrude Stein s'impose peu à peu, Kiki de Montparnasse pose pour les peintres prometteurs ou confirmés, toute une faune artistique s'agite dans un Paris renaissant. Entrer dans l'Après-guerre suivant ce noir conflit, après les fautes de nos militaires (dont l'offensive Nivelle), après les mutineries et les fusillés pour l'exemple, après tant de morts et de gueules-cassées, avant les réparations financières qu'on exigera de l'Allemagne, tel est le douloureux arrière-plan de cette histoire.
Les femmes vont vers une plus grande autonomie, telle l'intrépide et délicieuse Léonie. C'est aussi un temps où escroqueries et crimes ne manquent pas. Arnaqueurs et assassins imaginent une impunité causée par cette période trouble. Grâce à son indéniable talent, Michel Quint entraîne ses lecteurs dans cet univers, pour une aventure tumultueuse et fascinante.
Mes chroniques sur d'autres romans de Michel Quint :
"La dernière récré" et "Hôtel des deux Rose" - "Mauvaise conscience" - "Billard à l'étage" - "Effroyables jardins" - "La folie Verdier" - "Les amants de Francfort" - "Close-up" - "Le comédien malgré lui" - "Triste comme un enfant".