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14 février 2019 4 14 /02 /février /2019 05:55

De passage à Bruxelles, le commissaire Maigret remarque dans un café un individu suspect. Bien que modestement vêtu, il semble disposer d’une grosse somme d'argent liquide. Maigret le prend en filature, par le train. L’inconnu passe par la gare de Neuschanz, à la frontière entre Hollande et Allemagne, avant de prendre le train pour Brême. Là, l'homme prend une chambre d'hôtel, Maigret louant la chambre voisine. L'homme s’aperçoit de la substitution de sa valise, opérée par le commissaire à Neuschanz. Il se suicide d'un coup de revolver. Dans la valise échangée, Maigret trouve de vieux vêtements tachés de sang. Si l’homme possédait un passeport au nom de Louis Jeunet, il s’agissait de faux-papiers. Les vêtements sont analysés par la police scientifique, tandis que le corps est rapatrié en France.

À la morgue de Paris, se manifeste un nommé Joseph Van Damme, qui se présente comme homme d’affaires. Maigret apprend que le soi-disant Jeunet se nomme en réalité Lecocq d'Arneville, originaire de Liège. C’est à Reims que le policier poursuit son enquête. Lecocq semblait y être en relation avec Belloir, sous-directeur de banque. Chez ce dernier, Maigret retrouve Van Damme, en compagnie de Lombard, photograveur à Liège, et de Janin, sculpteur à Paris : tous sont originaires de Liège. C'est logiquement à Liège que Maigret poursuit ses investigations. Il y retrouve le trio Van Damme, Belloir et Lombard. Un séjour qui ne sera pas sans danger pour le commissaire. Mais c’est ainsi qu’il découvre l’origine de l’affaire, remontant à dix ans.

Lorsqu'ils étaient étudiants, Van Damme et ses amis avaient créé une sorte de société secrète, les Compagnons de l'Apocalypse, dont faisait aussi partie Willy Mortier, plus riche qu'eux. Dans l'atmosphère morbide du taudis de Klein – le plus désargenté d’entre eux, se déroulaient des nuits d'orgies, cultivant leurs idées libertaires et excentriques. Une nuit de Noël, Klein tua Mortier avec l'aide de Belloir, devant les autres restés passifs. Les six étudiants firent disparaître le cadavre et se dispersèrent, sauf Lecocq d'Arneville et Klein, les plus pauvres et les plus faibles. Klein se suicida bientôt. Pour les autres, la vie continua, chacun s’efforçant d’oublier cet épisode tragique. Mais Lecocq d'Arneville restait hanté par leur crime…

Georges Simenon : Le pendu de Saint-Pholien (Omnibus, 2019 - Tout Maigret, tome 1)

Tant de choses ont été écrites, faisant l’éloge de Georges Simenon, sa vie, son œuvre, ses Maigret, son succès international, les multiples adaptations de ses romans. Il n’est donc pas indispensable d’en rajouter. Peut-être pourra-t-on souligner que, à l’instar de Sherlock Holmes ou Arsène Lupin, Maigret est un héros sans vrai prédécesseur. Si des enquêteurs ou des commissaires de police apparaissent auparavant dans des romans, ils n’ont pas le rôle endossé par Maigret, policier pétri de psychologie. Les passionnés de roman noir pur et dur se refusent généralement à l’inclure dans cette catégorie. Sans doute ont-ils tort.

Personne ne contestera que l’éditeur François Guérif, créateur de la collection Rivages/Noir, fasse autorité en matière de roman noir. Dans “Du polar” (Éd. Payot & Rivages, 2013), il cite parmi ses "Cent polars préférés", “Le pendu de Saint-Pholien”, Maigret de 1931, dont le dénouement ne manque pas de noirceur, et rectifie certains clichés concernant Georges Simenon :

Simenon écrit des choses qui peuvent être assimilées au roman noir. D’une certaine façon, Maigret est un détective on ne peut plus classique. Mais en même temps, c’est du pur roman noir, dans le sens où ça n’est pas tellement l’identité du coupable qui compte mais la manière dont Maigret écoute, regarde, s’imprègne de la personnalité même de l’assassin… Très souvent il ne juge pas, d’ailleurs. En plus, à côté des Maigret, Simenon écrit toute une série de romans très noirs. “La neige était sale”, par exemple.

Il ira même un temps vivre aux États-Unis, et écrire des romans noirs "à la manière de"…

Non pas "à la manière de". Au contraire, il est pour moi l’exemple même de quelqu’un pour qui le roman policier, c’est un roman social par excellence. Et quand il est aux États-Unis, il n’écrit plus du tout sur ce qu’il a vu en France, mais sur ce qu’il voit sur place. C’est le reflet qui l’intéresse. Ce n’est pas "à la manière de" […] Il n’y a pas d’équivalent de Hammett parce que la réalité française n’est pas la réalité américaine. Il n’y a pas la prohibition en France, et la délinquance n’est pas la même. C’est autre chose. Une certaine bourgeoisie criminelle que l’on retrouve chez Simenon par exemple. Simenon, d’une certaine façon, précède James Cain : dans le romans noirs de ces deux auteurs c’est souvent le sexe, la passion, des trucs comme ça qui amènent le meurtre. Et dès ses premiers romans, Simenon baigne dans ce genre d’intrigues.”

