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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 06:01

Luc Mandoline exerce le métier de thanatopracteur, spécialité funéraire. Cet homme dans la force de l’âge est un ancien de la Légion Étrangère. Ex-baroudeur, il ne partage pas les dérives fascisantes de certains vétérans de ce corps d’armée. Nomade par goût et pour son métier, Luc Mandoline s’est fixé depuis quelques temps à Toulouse. Laura, séduisante archéologue de vingt-neuf ans, est désormais sa petite amie. Cet été-là, elle est occupée sur un chantier de fouilles près du village de Pescart, en Ariège. Bien que Laura soit peu disponible, Luc Mandoline s’installe au camping local afin de poursuivre leur relation. Il ne tarde pas à sympathiser avec d’autres touristes. Dont Mylène Plantier, adjudant de gendarmerie nordiste en vacances avec sa compagne.

Lors d’une visite en groupe de la belle ville de Mirepoix, un des touristes disparaît. Il s’agit de Jurgen Haas, un Allemand septuagénaire, ayant autrefois appartenu à la Légion. Si Luc ne renonce pas à une journée de détente avec Laura, le jour d’après Mylène et lui font part de leur inquiétude concernant Jurgen Haas auprès des collègues de l’adjudant. Outre une autre disparition, celle d’un nommé John Valmont, un nom apparaît : Gilbert Choucas est un ancien notaire, aujourd’hui octogénaire, habitant Foix. Quand Mylène tente de lui poser des questions, celui-ci affirme ne rien savoir sur Haas et Valmont. Nul doute qu’il faille se méfier de ce Choucas, qui a de solides relations politiques. En l’occurrence, le député Pergola, figure du conservatisme réac dans ce secteur.

Luc a obtenu quelques infos grâce à son ami Sullivan Mermet. Mais c’est en s’adressant à un journaliste de Toulouse que Mylène et lui apprennent des détails sur les politiciens démago-populistes de la région. Il n’exclut pas que ces disparitions aient un rapport avec une sordide affaire remontant à 1971, en Ariège. On désigna un coupable idéal, pourtant innocent, qui appartenait à la communauté des Cagots, des familles ostracisées depuis la nuit des temps. Impliquant des gens des environs, le drame qui s’ensuivit reste depuis cette époque non éclairci. Peut-être un livre écrit par Jacques Auriol, le père de Laura, fut-il l’élément déclencheur dans ce dossier criminel.

Luc et Mylène rencontrent un certain Carlos Montero. Il ne semble pas avoir la conscience tranquille, bien que niant aussi connaître les disparus. Quand un rendez-vous tardif est donné au duo d’enquêteurs improvisés, ils ne se méfient pas encore assez du piège qui leur est tendu. Mylène préfère arrêter, et interrompt ses vacances. Bien qu’il secoue un peu Carlos Montero, Luc n’obtient pas de réponse satisfaisante. À cause de contrariétés professionnelles, Laura a dû fermer le chantier de fouilles à Pescart. Le couple s’autorise un intermède de quelques semaines. Néanmoins, à la fin de l’été, Raymond Pergola prend contact avec Luc. Même si d’autres amis du député ont disparu, Luc doit-il persévérer ?…

Jean-Christophe Macquet : Mandoline vs Neandertal (l’Atelier Mosésu, 2016)

Mais de toutes manières, Cro-Magnon et Neandertal étaient cousins avec un ancêtre commun apparu en Afrique, parce que le berceau de l’humanité, c’est l’Afrique. Bref, nous sommes tous des immigrés africains […] Les archéologues et autres scientifiques de tout poil se creusaient la cervelle depuis un bon moment pour tenter d’expliquer cette disparition [des Néandertaliens]. Quelques hypothèses avaient été émises, mais globalement, cette extinction demeurait un mystère. Laura quant à elle tenait Cro-Magnon pour responsable…

Ce roman appartient à une série autour d’un même personnage central. Maxime Gillio, Hervé Sard, Stéphane Pajot et quelques autres sont les auteurs des précédentes tribulations de Luc Mandoline, dit l’Embaumeur. Pour ce nouvel "épisode", c’est au tour de Jean-Christophe Macquet d’entraîner ce héros à la profession insolite dans des aventures énigmatiques et trépidantes. Cet "homme d'action" qu’est Luc Mandoline est-il confronté aux "hommes des cavernes", de retour du fond des âges ? Faut-il entériner les théories de scientifiques émérites qui pensent qu’ils étaient cannibales ? Dévoiler la vérité sur un fait divers remontant à près de quarante-cinq ans, est-ce vraiment souhaitable ?

Les intrigues policières n’ont pas besoin d’être complexifiées à outrance, par une structure du récit destinée à l’obscurcir, parfois artificiellement. C’est avec une parfaite fluidité, sans rien masquer et sans temps mort, que Jean-Christophe Macquet développe cette histoire, dans la meilleure des traditions. L’authenticité de Luc Mandoline se traduit par des scènes de sa vie personnelle. Telle cette soirée "romaine" sur le chantier archéologique ou à travers sa liaison avec Laura.

Quant aux investigations parallèles du héros, elles suivent leur cours, livrant çà et là des indices, des noms, des faits, au gré des péripéties. C’est ainsi que l’on conçoit un excellent roman d’enquête, comme celui-ci.

