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24 octobre 2016 1 24 /10 /octobre /2016 04:55

Le Soviet est un groupe d’anarcho-activistes qui sévit en France au tournant des années 1980-90, tels des Fantomas fin de siècle. Ce collectif démocratique, s’inspirant des anars russes pré-révolutionnaires, utilise des méthodes parfois violentes, ou agit avec plus de subtilité, pour qu’avance leur lutte en vue d’un monde meilleur. Ils observent une certaine éthique, n’oubliant jamais que ce sont les puissants qu’il faut viser, et non pas amener la population à s’entre-déchirer.

Début 1991, ils viennent de spolier Jean-Bruno Pennegret, le leader du Front Français, qui avait organisé une captation d’héritage à son profit. Vieille habitude depuis qu’il a accaparé les biens du défunt cimentier Rambert, dont il occupe la propriété de Cachetout. Quant au projet de construction d’une route menaçant le domaine de ce politicien d’extrême droite, on ne peut exclure que le Soviet y soit mêlé.

La nouvelle grosse opération que préparent les membres du Soviet concerne un immeuble de l’avenue de la Grande Armée, dans le 16e arrondissement de Paris. Pas encore prise dans la tourmente, la société pétrolière Elf effectue des investissements dans l’immobilier. Grâce à l’Afrique, cette entreprise génère beaucoup d’argent, pas toujours propre disent les malveillants. Cette fois, ses dirigeants se font doubler par le Soviet, un habile piratage informatique faisant des anars les propriétaires de ce bâtiment de prestige.

C’est au profit d’associations qu’est combinée l’affaire, afin d’y loger autant de personnes que possible. Trop tard, Elf ne peut rien contre une transaction semblant en bonne et due forme ! Cet immeuble va être baptisé “la république bananière”, tout un symbole. Les adversaires de l’hébergement des réfugiés risquent de s’en étrangler de rage.

Les autorités ne sont nullement passives pendant ce temps. Les limiers-en-chef d’Interpol ont créé le “Fichier mauve” afin de recueillir un maximum d’élément contre le Soviet, d’en traquer les partisans. Ils sont d’autant plus énervés que, dans le nouveau journal publié par le Soviet, de sombres secrets d’Interpol sont révélés. Même s’ils restent sur la brèche, coincer ces anars apparaît quasi-illusoire.

Un policier désenchanté et des journalistes honnêtes adhèrent bientôt au groupe du Soviet. Fasciné par ce mouvement, un solitaire (qu’on surnommera Pampers) est également admis parmi eux, après leur être venu en aide dans une situation dangereuse. L’immeuble du 16e n’est pas le seul qu’ils vont "réquisitionner" : à Lyon, deux autres sont acquis de la même façon détournée. Quant à Pennegret, le chef du Front Français, le Soviet n’a pas fini de lui faire perdre la face, ce qu’il ne verra pas d’un bon œil…

Colonel Durruti : Le Soviet au Congo (Éd.Goater, 2016) – Inédit –

Arrivés sur le palier du cinquième, ils tombent sur une fille aux cheveux d’un roux étourdissant, qui s’arrête en les voyant.
— Ah, vous êtes journalistes ?
Croix-Rouge attend qu’une tripotée d’anges ait fini de passer. Elle se doutait bien que pendant leurs journées portes ouvertes, elle allait tomber sur des rigolos de ce genre. D’ailleurs, elle est là pour ça. Mais elle craint un peu qu’un de ces types n’ait été informé par la police, un jour ou l’autre, au cours d’une autre affaire, et qu’on la reconnaisse. Mais les flics n’ont que son signalement, pas sa photo. Et comme le Soviet n’a pas encore ouvertement déclaré son rôle dans cette histoire de squat, il n’y a aucune raison pour que quelqu’un fasse le rapprochement. Et d’ailleurs, aucun des types ne bronche. Ils sont juste très très branchés sur une aussi jolie fille…

Voici une nouvelle aventure inédite de la série "Le Soviet" qui connut bien des vicissitudes. Avant d’être réédités aux Éditions Goater, les quatre premiers titres parurent chez Fleuve Noir puis chez Série Noire, entre 1985 et 1997. Excellente initiative de les rassembler, et d’y ajouter le cinquième opus, resté dans les archives du duo d’auteurs, Yves Frémion et le défunt Emmanuel Jouanne. Leur pseudonyme se réfère à Buenaventura Durruti, héros républicain de la Guerre d’Espagne, mort en 1936.

Pour peu que l’on préfère le libre arbitre aux dogmatismes politiques, ce roman pétaradant est un régal ! En guise de musique d’accompagnement, la chanson “Ah les salauds” d’Aristide Bruant rythme cette histoire pleine d’un humour plutôt mordant. Que soit ici égratigné le leader d’un parti nationaliste, on ne s’en plaindra pas. On reconnaîtra, sous le nom de Manuel Pétin, gendre de ce politicien, le père officiel d’une héritière de ce bizness familial.

Des clins d’œil, on en trouve bien d’autres. Un certain J.P.Nacray partage le même esprit que les membres du Soviet : allusion aux auteurs du roman “La vie duraille” (Fleuve Noir, 1985), Jean-Bernard Pouy, Daniel Pennac et Patrick Raynal qui signèrent J.B.Nacray. On croise même deux journalistes prénommés Yves et Emmanuel, comme les auteurs.

Si l’on espère un exotique voyage au Congo, on risque de "faire tintin" (selon l’expression consacrée). Par contre, il est toujours utile de rappeler l’ambiguïté des relations entre les lobbies politico-financiers et certains pays africains. La fameuse Affaire Elf, qui éclatera un peu plus tard dans les années 1990, ne dévoilera sûrement qu’une partie de ces colossales magouilles. Ces milliards, à qui ont-ils profité ? Pas uniquement au financement politique, ni à des placements de cette entreprise ? Allez savoir !

Le Soviet entame une récupération de ces profits exorbitants au bénéfice du peuple, une idée à relancer. De l’action et du sourire au programme de cette excitante fiction vraiment très sympathique.