Simenon est l’auteur (sous son propre nom) de 192 romans, 158 nouvelles, 75 Maigret, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages. Omnibus réédite en dix volumes "Tout Maigret", avec des couvertures originales de Loustal. Pierre Assouline signe une préface inédite pour le Tome 1,qui regroupe les huit premiers Maigret parus en 1931. La préface du Tome 2 est de Franck Bouysse, celle du Tome 3 de Philippe Claudel. Une bonne manière de redécouvrir l’univers du commissaire Maigret.

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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 05:55

Cette nuit-là, un détenu condamné à mort parvient à s’évader de la prison de la Santé, à Paris. Sous l’œil bienveillant du commissaire Maigret, en présence du juge Coméliau et du directeur de la prison, l’observant discrètement. C’est une initiative de Maigret, qui ne croit pas (ou plus) à la culpabilité de Joseph Heurtin, le détenu de vingt-sept ans pourtant condamné à la peine de mort. La peine capitale se justifiait par les dix-huit coups de couteau assénés aux victimes. Deux inspecteurs ont pris l’homme en filature, tandis que Maigret patiente toute la nuit dans son bureau, relisant le dossier. “Des rapports, des coupures de journaux, des procès-verbaux, des photographies, avaient glissé sur le bureau, et Maigret les regardait de loin, attirant parfois un document vers lui, moins pour le lire que pour fixer sa pensée.” Hurtin fut notamment trahi par ses chaussures.

Le commissaire espère que l’évadé va le mener sur la piste du véritable assassin. Heurtin ne semble trop savoir où se réfugier. C’est finalement à La Citanguette, un bistrot pour mariniers qui loue des chambres, qu’il va faire halte et se reposer. Quelques heures plus tard, le commissaire s’installe à son tour dans un hôtel face à La Citanguette, afin de surveiller l’homme. À l’origine, pour Maigret, l’affaire paraissait simple. À Saint-Cloud, Mme Henderson, riche veuve américaine, et sa femme de chambre, Élise Chatrier, ont été assassinées dans leur villa. Pas de vol. Un double meurtre sanglant. Il s’avère qu’Heurtin, livreur de son métier, était présent sur les lieux. Mais le policier comprit que le crime ne correspondait pas au suspect.

C’est presque par hasard que Maigret remarque, dans le quartier de Montparnasse, un jeune homme interpellé pour grivèlerie. Jean Radek, vingt-cinq ans, est un Tchèque né à Brno de père inconnu, d’une mère domestique. Il a beaucoup voyagé à travers l’Europe, suivi des études en France. Le commissaire réalise bientôt être face à personnage hors norme, un orgueilleux au cerveau complexe : “Vous connaissez comme moi la psychologie des différentes sortes de criminels. Eh bien ! Nous ne connaissions ni l’un ni l’autre celle d’un Radek. Voilà huit jours que je vis avec lui, que je l’observe, que j’essaie de pénétrer sa pensée. Huit jours que je vais de stupeur en stupeur et qu’il me déroute. Une mentalité qui échappe à toutes nos classifications. Et c’est pourquoi il n’aurait jamais été inquiété s’il n’avait éprouvé l’obscur besoin de se faire prendre.” Cerner ce Radek et son degré de responsabilité criminelle s’annonce compliqué, mais la tête d’un homme est en jeu…

Georges Simenon : La tête d’un homme (Omnibus, Tout Maigret 1 – 2019)

Georges Simenon (1903-1989) est l'auteur francophone le plus traduit à travers le monde, l'un des plus adaptés au cinéma et à la télévision. Il publia ses premiers romans sous pseudonyme dès 1921, acquit la notoriété grâce à Maigret dès 1931, publiant son dernier titre en 1972, cinquante ans durant lesquels il décrit la société en s’attachant aux personnages. “L'homme  en tête à tête avec son destin [qui] est, je pense, le ressort suprême du roman." ("Le romancier", 1945). Sous son nom, Simenon est l’auteur de 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages. Omnibus réédite en dix volumes "Tout Maigret", agrémenté de couvertures originales créées par Loustal. Biographe de Simenon, Pierre Assouline signe une préface inédite. Maigret, ce sont 75 romans et 28 nouvelles. Le tome 1 regroupe les huit premiers Maigret parus en 1931. La préface du Tome 2 est de Franck Bouysse, celle du Tome 3 de Philippe Claudel.

Le Dictionnaire des Littératures Policières (Ed.Joseph K, 2007) nous présente un portrait de ce policier ordinaire, né au château de Saint-Fiacre où son père était régisseur :“Sous son allure toujours plébéienne, le fis de paysan devient fonctionnaire et petit bourgeois. Les lecteurs le découvrent dans la quarantaine, pesant, massif sous son chapeau melon (il passera plus tard au feutre mou) et son gros pardessus noir, la pipe au bec, mains dans les poches…” On nous explique que Maigret, même s’il ne dédaigne pas les indices scientifiques, s’empreigne surtout des ambiances autant que des caractères qu’il discerne chez ses interlocuteurs. Plutôt avare de paroles, il ne s’affiche pas frontalement en adversaire, mais cherche la personnalité psychologique des suspects.