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29 novembre 2016 2 29 /11 /novembre /2016 06:05

Pour les Présidentielles 2017, la Gauche est disqualifiée d’avance. La cause est entendue, ils ont déjà perdu. Malgré les tempêtes, le navire sur lequel nous naviguons vogue aussi bien que possible. Mais le gouvernail est faussé, et nous dérivons toujours davantage vers tribord. Alors, autant laisser la barre à un commandant de Droite. Sera-t-il ce mythique “homme providentiel” espéré par son équipage ? On se souvient que, par le passé, il a dirigé la manœuvre : des médisants suggèrent qu’à force de tenir son cap, on aurait frôlé le naufrage. Il prétend que l’Amiral présent à bord, trop proche des “amis de la Marine”, aurait contrarié sa navigation. Si notre navire n’a pas coulé d’ici la prochaine échéance, il sera sûrement renié par ses amis fidèles, habituelle tradition maritime chez eux.

Bref, cette fois la Gauche ne s’est pas montrée assez adroite : elle a perdu la boussole et tout espoir de se maintenir au pouvoir. Pourtant, elle ne manque pas de capitaines qui se croient capables de redresser la barre à babord, toutes générations confondues : Aubry, Autain, Cazeneuve, Chevènement, Cohn-Bendit, Duflot, El Khomri, Fabius, Filoche, Hamon, Hollande, Jospin, Laurent, Le Foll, Macron, Mélenchon, Poutou, Royal, Taubira, Touraine, Valls. On connaît le grand défaut de la Gauche : ils préfèrent se saborder entre eux, en “jouant perso”, afin de préserver l’ego et les ambitions de chacun. Une tactique kamikaze et improductive : “Autant l'union fait la force, autant la discorde expose à une prompte défaite” écrivait jadis Ésope dans une de ses fables.

De facétieux auteurs de polars achèvent le carnage dans ce recueil de nouvelles. Sortant leur Colt calibre 45 ― révisé modèle 49.3, leur carabine Remington longue portée, ou leur Kalachnikov de compétition, ils dézinguent tous ces politiciens pouvant faire figure de présidentiables. Les vingt-deux coupables de ces fictions, on a leurs noms : Eva Almassy, Diego Arrabal, Laurence Biberfeld, Antoine Blocier, Didier Daeninckx, Dominique Delahaye, Gilles Del Pappas, Jeanne Desaubry Pierre Dharréville, Pierre Domenges, Patrick Fort, Gildas Girodeau, Maurice Gouiran, Philippe Masselot, Jacques Mondoloni, Chantal Montellier, Max Obione, Philippe Paternolli, Valérie de Saint Do, Gérard Streiff, Marie-Pierre Vieu, Arnaud Viviant. Chacun se concentre sur sa cible.

Collectif : Mortelles primaires (Éd.Arcane 17, 2016)

Pour la plupart déconnectés des réalités du quotidien, ils ne sont pas difficiles à atteindre, ces personnages se revendiquant encore à Gauche. Ayant abandonné leur idéologie et les dogmes d’antant, piètres communicants en pédagogie politique, aucune armure ni pas la moindre carapace pour les protéger : impossible de les rater, ou presque. Toujours prêts à enfoncer le clou, les polardeux s’en donnent à cœur joie. Version stand de tir à la fête foraine, champions de ball-trap, ou tireurs d’élite ? Ça flingue, non sans rappeler les ratés d’une gouvernance imposant toujours plus de stricte austérité.

Peut-être devrait-on retenir le dialogue imaginé par Jacques Mondoloni entre le tueur et un homme politique, anonyme élu de Gauche :

“— Il faut sévir, remplacer.

— Par quoi ? Un dictateur ? Les politiciens garantissent notre – votre – liberté ; sans eux, vous les auteurs, vous seriez torturés en prison, la bouche défoncée, la main coupée, égorgés un jour dans votre cellule par un tueur, un vrai, un type froid qui n’a pas d’imagination […] Ne devenez pas le bourreau de vous-même, l’hystérie de l’impatience conduit au malheur. Au contraire, faites bloc contre l’amertume, établissez un cordon sanitaire contre le fanatisme, la détestation de la classe politique qui se traduit par le fameux "tous pourris !".” Pendant ce temps, dans l’ombre, la démagogie populiste ricane, c’est un fait.

(Cette chronique est destinée à évoquer le recueil “Mortelles primaires”, ce qui n’engage nullement mes opinons de citoyen).

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28 novembre 2016 1 28 /11 /novembre /2016 07:04

Recueil de nouvelles.

Justice à Los Angeles, 1927 : Peu scolarisé, Booker Johnson est âgé de dix-neuf ans. Avec sa mère, ils habitaient le Tennessee avant de s’installer en Californie. Il est employé dans une station-service, avec son atelier. Cette nuit-là, Booker emprunte la voiture d’un client. Il se fait accrocher par un autre véhicule, conduit par un policier. Bien que n’étant pas fautif, on le place en cellule avec d’autres inculpés. Après le tribunal, il est rudoyé à son arrivée en prison, mais conserve son sang-froid. Premiers contacts avec le milieu carcéral, pour lui dont le casier est vierge. Mais, Booker apprend que sa mère a été choquée de son incarcération, ce qui entraîne un énervement croissant en lui. Bagarre avec les gardiens, six jours au mitard : c’est le début de l’engrenage. Son avocat d’office est confiant en une peine légère, faute d’antécédents. Booker va maintenant côtoyer des criminels endurcis…

Entrée dans la « Maison de Dracula » : Cameron est transféré de la prison de Bakersfield à celle de San Quentin, surnommé par les taulards la “Maison de Dracula”. Son pedigree est déjà chargé. Pour Cameron, c’est un retour dans ce pénitencier. Il y retrouve le Lieutenant Campbell, auquel il s’est mesuré par le passé, et le plus aimable Sergent Blair. Toutefois, c’est cette fois dans le Couloir de la Mort qu’il va séjourner pour longtemps…