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23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 05:04

Erwann Le Tallec, célibataire d’une trentaine d’années au caractère vif, et sa coéquipière Marie Prigent, homosexuelle attentive aux autres mais hostile aux machos, sont policiers à la PJ rennaise. Quand un cadavre est découvert près du dolmen de La Roche-aux-Fées, dans la forêt de Brocéliande, ils ont des raisons de penser que ce n’est que le premier d’une série. L’homme, un nommé Germont, a été martyrisé, dans une mise en scène se référant à la mythologie celtique, ainsi que l’indique un triskell mal dessiné. La victime était dans l’immobilier. Son épouse ne lui connaît pas d’ennemis. Germont n’avait apparemment pas d’autre femme dans sa vie, ni aucune activité liée à l’ésotérisme.

Le journaliste Xavier Bonnard se montre très insistant auprès d’Erwann pour obtenir des infos, voire des exclusivités. Pour le policier, même à contrecœur, il n’est pas mauvais de s’en faire un allié. Très tôt, leur supérieur le commissaire Le Fur, met la pression sur Marie et Erwann. Le duo interroge les derniers clients rencontrés par Germont, ce qui ne leur offre guère d’éléments supplémentaires. Un autre crime est commis au Géant du Manio, sur le site mégalithique de Carnac. Le corps maltraité étant dans le même état que celui de Brocéliande, le coupable est évidemment le même. La victime Frédéric Houdain était un magouilleur du BTP. Il avait une maison à son tout près de là, à La Trinité-sur-mer.

Est-ce que le tournage de film qui s’y déroule actuellement a un quelconque rapport avec le meurtre ? Rien de moins sûr. Ça démontre juste que l’homme aimait les eaux troubles. Peu après, c’est son frère Cédric Houdain qui est à son tour exécuté par le tueur, selon le même rituel. L’assassin a laissé un message faisant référence à Morrigane, déesse celte très belliqueuse, si l’on en croit cette mythologie. C’est sur l’île de Gavrinis, haut-lieu de la culture celte, dans le Golfe du Morbihan, qu’est retrouvé le quatrième cadavre. Le tueur a fait des efforts pour que soit forte la symbolique, car il a dû s’organiser — en louant un canot, afin d’amener le corps durant la nuit jusqu’à la petite île.

Erwann peut compter sur la jeune et rondelette Élodie, éprise de lui, pour exploiter ses talents en informatique. Sur l’ordinateur de Germont, elle finit par dénicher une liste de sept noms, dont quatre sont ceux des victimes. Ce qui n’éclaire que très partiellement la piste à suivre, pour Erwann et Marie. Le journaliste Bonnard ne sera pas inutile non plus. Le duo de policiers assiste à la fête de la Samain à Brocéliande, équivalent de la Toussaint, bonne occasion de se renseigner auprès d’un druide, avant qu’un cinquième cadavre soit découvert du côté de Dol-de-Bretagne. Le point commun entre les victimes, Erwann et Marie finiront par le découvrir dans leur passé…

Jean-Marc Ligny : La roche au démon (Éd.Wartberg, 2016)

Bis repetita. La scène qu’il découvre au pied du menhir est en tous points semblable à celle de la Roche-aux-Fées : un homme nu, attaché avec de l’adhésif autour du rocher, couvert de blessures et contusions, émasculé et énucléé. Et encore ce satané triskell orienté à gauche, gravé au couteau sur la poitrine, avec une plume noire posée dessus. Peut-être parce qu’il la voit de plus loin (la scène de crime ayant été bien élargie), Erwann est moins répugné par cette boucherie que la première fois. Peut-être aussi qu’il commence à s’habituer à l’horreur…

Il est improbable que plusieurs millions de Bretons aient une pensée quotidienne pour les légendes arthuriennes, que Lancelot ou son fils Galaad soient leurs icônes, qu’ils invoquent la protection de la fée Morgane, qu’ils boivent chaque jour du chouchen à la mémoire des divinités du panthéon celtique. Tout cela appartient à un certain folklore qui, associé aux nombreux décors mégalithiques (menhirs, dolmens, cairns…), attire le tourisme culturel. C’est plutôt la beauté des sites et leur mystère qui séduit les visiteurs, à vrai dire. Cette mythologie inspire autant les histoires du genre Fantastique que les auteurs de polars. La quasi-totalité de l’œuvre abondante de Jean-Marc Ligny appartient d’ailleurs à la Science-Fiction et au Fantastique. Pour le contexte de l’intrigue, il reste ici en terrain connu.

C’est dans un périple à travers la Bretagne (hormis le Finistère) que nous entraîne ce roman d’enquête. Point de policiers horriblement tourmentés par des drames marquants, ni de détectives dont les petites cellules grises fonctionnent plus ou moins bien. Si Erwann cherche à échapper autant au journaliste qu’à la stagiaire informatique, il a plutôt la tête sur les épaules. Idem pour sa partenaire Marie, qu’il ne faut pas trop chatouiller, quand même. Leurs portraits et ceux des autres protagonistes sont joliment réussis. Nul besoin de longues tergiversations pour exprimer le détail des faits, les comportements, les pistes et hypothèses : un auteur chevronné comme Ligny ne l’ignore pas.

Bien sûr, les éléments sont précis quant aux légendes celtiques et les lieux concernés sont décrits tels qu’ils existent. Ce qui n’interdit ni certaines frictions, ni quelques passages souriants, nos héros n’étant pas de froides machines à investiguer. Solide polar d’enquête qui respecte la tradition, à tous points de vue.

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21 octobre 2016 5 21 /10 /octobre /2016 04:55

Vers la fin des années 1940, une ville non loin de la frontière entre États-Unis et Canada, dans le Maine. En ce samedi soir neigeux, un inconnu arrivant de nulle part entre dans le bar de Charlie Moggio. L’homme semble avoir choisi d’avance ce bistrot, qui n’est pas le mieux situé de cette ville. Outre Julia, l’épouse de Charlie, et le Yougo, travailleur immigré ayant une vie de famille complexe, qui se saoule le samedi, il n’y a que des habitués. Le patron fut naguère barman dans quelques métropoles américaines : il se croit capable de reconnaître les types louches. Ainsi, quand la radio annonce qu’un meurtre a été commis dans la région, Charlie téléphone au shérif Kenneth Brookes. Celui-ci arrive bientôt avec ses adjoints, toutes sirènes hurlantes. Ils embarquent l’inconnu pour interrogatoire.