Les partisans du pur roman noir ou du thriller ont souvent ironisé sur Simenon. Pourtant, la sociologie est assez équivalente à celles des grands auteurs de ces catégories. Dans “Le polar pour les Nuls” (First Ed, 2018), Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat soulignent : “Si les enquêtes chez les aristocrates ou les grands bourgeois sont moins nombreuses, celles qui emmènent le lecteur dans les classes moyennes ou laborieuses couvrent un champ social considérable, justifiant la boutade de Marcel Aymé : "Un Balzac du 20e siècle, sans les longueurs." Pour autant, les mobiles changent peu d’une classe à l’autre : l’amour, la jalousie, l’argent, la vengeance.” Les auteures citent encore cette explication de sa manière, par Georges Simenon :“J’essaie de faire les phrases le plus simples avec les mots les plus simples. J’écris avec des mots-matière. Le mot vent, le mot chaud, le mot froid. Les mots-matière sont les équivalents des couleurs pures.” (in Le Monde, 1965)

Maigret reste un des héros incontournables de la littérature policière, témoin de son époque. C’est avec un infini plaisir que l’on redécouvre son œuvre.

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28 janvier 2019 1 28 /01 /janvier /2019 05:55

Fabien Lefèvre est un enfant de dix ans, habitant rue Berger à Paris. C’est le fis d’un chirurgien de l’Hôpital de la Pitié, et d’une mère d’allure souffreteuse qui est en fait une sacrée fêtarde. C’est l’employée de maison lusitanienne Flora qui s’occupe de lui. Le matin, elle l’accompagne à son école, non loin de chez eux. En ce 25 avril, c’est l’anniversaire de Fabien, important pour lui, mais il sent bien que ça n’intéresse guère ses proches. Alors qu’il arrive avec Flora devant l’école, Fabien est intercepté par deux hommes masqués de noir, qui le kidnappent. Marie-Claude Janvier, jeune agent de police chargée de sécuriser les abords de l’établissement, s’interpose avant d’être embarquée avec Fabien dans le véhicule volé des ravisseurs.

Un tel enlèvement au cœur de Paris ne peut qu’avoir de nombreux témoins. Les médias sont rapidement alertés. Les autorités se doivent de réagir vite. L’enquête va être confiée au commissaire Pascal Cros, policier chevronné de l’Office Central de Répression du Banditisme. Il sera assisté par l’inspecteur principal Amédée Vidalon. La hiérarchie exige des résultats, les médias sont à l’affût, la France entière est informée de l’affaire. Le commissaire Cros mène les investigations dans les règles de l’art. Il interroge les parents, surtout le père – médecin aisé, mais pas plus fortuné qu’un autre. Un couple mal assorti, il s’en aperçoit. Ce dernier prétendra que les ravisseurs ne l’ont pas contacté pour une rançon, mais le policier est bientôt convaincu du contraire. Par ailleurs, les enquêteurs cherchent à identifier les deux Noirs, bien que ce ne soit nullement leur couleur de peau.

L’équipe des ravisseurs se compose de quatre personnes, trois hommes et une femme. S’ils avaient aménagé un logement pour séquestrer le petit Fabien, la gardienne de la paix Marie-Claude Janvier n’était pas prévue au programme. L’enfant ne dramatise pas ce kidnapping. S’adaptant aux mieux, le duo passe le temps en attendant la suite. La cohabitation entre eux est heureusement harmonieuse. Marie-Claude commence à comprendre l’état d’esprit de Fabien. Pour les ravisseurs, tout se passe selon le plan prévu. Le commissaire Cros se demande toujours pourquoi on s’en est pris à ce médecin en particulier. Bien que sous surveillance policière, y compris à l’hôpital, le docteur Lefèvre réussit à transmettre la rançon qu’il a pu réunir.

Marie-Claude est consciente que, une fois versée la somme demandée pour le gamin, elle devient un élément gênant pour les ravisseurs – qui l’élimineront peut-être. Mais il se présente une occasion de s’évader. Au centre d’une pareille aventure donnant du piment à son dixième anniversaire, Fabien n’y tient pas vraiment. S’étant attaché à la jeune agent de police, il accepte néanmoins ce qu’elle a prévu pour fuir. Toutefois, les ravisseurs – toujours pas identifiés par les services du commissaire Cros – vont tenter de les en empêcher. Si elle ne manque ni de volonté ni de sang-froid, Marie-Claude maîtrisera-elle la situation jusqu’au bout ? Rien n’est moins sûr…

Pierre Nemours : Un môme sans illusion (Fleuve Noir, 1981)

Elle est consciente de vivre un drame, dans lequel sa vie est en jeu. Elle se sait au centre, avec Fabien, d’une tragédie qui doit résonner dans la France entière, mais l’inconscience du gamin la déconcerte. Se joue-t-il, pour lui-même, le rôle du fils de milliardaire aux mains de gangsters sans pitié comme dans tel feuilleton télé ? Non, car il aurait alors tendance à dramatiser le tragique de la situation. La vérité qui s’impose peu à peu à Marie-Claude est à la fois bien plus simple et plus effarante : Fabien n’est pas fâché de cette aventure, parce que c’est plus marrant que l’école et la maison, et qu’au surplus ça fait chier ses parents.
Mare-Claude a été une petite fille et une adolescente heureuse, entre un père et une mère modestes mais attentifs et chaleureux. Elle découvre soudain un gouffre dans les relations entre ce gosse de riche et ses auteurs. Et derrière la pseudo-inconscience, peut-être une infinie détresse.

Ce “Môme sans illusion” fut un des derniers romans publiés en 1981 par Pierre Nemours, décédé l’année suivante à l’âge de soixante-deux ans. Auteur de romans d’espionnage, de sujets historiques toujours parfaitement documentés, et d’histoires à suspense dans la collection Spécial-Police du Fleuve Noir, Pierre Nemours fut un des piliers de ces éditions. Peut-être cet artisan très productif fut-il moins "reconnu" dans les milieux du polar, injustement. Pourtant, ses intrigues bénéficient d’une narration agréablement fluide, et ses scénarios s’avèrent sans défauts. Aujourd’hui, quelques-uns de ses livres sont disponibles en version numérique chez French Pulp Éditions.