Le prix de la vengeance : La prison du comté d’Anselmo, fin des années 1960. Lors d’une altercation entre détenus, Louis Toussaint est abattu par un gardien. “C’était toujours le Noir qu’ils tuaient en premier”, son ami détenu Eddie le sait. Sa conscience politique le rend lucide sur le sort de Noirs, et son activisme s’est développé en prison. Avec ses complices Scott et Dupree, Eddie se venge bientôt en s’attaquant à un gardien novice. Le trio est vite dénoncé, anonymement. Membre d’un collectif de défense, l’avocate Sally Goldberg accepte de s’occuper du cas d’Eddie. Le capitaine Moon, un des responsables de la prison, ne lui facilitera pas la tâche. Avec ses sbires, il n’hésite pas à tabasser le trio. Il semble quasi-impossible d’introduire une arme à feu là où il se trouve, mais Eddie espère quand même. Sinon, il pourra tenter "le tout pour le tout" si l’occasion s’en présente…

Mort d’un mouchard : Un duo de détenus compte suriner un témoin trop bavard, dans les locaux hospitaliers de San Quentin où il sont autorisés à se déplacer. Hélas, rien ne va se passer comme prévu. Ils sont obligés de s’en prendre au surveillant qui les a repérés. Puis l’infirmière du service donne l’alerte. Le duo a encore une chance de passer inaperçu en retournant dans les bâtiments principaux du pénitencier…

Évasion du couloir de la mort : Après avoir été condamné à mort, le transfert de Roger Harper vers San Quentin se fait sous sécurité maximale. Ce “mort en marche”, qui a tué trois personnes, entre cette fois dans le Couloir de la mort. S’il a déjà séjourné dans ce pénitencier, la promiscuité avec les autres futurs exécutés – des "durs" peu intelligents – s’annonce pesante. Mais ses voisins ont un projet d’évasion en cours, auquel il ne peut que s’associer. À l’approche du jour J, Roger est conscient du fort risque d’échec de leur tentative. Il est souhaitable que soit épargné le bienveillant Sergent Blair, qui n’a jamais maltraité les prisonniers. Le moment venu, une certaine pagaille va régner à leur étage du bâtiment, entre ces criminels incontrôlables…

La vie devant soi : Âgé de dix-neuf ans, Max a passé une grande partie de son existence en centres de détention pour mineurs et dans les prisons de quartier. Il passe pas mal de temps à jouer au poker, ça l’occupe et il gagne souvent. Son casier judiciaire est chargé, des "petits coups", mais l’affaire pour laquelle il va passer au tribunal ce jour-là est, cette fois, vraiment criminelle. Pour autant, il n’est que modérément tendu…

Edward Bunker : Évasion du couloir de la mort (Rivages/Noir, 2016)

Je vais également vous donner quelques conseils. Vous êtes costaud et fort, et doué avec vos poings, mais vous n’êtes pas trop coriace pour San Quentin… vous saignez comme les autres. Les bagarreurs aux poings n’ont pas grand poids ici. Nous avons des Mexicains de quarante kilos avec des grands couteaux et des baskets, et ils vous vous arracheront le cœur avant de vous le faire manger. Si vous allez les emmerder. La maxime numéro un du taulard est la suivante : tire ton temps tout seul […] Ça veut dire occupe-toi de tes oignons et ne fais pas de vague, passe inaperçu. J’ai cinq mille hommes entre ces murs. Si vous restez tranquille, vous serez sorti d’ici avant que les gardiens ne connaissent votre nom…

Des années 1950 jusqu’en 1975, Edward Bunker (1933-2005) passa dix-huit ans derrière les barreaux, en partie au pénitencier de San Quentin, avant de devenir écrivain. Inutile de dire qu’il a connu ce milieu carcéral qu’il décrit puissamment. Il ne suggère nullement qu’il n’y aurait que des innocents en prison. Ses personnages ont bel et bien leur place en détention (même si c’est un peu moins vrai, au départ, pour Booker Johnson, héros de la première nouvelle). Des "durs" traités durement ; des malfaiteurs récidivistes et violents, incorrigibles repris de justice que rien ne remettra dans le droit chemin. Côté gardiens, il peut y avoir des victimes, mais également des "petits chefs" dont la violence égale celle des prisonniers. Un pénitencier n’est pas simplement une prison, c’est un lieu de vie, un univers à part entière : c’est ce que nous transmet Edward Bunker.

Longues ou plus courtes, ces nouvelles expriment d’une part la capacité à s’adapter à un séjour carcéral, d’autre part la position des Noirs en prison avant la décennie 1970. Même si la Californie ne fut pas, durant longtemps, l’État américain le plus raciste, les personnes de couleur y étaient traitées en suspects. Il est probable que la rébellion, dans la ligne des activistes Noirs des années 1960, se soit manifestée aussi entre les murs de San Quentin. L’auteur n’en reste pas à un portrait angélique de ces Noirs, il ne les victimise pas. Mais il souligne qu’ils ont généralement été broyés par un système pénitentiaire impitoyable. Un peu plus "facilement" que les autres taulards, peut-être. La force évocatrice de ce recueil de nouvelles est évidente.

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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 06:02

Patrice Gbemba est un gamin noir à lunettes âgé de onze ans, bientôt douze. Veuve, sa mère l’élève seule, aussi bien qu’elle le peut. Avant la rentrée scolaire, elle lui a offert un très beau livre sur les étoiles, l’espace intersidéral. Ça inspire à Papa (c’est son surnom) des dessins très inventifs, en particulier sur les vaisseaux spatiaux. Mais, dans sa nouvelle école, le timide Papa ne trouve pas sa place. Bien que cherchant à se rendre invisible, il est aussitôt le souffre-douleur d’autres enfants. Il n’ose s’en plaindre auprès de sa mère, se dissimule autant qu’il peut dans un coin de l’établissement pour dessiner. C’est surtout le nommé Eyob et ses deux acolytes qui le menacent. Eyob a de qui tenir, car son frère aîné est un repris de justice surnommé le Caïd, qui dresse des chiens de combat.

