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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 06:02

En cet automne, voilà sept mois que l’ancien cambrioleur Bernie Rhodenbarr a repris la librairie Barnegat Books sur la 11e Rue-est à Greenwich Village, au cœur de New York. Il était temps qu’il mène une vie normale, même si le policier Ray Kirschmann doute qu’il se soit rangé. Non loin de là se trouve le salon de toilettage de son amie lesbienne Carolyn Kayser, son "âme-sœur". Celle-ci étant souvent esseulée, ils passent leurs soirées à picoler ensemble. Mais pas ce soir-là car Bernie — qui n’a effectivement pas cessé son activité de cambrioleur — va opérer dans le quartier chic de Forrest Hills Gardens. Chez ce Jesse Arkwright, il y aurait quantité d’objets de valeur à dérober. Bernie n’est là que pour un livre, une édition introuvable de Rudyard Kipling.

C’est un nommé M.Whelkin qui lui a promis une très belle somme contre “La libération de Fort Bucklow”, un ouvrage antisémite de Kipling. Il n’en reste qu’un seul exemplaire, avec une dédicace à l’écrivain H.Rider Haggard, grand ami de l’auteur. Jesse Arkwright semble avoir acquis ce livre au détriment de M.Whelkin, vrai collectionneur décidé à le récupérer. Le vol lui-même ne pose pas de problème à Bernie, qui a rendez-vous avec son client. Entre-temps, un Sikh surgit chez Barnegat Books et oblige le libraire à lui remettre “La libération de Fort Bucklow”. Bernie est quand même plus malin que ça : il détient toujours le livre. Néanmoins, il se demande comment le Sikh était informé du vol. Le rendez-vous avec son client M.Whelkin est fixé chez une certaine Madeleine Porlock.

Bernie ne s’est pas suffisamment méfié de cette femme, qui l’a endormi avec un puissant somnifère. Quand il retrouve ses esprits, Madeleine Porlock a été assassinée et le revolver a été placé dans la main du libraire. Fâcheux, d’autant que la police ne tarde pas à pointer son nez. Bernie prend la fuite, avant de se réfugier dans l’appartement de Carolyn Kaiser, absente en journée. Par la radio, il apprend sans grande surprise qu’on le recherche pour meurtre. Au retour de Carolyn chez elle, Bernie dresse le bilan des événements. Il n’a pas gagné un dollar dans tout ça, et sent qu’on a monté un scénario bien moins simple qu’il y paraît. Carolyn enquête sur M.Whelkin, dont on ne sait s’il est Anglais ou Américain, tandis que Bernie s’intéresse à la piste Madeleine Porlock, supposée psychothérapeute.

Grâce au couple de sympathiques voisins de Mrs Porlock, le libraire en cavale s’introduit dans l’appartement de la défunte. Outre des signes fétichistes, Bernie y trouve le précieux livre. Il va être bientôt en contact avec le commanditaire du Sikh, le maharadjah de Ranchipur, de nouveau avec M.Whelkin, et avec un autre acheteur potentiel de l’ouvrage. Ray Kirschmann, dont le jeune collègue Francis Rockland a été blessé en marge de cette affaire, ne refusera pas un peu d’aide à Bernie. Quant à démontrer son innocence en poussant le coupable aux aveux, il faudra jouer serré…

Lawrence Block : Vol et volupté (Série Noire, 1981)

C’est vrai que je me faisais vieux. C’est vrai que je redoutais de me faire dévorer par des chiens de garde, tirer dessus par des propriétaires irrités et enfermer par les autorités dans quelque cellule à l’épreuve des rossignols. Vrai, vrai, tout était vrai, et alors ? Rien de tout cela n’avait d’importance quand j’étais dans le demeure de quelqu’un, avec tous ses biens étalés devant moi comme un festin sur une table de banquet. Je n’étais pas si vieux que ça, bon Dieu ! Ni aussi effrayé.
Je n’en suis pas autrement fier. Je pourrais raconter des tas de sottises sur le criminel grand héros existentiel de notre époque, mais pourquoi ? Je n’y crois pas moi-même. Je ne suis pas fou des criminels et le pire dans les prisons, c’est d’avoir à en fréquenter. J’aimerais mieux vivre comme un honnête homme au milieu d’honnêtes gens, mais je n’ai encore trouvé aucune carrière honnête qui me procure autant de plaisir. J’aimerais bien qu’il existe un équivalent moral du cambriolage, mais il n’y en a pas. Je suis un voleur-né et j’adore ça.

Après “Le tueur du dessus” (1977) et “Le monte-en-l’air dans le placard” (1979) parus dans la collection Super Noire, “Vol et volupté” (1981) est la troisième aventure de Bernie Rhodenbarr, libraire d’occasion new-yorkais et cambrioleur impénitent. Jusqu’en 2016, onze romans de la série ont été traduits en français. On ne dénigrera pas la traduction, mais le titre original eût été séduisant : "Le cambrioleur qui aimait à citer Kipling". Peu importe que le livre anti-Juifs attribué à cet écrivain ait existé. La réputation colonialiste et militariste de Rudyard Kipling donne à penser que son caractère fut basé sur des préjugés de ce genre-là. Cette histoire évoque également H.Rider Haggard, son contemporain et son ami, écrivain peut-être un peu oublié désormais.

On notera un hommage appuyé de Lawrence Block au personnage de Parker, héros dur et cynique des romans signés Richard Stark (D.Westlake, 1933-2008). Grands amis, ces deux auteurs prolifiques présentent certains points communs. Toutefois, Bernie Rhodenbarr est plus souriant que la plupart des protagonistes chez Donald Westlake. Il se revendique professionnel du cambriolage (à l’opposé de l’impréparation des petits braqueurs), opère avec méthode et sang-froid, tout en affichant une part de dilettantisme. Accusé cette fois d’un meurtre, il ne panique pas : le véritable assassin ne lui échappera pas. Carolyn Kaiser va s’impliquer afin qu’il résolve le problème (au risque que son amante Randy se fâche). Une intrigue qui débute "en douceur" avant d’adopter une tonalité plus énigmatique, qui alimente un passionnant suspense. Pas de réédition depuis 1981, hélas.