Si le thème des enlèvements d’enfants est un classique de la littérature policière, Pierre Nemours y ajoute ici une part psychologique non négligeable. Car le petit héros de ce rapt est un enfant intelligent et lucide. Et la gardienne de la paix qui se trouve entraînée avec lui analyse bientôt son caractère. Tout cela sans la moindre pesanteur bavarde, en suivant simplement les faits.

“Un môme sans illusion” fait partie des bons titres de Pierre Nemours, à redécouvrir.

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26 janvier 2019 6 26 /01 /janvier /2019 05:55

Âgé de quarante-cinq ans, Thomas Denning est un aviateur célèbre en Grande-Bretagne, fondateur et président du Consortium des constructions aéronautiques portant son nom, ce qui a fait sa fortune. Il est marié à Kay ; ils ont une fille de dix-neuf ans Liz. Ces temps derniers, Thomas Denning apparaît terriblement perturbé : crise de somnambulisme, cauchemars où il se voit condamné à mort par un tribunal. Kay et Liz ont de sérieuses raisons de s’interroger. Lui qui ne buvait pas abuse maintenant de l’alcool, mais c’est loin de tout expliquer. Cette pression pourrait le conduire au suicide, provoquer un accident d’avion étant facile pour lui. Mais Kay Denning, épouse attentive, de plus en plus anxieuse quant à son état, finit par susciter les confidences de son mari.

Liz s’était entichée d’un drôle de soupirant. Victor Mados, quadragénaire argentin, avait tout le profil de l’aventurier, escroquant les femmes riches et crédules. Afin que cesse leur relation, Denning prit rendez-vous avec lui à son hôtel. Il appliqua le plan qu’il avait établi afin d’écarter ce diable de Mados, tout se passant bien jusqu’à un certain point. Une petite bagarre entre eux provoqua accidentellement le décès de l’Argentin. Effacer ses traces, faire disparaître ce qui pouvait indiquer un lien avec Liz, ce n’était pas le plus difficile. Mais il y avait encore les bagages de Mados à évacuer de l’hôtel, et surtout le cadavre à faire disparaître. Homme de réflexion, Denning profita ce soir-là de l’absence de Kay et Liz pour cogiter sur la suite. Il plaça le corps dans la malle arrière de sa Rolls-Royce.

Se débarrasser du corps fut émaillé de menus incidents, telle l’intervention d’un motard de la police. Malgré tout, il finit par jeter la dépouille de Mados dans un fossé où – espérait-il – on mettrait un peu de temps à le retrouver, du côté de Ledstone. Quant à identifier l’Argentin, Denning avait fait en sorte que ce ne soit pas possible. Pendant les deux mois suivants, il bénéficia du plein soutien de son épouse Kay. Le cadavre n’ayant pas été découvert, il ne semblait pas y avoir de conséquences à redouter. Quand le couple retourna sur le lieu où Denning avait placé le cadavre, il avait disparu. Bien qu’ayant consulté les archives du journal local et tenté de se renseigner à la morgue, aucune info utile pour Denning. Se dessina seulement la piste d’un couple de bohémiens ayant peut-être campé non loin du fossé au cadavre.

Entre-temps, venu des États-Unis, ami de Denning, Chick Eddowes entra dans leur cercle familial. Avocat de trente-cinq ans, il ne tarda pas à plaire à Liz. Après avoir défendu le couple de Gitans, il entreprit de creuser davantage autour de l’affaire. Et c’est ainsi qu’il finit par tomber sur un cadavre dans un fossé, celui de Victor Mados. Ce qui lui permit d’élaborer de brillantes théories, d’ailleurs faussées par la version de Thomas Denning. Relancer l’affaire présenta-t-il un risque pour ce dernier ? Dans une affaire embrouillée, il faut s’attendre à tout…

Alec Coppel : L’assassin revient toujours (Série Noire, 1953)

Alec Coppel est un écrivain, dramaturge et scénariste né en 1907 en Australie, et mort en 1972 à Londres. Installé aux États-Unis, il collabore entre autres avec Alfred Hitchcock sur La main au collet” ou “Vertigo” (Sueurs froides, d'après un roman de Boileau-Narcejac). Il ne publia que six romans à suspense, dont seulement trois furent traduits en français : Scotland Yard en échec (1949, Albin Michel, coll.Le Limier) ; L'assassin revient toujours (Série Noire, 1953), qu’il transposa au cinéma, avec dans les principaux rôles John Mills, Phyllis Calvert, Sam Wanamaker, Herbert Lom, Bernard Lee) ; “Choc” (1966, Presses de la Cité, coll. Un mystère). Son œuvre d’auteur de pièces de théâtre et de scénariste pour le cinéma est bien plus conséquente.

On aura bien compris qu’Alec Coppel ne figure pas parmi les "auteurs mythiques" vénérés par les aficionados du roman noir. C’est le cas de beaucoup de romanciers dont les parutions furent trop épisodiques pour retenir l’attention, ou d’autres dont les intrigues – pourtant parfaitement construites et racontées – ont pu sembler trop basiques aux passionnés. La qualité première de ce type de roman était de disposer de scénarios malins. En reprenant des sujets solides – ici, un bel exemple de ce que l’on nomma un "cadavre cavaleur". Certes, comparée à l’intensité de beaucoup d’intrigues actuelles, la pression nous apparaîtra assez légère. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit trop faible. Mais on est dans cette Angleterre où l’on conserve son self-control.