Un soir, Papa est agressé par Eyob et ses sbires. C’est alors qu’intervient l’accident, dont Papa peut se considérer comme responsable. Il n’attend pas de vérifier si Eyob est mort. Il prend immédiatement la fuite, avec son sac contenant son seul trésor, le livre des étoiles. Papa est bien vite chassé d’un bâtiment vide où il comptait passer la nuit. Le lendemain matin, débute pour lui la grande aventure : Papa passe le Périphérique, entre dans Paris. Ce n’est pas tout de suite le décor exceptionnel qu’espérait ce gamin de banlieue. Et puis, il lui reste peu d’argent pour se nourrir. Quant à mendier, pas question pour lui. Certes, il est désormais libre de dessiner l’espace du futur, mais ce périple s’annonce déjà difficile. Face aux mauvaises rencontres, il lui faut perdre une part de sa naïveté.

“Papa aimait la foule qui ne le voyait pas. Abandonné par le chef, les jambes lourdes, il n’osait pas quitter les lieux. Les murs de la gare étaient blancs. Ils étaient hauts et propres. Malgré le monde, l’endroit était presque silencieux. Un Père Noël en pause mangeait un sandwich sur un banc. Papa se trouva un coin qui n’était occupé par personne. Il se mit en boule afin de se réchauffer plus encore. Contre un mur, il cala sa tête. Ses yeux se fermaient. La morve coulait de son nez.”

Papa va croiser des jeunes et moins jeunes vivant dans la rue, y compris des clochards, sympathiques ou violents. Il traverse la ville, jusqu’à la Défense. Le site fascine Papa qui, cultivant son imaginaire, compare avec les sondes spatiales dont il est question dans son livre. Quelques ultimes pièces lui permettent de téléphoner à sa mère, de lui adresser un bref signe de vie. Toutefois, en décembre, l’extérieur est glacial, et Papa se sent de plus en plus fiévreux. Entre une étape réconfortante dans un club de Pigalle et un refuge dans un squat où il entouré de jeunes et de musiciens à l’allure bizarre, Papa a du mal à lutter contre son affaiblissement progressif. Même s’il se cramponne à son précieux livre…

Clément Milian : Planète vide (Série Noire,2016)

Sa bouche était sèche et son corps détraqué. Attiré par une lumière jaune, il se figea devant un panneau qui indiquait la température, l’heure et la date du jour. Papa fixait les lumières numériques. Il se souvint que son anniversaire était demain, trois jours avant Noël, et qu’il allait avoir douze ans. La pensée le rendait tout chose. Combien de jours encore avant de tomber de fatigue, mourir malade ou affamé ? Il avait mal au ventre. Il avait mal aux os. Son dos tirait. Il tremblait comme un vieillard, se voyant mourir seul dans une flaque, les lèvres desséchées. De penser à la mort le renforçait pourtant, il en devenait presque immortel.

Pour l’amateur de polars, le sujet fera penser à “Paolo Solo”, roman-jeunesse du regretté Thierry Jonquet, même si le présent personnage n’est pas pourchassé. En réalité, “Planète vide” pourrait correspondre à diverses catégories littéraires, mais trouve toute sa place dans la Série Noire. Ce conte sur l’errance d’un jeune fugueur dans Paris se présente sous forme de séquences. Enchaînement de scènes assez courtes, avec des gros plans ainsi que des images plus élargies montrant l’environnement (la Défense, le métro, le parvis de Notre-Dame...), telles les images d’un film qui suivrait à la trace le gamin.

À onze ans passés, on espère que les mômes actuels possèdent encore une capacité à s’isoler du monde pour créer leur univers personnel, aussi fictif soit-il. Du moins est-ce le cas du petit Patrice, rejeté par la bêtise d’autres élèves. Dès l’enfance et tout au long de notre vie, ne sommes-nous pas confrontés à ces cadors prétentieux et agressifs ? Patrice se réfugie dans les étoiles, à sa manière. Ses tribulations au hasard des rues parisiennes ne répondent pas à une quête initiatique (il a fui par obligation). Une épreuve, expérience qui l’aidera à mûrir, sûrement. Un jeune héros attachant, un bon suspense avec son lot de péripéties, c’est donc un roman à découvrir.

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24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 06:32

Divorcée sans enfant, Kristina Vendel est âgée de trente-quatre ans. Elle est commissaire de police à Huddinge, localité suédoise du sud de Stockholm. En ce mois de décembre, elle peine à se remettre d’un épisode traumatisant. Kristina a été enlevée, séquestrée et droguée, des photographies témoignent de rapports sexuels avec ses kidnappeurs. Elle n’est sûre de rien quant à cette épreuve, mais elle a bientôt la preuve que circulent ces clichés salaces. Kristina ne confie pas son désarroi à son père Karl Vendel, veuf d’origine allemande. Ce dernier envisage d’ailleurs une nouvelle vie avec Angelika, une femme qui vient elle aussi d’Allemagne. Ce n’est pas non plus auprès de ses collègues que Kristina pourra améliorer son moral, chacun ayant ses propres préoccupations. Quant au policier acariâtre Arne Svedling, il ne cache guère son hostilité contre la jeune femme.