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11 décembre 2016 7 11 /12 /décembre /2016 06:11

En ce début des années 1970, Lew Archer est détective privé à Los Angeles Ouest. De retour d’une mission au Mexique, il apprend qu’une marée noire englue le littoral à Pacific Point, son site préféré sur la côte californienne. Un accident s’est produit sur une plate-forme pétrolière en mer, tout près. Lew se déplace jusqu’à là pour constater les dégâts. Sur la plage, il fait la connaissance de Laurel Russo, choquée par la marée noire. Il la ramène chez lui, mais elle ne tarde pas à disparaître. Lew peut craindre qu’elle se suicide, ayant compris sa situation conjugale compliquée. Surtout, il réalise que la jeune femme de vingt-neuf ans appartient à la famille Lennox, propriétaire de la plate-forme pétrolière.

Le détective est engagé par le mari pharmacien de Laurel. Il rencontre Jack Lennox et sa femme, les parents de Laurel. Le père ne cache pas son hostilité envers Lew Archer. La mère admet la fragilité psychologique de leur fille. Le témoignage de Joyce, la meilleure amie de Laurel, est plus clair : l’instabilité de la jeune femme et les frictions avec ses proches viennent du fait que Laurel ne s’aime pas, qu’elle se déprécie. Lew contacte le commandant Somerville, vice-président de la société Lennox, oncle de Laurel. La carrière militaire de celui-ci fut abrégée quand son navire coula à Okinawa, pendant la guerre. Il vient d’apprendre que sa nièce a été enlevée, que les ravisseurs ont fixé une rançon.

Entre Somerville qui reste sur l’idée qu’on a saboté leur plate-forme et les parents Lennox qui maîtrisent mal le kidnapping de Laurel, le détective préfère se fier à l’épouse du commandant, Elisabeth Somerville. Ainsi qu’à la grand-mère, Sylvia Lennox, séparée du septuagénaire William Lennox, le chef de famille, qui vit avec une femme bien plus jeune que lui, Connie Hapgood. C’est Sylvia, bien consciente du passé psychotique de sa petite-fille, qui paiera la rançon. Toutefois, un fait interpelle Lew : quinze ans plus tôt, Laurel fit une fugue à Las Vegas avec un copain, Harold Sherry, et simula déjà un enlèvement. Un cadavre est bientôt découvert sur la plage attenante à la propriété de Sylvia Lennox.

Le mort n’est pas Ralph Mungan, comme a pu le croire Lew Archer. Celui-ci est en vie, pas concerné. Le détective doit accompagner Jack Lennox pour la remise de la rançon. Mais le père de Laurel ne veut toujours pas de Lew. C’est ainsi que Lennox est blessé dans un échange de tirs, de même que le ravisseur. Après avoir rencontré le grand-père William Lennox et sa compagne, le détective essaie de retrouver Harold Sherry, aujourd’hui âgé de trente-trois ans. La grogne générale reste vive contre la pollution par la marée noire, le journaliste local Wilbur Cow s’en faisant l’écho. Un autre cadavre s’échoue sur la plage : Tony, le secrétaire de Sylvia Lennox, qui semblait fort nerveux ces derniers jours.

Sur la piste d’Harold, Lew espère que Laurel sera retrouvée saine et sauve. Il identifie le premier cadavre de la plage, un certain Nelson Bagley. Ce qui lui permet d’entrevoir que l’origine de l’actuelle série de crime remonte à un quart de siècle. Depuis tout ce temps, les rancœurs ne sont pas éteintes pour tout le monde…

Ross Macdonald : La belle endormie (1973)

Le ton de sa voix était sérieux… le ton d’une femme qui n’a pas reçu de compliments masculins depuis longtemps.
Un silence complice s’établit dans la voiture pendant que nous descendions la colline sombre. Elisabeth Somerville m’avait plu immédiatement, de la même façon que m’avait plu Laurel et pour les mêmes raisons : leur honnêteté foncière, leur droiture passionnée, leur sollicitude pour autrui. Mais Laurel était sur le point de perdre les pédales, tandis que ma passagère actuelle était une femme parfaitement maîtresse des événements. Sauf peut-être en ce qui concernait sa vie conjugale…

Toutes les histoires de détectives privés ne se valent pas. Souvent parce que les héros nous semblent un peu "artificiels", dans une marginalité chargée (drame personnel obsédant, abus d’alcool ou de drogues...) ou franchissant trop aisément les limites de la loi. Ancien policier à Long Beach, Lew Archer garde son libre arbitre mais respecte la légalité : “Habituellement, j’essayais de me mouvoir en neutre dans le no man’s land qui sépare la loi de ceux qui ne la reconnaissent pas. Mais lorsque les pruneaux commençaient à pleuvoir, je savais de quel côté me ranger : celui de la loi.”

Lew Archer s’efforce de ne pas avoir de préjugés envers ses interlocuteurs, d’être aussi attentif vis-à-vis de tous. Ici, il ne craint pas le puissant et vindicatif Jack Lennox, ni aucun membre de cette famille fortunée. Mais il est compatissant face à Mrs Sherry, la mère d’Harold, parce que son fils s’est mis dans un noir pétrin. Il sait discerner chez Connie Hapgood ou chez Elisabeth Somerville leur caractère honnête. Et comprend que, pour la jeune Laurel, “l’argent ne fait pas le bonheur”, ce qui n’est pas une constatation basique. Héritier en droite ligne de Sam Spade et de Philip Marlowe, le héros de Ross Macdonald (1915-1983) est fondamentalement humain. Cela ne l’empêche nullement de se montrer mordant, voire féroce dans certaines situations – efficacité oblige.