Ne nous bornons pas aux valeurs sûres, ne négligeons pas des romans oubliés. Ils nous offrent encore d’excellents moments de lecture. Avec L’assassin revient toujours”, on passe un très bon moment.

Alec Coppel : L’assassin revient toujours (Série Noire, 1953)
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12 janvier 2019 6 12 /01 /janvier /2019 05:55

New York, juillet 1959, dans le quartier de Harlem, en majorité peuplé de Noirs. Cette nuit-là, c’est la veillée de funérailles avant les obsèques du vieux Big Joe Pullen. Celui-ci fut cuisinier de wagon-restaurant pendant plus de vingt ans sur le Pensylvania Railroad. Au troisième étage de cet immeuble, la nuit s’est bien passée malgré quelques bisbilles entre des jeunes femmes présentes. La vieille Mamie Pullen, la veuve, a raisonné les unes et les autres. Le premier incident viendra du pasteur Short, de l’Église de la Sainte-Culbute, présent avec eux. Alors qu’il se penche à une fenêtre de l’appartement, il est déséquilibré et chute. Heureusement pour lui, Dieu veille : le pasteur Short tombe dans la grande panière où l’épicier du coin stocke ses pains. Plus de peur que de mal.

Néanmoins, le pasteur Short remonte, furibond, chez Mamie Pullen. Short accuse Chink Charlie, un barman invité, de l’avoir poussé. Il est vrai que Chink n’a pas bonne réputation parmi les amis des Pullen. Quand tous se précipitent à la fenêtre, ils aperçoivent un autre corps allongé sur la réserve de pains. Mais celui-là est bien mort, poignardé avec un couteau spécifique. Le cadavre est celui de Val Haines, le frère de Dulcy, la jeune épouse de Johnny Perry – ce dernier étant une figure du quartier. Après de houleux débuts dans la vie, c’est grâce au couple Pullen que Johnny Perry (aujourd’hui âgé de quarante-six ans) s’installa, créant son propre Club. Il s’est montré plutôt généreux envers son beau-frère depuis son mariage récent avec Dulcy.

Le défaut bien connu de Johnny Perry, c’est sa jalousie. Pus jeune que lui, Dulcy ne paraît pas être un modèle de vertu, c’est un fait. Si c’est l’inspecteur Brody, de la Criminelle, qui dirige les interrogatoires des invités de la veille funéraire, les inspecteurs Fossoyeur Jones et Ed Cercueil y assistent – non sans scepticisme. Chink Charlie, accusé par le révérend Short, ferait un bon suspect, pourquoi pas ? Mais le côté délirant de Short incite à la plus grande prudence. Les autres "témoins" n’ont pas vu ce qui s’était produit. Mamie Pullen trace le portrait de leur petit groupe, ne soupçonnant guère Johnny Perry du meurtre. Ce dernier prétend être totalement étranger à l’affaire. Avec sa voyante Cadillac, on l’aurait certainement remarqué s’il avait été dans les parages à l’heure du crime.

Fossoyeur Jones et Ed Cercueil comptent utiliser une autre méthode. Puisque tout commence par le vol d’un sac de pièce de l’épicier, autant retrouver ce Pauvre Mec qui a fait le coup. Ce minable, amateur de billard, était trop pressé de prendre la fuite pour remarquer quoi que ce soit. Malgré leurs investigations chez les indics et autres dealers, Fossoyeur Jones et Ed Cercueil risquent de ne récolter que bien peu d’éléments. Après les obsèques de Big Joe, menés avec une ferveur hallucinée par le révérend Short, une bagarre se produit entre le jaloux Johnny Perry et Chink Charllie. La patience et la tolérance de Johnny ont leurs limites, y compris envers le révérend. Fossoyeur Jones et Ed Cercueil parviendront-ils à trouver le coupable ? Rien n’est moins sûr…

Chester Himes : Couché dans le pain (Série Noire, 1959)

Les premiers interrogatoires furent menés par un autre sergent, l’inspecteur Brody, de la Criminelle, en présence des inspecteurs Jones, alias "Fossoyeur," et Johnson, alias "Ed Cercueil".
Ils eurent lieu dans une pièce insonorisée du rez-de-chaussée, baptisée par la pègre de Harlem : "La Bergerie". On disait, en effet, que le client le plus coriace, s’il y marinait longtemps, se transformait toujours en "mouton".
La pièce était éclairée par le cône lumineux d’un plafonnier de trois cent watts braqué sur un petit tabouret vissé dans le plancher, au beau milieu de la pièce. Les innombrables suspects qui s’étaient assis et tortillés sur ce tabouret l’avaient poli comme un miroir.
Le sergent Brody était assis, les coudes sur un vaste bureau déglingué, à côté de la porte. Le bureau se trouvait un peu à l’extérieur de la zone d’ombre qui devait dissimuler le policier chargé de l’interrogatoire aux yeux du suspect qui grillait sous la lumière aveuglante du projecteur.
À une extrémité du bureau, un sténo de la police était assis sur une chaise à dossier droit, son calepin ouvert devant lui.