L’homme affirme s’appeler Justin Ward. Il ne justifie nullement sa présence dans la ville. Le shérif est finalement obligé de le relâcher. Le dimanche matin, Ward loue une chambre chez Mrs Eleanor Adams. Ce qui suscite la curiosité de ses jeunes voisines délurées, Mabel et Aurora. Il a également fait un détour pour signaler à Charlie qu’il était libre. Durant les jours suivants, s’il déjeune le midi à la cafeteria d’en face, Justin Ward passera son temps dans le bar de Charlie, en fin de matinée puis en début de soirée. Le patron commence à le traiter tel un habitué, non sans se méfier de lui. Par exemple, pourquoi Ward rachète-t-il le bail de la miteuse salle de billard du vieux Scroggins – en face du bar de Charlie – avant de la faire rénover par le Yougo ? Aurait-il une mauvaise influence sur cet ouvrier ?

Un incident confirme les soupçons de Charlie. Originaire de Brooklyn, le patron de bar est resté en contact avec la pègre new-yorkaise, pour laquelle il prend d’ailleurs des paris clandestins. Quand le truand Jim Coburn et son garde-du-corps se pointent un jour dans le bistrot de Charlie, Justin Ward s’empresse de filer sans rencontrer Coburn. Au risque de tomber malade avec ce froid glacial. Heureusement, il peut compter sur sa voisine Mabel. Alors qu’approche la période de Noël, c’est par un courrier de son cousin de Chicago, Luigi, auquel il a adressé une photo volée de Ward, que Charlie en apprendra davantage sur la véritable identité de cet homme. Luigi a des raisons de se souvenir d’un épisode marquant du passé de celui qu’il a facilement reconnu sur la photographie.

L'animosité de Charlie contre Ward vire à l’obsession. Ça le rend malade. Il voudrait trouver des alliés, comme l’imprimeur Nordell, par ailleurs propriétaire de l’hebdo local. Le shérif Brookes, il ne peut compter sur lui. Ward ne serait-il pas l’instigateur du cambriolage chez le brocanteur ? Sûrement. N’est-pas à cause de lui que le Yougo s’est déchaîné, et qu’il est en prison ? C’est certain. Quand il apprend toute la vérité sur Ward, le danger est loin d’être écarté… mais pour qui ?…

Simenon – Loustal : Un nouveau dans la ville (Éd.Omnibus, 2016)

Était-ce l’intention de Justin de s’entourer d’un gang de jeunes ? Mais alors pourquoi le FBI se donnait-il la peine d’envoyer à Kenneth une note lui conseillant de ne pas s’occuper de lui ? Charlie y mettrait le temps qu’il faudrait, mais il en viendrait à bout.
Il avait encore obtenu un renseignement qui pouvait avoir sa valeur, un soir qu’Aurora, la petite brune, était venue boire un verre au bar, toute seule, alors que son amie avait sans doute un rendez-vous en ville. Avec l’air de rien, Charlie avait insinué :
— Votre voisin ne vous fait pas encore la cour ?
— Pas à moi, Dieu merci ! avait-elle répliqué en se mettant du rouge à lèvres.
— À qui, alors ? À Mabel ?
— Ce que Mabel fait ne me regarde pas, n’est-ce pas ?
Il avait senti qu’il y avait quelque chose et il brûlait de savoir, mais il n’avait pas insisté. C’était elle qui avait remis le sujet sur le tapis, indirectement, après qu’il lui eut offert un petit verre…

Comme tous les titres de Georges Simenon, ce roman publié en 1950 a été régulièrement réédité. Toutefois, ce "roman dur" (selon la formule consacrée) datant de l’époque où il vivait à Tucson (Arizona) n’est peut-être pas le plus connu de l’auteur. Le décor, une petite ville, est vite dressé ; on focalise bientôt sur ce modeste quartier, entre le bar de Charlie et la maison de Mrs Adams. La sourde rivalité entre deux hommes va alimenter l’intrigue. S’il est peu causant, Justin Ward nargue-t-il vraiment Charlie, ou s’agit-il d’indifférence ? Le nouveau venu cache des secrets, oui, mais le patron de bar cultive une curiosité qui n’est pas sans conséquences. Simenon savait à merveille distiller cette sorte d’ambiance malsaine, basée sur des impressions, des soupçons flous.

Dans cette nouvelle édition, le texte est mis en valeur par les illustrations de Loustal. Il va de soi qu’elle "suivent" l’action décrite par l’auteur. Elles ajoutent un parfum d’époque, par l’allure des protagonistes, l’aspect de la petite ville et de cette rue. Tandis que le lecteur traduit sa propre interprétation du récit, les dessins offrent un regard complémentaire sur l’histoire. Jusqu’à rendre plus précises certaines situations. Telle cette image du Yougo "en famille" ou de la salle de billard ornée de portraits de gangsters au mur. Caractéristiques, le trait de Loustal et la composition de chaque illustration apparaissent en harmonie avec la tonalité de Simenon. Ce qui donne une version toute particulière de ce roman, et c’est franchement très agréable

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19 octobre 2016 3 19 /10 /octobre /2016 05:17

En 1909, à Paris. Giovanni Riva est issu d’une famille de Napolitains installés à Belleville. S’il a débuté au journal Le Matin dans un poste modeste, on lui offre la chance de devenir le secrétaire de Max Rochefort. Celui-ci est un dandy parisien, auteur de romans-feuilletons à succès. Qui n’a pas lu les aventures trépidantes de son héros, Nocturnax ? Le journal Le Matin le traite tel un prince, tant il fait vendre. Quand il s’entretient avec l’éditeur Fayard, il est surtout question d’argent. Tout à sa vie mondaine, Max Rochefort n’a plus temps de se consacrer à l’écriture. Sa fidèle petite équipe de rédacteurs s’en charge, les directives restant celles de Rochefort. La pratique de la boxe asiatique lui permet de garder la forme, tandis que son employée de maison Marguerite, venue de Lorraine, lui prépare des petits plats. Le jeune Giovanni Riva s’adapte bientôt au mode de vie de ce nouveau mentor.