Le cycle des enquêtes de Lew Archer compte onze nouvelles et dix-huit romans, écrits de 1949 (Cible mouvante) à 1976 (Le sang aux tempes). Publié en 1973, “La belle endormie” est l’avant-dernière aventure de Lew Archer. Outre l’intrigue avec ses rebondissements et ses mystères, notons le contexte "écologique" qui s’inscrit dans l’époque : cette marée noire fait enrager les pêcheurs locaux autant que ceux qui aiment la beauté du littoral. Ross Macdonald nous suggère implicitement l’incompétence chronique des dirigeants, bien empêtrés dans cette crise. On peut encore souligner l’unité de temps, cette enquête se déroulant en continu sur deux à trois jours. Ce qui assure un excellent tempo au récit. Ce roman n’est plus réédité depuis 1994, ce qui est franchement dommage.

Ross Macdonald : La belle endormie (1973)
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10 décembre 2016 6 10 /12 /décembre /2016 06:07

Pékin, vers 1990. Habitant dans un quartier vieillot de la ville, Fang Xiao est âgé d’environ trente-cinq ans. Il est salarié, comme son épouse Xiuxiu, avec laquelle ils ont un fils de dix ans, Song. Un jour par hasard, il rencontre Sui, qu’il a connu naguère, à l’époque où celui-ci convoitait Xiuxiu. Aujourd’hui, cet homme à la silhouette massive qui ne manque pas de prestance est devenu policier. Il vit avec sa sœur et son jeune neveu, Wang Liu. Il enquête entre autres sur le cas d’un pickpocket boiteux qui sévit dans son secteur. Fang invite Sui à dîner chez sa famille. Tout en se montrant assez courtois, le policier ne tarde pas à confirmer sa stricte rigueur concernant les règlements.

Peu après, Sui demande un service à Fang. Il s’agit d’héberger seulement pour quelques jours un cousin informaticien, Li Long, récemment arrivé à Pékin. Ce dernier n’est pas du tout aimable, et s’avère bientôt aussi agressif qu’envahissant. Fang et Xiuxiu peuvent se demander ce que Li fait réellement dans la vie et d’où viennent les objets qu’il stocke chez eux. Leur fils Song est persécuté à son école par un gamin brutal. Qui n’est autre que le neveu du policier Sui. Bien que Fang essaye de parlementer avec son ami Sui, il sent bien que celui-ci ne solutionnera pas le problème. Tandis que Li s’incruste, Fang est arrêté dans la cadre d’une affaire de meurtre impliquant le boiteux, avec laquelle il n’a rien à voir.

S’il est mis en prison, c’est finalement sous une autre accusation. Il perd le contact avec sa famille, Xiuxiu devant aussi affronter de graves soucis. En vue des Jeux Olympiques, leur quartier est condamné à la démolition. Quand ils reçoivent leur avis d’expulsion, on peut espérer une certaine solidarité entre les habitants, qui créent un comité de défense. Mais avec son mari en prison, et le seul soutien du vieux voisin Deng, Xiuxiu est vite mise à l’écart. Certes, le policier Sui pourrait intervenir pour le relogement de la femme de Fang et de leur fils. Pour ça, il faudra qu’il paie un coûteux bakchich aux gens qu’il connaît. Elle ne peut réunir que la moitié de la somme exigée, qui risque encore d’augmenter.

Xiuxiu se démène pour trouver un logement provisoire, sans succès. Même l’oncle de Fang auquel elle s’adresse refuse de les aider, à cause d’un dramatique souvenir de famille. La destruction du vieux quartier démarre rapidement après l’expulsion des habitants, aucune résistance n’étant possible. Mère et fils se retrouvent à la rue. L’orphelinat de Madame Kou offre au moins un toit au petit Song. Si la peine de prison de Fang a été très relativement écourtée, sa situation n’est pas brillante. Un retour dans le village où il fut élevé pourrait-il éclaircir les mésaventures qu’il vient de subir ?…

Mi Jianxiu : Fang Xiao dans la tourmente (L’Aube noire, 2016)

Fang se trouvait dans une pièce aveugle. Une des cellules de garde-à-vue du commissariat. On ne lui avait pas donné la raison de son arrestation. Il savait de toutes manières que ça pouvait arriver, qu’on pouvait vous arrêter sans motifs clairs. Les citoyens qui avaient déjà tâté de la justice la comparaient à la foudre qui tombe n’importe où […] L’angoisse le tenaillait de ses fers brûlants et son esprit battait la campagne. Il rejouait le match. Il avait chaud dans sa cellule sans air. Il imaginait des scenarii. On avait retrouvé le porte-monnaie ! Sans doute était-ce ça…

Comprendre la société chinoise n’est pas chose facile pour les Occidentaux. Pour passer en moins d’un demi-siècle des préceptes maoïstes liberticides à une économie mondialisée, le contrôle étatique restant de mise, il fallait aux Chinois une sacrée capacité d’adaptation. Ça suppose des périodes d’incertitude, des crises comme celle de la place Tienanmen en 1989. Ainsi que des sacrifices face aux changements et à l’essor économique, décidés par le pouvoir. Des bases plus saines, en commençant par une lutte contre la corruption, fléau endémique chinois. Pendant ce temps, c’est toujours le petit peuple qui est le plus atteint. Ce roman en est une sombre illustration.

Citoyen ordinaire, ayant renoncé à ses aspirations artistiques, vivant simplement au sein de la famille qu’il a fondée, Fang n’est pas exempt de fautes. Il a encore un épisode secret de son passé sur la conscience. Il est fiché pour avoir cru à la révolte de Tienamen. Et il se moqua de son ami Sui à l’époque où tous deux étaient amoureux de Xiuxiu, devenue par la suite l’épouse de Fang. Néanmoins, il n’entre pas dans son caractère de causer des torts aux autres. Enfant, il a connu les méfaits de la Révolution Culturelle, et fait profil bas en attendant des jours meilleurs. C’est exactement l’inverse qui va se produire. Personnage attachant de victime, de même que pour Xiuxiu et leur fils Song.