Ce roman de 1959 (The Crazy Kill / A Jealous Man Can't Win), troisième enquête d’Ed Cercueil et Fossoyeur Jones n’est assurément pas le plus connu de Chester Himes (1909-1984). Grand Prix de Littérature Policière 1958, transposé au cinéma, La reine des pommes” (Rage in Harlem) reste sans nul doute son titre le plus célèbre. Malgré tout, “Couché dans le pain” est un roman extrêmement sympathique. Bien entendu, il s’agit d’une véritable enquête, avec ses énigmes. Et une belle part d’humour (ah, l’Église de la Sainte-Culbute et son prêcheur avec ses visions). Ce qui prime, ce sont les délicieux portraits des protagonistes, authentiques habitants afro-américains de Harlem, qui apparaissent très crédibles. Tout le monde n’y appartient pas à la pègre, ni à des milieux troubles : “Il y a aussi des coupes légitimes à Harlem, fit observer gentiment Fossoyeur”.

Les policiers Noirs désabusés de Harlem, Fossoyeur Jones et Ed Cercueil, illustrent le double problème de leur communauté : la violence et les combines y sont bien présentes, ce qui contribue au racisme contre eux. Quant au thème abordé, c’est la jalousie. Sentiment exacerbé entre homme et femme, mais pas seulement. Car la réussite sociale d’un Johnny Perry attise également l’hostilité à son encontre. “Un travailleur peut pas jouer et un jaloux peut pas gagner, dit Johnny, citant le vieil adage des flambeurs.” Il en a tiré une certaine sagesse, ce qui n’exclut pas une éventuelle culpabilité. Ce roman est une bonne façon de découvrir (ou de redécouvrir) Chester Himes.

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4 janvier 2019 5 04 /01 /janvier /2019 05:55

Gabriel Lecouvreur est surnommé par ses amis Le Poulpe à cause de ses longs bras semblables aux tentacules de cet octopode. C’est un enquêteur indépendant qui aime fouiner dans les faits divers, à la recherche de situations pouvant souligner certains dysfonctionnements de nos sociétés actuelles. Sans être un justicier, Le Poulpe n’hésite pas à régler des comptes, au besoin. Cette fois, c’est à Toulouse que se produisent deux affaires concomitantes. La jeune Marie et son compagnon Paco Escobar assistaient à une soirée à l’Opéra de Toulouse, quand elle fut la cible d’un tir mortel. Sous l’effet de la peur, Paco a disparu. Dans le même temps, René Blanchon est mort dans l’explosion de sa villa, un acte criminel. Il était entre autres copropriétaire du club Le Bambou. Son employée Caroline Lebedel, qui logeait chez lui, avait été agressée peu avant. Elle est hospitalisée.

Gabriel Lecouvreur se rend sans délai à Toulouse. À l’adresse de Paco Escobar, pas de trace du jeune homme. Mais il tombe sur Pascal Destains, son colocataire. Connaissant bien la ville, Pascal peut utilement l’aiguiller dans son enquête. C’est par son intermédiaire que Gabriel rencontre Michèle Casanueva, séduisante journaliste locale – à laquelle ce diable de Gabriel ne saurait résister longtemps. Le parcours de René Blanchon ne manquait pas de singularité : il fut d’abord militant syndical dans l’aéronautique, avant de sa lancer dans les affaires commerciales. Outre le club Le Bambou, il créa Restoplus, une société de restauration collective en constant développement. Dans toutes ses sociétés, il avait des associés, chacun tirant parti financièrement du succès de ses initiatives. Qu’il se soit fait des ennemis au fil du temps est plus que probable.

Avec Pascal, Le Poulpe fait un passage au club Le Bambou, où les associés du défunt sont bavards et peu discrets. S’introduire à l’hôpital afin d’interroger Caroline Lebedel n’est pas si simple, malgré l’aide de Pascal. D’ailleurs, la jeune femme dit ignorer les raisons du meurtre de son patron. C’est du côté de la société aéronautique et du syndicalisme qu’il espère des réponses. La réputation de René Blanchon y reste très mauvaise, sachant qu’il a, en son temps, profité outre mesure des budgets alloués au syndicat. C’était déjà un combinard, ce que confirme un ouvrier retraité qui l’a bien connu. Quant à sa société Restoplus, il est certain que tout n’y est pas facturé. Toutefois, Gabriel Lecouvreur doit se méfier, car un gros ventru l’a à l’œil. Ce dernier cogne et séquestre un temps Le Poulpe, qui échappe à ses griffes. Pour Gabriel, arrive le moment de la riposte…

Claude Mespldède : Le cantique des cantines (Éd.Baleine, 1997)

Défenseur acharné des littératures populaires, ami des romanciers, Claude Mespède n’a lui-même écrit que très peu de fictions. En 1997, il fit partie de la cohorte d’auteurs qui racontèrent chacun un épisode des aventures du Poulpe. Un personnage à l’esprit libre, qui ne pouvait que lui convenir, évoluant dans une ville que Mesplède connaissait bien. Il y est question de clubs de nuits, mais également des pratiques de responsables syndicaux – un milieu qu’il avait fréquenté – et des moyens de s’enrichir dans le privé par la corruption et la magouille. Une enquête de bon aloi, fluide à souhaits. Meplède n’oublie pas de rendre hommage, çà et là, à des géants du roman noir – tel Jim Thompson. Pour les initiés, des noms, un peu transformés, comme Pascal Destains ou Caroline Lebedel sont évocateurs.