Tandis que le duo est présent à Enghien, un meurtre sanglant est commis dans leur hôtel. Émissaire du Vatican, le cardinal italien Berdoglio a été martyrisé par ses assassins. Des signes dessinés près du corps font penser à la franc-maçonnerie. S’agit-il de pratiques sexuelles ayant tourné au crime atroce ? Aucun intrus ne paraît être entré à l’hôtel cette nuit-là. Le commissaire Juvard soupçonne une employée de dix-neuf ans, Justine Avril, la dernière qui ait servi le cardinal. Ayant éprouvé un coup de foudre pour elle, Giovanni ne peut croire en la culpabilité de Justine. Pour Max Rochefort, c’est l’occasion de montrer qu’il est aussi bon reporter que son ami le journaliste Gaston Leroux. Peu après, le directeur de la Sûreté se rend sur les lieux. Les relations entre le Vatican et la République laïque sont complexes. Il faut préserver la paix sociale, faire preuve de diplomatie, éviter le moindre scandale.

Par mesure de discrétion, Justine est enfermée à l’hôpital Sainte-Anne. Max Rochefort et Giovanni lui offrent un peu de réconfort, lui promettant de limiter les dangers planant dans ce genre d’asile. Quant à l’en faire sortir, peut-être que le psychologue Alfred Binet pourra les aider le moment venu. De son côte, l’avocat Maître Aubin fera le maximum pour elle, aussi. Giovanni et Rochefort comprennent finalement comment les tueurs ont pu pénétrer chez le cardinal sans laisser de traces. Un soir, le duo échappe de peu à une agression, à la sortie du théâtre du Grand-Guignol. Il est possible que l’occultiste Aleister Crowley en soit l’instigateur. Max Rochefort et Giovanni découvrent le hangar qui servit de base aux comploteurs ayant tué le cardinal. Ça provoque la mort d’un des organisateurs du crime, qu’on finira par identifier : un ancien militaire renégat, mêlé à de sombres affaires.

Les signes dessinés dans la chambre ne sont ni franc-maçons, ni exactement satanistes. On peut les attribuer à une sorte de secte. C’est la piste aéronautique qui intéresse en priorité Giovanni et Rochefort. Le journaliste spécialisé Jérôme Fandorin n’ignore rien de l’expansion de cette industrie chez les voisins allemands, avec lesquels la France n’est pas non plus en bons termes. L’aide de l’aéronaute Louis Paulhan sera fort utile au duo, quand il s’agira d’alpaguer quelques coupables. Même si Max Rochefort et ses amis parviennent à extirper Justine de Sainte-Anne, puis de la prison Saint-Lazare, il est à craindre que cette affaire ne s’arrête pas là. Elle est relancée quand une prostituée syphilitique est victime des mêmes assassins. Connaître le nom du machiavélique cerveau ne suffit pas, car cet illuminé est capable d’avoir organisé un final qu’il espère explosif…

Dominique Maisons : On se souvient du nom des assassins (Éd.de la Martinière, 2016)

— Êtes-vous en train de nous dire qu’ils pensent être des artistes ?
— Oui, la complexité et la folie de ce crime en font pour eux une œuvre d’art. Le cardinal ou tout autre bourgeois de la belle société, cela leur importait finalement peu. Le premier à se faire monter une collation ce soir-là signait son arrêt de mort. Ils voulaient créer un crime démentiel et d’une envergure inédite […]
— Ce serait tout simplement monstrueux. Qui ferait une chose pareille pour s’en amuser ?
— Nous savons qu’ils sont riches, qu’ils aiment les dirigeables, l’art, qu’ils sont cruels et probablement mégalomanes. C’est ce qui les perdra, car ils vont vouloir recommencer…

Cette histoire rend un superbe hommage au roman-feuilleton d’autrefois, s’inscrivant dans la même tradition. De Gaston Leroux à Maurice Leblanc, en n’oubliant pas Souvestre et Allain, ce sont ces écrivains-là – souvent inspirés par le monde qui les entourait – qui ont donné ses lettres de noblesse à la littérature populaire. D’ailleurs, l’auteur du “Fantôme de l'Opéra” est présent ici. Parmi les allusions le concernant, on notera aussi un “Fatalitas” en référence à Chéri-Bibi.

Le héros de fiction créé par Max Rochefort est, à l’évidence, un double de Fantomas. Le commissaire Juvard et le journaliste Jérôme Fandorin, n’évoquent-ils pas Juve et Fandor qui traquent inlassablement ce diable de Fantomas ? Toutefois, c’est bien dans leur propre univers romanesque, face à un adversaire terriblement cynique, que les deux personnages centraux vont évoluer. Autour d’eux, des célébrités de ce début du 20e siècle, et des protagonistes de toutes sortes offrant de la crédibilité au récit. Citons par exemple l’actrice Eudoxie Lamésange, amante de Max, une de ces demi-mondaines qui animaient les soirées parisiennes d’alors. Elle n’est ni la seule jolie femme, ni la plus exposée dans cette ambiance où plane la menace, où rôde la mort.

L’auteur n’ignore bien sûr pas ce qui faisait le trait premier du roman-feuilleton : relancer l’action en permanence afin d’alimenter le mystère. Pas de place pour les temps morts. Le sentiment du danger doit être constant dans ces intrigues énigmatiques. Même les plus incroyables péripéties sont admises. On n’omet pas d’évoquer le contexte, politique et financier, car c’est une guerre mondiale qui s’annonce, cinq ans plus tard. Le climat ajoute de la tension aux tribulations effrénées de Max le désinvolte et du candide Giovanni. On se laisse volontiers entraîner dans leurs passionnantes aventures, d’autant plus captivantes qu’elles sont racontées avec une belle fluidité.