Mikal Gospodin est un ancien baroudeur russe, devenu un exécuteur dans la sphère des truands. Néanmoins, Kristina entretient de bons rapports avec cet homme brutal. Mais il n’aura pas le temps de l’aider, comme elle le souhaitait, à résoudre l’affaire de son propre enlèvement. Mikal est abattu par une femme, qui l’a approché sans qu’il se méfie. Arne Svedling n’est pas loin de soupçonner Kristina de ce meurtre. En réalité, il a été commis par Kemal Fahed, un tueur capable de se grimer en femme. Ce Kurde fait illusion, car il est très séduisant, avec des traits un peu féminins. Pourtant, c’est un ancien combattant pour la cause de son peuple qui traversa des périodes sombres, et qui reste sans pitié. Il supprime sa jeune complice Gabriella Larsson peu de temps après avoir tué Mikal, avant de rejoindre sa sœur Assine, vingt ans, handicapée en fauteuil roulant.

Alors qu’elle vivait en France, développant son talent pour le jeu d’échecs, l’adolescente Assine fut intime avec Alain Karpin, un grand maître de cette discipline. Ce dernier est de passage en Suède, où Kristina Vendel a pu l’observer lors de rencontres. Après avoir reçu la visite nocturne d’une mystérieuse femme, Karpin est retrouvé mort dans sa chambre d’un hôtel de grand luxe. Le policier Svedling imagine encore incriminer Kristina. Lorsque Kemal est blessé à l’occasion d’une altercation dans un bar, la commissaire rencontre sa sœur Assine. Confusément, elle se souvient d’eux, qu’elle a vus lors de la prestation de Karpin. Kristina s’avoue très attirée par le beau Kemal. Mais c’est grâce à son enquête sur la mort de Gabriella Larsson qu’elle avancera dans son enquête. Et c’est lors d’un évènement mondial ayant lieu en Suède qu’elle devra y apporter une conclusion…

Theodor Kallifatides : Dans son regard (Éd.Rivages, 2016)

Kemal était un homme méticuleux qui ne laissait aucun détail au hasard […] La commissaire Vendel ne sortit pas. Kemal passa devant la maison, poursuivit un bout de chemin en remontant la rue, changea de trottoir et fit lentement demi-tour. Lorsque Kristina sortit de chez elle et resta un court moment devant la porte, comme si elle hésitait, il fut quand même surpris. Kemal la reconnut aussitôt à cause du concours d’échecs, où il l’avait remarquée surtout pour ses cheveux qui ressemblaient à la perruque qu’il avait coutume d’utiliser lorsqu’il se transformait en femme.

Theodor Kallifatides est l’auteur d’une trilogie ayant pour héroïne la commissaire de police suédoise Kristina Vendel (“Juste un crime”, “Le sixième passager”, “Dans son regard”). Il s’agit ici du troisième volume, dont l’intrigue est indépendante des précédents titres. Par sa construction, le récit peut dérouter certains lecteurs. Un exemple : avons-nous besoin que soit détaillé le pedigree complet de la réceptionniste de nuit du Grand Hôtel ; alors que, par ailleurs, on a un peu tardé à nous expliquer pourquoi Assine en est arrivée à sa tentative de suicide ? Ce qui ne signifie pas que le style narratif soit malvenu, mais il nous faut par moments faire un effort pour coller à la structure de l’histoire.

Malgré cette petite réserve, “Dans son regard” ne manque pas de qualités. Bien qu’ayant été victime, Kristina Vendel n’apparaît pas telle "une faible femme", mais on sent qu’elle a perdu une part de son énergie. Dans la Suède des années 2000, les femmes sont censées tout assumer à l’égal des hommes. Que l’on éprouve de l’empathie (ou une forme de pitié) pour elle n’est pas exactement le but de l’auteur. Comme certaines personnes ayant dû s’exiler pour se reconstruire, telle Assine Fahed (ou l’écrivain V.S.Naipaul), la commissaire est à un tournant de son existence. À la fois traquer le crime et penser à son futur n’est évidemment pas simple. L’intrigue est empreinte de cet aspect "humain".

Notons encore que, bien sûr, l’auteur évoque le contexte de la Suède, fut-ce en filigrane. Les habitants de ce pays nordique se sont toujours montrés bienveillants en accueillant des étrangers ayant besoin d’un refuge, d’un nouveau départ. Même si les mystères de l’assassinat d’Olof Palme en 1986 ont pu rendre certains Suédois moins ouverts. Un roman quelque peu "en marge du polar" par sa tonalité, ce qui n’est absolument pas un défaut.

Theodor Kallifatides : Dans son regard (Éd.Rivages, 2016)
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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 06:13

L’universitaire Régis Messac (1893-1945) est toujours à l’honneur, grâce à la revue trimestrielle “Quinzinzinzili” — dont le titre est à l’origine celui d’un de ses romans. Il publia d’autres livres, dont "Le miroir flexible", "La cité des asphyxiés", "A bas le latin !", "Valcrétin". Sans oublier sa thèse “Le «detective Novel» et l'influence de la pensée scientifique”, rééditée chez Les Belles Lettres, Prix Maurice Renault 2012 de l’association 813. L’objectif de cette publication n’est pas seulement de rappeler le parcours et les mérites de Régis Messac. Durant l’Entre-deux-guerres, les milieux intellectuels dont il fait partie sont très actifs, s’interrogeant souvent sur le futur. En tant que contributeur de la revue "Les Primaires", le pacifiste Régis Messac se fait l’écho des livres alors publiés, qu’il s’agisse d’intrigues policières ou qu’ils traitent de sujets sociaux et idéologiques.