Initialement publié dans la collection Le Poulpe en 1997, “Le cantique des cantines” fut réédité en 2013 (version revue et corrigée) dans “Trente ans d’écrits sur le polar” publié aux Éditions Krakoen. Cet ouvrage rassemble une partie des multiples articles, entretiens, et chroniques que Claude Mespède dédia au polar. On y trouve en particulier des interviews de James Ellroy, Robin Cook, ou des portraits de James Lee Burke, Francisco Gonzales Ledesma, ou de Joseph Bialot, parmi les grands de ce genre littéraire. Le gratin des écrivains, la crème du crime ! Plus un petit historique de la Série Noire au cours des décennies successives. Mesplède a œuvré jusqu’au bout pour mettre en valeur la diversité de ce genre littéraire qui était sa passion. Relire ses textes est un bonheur. Découvrir un roman comme “Le cantique des cantines”, un autre moyen de lui rendre hommage.

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2 janvier 2019 3 02 /01 /janvier /2019 05:55

L’Amérique au milieu des années 1950. Âgé de vingt-neuf ans, Jerry Clinch est emprisonné pour une longue peine. C’est un solitaire, qui ne se mélange pas avec les autres détenus. Ce qui lui vaut de sérieuses inimitiés. Un jour, il reçoit un coup de poignard – qui ne met pas sa vie en danger. Clinch est envoyé à l’infirmerie de la prison. Pas question pour lui de dénoncer le petit caïd qui l’a suriné. Au repos, il est bientôt approché par Dan Moford, qui a des problèmes de santé récurrents. Ce dernier n’est pas un truand, mais un homme d’affaire poursuivi pour malversations financières. L’avocat de Dan Moford va le faire sortir de prison sous peu. Il propose à Clinch de bénéficier des services du même avocat. Quand Clinch sera dehors, Moford aura un job de chauffeur pour lui – car sa propre épouse est une calamité au volant.

Peu après avoir été libéré, Clinch intervient pour protéger la jeune Lola, harcelée par un proxénète. Il est vrai que cette brune paraît fragile, avouant dix-huit ans, mais n’étant probablement pas majeure. Lola et Clinch s’installent ensemble. Hermétique aux sentiments, Clinch ne saurait dire s’il est amoureux d’elle. Du moins, il ne veut pas la perdre. Durant la semaine suivant sa sortie de taule, Clinch dépense beaucoup d’argent pour eux deux, et son pécule fond rapidement. Il se résout à se présenter chez Dan Moford, qui possède une propriété luxueuse. Il fait la connaissance de sa blonde épouse, Rhea. Clinch devrait sauter sur ce poste de chauffeur, logé et nourri, proposé par Moford. Mais il hésite, ce job risquant de l’éloigner de Lola. Compréhensif, Moford lui permet d’avoir des horaires peu contraignants, et de continuer à vivre avec Lola.

La fonction de chauffeur s’avère vite routinière. Si Rhea sympathise bientôt avec Lola, ce n’est pas par hasard. La femme de Moford n’a guère confiance en Clinch, qu’elle voit tel le repris de justice qu’il est. Quant à Lola, elle est sûre que la jeune fille est mineure. De son côté, Clinch découvre l’entourage de Dan Moford. Homme d’affaire se mêlant de politique – la corruption étant toujours utile au bizness – il compte des amis comme Al Carmer ou Mike Leavitt, qui brassent aussi beaucoup d’argent. Bien que sa santé reste instable, Dan Moford est un fêtard, avec ces deux derniers. Au-delà des soirées mondaines, il fréquente un club de jeux clandestins appartenant à Al Carmer. Rhea continue à soupçonner Clinch d’avoir un but néfaste contre Moford. C’est plus sûrement des autres employés de son mari dont elle devrait se méfier, ceux qui s’occupent de l’entretien des voitures de Moford.

Clinch et Lola poursuivent leur vie commune, mais Clinch sent bien que les "amis" de son patron sont loin d’être sincères à son égard. Trop de fric en jeu, que Moford claque avec une générosité quelque peu naïve, et au détriment de sa santé. Au contraire de ce qu’en pense Rhea, ce sera sans doute à Jerry Clinch d’opérer un nettoyage dans l’entourage de Moford…

W.R.Burnett : Tête de lard (Série Noire, 1957)

Si W.R.Burnett (1899-1982) fut un scénariste productif, il reste surtout le meilleur auteur de "romans de gangsters". Non pas que ses romans glorifient la pègre, la plupart de ses héros étant des perdants. Mais il décrit admirablement l’univers des truands, des plus friqués aux plus minables. Ici, la principale qualité de Jerry Clinch, c’est d’être "réglo". Il n’exprime guère ses sentiments, y compris envers la jeune Lola ou envers Moford, ni vis-à-vis des types possiblement louches qui côtoient son patron. Clinch observe, et saura agir le moment venu.

C’est avec finesse que Burnett explore les frontières entre le banditisme et les affaires "légales", avec le flot d’argent que tout cela génère. Une réalité de l’époque ? Les grands mafieux de légende – tels Bugsy Siegel, Al Capone, Lucky Luciano, Meyer Lansky – ont, pour l’essentiel, disparu. Par contre, de multiples caïds profitent à leur tour de leur part du gâteau. Clinch n’en fait pas partie : c’est un exécutant, à ranger dans le camp des perdants. Néanmoins, il possède sa propre morale. Malgré son titre français déplorable, un très bon roman de W.R.Burnett.