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18 octobre 2016 2 18 /10 /octobre /2016 05:14

Désormais disponible en format poche chez 10-18, “Le contrat Salinger” d’Adam Langer fait partie de ces quelques romans auxquels j’ai attribué un Coup de cœur à sa parution initiale. Un petit bijou d’originalité, à ne surtout pas manquer…

Ex-journaliste, auteur du livre “Neuf pères”, Adam Langer se considère tel un littéraire. En réalité, marié à l'universitaire Sabine d'origine allemande, il végète à Bloomington, dans l'Indiana. Ils ont deux filles, Ramona et Béatrice, dont Adam s'occupe, c’est l'essentiel de son activité. À part pour alimenter leur blog satirique avec Sabine, il n'écrit plus guère depuis six ans. Lorsque le romancier Conner Joyce fait une prestation à Bloomington, Adam le contacte. L'auteur des aventures de Cole Padgett se souvient de l'interview qu'il lui accorda quelques années plus tôt. Les ventes des livres de Conner Joyce faiblissent, il est moins inspiré, et son quotidien avec son épouse Angie (Angela De La Roja), ex-flic new-yorkaise, apparaît morose. Son éditrice préfère miser sur Margot Hetley et ses histoires abracadabrantes, qui se vendent bien mieux que les polars répétitifs de Conner Joyce.

À Chicago, le lendemain, le romancier est contacté par un certain Pavel Bilski. Il le met en contact avec le septuagénaire Dexter Dunford, Dex, qui l'appâte avec dix mille dollars. Ce dernier lui montre sa bibliothèque, unique en son genre. Car il est le seul lecteur d'œuvres écrites spécialement pour lui par des auteurs rares, tels Truman Capote, Norman Mailer, Harper Lee, Jaroslaw Dudek, J.D.Salinger, B.Traven. Il propose à Conner Joyce un contrat se chiffrant en millions de dollars pour écrire lui aussi un roman policier en un exemplaire. Cet accord doit rester strictement secret. Néanmoins, Conner parle de l'offre étonnante à Adam Langer. Peut-être est-ce là un aspect de l'avenir du métier d'écrivain, Conner aurait tort de refuser. Les semaines passent, Adam Langer et son épouse sont sujets à quelques contrariétés. Ayant terminé son roman pour Dex, Conner Joyce recontacte Adam. Au départ, il était excité d'écrire, mais ça ne prenait pas la tournure exigée par Dex.

Au nom de la rentabilité, il fut carrément viré par son éditrice, choisissant définitivement la vulgaire Margot Hetley. C'est alors qu'un scénario lui vint à l'esprit. Dans “Manuscrit sous embargo”, Conner Joyce se défoula sur les travers du monde de l'édition, pouvant désigner pléthore de suspects dans une affaire criminelle. Pas grave s'il y citait de vrais noms, Dex et Pavel seraient les seuls lecteurs. D'ailleurs, Conner toucha la somme qui lui était promise, assurant pour longtemps sa tranquillité financière. Entre-temps, il a menti à son épouse Angie sur le projet en cours, ce qui ne resta pas sans conséquences. La suite des évènements pose un gros problème au romancier. Adam Langer ne tient pas à s'impliquer là-dedans. Écrire un second roman pour Dex, intitulé “Coup du sort”, pourrait sortir Conner Joyce de la panade, ou pas…

Adam Langer : Le contrat Salinger (Éd.10-18, 2016)

Car ils le savaient : sans une poignée de Margot Hetley, le monde de l’édition ne pouvait survivre. C’est pourquoi on leur accordait à peu près tout. Déjeuners dans des restaurants gastronomiques, suites exécutives, voyages en classe affaire et chauffeurs attitrés, c’était le minimum syndical. Les éventuels écarts de conduite étaient, quant à eux, immédiatement pardonnés – à supposer qu’on les ait simplement relevés.
Voilà pourquoi, lorsque la porte du bureau de Shascha Schapiro s’ouvrit sur Margot Hetley en chair et en os, et que cette dernière demanda sans ambages à Conner Joyce : "Putain, mec, tu veux ma photo ou quoi ?", avant de se prendre les seins et de les secouer en disant : "T’as jamais vu de nichons ?", personne ne sentit le besoin de la réprimander et encore moins de s’excuser auprès de l’interpellé…

On ne trouve dans ce roman que des atouts favorables. À commencer par sa construction. Le narrateur est bel et bien Adam Langer. Il nous retrace les mésaventures de son "ami" romancier, en témoin autant que par le récit direct, tout ça avec une remarquable fluidité et des chapitres courts. Une histoire parfaitement addictive. Le postulat (un contrat singulier) est également séduisant. On pense à ces riches notables d'autrefois, qui commandaient des films érotiques à leur seul usage. En plus "élégant", bien sûr, puisqu'il s'agit ici de littérature. Comment ne pas être touché par les références évoquant B.Traven, J.D.Salinger, Harper Lee, auteurs se comportant en ermites après leurs succès ? Pour l'anecdote, il est question de la suite "Écrivain", chambre 813, à l'hôtel Drake de Chicago. En hommage à Arsène Lupin ?

L'Édition et son bizness servent de toile de fond à ce roman. L'industrie culturelle a ses règles de fonctionnement, comme les autres. “Toutes les grandes maisons d'édition ont leur superstar...” C'est grâce aux ventes importantes de ces "locomotives" que chacun est payé, que l'on continue à publier des auteurs peu rentables, qu'on tente de nouveaux talents. Adam Langer ne dénonce pas un fait connu et légitime, s'insurgeant plutôt avec ironie contre des comportements hautains, désagréables et stupides. Quant à son propre personnage, il a aussi son parcours, avec des détails signifiants. Une formule biscornue, que les futurs lecteurs et lectrices comprendront. Riche intrigue diablement maîtrisée, sur le thème du livre et teintée d'humour : on ne peut que savourer avec délectation !

