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12 décembre 2017 2 12 /12 /décembre /2017 11:30

Âgé de 92 ans, Jean-François Coatmeur vient de s'éteindre dans la nuit de dimanche à lundi 11 décembre 2017. Publiant depuis 1963, il a écrit plus de vingt-cinq romans, dont la plupart dans la catégorie polar. Il fut président du jury du Prix du Goéland Masqué (Penmarc’h) de 2001 à 2014. Son œuvre fut multi-récompensée : "Les sirènes de minuit" – Grand Prix de Littérature Policière 1976 ; "La bavure" – Prix Mystère de la critique 1981 ; "La danse des masques" – Prix du suspense 1990, Grand prix des écrivains de l'ouest 1990 ; "Des croix sur la mer" – Prix Bretagne 1992. Toujours impeccables, ses intrigues privilégiaient les ambiances sombres – voire assez anxiogènes, la complexité dans la psychologie des personnages, la noirceur de certaines époques. Ces livres ne sont pas à lire telles des enquêtes policières, mais comme des romans criminels noirs.

Avec le développement des salons du livre et autres festivals du polar ces vingt dernières années, quantité de lecteurs ont eu le bonheur d’approcher Jean-François Coatmeur. Tous pourront témoigner de sa vitalité et de sa gentillesse, de son plaisir d’échanger avec ceux qui connaissaient ses romans autant qu’avec ceux qui les découvraient. Il en épatait de plus jeunes que lui (même Jean-Bernard Pouy, il y a une douzaine d’années au Festival polar de Concarneau, surpris d’un tel punch). C’était une façon pour lui de garder la santé, lui qui continua longtemps à jouer au tennis avec son épouse, tous deux évoquant d’un œil pétillant le temps où ils dansaient joyeusement dans les fêtes bretonnes (pas seulement en Bretagne). Professeur sérieux, il n’en aimait pas moins les plaisirs de la vie.

Jean-François Coatmeur montrait une sincère amabilité envers ses lecteurs fidèles, une forme de bienveillance. Évoquer avec lui "Le secret d'Agnès Valière" (1996, coll.Bonne Soirée) ou "Escroquemort" (1992, Denoël) à la diffusion bâclée par l’éditeur, créait une certaine complicité autour de ces titres moins connus. Honoré dans le milieu de la littérature policière, admiré par un large lectorat, J.F.Coatmeur ne se flattait jamais de ses succès, ne se gargarisait pas de son parcours. En 2014, ayant subi de sévères ennuis de santé, il s’avouait malheureux d’avoir été désagréable vis-à-vis de son entourage durant cet épisode, car ça ne reflétait pas son caractère. Pour la suite, il se voulait optimiste. Jean-François Coatmeur nous a quitté, mais on ne l’oubliera jamais car il restera un des écrivains majeurs du roman noir français.

Jean-François Coatmeur, Penmarc'h 2014.

Jean-François Coatmeur, Penmarc'h 2014.

Retour sur quelques titres de Jean-François Coatmeur…

Aliena (Denoël, 1968)

Anne se réveille, aveuglée, bras plâtré, souffrant d’amnésie. Elle est entourée de Marc, son mari chirurgien, et de Sigrid, cousine de Marc veillant sur elle. Ils racontent à Anne son récent passé, effacé de sa mémoire. Malgré son état dépressif et ses fugues, qui finirent par un accident, Marc préféra la soigner chez eux. Elle est en voie de guérison, affirme-t-il. Bientôt, Anne s’aperçoit que son bras est intact, que sa vue n’est pas touchée. On lui explique que sa santé psychologique reste fragile. Ses cauchemars et ses hallucinations indiquent un dédoublement de la personnalité. Anne accepte cette protection autour d’elle, mais s’interroge.