Ce n°32 de “Quinzinzinzili” présente un hommage à André Castagné, décédé en 2015, qui fut un ancien élève de Régis Messac, début des années 1930. Cet éminent juriste de Montpellier cultivait d’autres passions plus artistiques, dont la poésie. Son érudition s’exerçait autant dans le domaine du Droit que sur les sujets culturels, ce dont témoigne Olivier Messac qui évoque leurs contacts. Autre hommage, par Anne Gabriel, au regretté Michel Jeury. Beaucoup de lecteurs se souviennent de l’auteur de SF qu’il fut. Pourtant, il faut également retenir chez cet “écrivain vagabond” une inspiration régionaliste. Ainsi que le montre un récent ouvrage, on trouve encore chez Michel Jeury une approche autobiographique, complétant le portrait de cet écrivain. Henri Barbusse, auteur de "Le feu", possiblement converti au communisme, est par ailleurs évoqué par Philippe Baudore qui a étudié ce personnage quelque peu controversé.

Le n°32 de la revue “Quinzinzinzili” est disponible

Quelques autres parutions de livres sont évoquées dans ce numéro, en lien avec l’époque de Messac. On notera par exemple la sortie d’un livre, signé Yves Frémion et Daniel Durandet, consacré à l’illustrateur Raylambert (1889-1967). Dans les années 1930, nous dit-on, il révolutionna les manuels scolaire grâce à des images beaucoup moins austères, bien plus vivantes. Il participa à élargir “les bienfaits de la découverte et l’appropriation du savoir” par ses illustrations plus chaleureuses… Une large place est ici faite à un échange de courriers entre Régis Messac (et plus tard sa famille) et son ami René Bonnet. Outre le contexte de leur temps, tous deux développaient le projet d’une bibliothèque, le “Musée du soir”, pour proposer des auteurs sélectionnés au public. Cette correspondance est évidemment le reflet d’une époque.

Autour d’un roman de Fitz-James O’Brien, “The diamond lens”, Étienne d’Issensac présente un tableau comparatif des quatre traductions de cette histoire. Exercice fort intéressant, qui permet d’observer (sur quatorze extraits, avec les phrases d’origine en Anglais) les nuances apportées par chaque traducteur. En préambule, dans l’article “La forme, c’est le fond”, Étienne d’Issensac rapporte avec malice des propos que j’ai écrits – dans une réponse à un commentaire – chez Action-Suspense. J’y explique, de façon assez souriante, pourquoi je ne cite jamais les traducteurs. Pour autant, il n’est pas question de minimiser leur rôle essentiel, qui va au-delà de la simple compétence, c'est certain. Vaste débat, les lecteurs ne pouvant se substituer aux éditeurs dans la mise en valeur de ce métier.

Chaque numéro de la revue “Quinzinzinzili” coûte 7€. On peut s'y abonner en s'adressant à la Société des Amis de Régis Messac (71 rue de Tolbiac, Paris 13e). À Paris, cette revue est disponible chez plusieurs libraires. Les romans et autres écrits de Régis Messac sont réédités aux éditions Ex-Nihilo, 42bis rue Poliveau, Paris 5e. Le prochain livre de cet auteur, tropical roman d’aventure intitulé “La loi du Kampilan” (un inédit) sera publié aux Éditions Ex-Nihilo dès le 16 janvier 2017. Ce tirage est limité, il n’est peut-être pas trop tard pour pré-commander ce livre.

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22 novembre 2016 2 22 /11 /novembre /2016 07:08

Kwan Chun-dok fut considéré comme le meilleur policier de Hong Kong. Sa carrière, qui débuta en 1967, dura trente ans. En 1997, il était tout juste quinquagénaire, alors on créa pour lui un poste de conseiller spécial, afin qu’il aide les enquêteurs de son ancien service, la section B du CIB, sur des cas que lui-même choisissait. C’est ainsi que Kwan devient le mentor de l’inspecteur Lok, disciple qui le sollicite jusqu’à la fin. Car hélas, en 2013, le vieux policier est mourant. Dans un coma terminal, il gît sur le lit d’une clinique. S’il ne peut réagir, Kwan entend et comprend les propos tenus autour de lui. C’est pourquoi l’inspecteur Lok a réuni dans cette chambre cinq membres de la famille Yue, entre autres propriétaires de la clinique de la Charité.

Il s’agit de résoudre le meurtre dont a été victime de M.Yuen, le PDG de cette puissante entreprise familiale, gendre de son fondateur M.Yue. On a pu croire que c’est lors d’un cambriolage ayant mal tourné qu’il a été tué. Mais aucune trace n’indiquait qu’un voleur soit venu de l’extérieur. Et tout le monde ne sait pas utiliser l’arme du crime, un fusil de pêche sous-marine. En outre, l’assassin a agi autour d’une cérémonie à la mémoire de la défunte épouse de M.Yuen. L’inspecteur Lok comprend qu’il est bon de se pencher sur la vie de chacun des membres du cercle des Yue. Grâce à un bricolage informatique simple et efficace, Kwan Chun-dok transmet (par oui ou par non) ses impressions à son disciple. Néanmoins, les secrets des Yue sont complexes, rendant l’affaire épineuse…

Dix ans auparavant, l’inspecteur Lok avait succédé à Kwan en tant que chef du CIB. Après une opération de police ratée contre le banditisme hongkongais, il enquêta sur les grands patrons de deux triades majeures, la Société de l’Infinie Justice et la Tige de la Florissante Loyauté. Le fils acteur de Grand-père Ngok, un des caïds, fut agressé. Sans doute pour avoir trop approché Tong Wing, une jeune artiste de dix-sept ans, la protégée de Chor, le second caïd. Puis la police reçut une vidéo, bientôt diffusée sur Internet, où Tong Wing était attaquée par des malfaiteurs. Sur les lieux, Lok comprit que le cadavre de la jeune fille avait sûrement été emporté par les tueurs. Kwan Chun-dok était resté dans l’ombre, mais il suivait de près l’affaire, l’embrouillant même pour que la vérité soit faite…