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17 octobre 2016 1 17 /10 /octobre /2016 05:11

Malgré la concurrence du livre numérique, la librairie Barnegat Books existe toujours au cœur de New York. Située sur la 11e Rue-est à Greenwich Village, elle est tenue depuis de nombreuses années par Bernie Rhodenbarr. Il est propriétaire de l’immeuble où se trouve sa boutique. À quelques pas de là, le salon de toilettage Poodle Factory est dirigé par son amie lesbienne Carolyn Kayser. Déjeunant ensemble ou partageant leurs soirées, Bernie ne cache rien à cette fidèle copine. Ni ses rencontres amoureuses, même si le mariage ne fait nullement partie de ses projets. Ni son activité parallèle, plus rémunératrice que la vente de livres, car Bernie est un cambrioleur émérite. Certes, le policier Ray Kirschmann a parfois failli le coincer, mais le libraire lui certifie ne plus être un voleur.

Il existe toutes sortes de collectionneurs. Œuvres d’art, livres rares ou objets insolites, on voit parfois des gens se passionner et payer cher pour alimenter leurs collections. C’est le cas de l’anonyme M.Smith, qui contacte Bernie. Il veut se procurer le manuscrit original de la nouvelle “L’étrange histoire de Benjamin Button”. Il ne s’intéresse pas à la littérature de Francis Scott Fitzgerald. Encore qu’il ne soit pas indifférent à un texte proche de cette nouvelle, dû à un écrivain européen oublié. Bernie se débrouille donc pour aller dérober le manuscrit de Fitzgerald au musée Galtonbrook. Si M.Smith paie comme prévu, Bernie va bientôt comprendre la vraie nature de la collection de son client. Ce dernier aura plus tard une seconde mission à lui confier, qui doit se dérouler en deux temps.

Bernie va vivre une brève relation avec une certaine Janine (est-ce son vrai prénom?). La jeune femme estime qu’il ne concorde pas avec le plan marital qu’elle s’est fixée. Ce qui est assez probable. Quant au policier Ray Kirschmann, il vient voir Bernie à la librairie au sujet d’un cambriolage ayant peut-être entraîné un décès. Il ne le soupçonne pas d’être le coupable. D’ailleurs, on ne sait trop de quoi est morte la vieille Mme Ostermaier. Le choc de tomber sur le voleur en rentrant chez elle ? Peu probable. Après autopsie, la véritable raison laissera sceptique Bernie et le policier. Ray Kirschmann note que le libraire utilise inconsciemment le terme “d’intrus” plutôt que de dire “le cambrioleur”. Il est vrai que la mise en scène apparaît trop soigneuse pour être signée par un simple voleur.

La nouvelle mission, en deux temps, commanditée par M.Smith a pour but de rencontrer M.Leopold, un excentrique logeant dans un immeuble ultra-sécurisé. L’objet unique désiré par M.Smith appartient, à son moindre niveau, à l’Histoire des États-Unis. Bernie ne va pas le voler, mais il peut compter sur Chloe Miller pour s’en charger à sa place, contre une belle rétribution. Elle fera même en sorte que M.Leopold ne suspecte pas le libraire. Pas sûr que toute cette opération laisse un bénéfice à Bernie. Pas plus que de résoudre, avec le policier Ray, le curieux cas du décès de Mme Ostermaier…

Lawrence Block : Le voleur qui comptait les cuillères (Série Noire, 2016)

Tout ce que fait ce manuscrit, ai-je dit, c’est de traîner au sous-sol. Je serais tenté de dire "de prendre la poussière", mais il faudrait qu’il soit à l’air libre pour que la poussière puisse se déposer dessus, alors qu’il est dans une boîte où personne ne le voit jamais. Il est répertorié et catalogué, parce que sinon Smith ne serait pas au courant de son existence, mais comme il porte le titre original de Fitzgerald, les gens du musée ne savent pas ce que c’est. Et ils ne le sauront très probablement jamais parce que personne, là-bas, ne s’y intéresse assez pour le découvrir. Tu sais où se manuscrit devrait être ? À Princeton, avec le reste des archives de l’auteur, et la seule façon dont il pourra y parvenir est que mon ami Smith mette la main dessus et le lègue à l’université…

Voilà bientôt quatre décennies que sévit le libraire Bernie Rhodenbarr, ce pur new-yorkais originaire de l’Ohio. C’est certainement le dernier gentleman-cambrioleur, dans la lignée d’Arsène Lupin. Encore qu’il fasse plutôt référence à Raffles, héros créé par le beau-frère de Conan Doyle, plus célèbre dans le monde anglo-saxon. Si le productif Lawrence Block a écrit par ailleurs des suspenses plus sombres, les aventures de Bernie sont davantage destinées à sourire. (Notons le comique de répétition, avec les portions de cet “Écluse Panama” que Carolyn et Bernie testent à chaque déjeuner). Toutefois, ne nous y trompons pas, la construction du récit montre la superbe maîtrise narrative de l’auteur, toute en souplesse et en péripéties croisées.

Commerçant dans le civil, cet "as de la cambriole" n’en a pas moins une vie personnelle, qui fait autant partie intégrante de l’intrigue. Soulignons que, bien que respectueux de l’objet-livre, Bernie n’est pas aveugle concernant les nouvelles technologies et les modes de vente actuels. Quant aux couples gays ou lesbiens, le sujet est également illustré ici.

On peut supposer que les détails historiques évoqués au cours des tribulations de Bernie soient exact. Par exemple, Alexander Roda Roda (1872-1945) fut bien un écrivain d’autrefois. De même pour l’orfèvre juif américain Myer Myers (1723-1795). Savoir si on y ajoute une part fictionnelle, quelle importance lorsque c’est aussi bien raconté ? Voilà ce qui fait le charme des romans de cet auteur : on se laisse bien volontiers porter par le récit. Encore un excellent titre de Lawrence Block !

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 05:02

Écrivain d’environ trente ans, Félix de Witt travaille sur un projet d’édition visant un "coup médiatique". En 2018, on célébrera un évènement marquant : les cinquante ans de Mai-68. Certes, on a énormément écrit sur le sujet. Pourtant, il y a un épisode dont on connaît mal les détails : la fuite du général de Gaulle à Baden-Baden, le 29 mai. S’il y exista des antagonismes entre eux, le général Massu était néanmoins un frère d’armes du Président de la République. Et son énergique épouse Suzanne pouvait s’accorder avec Yvonne de Gaulle. L’essentiel était de confirmer le soutien des militaires à leur chef. Il reste quelques rares témoins de cette journée exceptionnelle, que Félix va rencontrer (à ses frais).