Ce suspense nous présente la “descente aux enfers” des protagonistes, tout en explorant le contexte sociopolitique chinois d’alors. Complémentaires, ces deux facettes contribuent au réalisme de cette histoire touchante.

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8 décembre 2016 4 08 /12 /décembre /2016 06:02

Philadelphie, à la fin de l’année 1936. Âgé de trente ans, Ralph Creel présente une vague ressemblance avec Douglas Fairbanks Jr. Célibataire sans emploi, il vit dans sa famille. Sa mère le traite de paresseux, mais sans se montrer cruelle envers lui. Son père est réaliste quant aux difficultés de trouver un boulot, lui-même préservant le sien en usine. Adeline et Evelyn, les sœurs de Ralph se chamaillent beaucoup, entre elles ou contre lui. Il glane quelques cents auprès de ses parents, pour s’acheter des friandises ou des cigarettes. Il rejoint quasiment tous les soirs ses trois amis aussi trentenaires, dans la rue. Dingo (de son vrai nom Philip Wilkin), Ken le musicien qui rêve de la Floride, et George sont autant en galère que Ralph, imaginant des plans qui n’ont aucune chance d’aboutir.

Qu’attend Ralph de la vie ? Lui-même n’en sait trop rien. La fille de ses rêves ? C’est plus ou moins vrai. Car la perspective d’avoir un boulot, un peu de fric, et une épouse n’excite que modérément Ralph. Le bonheur conjugal lui paraît un leurre. Pourtant, une femme l’aguiche depuis quelques temps, afin qu’il tombe dans ses filets. C’est la blonde Lenore, mariée au frère de Dingo. Elle a des formes, elle est séduisante à sa manière, elle trompe probablement son jeune mari avec des hommes virils. Chez les Wilkin, les disputes sont fréquentes entre Lenore et son époux, ou entre la jeune femme et la mère de Dingo. Quoi qu’il en soit, Ralph n’a pas envie de céder aux avances de cette diablesse. Lui qui est dans la dèche, il préfère encore rêver de fortune, même si ça le fait un peu enrager.

Le samedi soir, Ralph suit ses amis dans les soirées combinées par Dingo. Cette fois-là, il y a bien quatre filles qui y participent, chez une nommée Agnes, à l’autre bout de la ville. Pas vraiment attirantes, ces jouvencelles. À part peut-être Edna Daly, récemment installée dans leur quartier, sans emploi elle aussi. Ralph ne s’éternise pas avec ses amis ce soir-là. Mais dans les jours qui suivent, il traverse à nouveau la ville pour reprendre contact avec Edna. Sans doute est-il maladroit, mais elle semble lui trouver un certain charme. Si Ken dispose de la maison de ses parents pour y faire la fête avec ses amis, Ralph sait bien qu’il ne devrait pas abuser de l’alcool, risquant une mémorable gueule de bois. Au moins ici, l’ambiance est-elle moins nerveuse que dans la maison des Wilkin, chez Dingo.

Ralph trouve un job de magasinier, pour les ventes festives de fin d’année. Ça fera un peu d’argent, mieux que rien, même si c’est une activité fatigante. À cause d’un mauvais climat au boulot, on n’est pas à l’abri d’une bagarre. Côté femmes, reste à faire un choix entre la tranquille Edna et la provocatrice Lenore…

David Goodis : La blonde au coin de la rue (Rivages/Noir)

— Je ne voulais pas le frapper. Il était saoul. Il ne pouvait pas se défendre. Ralph secouait toujours la tête. Il avait honte de lui. Relevant les yeux, il lança un regard noir à Dingo et marmonna : Tout ça c’est de ta faute. Pourquoi est-ce que tu as commencé à l’asticoter ? […]
Ralph baissa la tête. Il avait envie de vomir. Il oublia la brûlure de ses phalanges à vif, la douleur lancinante qui irradiait sa mâchoire. Il ne pensait qu’au sang jaillissant de la bouche de l’ivrogne, à la souffrance mêlée de rage qu’il avait lue dans ses yeux rougis, et cela lui soulevait le cœur. Il n’était pas fier de ce qu’il avait fait…

Quand on est passionné de romans noirs, on a trop vite tendance à croire que "tout le monde connaît" David Goodis (1917-1967) et son œuvre. Bon nombre de ses titres, tels “Le casse”, “Tirez sur le pianiste”, “La lune dans le caniveau”, “Rue barbare”, n’ont-ils pas été transposés au cinéma ? N’a-t-il pas été souvent réédité par les éditeurs français ? En effet, mais la grande majorité de ses romans est nettement moins "visible" depuis quinze à vingt ans. S’il figurait toujours au catalogue Rivages, “La blonde au coin de la rue” (qui date de 1954) fut à l’origine traduit et publié en 1986. Pour les trente ans de Rivages/Noir, ce livre est à nouveau disponible. Remettre Goodis à l’honneur, excellente initiative.

Parce qu’elle évoque des victimes de la crise économique d’avant-guerre aux États-Unis, cette histoire n’est pas sans rappeler James M.Cain ou Horace MacCoy, quant aux thèmes sociaux. Car Ralph est loin d’être le seul homme qui attend à un coin de rue qu’il se passe quelque chose dans sa vie, à songer avec une certaine acrimonie à cette fortune qui lui échappera toujours, à imaginer une vie de famille stable dans un confort correct. Même si ses réactions peuvent s’avérer violentes, Ralph n’est pas un mauvais bougre. Devenir un malfaiteur, un voleur, ne lui vient pas à l’esprit. Simplement, il ne trouve pas sa place dans la société, dans son époque. Alors, il traîne avec ses amis, guère plus reluisants que lui.