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22 décembre 2018 6 22 /12 /décembre /2018 05:55

Sven Nelson est officier en second dans la marine marchande. Ça fait dix-huit ans qu’il bourlingue sur l’océan Pacifique. On le surnomme Swede à cause de son allure de Suédois. Il vient de passer trois ans sur le Lauterbach, bien décidé cette fois à abandonner la mer pour s’acheter une ferme et se marier. Mais Sven a la mauvaise habitude de s’alcooliser au rhum. C’est ainsi qu’il se réveille dans un motel, Le Perroquet violet, situé sur la côte entre Los Angeles et San Diego. La nuit précédente, il s’est bagarré avec un petit voyou du coin qui était aussi ivre que lui. L’individu étant sévèrement blessé, le shérif Cooper ne tarde pas à arrêter Sven. Vu le pedigree de la victime, la justice locale n’a pas de raison d’accabler le marin : il sera rapidement libéré sous caution.

Celle qui est intervenue pour l’aider, c’est la blonde Corliss Mason. Veuve d’un officier de Marine, c’est la séduisante propriétaire du motel Le Perroquet violet. Elle a immédiatement flashé sur Sven, un véritable coup de foudre. Elle correspondrait fort bien au projet actuel du marin : l’épouser et s’acheter une ferme dans sa région natale. Le couple envisage sans délai de se marier. Mamie est la femme du jardinier Meek, plus âgé qu’elle et plutôt antipathique. Employée au restaurant du motel, Mamie conseille à plusieurs reprises à Sven de s’en aller au plus vite. Simple intuition féminine, car elle trouve que l’ambiance n’est pas très saine autour de Corliss et du motel. Un argument qui n’a aucune chance de convaincre Sven, même s’il éprouve de la sympathie pour Mamie.

Cette nuit-là, Corliss est violée par le barman du Beachcomber, Jerry Wolkowysk. Quand elle en informe Sven, la réaction du marin ne se fait pas attendre : il cogne violemment le coupable, le tuant sans s’en rendre compte. Alerter la police, prévenir le shérif Cooper ? Il n’en est pas question pour le couple. Afin de se débarrasser du corps, Sven simule un accident de voiture en faisant chuter le véhicule de Jerry d’une falaise voisine. Il y a peu de risques qu’ils soient soupçonnés de meurtre. Pressés de se marier, Sven et Corliss se rendent au Mexique pour les formalités. Pas de lune de miel pour le couple, qui rentre bientôt au motel. Quelque peu décevant pour Sven, qui replonge dans l’alcool, abusant du rhum. La bienveillante serveuse Mamie lui renouvelle son conseil de s’en aller au plus tôt, prédisant qu’il est en danger – même si ça paraît fort confus.

Si les charges contre Sven dans l’affaire de la bagarre vont être relativisées et le cas sera clos d’ici peu, la disparition de Jerry Wolkowysk a fini par provoquer une enquête. Mais le shérif Cooper est, cette fois, accompagné d’un agent du FBI. Car le barman utilisait une fausse identité. Il était recherché par la police pour une grosse affaire d’escroquerie. Bien qu’il ignorât tout de cela, Sven risque au moins de passer pour complice, et même d’être accusé de meurtre. Il va devoir se dépêtrer de cette situation, la serveuse Mamie restant sans aucun doute sa meilleure alliée…

Day Keene : Le plancher des garces (Série Noire, 1967)

Je le virai du lit et l’envoyai au plancher d’un terrible coup de poing dans la bouche qui fit jaillir du sang.
— Allons, fumier. Debout ! Tu vas recevoir la dérouillée que tu mérites.
Il se mit à quatre pattes en balançant la tête comme un chien. Puis il se mit sur ses pieds. Il était ivre, mais pas complètement. On aurait plutôt dit qu’il était dans la vape, qu’il avait fumé ou mélangé drogue et alcool pour se donner le courage d’accomplir ce qu’il avait fait.
Le cerveau embrumé, il mit du temps à réagir. Enfin, son regard se posa sur Corliss. Il lui cracha du sang au visage.
— Salope ! fit-il d’une voix pâteuse. Ça ne m’étonne pas de toi !
Il avait du mal à s’exprimer d’une manière cohérente. Il avait trois incisives déchaussées qui tremblotaient dans une écume sanguinolente quand il parlait. Il se rassit sur le lit, glissa la main droite sous l’oreiller et en sortit un Colt45 automatique. Il dut déployer toutes ses forces pour le soulever. Ensuite, il le braqua sur moi…

Écrit par Day Keene en 1952, “Le plancher des garces” ne fut publié dans la Série Noire qu’en 1967. On peut préférer le titre original, “Home is the Sailor”, plus évocateur du retour à terre d’un marin dont la vie est depuis longtemps sur les flots mais qui se croit capable d’abandonner la mer. On se doute bien que, s’il entame une histoire amoureuse, ça ne se passera pas aussi simplement qu’il semble. Le contexte est aussi classique que l’intrigue dans le cas présent, suffisamment solides pour entraîner le lecteur dans les mésaventures du héros. On ne peut pas dire qu’il y ait un "regard sur l’Amérique" d’alors, ni d’autre ambition que de raconter la meilleure histoire possible. C’est du polar noir de bon aloi, suspense et énigme à la clé, avec son lot de péripéties. Néanmoins, les romans de Day Keene (1904-1969) s’inscrivent dans la très bonne tradition du genre. Un auteur que l’on aurait tort de négliger.

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