Il faut être sportif pour converser avec Colonna, qui était alors l’aide-de-camp de Massu, tout en gravissant à pied sous le mauvais temps les pentes du Mont Ventoux. Tout ça pour apprendre que, le soir du 28 mai, une fête fut donnée en l’honneur d’officiers russes chez Massu. Ce qui explique que, les invités ayant semé la pagaille, Suzanne et lui n’étaient guère prêt lors de l’arrivée inopinée du général de Gaulle, le lendemain. À Baden-Baden, Félix avait prévu de rencontrer Endrik Lindenberger, mais il lui fait faux-bond. À l’époque, c’était un gamin qui aimait passer du temps avec son grand-père Gustaff, rescapé des camps soviétiques, alors jardinier-régisseur de la propriété occupée par le couple Massu.

Félix n’est pas loin de renoncer, d’autant que l’éditeur n’est pas vraiment compréhensif. Maruschka Mariotti, la compagne de Félix qui exerce aussi dans la presse et les livres, lui apporte un bon soutien moral. En réalité, Endrik et sa femme négocient directement avec l’éditeur, afin d’obtenir des droits d’auteurs. Quand Félix retourne le voir, Endrik va résoudre ses problèmes dermatologiques, car il est guérisseur. Quant aux faits du 29 mai 1968, Endrik a bien un scoop. Son grand-père découvrit le cadavre d’un officier russe dans la rivière bordant la propriété du général Massu. Au même instant, l’hélicoptère du général de Gaulle atterrissait à quelques mètres de là. Il fallut improviser, avec Suzanne Massu.

Outre l’aide-de-camp Colonna, il reste un autre témoin français. Ce Gatelet assista à une vive altercation en cuisine, lors de la soirée avec ces diables de Russes. Il est fort probable que l’officier ait reçu un coup de couteau fatal à ce moment-là. Le lendemain de la fête, un colonel russe se présenta chez Massu car deux de ses officiers manquaient à l’appel. Le général venait d’être informé par Suzanne qu’un cadavre traînait sur la propriété, et voilà qu’il y avait deux disparus ! Le colonel russe lui-même ne serait pas mécontent de "passer à l’Ouest", d’ailleurs. Sans doute faudra-t-il du temps à Félix pour reconstituer les scènes de cette journée historique, autant que pour définir qui et pourquoi on tua ce Russe…

Tito Topin : De Gaulle n’est pas un auteur de polar (Genèse Éd. 2016)

Vous vous dites : qu’est-ce qu’il fiche ici, le grand Charles ? Eh bien, je vais vous le dire, puisque nous en sommes au stade des confidences : je n’ai pas les moyens de faire face. Rien ne m’obéit plus. Je n’ai plus de gouvernement. Je dis aux ministres ce qu’ils doivent faire et ils ne le font pas. Je dis au Préfet de Police de reprendre l’Odéon, et on m’explique ensuite que ce n’est pas possible. Qu’est-ce que je peux faire ? Alors, ce matin, j’ai demandé au général de Boissieu, mon gendre comme vous le savez, et surtout un homme de valeur, j’ai demandé quelle serait l’attitude de l’armée s’il nous fallait aller à l’épreuve de force.
— Et il vous a répondu qu’elle n’attendait que vos ordres pour agir.
— Ce sont à peu près ses termes en effet, opine de Gaulle. Alors, je me suis dit, allons rendre visite à Massu et voyons s’il est dans le même état d’esprit.

Il s’agit d’une très sympathique comédie à suspense. Malgré tout, il est bon de préciser que les principaux faits sont respectés : ayant ajourné le conseil des ministres, De Gaulle quitte l’Élysée mercredi 29 mai vers 11h15, prétendant qu’il se rend en hélico avec son épouse dans leur propriété de Colombey-les-deux-Églises. En réalité, il fait un "détour" par Baden-Baden afin de rencontrer le général Massu. Effectivement, la veille au soir, ce dernier organisa une réception en l’honneur d’officiers russes. En milieu d’après-midi, semblant ragaillardi, le général de Gaulle repart pour Colombey.

Pourquoi cette escapade outre-Rhin ? “C’est la faute des Français. Vous l’avez dit vous-même, ils me réclament à cor et à cris quand ils ont la trouille, et quand je remets les choses en ordre, quand ils sont rassurés, ils ne pensent plus qu’à leurs prochains congés payés ou à leur belote du dimanche après-midi ; et ils disent entre eux en tapant la carte "Mais il nous fait suer, de Gaule, avec la grandeur de la France !". C’est ça qui est terrible avec eux, il faut leur faire peur si on veut les avoir avec soi” explique le chef de l’État. Un coup politico-médiatique dans la tradition du général de Gaulle ? On peut en discuter, car quelques personnes de son entourage l’ont confirmé : il avait peur pour lui et les siens. Si de Gaulle restait un comédien chevronné, son aura glorieuse et sa politique commençaient à être caduques. Ne comprenant pas ce qui se passait, il prit la fuite, avant de se ressaisir.

Contexte historique bien réel, auquel s’ajoute une intrigue criminelle. Avec cette tonalité enjouée et fluide qui sied aux meilleurs polars. Notons aussi quelques réflexions douces-amères sur le monde de l’édition. Étant l’auteur d’une bonne trentaine de romans, on peut compter sur Tito Topin pour nous présenter un roman solide et souriant.

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15 octobre 2016 6 15 /10 /octobre /2016 04:58

Stephen King nous propose un recueil de vingt nouvelles, avec chacune leur présentation par lui-même. Explorons-en quelques-unes.