David Goodis, c’est l’écrivain de la sombre fatalité. Ici, aucun de ses personnages n’est en mesure de quitter le milieu dans lequel ils végètent. L’espoir de Ken ― devenir un auteur de chansons populaires ― apparaît illusoire. Est-ce que Dingo pense trouver une femme en organisant ses soirées chez des inconnues ? On en doute fort. Pas de sursaut à venir chez George, non plus. Rien d’amusant quand on observe le quotidien de ce quatuor. Pas de misérabilisme, non plus. Ils sont juste englués dans leur pauvreté, Ralph en tête. Un auteur majeur et un roman noir à redécouvrir, en particulier pour de nouvelles générations de lecteurs.

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7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 06:12

Parmi les bourgades oubliées de l’Outback australien, il y a Cotton’s Warwick. À peine une vingtaine d’habitants qui survivent là, peut-être pas mécontents d’être considérés comme un village fantôme. Il leur suffit d’être un des maillons d’un trafic pour subsister sans se poser trop de questions. Le QG où beaucoup passent l’essentiel de la journée, c’est le pub du Warwick Hotel, tenu par Karen. Elle est la seule femme à vivre ici. Objet de fantasme, mais Quinn veille à ce que nul ne l’agresse. Quinn est un Ranger, faisant figure de chef du village. C’est aussi lui qui préside à la messe quotidienne et quasi-obligatoire. Quinn a les contacts avec l’extérieur. Quand le routier Mitch passe chez eux, c’est encore et toujours le Ranger qui comptabilise la marchandise détournée à leur profit.

Si vraiment se pose un problème de santé, ils peuvent espérer que Doc ne les laissera pas tomber, qu’il débarquera avec son Gyrocopter. Mais la confiance mutuelle est limitée, très limitée. Outre la bande de bons-à-rien squattant le bar de Karen, il y a aussi "l'autre". Il s’agit d’un étranger venu de Sidney, employé unique de l’abattoir local. Il traite la viande chassée aux alentours, dans des conditions sanitaires presque inexistantes. Personne n’a envie de savoir que son prénom est Jason. Sauf Karen, peut-être. Avec près de cinquante degrés en journée, la maigre population passe donc son temps à boire de la bière. Jusqu’à ce qu’une mort suspecte vienne les secouer. C’est Pat, le menuisier septuagénaire, qu’on retrouve sans vie près d’un poteau, à l’orée du désert. Insolation, selon Doc.

Le routier Mitch, qui venait de faire halte à Cotton’s Warwick, est la deuxième victime. Sa mort est plus étrange encore : on peut imaginer qu’il a été déchiqueté par un razorback, ce mythique monstre rappelant un cauchemardesque sanglier. Quinn, le Ranger, ordonne que soit nettoyé le lieu du décès, afin d’éviter la curiosité des autorités. Si la police n’a pas envie de mettre les pieds dans le coin, la société de transport finit par déléguer une de ses responsables, Faïza, pour enquêter sur le sort de Mitch. Entre-temps, la situation a empiré ici. Un des jumeaux Wilson a été victime d’une attaque de kangourous, tandis que Jimmy Boy a été tué par une nuée d’oiseaux de proie. De son côté, leur ami Ryan cherche à débusquer le fameux razorback, ce qui n’est pas sans danger s’il existe.

Bientôt, les choses deviennent incontrôlables dans la bourgade dépeuplée. Un seul refuge pour les rescapés, l’abattoir de Jason. Résister courageusement ? La chaleur étouffante du bâtiment contribue à leur dépérissement, la faim et la soif les tenaillent. Alerté avec retard, Doc n’est pas pressé de rejoindre ce piège…

Michaël Mention : Bienvenue à Cotton’s Warwick (coll.Ombres Noires, 2016)

Son frère outrepasse sa terreur ―"Enculés !"― pour abattre un kangourou. Deux. Trois. Un autre esquive son tir et, de sa queue, l’expulse violemment. Tyler virevolte, échoue contre le 4x4. Choc, cri, aboiements. Là-bas, les kangourous sautent un à un sur le cadavre de Shawn, qui se démembre sous leurs centaines de kilos.
Tyler peine à se rétablir, sonné, quand deux marsupiaux jaillissent du ciel. Il les évite de peu, se résout à abandonner son frère, se jette au volant. Contact. Moteur. Vitesse. Virage brutal. Mort d’un assaillant, écrasé. L’autre kangourou poursuit le 4x4, bondit et retombe sur le spot. Il s’électrocute, embrasant le toit puis le sol. Tyler s’enfuit dans la nuit finissante, au son d’aboiements terrifiés.
Aux premières lueurs de l’aube, il revient sur place. Enragé, les larmes aux yeux, avec Quinn et une poignée d’autres. Tous armés, Ils découvrent avec émotion le cadavre de Shawn, mais aucun kangourou. Les vivants comme les morts.

Parmi les jeunes talents actuels du polar, Michaël Mention a déjà quelques récompenses à son actif. Il a publié une trilogie chez Rivages/Noir, et c’est également son troisième titre paru dans la collection Ombres Noires. On ne peut que saluer son assiduité à l’écriture, qui lui permet de montrer les diverses facettes de son inspiration. Cette fois, c’est l’Outback australien qui sert de contexte à cette intrigue apocalyptique. On est bien obligé de penser au remarquable “Cul-de-sac” de Douglas Kennedy, pour la population décrite. Mais la bourgade peut aussi bien faire penser à “Nu dans le jardin d’Eden” d’Harry Crews. On verra que l’auteur fait référence à Ernest Hemingway, entre force et désespoir.

Ces villages hors du temps, situés en France, aux États-Unis, en Australie ou ailleurs, sont fragilisés par le moindre dérapage, venant rompre leur tranquillité apparente. Il est vrai que dans ce désert australien, si vide hormis les exploitations minières, c’est sûrement une forme de folie qui explique que des gens s’accrochent à ce territoire hostile. Si Quinn, le Ranger, maintient un semblant de règles ― aussi fermes soient-elles, il est usé comme ses concitoyens locaux. À peine plus prêt au "combat" que les autres. Grâce à sa tonalité personnelle, Michaël Mention nous plonge dans ce microcosme malsain avec délectation, sur fond musical rock’n’roll pour conforter l’ambiance débridée.