C’est à l’époque de la rétrocession de Hong Kong à la Chine que Kwan quitta son poste au CIB, en 1997. Son adjoint Tsoy était son successeur légitime, Lok n’étant encore qu’un inspecteur de l’équipe. Tandis que Kwan va devenir "conseiller spécial", reste à traquer les frères Shek, des truands dont l’un d’eux s’est tout juste échappé de prison… En 1989, et dès 1977, Kwan Chun-dok montra sa perspicacité dans des dossiers compliqués. Mais il faut remonter en 1967 pour saisir ses motivations profondes. Vaguement employé et livreur, le jeune homme envisage d’entrer dans la police. Bien que ça ne paraisse pas un métier honorable à beaucoup de gens, et qu’il ne soit pas sans dangers.

À cette époque, surgissent de violents conflits sociaux à Hong Hong. Les policiers sont la cible des grévistes, en tant que symboles de la répression dirigée par les Britanniques. La tension est forte avec la Chine voisine, les partisans de Mao manipulant les ouvriers. Un jour, dans la chambre voisine de la sienne, Kwan Chun-dok entend une conversation entre comploteurs. Préparant un attentat sanglant, ils passeront très bientôt à l’action. Kwan en identifie l’instigateur, le nommé M.Chow. Il va donner un sacré coup de main à Ah Sept, l’agent 4447, un policier fréquentant son quartier. Ce qui lancera sa carrière personnelle…

Chan Ho-kei : Hong Kong noir (Éd.Denoël, 2016) ― Coup de cœur ―

Le meurtre était confirmé, et la nouvelle redoubla l’attention que le public portait à l’affaire – plaçant les enquêteurs sur le gril par la même occasion. Lok et ses hommes devinaient qu’ils allaient bientôt voir l’état-major se pencher sur leur travail. Ils comptaient en particulier sur l’aide du bureau du crime organisé. Mais aucun policier n’aime à se voir dépossédé d’une affaire en cours ; il voit sa propre valeur rabaissée, celle de ses efforts passés niée. Aussi leur moral était-il au plus bas, et le découragement commençait-il à pointer à mesure que les pistes explorées se révélaient aussi improductives les unes que les autres. C’était la première fois que Lok était responsable en personne d’une enquête après dix-sept années dans la police, et la pression commençait à lui peser. Plus il s’angoissait, moins il parvenait à réfléchir sereinement.
Le lendemain de la découverte, il se retrouva à contempler la photo encadrée sur son bureau qui le représentait avec Kwan Chun-dok. Il décida d’aller le voir le soir-même pour accorder un peu de répit à sa propre cervelle torturée…

On peut hésiter à se plonger dans ce pavé de 660 pages. Et la perspective de situer les personnages aux noms asiatiques peut rebuter. Eh bien, on aurait tort. Car il s’agit d’un roman fascinant, le mot n’est pas exagéré. Un "roman", alors que six enquêtes nous sont présentées ? Oui, cette histoire se lit effectivement en continuité, et non comme une suite de nouvelles. Avec le policier émérite Kwan Chun-dok (et son adepte l’inspecteur Lok), on vit à l’heure de Hong Kong. Quelle ville étrange, énigmatique, à la géographie mal définissable, fourmillante de vie, mais aussi de trafics et de crimes, depuis bien longtemps sous l’emprise de triades mafieuses ! Au fil du récit, on va remonter le temps par étapes, en des années marquantes, d’aujourd’hui jusqu’à l’époque d’émeutes qui agitèrent ce qui était alors une colonie britannique.

Dans la postface, il est intéressant de lire l’explication par l’auteur de sa démarche. Entre romans “orthodoxes” (où prime l’enquête) et “sociétaux” (avec le réalisme des situations), il a choisi d’utiliser ces deux facettes, de ne pas en privilégier une d’elles. Il est vrai que nous découvrons des intrigues passionnantes, parfaitement conçues et racontées, autant qu’un contexte spécifique. De nombreux soubresauts jalonnent l’Histoire de Hong Kong, avec leur impact sur les forces de police. Telle une horloge détraquée, le mécanisme qui la fait fonctionner s’est parfois grippé, et ça continue à l’ère chinoise. Mais peut-être y a-t-il des habitants qui, à l’instar de Kwan et Lok, entretiennent les pièces défaillantes – en nettoyant les impuretés qui salissent Hong Kong.

Pour l’anecdote, on notera que les dictons ont leur place dans l’esprit des Chinois de cette ville. Sans oublier la notion de bluff, présente dans une grande partie de ces enquêtes. La police doit s’avérer plus rusée que les criminels, n’est-ce pas ? Ce qui introduit une part de complicité avec le lecteur. Loin d’un exotisme de pacotille, subtil et entraînant, “Hong Kong noir” est un remarquable roman à suspense, qui se lit avec délectation.

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21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 06:08

Recueil de nouvelles.

Mon âme au diable : C’est en 1932 qu’une sorte de magicien fit son apparition dans la ville de Saint-Brieuc, un émule du roi Midas capable de transformer en or tout ce qu’il touchait. Alex Kepler s’affichait conseiller financier. Il avait du panache, séduisait aisément, circulait à grande vitesse dans sa puissante automobile conduite par son chauffeur, inspirait les meilleurs placements aux nantis et parfois à des gens plus modestes. Un tel personnage ne pouvait sûrement pas continuer ce jeu longtemps, sans croiser un assassin.