-“Batman et Robin ont un accrochage” : À San Antonio, au Texas, le sexagénaire Dougie Sanderson sort chaque dimanche son père de l’unité de soins où il vit, pour déjeuner tous les deux, toujours au même restaurant. Atteint d’Alzheimer, le vieux Pop ne différencie pas Dougie de son défunt frère Reggie, mort il y a longtemps. Tout comme son épouse, qu’il évoque vaguement parfois. Par contre, Pop se souvient de cet Halloween où Dougie et lui s’étaient déguisés en super-héros. Ce jour-là, cet ancien ouvrier du pétrole reconverti en bijoutier était complètement ivre. Par la suite, plus jamais Pop ne parut saoul devant son épouse, mais ce fut une sacrée expérience. Après le repas dominical, il est temps pour Dougie de reconduire son père. C’est là que les choses vont se gâter…

-“Après-vie” : Atteint d’un cancer, William Andrews vient de mourir. Du moins, les douleurs qui l’accablaient ont-elles disparu, tandis qu’il se sentait nimbé d’une lumière blanche. Le voilà dans un corridor, qu’il interprète comme étant le Purgatoire. Sur un mur, des photos d’une fête d’entreprise en 1956. C’est l’année de sa naissance. Il pénètre dans un bureau, datant de 1911, où il est reçu par un certain Harris. Cet homme-là, qui a un passé un peu trouble, est condamné à attendre ― en voyant défiler des crétins de pèlerins tels que Bill Andrews. Ce dernier admet intérieurement qu’il y a une poignée d’épisodes de sa vie dont il n’est pas fier. Pas seulement à cause de son emploi dans la finance qui a ruiné beaucoup de gens. Harris lui propose un choix cornélien entre deux portes de sortie…

-“Premium Harmony” : À Castle Rock, dans le Maine, Ray et Mary Burkett sont mariés depuis dix ans. Ne roulant pas sur l’or, ils se chicanent très souvent au sujet de leurs dépenses. Ray fume moins, encore trop selon sa femme ; en surpoids, Mary devrait moins manger ; et puis il faut nourrir leur chien Biz. Néanmoins, ce jour-là, le couple va faire quelques courses dans des commerces discount. Mary insiste pour s’arrêter au magasin tenu par M.Ghosh. Malgré la chaleur, Ray et Biz attendent dans la voiture. Si Mary n’est pas de retour, c’est parce qu’il s’est produit un grave problème…

-“Le petit dieu vert de l’agonie” : Dans le Vermont, Katherine MacDonald est l’infirmière d’Andrew Newsome, un des hommes les plus riches du monde. Suite au crash d’un avion, il a été éjecté de l’appareil en flammes deux ans plus tôt. Gravement blessé, alité depuis cet accident, il a consulté les meilleurs médecins de la planète. S’il est réparé physiquement, Newsome cherche le moyen de faire cesser l’intense douleur qui l’habite. Kat pense qu’il lui suffirait d’une plus grande volonté psychologique pour remarcher, comme le suggéra un médecin pakistanais de Californie. Ce jour-là, Newsome a fait venir un pasteur exorciste auquel il raconte ses malheurs, que Kat entend une fois de plus. Encore un charlatan qui va profiter de l’état de son patient ? Extirper la douleur de son corps n’est pas sans risque, pour les personnes présentes…

-“Une mort” : Dans une petite ville, au temps de l’Ouest sauvage. Le shérif Barclay procède à l’arrestation de Jim Trusdale. Ce bon-à-rien est soupçonné du meurtre de la petite Rebecca. Ce qui incrimine fortement Trusdale, c’est son chapeau. Le suspect, aux idées peu claires et à l’intelligence limitée, dit l’avoir égaré quand il se trouvait au saloon. Le dollar d’argent que le coupable a volé à la Rebecca, voilà la preuve que le shérif Barclay voudrait retrouver sur Trusdale. Quand arrive son procès, l’accusé persiste à nier, répétant qu’il ne connaissait pas la jeune victime. Bien que les parents de Rebecca et la population soient convaincus que s’impose la pendaison de l’assassin, le shérif s’interroge. Le dollar d’argent volé eût été le seul élément démontrant formellement le rôle de Trusdale…

Stephen King : Le bazar des mauvais rêves (Albin Michel, 2016)

Dans le préambule de ce recueil, Stephen King nous explique : “Quand il s’agit d’écrire de la fiction, longue ou courte, la courbe d’apprentissage ne s’interrompt jamais. Je suis peut-être un Écrivain Professionnel au yeux du Fisc lorsque je remplis ma déclaration d’impôts, mais d’un point de vue créatif, je suis toujours un amateur, je continue d’apprendre mon métier. Nous le sommes tous. Chaque journée passée à écrire est une expérience éducative et une bataille pour se renouveler. La facilité n’est pas permise. On ne peut pas agrandir son talent – il est livré d’origine – mais on peut lui éviter de rétrécir. C’est du moins ce que j’aime à penser. Et puis, eh ! j’adore toujours autant ça !”

Personne ne contestera que Stephen King soit généralement excellent quand il écrit ses romans. Il n’est pas moins habile, voire inspiré, lorsqu’il s’agit de nouvelles, plus ou moins longues. Il suffit d’une étincelle pour allumer le feu créatif chez ce remarquable conteur, et son plaisir de raconter alimente naturellement le récit. Des moments de douleur tels qu’il les a éprouvés, ou de brèves anecdotes aperçues, les sources ne manquent pas. Dans certains cas, l’idée initiale remonte à loin, exploitée ici au plus près du perfectionnisme de l’auteur. Si possible ne jamais décevoir, c’est assurément son credo, son obsession.

Détestables, irritants ou touchants, les personnages qu’il fait vivre (et mourir) suscitent une belle empathie. Qu’il flirte avec le genre Fantastique, avec le suspense énigmatique, ou qu’il nous décrive un épisode du quotidien, Stephen King fait toujours mouche. Quelques-uns de ces textes nous attirent moins ? Pourtant, quand on entame leur lecture, on continue jusqu’au dénouement. Est-ce à dire qu’il nous ensorcelle ? Peut-être, mais pas grâce à une recette magique. C’est la passion de la littérature populaire qui anime encore et toujours Stephen King, pour notre plus grand plaisir de lecteurs.

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