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5 décembre 2016 1 05 /12 /décembre /2016 05:59

Âgée de vingt-trois ans, Jemina Pitt est la fille de Thomas Pitt – policier britannique qui dirige les services secrets de la Spécial Branch – et de son épouse Charlotte. En ce mois de décembre 1904, elle accompagne à New York son amie Delphinia Cardew. Celle-ci va s’y marier avec Brent Albright, issu d’une des plus riches familles américaines. Le père de Delphinia, homme d’affaires fortuné, est l’associé des Albright. Jemina est consciente de ne pas appartenir à ces milieux aisés, de faire figure de dame de compagnie. Malgré tout, elle est fort bien accueillie par Harley Albright, frère aîné du fiancé, et par la "tante Celia", sœur du chef de famille. Au premier dîner chez leurs hôtes, Jemina note une certaine gêne quand est évoquée Maria Cardew, la mère de Delphinia, qui l’abandonna en bas âge.

Harley Albright emmène Jemina à la découverte de quartiers typiques new-yorkais. Mais un problème préoccupe le frère de Brent. Il pense que Maria Cardew se trouve à New York en ce moment, qu’elle peut représenter un danger pour le mariage à venir. Alors que la tante Celia semblait tolérante envers Maria, Harley la décrit comme une personne instable. Si elle voulait renouer avec sa fille Delphina, ça entraînerait probablement un vrai scandale. Ce que les Albright souhaitent éviter, eût égard à leur statut social. Jemina est prête à épauler Harley, tout en s’interrogeant autant sur la tante Celia que sur Maria. C’est dans Central Park enneigé qu’ils trouvent bientôt la piste de la mère de Delphinia. Harley ne tarde pas à dénicher l’adresse de l’immeuble où loge Maria Cardew.

Mais voilà que Jemina est étroitement mêlée à un meurtre : elle découvre la victime, qui a été poignardée peu avant. Le jeune agent de police Patrick Flannery sera le premier à intervenir sur les lieux du crime. Jemina est rapidement en position d’accusée : arrêtée, elle est incarcérée, avant que Flannery n’écoute sa version des faits. Jemina ne se sent guère soutenue par la famille Albright. Toujours cette hantise d’un scandale risquant de nuire à leurs intérêts, et au mariage de Brent avec Delphinia. Et puis Jemina n’est pas de leur rang social. Néanmoins, la tante Celia vient payer la caution de la jeune femme, qui reste suspecte aux yeux des Albright. Pour se dédouaner, Jemina enquête. C’est un ancien cordonnier quasi-aveugle qui lui donnera finalement les clés de cette affaire…

Anne Perry : Un Noël à New York (Éd.10-18, 2016) – Inédit –

Celia eut un petit geste de résignation.
— J’en suis sûre. Maria ne lui manquera pas, puisqu’elle ne l’a jamais vraiment connue. C’est du reste regrettable, car c’était une femme magnifique… Oh, je ne parle pas de son physique, bien qu’elle ait été ravissante, mais de son courage, de sa bienveillance, de son rire… Quoi que vous entendiez raconter à son sujet, Miss Pitt, ne la jugez pas mal. Les émotions peuvent…
Elle chercha ses mots.
— Disons qu’elles peuvent être parfois mauvais guide. Ce qu’on suppose n’est pas toujours la vérité.

La réputation d’Anne Perry n’est plus à faire, ses polars historiques (les séries Charlotte et Thomas Pitt, William Monk, et autres titres) sont appréciés du public. C’est légitime, car il s’agit d’une "romancière populaire" au meilleur sens du terme. Elle est aussi l’auteure de fictions plus courtes, sortes de contes sur le thème de Noël. “Un Noël à New York” est le onzième roman de cette série-là. Jemina Pitt, qui en est l’héroïne, a hérité de l’esprit clair et indépendant de son policier de père, et n’est pas moins vaillante que sa mère face aux épreuves. Même si l’Angleterre et les États-Unis sont de culture proche, elle se trouve en territoire étranger. L’aide du jeune policier Patrick Flannery ne lui sera pas inutile.

On se gardera bien de dévoiler ici les secrets entourant la rupture entre Maria et les riches familles Albright et Cardew, vingt ans plus tôt. Toutefois, Anne Perry n’oublie jamais la sociologie dans ses livres. La société de la fin 19e et début 20e siècle conserve des valeurs victoriennes, y compris en Amérique. On sait faire sentir à Jemina qu’elle n’est qu’au bas de l’échelle, en comparaison du prestigieux mariage qui s’annonce, par exemple. Quant à la mère de la fiancée, est-elle moins honorable que les familles qu’elle a fuies jadis ? Une intrigue de bon aloi, un nouveau conte de Noël inédit très agréable à lire.

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3 décembre 2016 6 03 /12 /décembre /2016 05:59

Recueil de nouvelles.

En rade : Mitch vient d’acheter sa première voiture personnelle, de celles qui permettent de frimer. Avec ses potes, bande de jeunes Brestois, une virée nocturne s’impose. On s’alcoolise autant qu’on rigole, on chasse en éblouissant le gibier. Même si se produit un petit incident, qui devrait énerver le père syndicaliste de Mitch, est-ce vraiment grave ?

Les sapajous : Il est apprenti à l’Arsenal de Brest. Ce jour-là, suite à un accident, la grève des ouvriers. L’arpète suit le mouvement au côté de Fanch, un vieil ami de son père qui le chaperonne ici. Les gendarmes maritimes veillent au grain, autant que Fanch qui interdit l’accès à la buvette. Ça n’empêche pas l’apprenti de vouloir ramener chez lui un trophée.