Siam : Existe-t-il des œuvres maudites ? Tout porte à le croire quand on connaît l’itinéraire chaotique d’un petit tableau de Gauguin datant de 1895, peint à Pont-Aven. Dès le début du 20e siècle, son propriétaire est victime d’une mort singulière. Et chacun de ceux qui le posséderont ensuite dans les Côtes-du-Nord, durant cinq décennies, vont également périr brutalement. Ce fut quelquefois par miracle que l’on retrouva le précieux tableau, qui était autant passé entre les mains de notables que de repris de justice.

Cantique des ardents : Ce vieux médecin n’est pas prêt d’oublier Noël 1948. À l’époque, dans la région d’Erquy, tout le monde connaissait le capitaine Fabre. Sur son cheval, cet officier de gendarmerie en imposait. C’est lui-même qui découvrit le corps crucifié d’un jeune homme, et qui fit appeler le médecin. Il avait besoin de lui pour que fonctionne son plan. Si bien des années plus tard subsistent des zones d’ombre sur l’affaire, le médecin qui en fut témoin peut affirmer que ce diable d’officier appliqua une certaine justice.

La chambre du bouc : En ce temps-là, l’honorable M.Cambon habitait un manoir de la région. Il ne formula pas d’objection quand des gendarmes vinrent inspecter sa propriété autour de la vieille demeure. Une fillette appartenant à une famille de romanichels, alors de passage, pouvait s’y être cachée. On ne trouva nulle trace de la petite disparue. Quant à accuser M.Cambon ? Le père de la gamine et quelques villageois le firent, mais absolument rien ne confirmait cette hypothèse.

L’appel du ventre : Au début du 20e siècle, la belle Hortense tenait une mercerie dans la paisible ville de Lamballe. Si plusieurs hommes de son entourage s’entre-tuèrent, cela pouvait passer pour un fâcheux concours de circonstances. Dont on ne songea guère à la tenir pour responsable. Pourtant, n’y eut-il pas au moins une autre mort violente à porter au crédit d’Hortense ? En quelque sorte, cette jeune femme avide d’une vie luxueuse était une habile joueuse de billard.

La chair et l’horizon : La plantureuse Mme Mansart vécut une mésaventure qui, si elle ne fut que choquante et non pas criminelle, entraîna dans la foulée l’arrestation d’un voyeur. On dénombrait plusieurs victimes dans cette modeste affaire. Parmi ces femmes, toutes pourvues de rondeurs, l’une d’elle refusa d’accabler le fautif. Atteinte à la pudeur, ce qui constitue un fait à sanctionner, mais point de maltraitance. Alors que certains maris sont bien plus rustres dans l’intimité des couples.

Honoris causa : Quand, dans la région du Cap Fréhel, sont commis plusieurs meurtres très violents, le nommé Léopold n’a aucun doute sur l’endroit où trouver le coupable. Selon lui, c’est un de ceux qui sont logés à l’Institut. Il s’agit là d’une propriété où Désiré Langres, un Parisien féru de sciences qui se dit docteur, et son épouse Anna, hébergent quelques malades mentaux. Contactées par Léopold, la gendarmerie et les autorités se montrent très prudente envers Désiré Langres, qui n’est effectivement pas un criminel…

Alain Émery : 7 histoires sur fond noir (Éd.Astoure, 2016)

Je me suis tourné vers Fabre, à cet instant. Vous pourriez l’imaginer plein de haine pour ceux qu’il décrivait de la sorte, et vous auriez tort. C’est juste qu’il se dressait parmi nous comme un rempart contre nos faiblesses et nos turpitudes. Il était là pour la justice, afin qu’elle soit rendue quoi qu’il advienne […] Fabre avait, à cette seconde, le regard dont parlent encore aujourd’hui ceux qui l’ont croisé. Cet inexplicable alliage de mélancolie, de panache et de froideur. Cette jubilation dans les yeux, qui s’éclaircissaient soudain quand son devoir – ou du moins ce qu’il estimait l’être – prenait le pas sur le cours des choses…

Ils ne sont pas si nombreux, les auteurs français dont on peut conseiller les recueils de nouvelles. Beaucoup présentent des textes correctement écrits ou même plaisants à lire, mais bien plus rares sont ceux qui incluent un "supplément d’âme" dans leurs nouvelles. Notion abstraite ? Non, car c’est en s’appuyant sur leur mythologie personnelle que des auteurs tels Marc Villard, Didier Daeninckx, ou Nadine Monfils dans ses contes pervers, pour ne citer qu’eux, concoctent des textes courts enthousiasmants. Or, Alain Émery fait partie des créateurs de nouvelles animés du même état d’esprit.

Sa propre mythologie se base sur des images d’autrefois. Celles d’un monde pas plus idéal qu’aujourd’hui, mais où un observateur pouvait sentir les choses. Parce que le temps s’écoulait au rythme de chacun, sans précipitation. Parce que l’on connaissait son décor quotidien, et la population avec ses figures marquantes ou plus insignifiantes. Sans être plus simples, pour peu qu’on prenne un certain recul, les affaires plus ou moins criminelles devenaient possibles à décrypter. Alain Émery se plaît à décrire ces ambiances-là, à dresser le portrait de ces personnages d’antan, à revisiter par la fiction la vie de nos aïeux. Faut-il traduire que l’auteur est un nostalgique ? Probablement trouve-t-il plus de charme dans ce passé que notre époque préfère trop facilement oublier.

La qualité de ces nouvelles ne se borne pas à la thématique. D’une fluidité toute en souplesse, l’écriture reste l’atout essentiel de ces textes. Avec finesse, ne négligeant pas les détails, choisissant son tempo, c’est cette écriture de perfectionniste qui exprime la tonalité du récit. Alain Émery est un conteur-né, dont chaque nouvelle fait mouche.

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