Sans atout : Paulo et ses amis Pilou, Abdel et le Lieutenant (quasi-homonyme d’un acteur) ont été ensemble ouvriers à l’Arsenal. Un quatuor presque inséparable, qui est même allé trimer jusqu’à Cherbourg. À la retraite, ils ont pris l’habitude de taper la belote au bistrot. Chacun a eu son parcours de vie, pas toujours drôle. Mais que reste-t-il de leur passé ?

Rive droite : La prison de Pontaniou va bientôt fermer. Incarcéré en semi-liberté pour un petit délit, Jean-Luc en sera un des derniers occupants, tout en continuant à travailler à l’Arsenal. Son colocataire en cellule, lui, a tué quelqu’un sans raison. Renan appartient à une classe sociale supérieure. Un jeune nanti difficile à cerner pour l’ouvrier Jean-Luc.

L’enterrement du beau-frère : Quelle unanimité pour saluer la mémoire de Jules, mort d’une mauvaise chute sur son lieu de travail. À part son fils Jérôme, oublient-ils que ce chefaillon fut un vil prétentieux ? Cérémonie d’obsèques que son beau-frère, ami affiché de longue date, suit avec un recueillement attristé qu’il n’éprouve pas exactement.

Défense passive : Père de quatre enfants et syndicaliste délégué, sa vie est bien occupée. S’il a naguère défendu Iris accusée de larcins, devenue sa compagne, se faire l’avocat de son ancien ami Patrick s’annonce plus difficile. Pour la Direction, que Patrick soit dépressif autant qu’agressif à cause de sa vie privée agitée n’excuse absolument rien.

Camping de la rade : "Tarass Boulba" (c’est son surnom) est soudeur intérimaire itinérant. Pour le moment, il est à Brest avec sa caravane, côtoyant la main d’œuvre étrangère. Sur tous les chantiers, on trouve des petits chefs vindicatifs, jamais satisfaits même quand le travail avance. Il ne faut pas pousser à bout quelqu’un comme ce soudeur.

La patte folle : Quand on est en arrêt de travail, on risque la visite d’un contrôleur traquant les tire-au-flanc. Même en étant réglo, faut se méfier. Par grande soif, un détour par le bistrot d’en face, pas de quoi en faire toute une histoire. Quoique si, parfois, ça réserve des surprises.

Ti-Boud : Âgé de douze ans, Ti-Boud est un garçon intelligent. Mais il doit faire semblant de rester dans la norme de son quartier de racailles, où il vit avec sa mère. Plus ou moins pute et junkie, celle-ci laisse son fils s’élever seul. Ce n’est pas son nouveau mec, avec sa Mustang, qui les sortira de la mouise. Écarter ce type malsain, tel est le projet de Ti-Boud.

Pari Brest : Lui, c’est un parieur dans l’âme, un turfiste se croyant le plus futé. Quand, dans son bistrot habituel, des gars misent sur du moins ordinaire, du plus scabreux, il n’hésite pas à tenter sa chance.

Les Hespérides : Arsène a perdu son emploi, ce qui entraîna le départ de sa femme et de leur fille. L’abus de boisson n’arrange pas son amertume. Le voisinage d’un réfugié asiatique et de sa famille, encore moins. Sûrement à cause de ces "privilégiés" qu’il est dans cette situation, Arsène. Il se morfond autant qu’il s’énerve, tandis que le voisin va tranquillement pêcher à la ligne. Cet envahisseur, Arsène compte bien l’éliminer…

Yvon Coquil : Métal amer (Éd.Sixto, coll."Le Cercle", 2016)

Le Lieutenant désigna du pouce une jeune fille, brune, un jean peint à même la peau.
— Vaut mieux sauter là-dessus que sur une mine.
Ça fit ricaner Abdel, décidément en très grande forme.
— Tu rêves mon vieux, la dernière fois que tu t’es tapé une petite de cette qualité, on parlait encore en anciens Francs.
Le Lieutenant, songeur, contre-attaqua :
— Celle-là, on la dirait victime d’un EEI, Engin Explosif Improvisé. Une bombe artisanale, si tu préfères. Souvent ils la remplissent de clous. La petite a gardé des shrapnels sur la figure.
Le Lieutenant faisait allusion aux piercings de la fille…

Ce recueil réunit onze nouvelles, donc des textes de fictions. Néanmoins, quelle que soit la part d’humour incluse dans les récits, Yvon Coquil témoigne. Tout ce qu’il nous raconte se nourrit de son vécu, et de celui de ses contemporains. Ouvrier à l’Arsenal de Brest durant plusieurs décennies, il a observé cet univers. Une sorte de famille avec ses sympathies et ses antagonismes, ses rites professionnels et syndicaux, ses accidents, et ses moments de détente tant soit peu alcoolisés, à Recouvrance ou ailleurs. Quelques images évoquent les quartiers populaires brestois dont beaucoup étaient issus. La réparation navale militaire, ni enfer ni paradis : un boulot avec ses joies et ses peines, assurant une stabilité sociale et un peu de confort. Contexte prolétarien bien réel, qui fut longtemps celui d’une multitude de salariés français ordinaires.

Tout un aspect sociétal, qu’Yvon Coquil illustre grâce à des histoires "à chutes", avec leur clin d’œil final. Son talent consiste à transmettre, sans jamais être pesant, le côté sombre masqué derrière la simplicité du quotidien, teinté d’une apparente bonne humeur. Pas besoin de "charger", d’ajouter du spectaculaire : décrire la vérité des personnages suffit à créer l’authenticité. Un bon ouvrier ne bâcle pas son travail : l’écriture est nuancée, souvent enjouée, précise dans les portraits, et d’une délicieuse fluidité. Voilà un excellent recueil de nouvelles !

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1 décembre 2016 4 01 /12 /décembre /2016 06:58

Sous-lieutenant de la Gendarmerie Nationale, corps qui succède à la Maréchaussée, Victor Dauterive est âgé de dix-neuf ans. Issu de la petite noblesse de Bourgogne, il se destinait plutôt à devenir peintre. Il n’a pas perdu le goût de l’artistique : il fréquente assidûment Olympe de Gouges, une femme de lettres d’importance. Victor est surtout le protégé du marquis de La Fayette, toujours responsable de la Garde Nationale en ce mois de juillet 1791. À la tête du pays, un évènement a récemment brouillé les cartes : la fuite du roi et de son entourage, rattrapés avant la frontière. L’Assemblée doit statuer sur le rôle à venir de Louis 16, ce qui occasionne des manigances politiques. Certains voudraient instaurer la République. D’autres cherchent à imposer une Régence, profitant au Duc d’Orléans.

Si La Fayette pense que la France n’est pas prête pour un régime républicain, il se méfie encore davantage de la “faction d’Orléans”. Non pas que le Duc ait assez de charisme pour diriger le pays. Mais, autour de lui, on complote très activement, et peut-être compte-t-on bientôt prendre les armes ? C’est l’écrivain Choderlos de Laclos qui mûrit le projet de porter au pouvoir le Duc d’Orléans. Si dans des salons mondains comme celui de Louise de Kéralio, directrice du journal "Le Mercure National", il croise des élus déterminés tel Robespierre, c’est le nommé Garat qui met en œuvre son plan. Garat est un ex-planteur qui fut ruiné à Saint-Domingue, île des Antilles colonisée par la France. C’est un meneur sachant galvaniser les foules, peut-être capable de mobiliser des combattants.

La Fayette charge Victor d’espionner les partisans du Duc d’Orléans. Olympe essaie de l’aider à approcher Choderlos de Laclos, tandis qu’un ennemi de Victor informe Garat que l’officier de gendarmerie est sûrement un agent de La Fayette. Néanmoins, Victor parvient à convaincre Garat qu’ils sont dans le même camp. L’ancien planteur continue à semer sournoisement l’instabilité dans Paris, où l’on conteste de plus en plus La Fayette. Avec une Assemblée peu décisionnaire, le marquis reste pourtant seul garant de la paix civile. Garat renoue avec Hyacinthe, un esclave créole affranchi et éduqué de Saint-Domingue. Il est venu en France plaider la cause de ses congénères. Il n’est pas le seul en provenance des Antilles : une femme a quelques comptes à régler avec Garat.

Pendant ce temps, le commissaire Pierre-Joseph Piedebœuf enquête sur le meurtre d’un jeune homme découvert au port Saint-Nicolas. Cet Augustin Bouvard a été mortellement frappé. Seul un de ses escarpins a été retrouvé. Il collaborait au "Mercure National". Le policier apprend vite qu’il appartenait aux milieux homosexuels – interdits et pourchassés. Assisté d’un indic, Piedebœuf enquête dans les cabarets où Bouvard était surnommé “La belle parfumeuse”. La piste d’un certain Vivien du Baly, amant du défunt, semble sérieuse. Autrichien d’origine, c’est un officier de l’armée royale française. Probablement aussi un agent au service de son pays natal, aujourd’hui du côté des Émigrés. Le 17 juillet sera une date-clé : La Fayette encourt un danger mortel, et la foule qui manifeste au Champ-de-Mars encore davantage…

Jean-Christophe Portes : L’Affaire de l’homme à l’escarpin (City Éd., 2016)

Après avoir fui Saint Germain l’Auxerrois, presque par miracle, il n’avait pas voulu retourner chez lui, craignant d’y être attendu. La maison d’Olympe à Auteuil lui était apparue comme un refuge évident, d’autant que les deux heures de trajet lui laissaient tout le loisir de voir s’il était suivi ou non. Ce n’était pas le cas. Pendant tout ce temps, il n’avait pas réussi à démêler ses sentiments. Avait-il fait ce qu’on attendait de lui ? N’avait-il pas été trop loin ? Certes, il s’était sorti du guêpier, mais pour combien de temps ?…

On avait fait connaissance de Victor Dauterive dans “L’Affaire des corps sans tête” (2015), polar historique doté d’une belle intrigue criminelle. Cette deuxième aventure est dans le même esprit que la première, nous plongeant au cœur de cette époque où la Révolution balbutie encore. Si Danton, Robespierre et d’autres ténors gagnent de l’influence, c’est du côté de l’aristocratie que l’on espère chambouler l’avenir de la France. Sans doute tout le monde connaît-il “Les liaisons dangereuses”, mais on s’aperçoit ici que son auteur put jouer un rôle fort trouble en faveur de son maître, le Duc d’Orléans. Quant à l’agitateur Garat, Jean-Christophe Portes nous dit qu’il s’est inspiré d’un personnage ayant existé. C’est quelqu’un d’ambigu, d’une fourberie manipulatrice, jusqu’au-boutiste dans ses actes, peut-être sincère sur d’autres points. Oui, on imagine volontiers des gens comme lui au centre de périodes incertaines.

Sous la houlette du marquis de La Fayette, Victor Dauterive s’implique dans les arcanes de la vie politique secrète d’alors. Il a davantage de maturité, le contact d’une personnalité telle qu’Olympe de Gouges lui était bénéfique. Généreux, il le sera avec Victor-Joseph Turpin, gamin estropié figurant parmi les nombreux enfants sans famille de Paris. Plutôt contemplatif de nature, le sous-lieutenant Victor doit faire preuve d’intrépidité et parfois d’astuce pour arriver à ses fins. Il lui faut louvoyer dans un contexte plein d’incertitudes, deux ans après le début de la Révolution. Si l’Histoire a fait un bond, rien n’est installé. Et la mort plane, autant au niveau des dirigeants que sur le peuple. Ambiance délétère, qui est restituée avec crédibilité par l’auteur, parfaitement documenté. Une immersion dans le passé très réussie.

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