Intrigué par le suicide de la jeune Françoise, le policier Bachereau continue de questionner sa sœur aînée, Mona. Leur relation trouble, l’amour idéalisé de Françoise pour le bel Hubert, les lettres de celui-ci interceptées par la possessive Mona : autant d’éléments justifiant le suicide. Pourtant, le délai entre la disparition et la mort, et l’histoire de la poupée fétiche de Françoise, sont encore mal éclaircis. Il se peut que Mona ait tué sa sœur… Bien qu’elle reconnaisse des photos d’avant sa maladie, Anne se sent «engluée dans le mensonge». Les bruits qu’elle croit entendre, une poupée qui est bien la sienne, cette Mona apparaissant dans ses cauchemars : ces faits étranges provoquent fièvres et délire… Mona a déjoué la surveillance policière. On lui a fait croire au retour de Françoise, qu’elle sait vivante…

Baby-foot (Denoël, 1970)

Août 1969. Jacques (16 ans) vit à Royan, Charente Maritime, entre sa mère Jeanne et sa tante Lucienne, toutes deux veuves. L’écrivain Serge Malvoisier est assassiné dans sa villa de Saint-Palais, tandis que son épouse Florence est au cinéma. Jacques a des raisons de penser que sa mère a tué Malvoisier : peu avant le meurtre, alors qu’il rôdait autour de la villa avec son ami Marcel, il a vu Jeanne au lit avec l’écrivain. Le commissaire Charolles soupçonne Jeanne, qu’il interroge longuement. Elle lui rappelle tant Eve, et son propre drame personnel ! Mais Jeanne ne cède pas. Nerveux, Marcel succombe à une mauvaise chute chez Jacques. L’énergique tante Lu les débarrasse du corps. Jeanne est libérée. Le policier espère un résultat de la confrontation entre elle et Jacques. Le climat est chargé entre la mère qui se dit innocente et son fils qui la croit coupable...

La voix dans Rama (Denoël, 1973)

M.Lemorvan, 48 ans, vient de mourir. Il était le principal du collège climatique de Douarnenez. La police reçoit un cahier dans lequel Lemorvan se confie à un ami. Il y évoque son quotidien dans l’enseignement, son mariage avec Marie-Paule. Surtout, il raconte ce qui a marqué sa vie, sept ans plus tôt... Stéphane Frappier était un jeune élève envoyé par le docteur Barroux de Paris, vague ami de Lemorvan. Un jour, Stéphane fit une fugue, avant de revenir au collège. Grâce à cela, le principal rencontra la mère du gamin, Rachel. Il en tomba amoureux. Il voulut aussi en savoir plus sur eux, sur cet exil de Stéphane en Bretagne. Selon Barroux, il s’agissait de protéger l’enfant. Contrairement à ce qu’elle laissait croire, Rachel n’était pas veuve...

Hommage à Jean-François Coatmeur (1925-2017)

Le Squale (Denoël, 1975)

En 1971, dans la région de Rodez, l’affaire Norge suscite la polémique. Ce notable d’Espalion est soupçonné d’avoir incendié son centre équestre «Le Ranch» afin de toucher l’assurance, causant un mort. L’incorruptible juge Maury s’occupe du dossier. Il subit des pressions de sa hiérarchie. Il considère Norge, surnommé Le Squale, comme une crapule. Jusqu’en septembre 1972, il ne cède pas. Maury est marié à Séverine, beaucoup plus jeune que lui, qu'il aime vraiment. Séverine a un amant, Serge. Sa décision est prise : elle va divorcer. Avec Serge, elle s’installe dans une maison de Gabriac. Très vite, elle hésite entre bonheur et inquiétude. C’est par hasard, grâce au camionneur Jean-Baptiste, qu’elle devine que Serge lui a menti. Il est employé par Norge pour faire chanter le juge Maury. Croyant son épouse enlevée, Maury a signé le non-lieu en faveur du Squale...

Le mascaret (Denoël, 1977)

Au Pays-Basque, Chantal Ragon est arrêtée par la police espagnole lors d’une action du groupe anti-franquiste Alma. Elle ne peut attendre aucune clémence de la justice du général Franco. Christian Ragon, son mari dont elle vivait séparée, espère pourtant dans l’ombre du procès. Chantal est condamnée à perpétuité. Pour Ragon, c’est le Docteur Ramirez qui a causé cette situation. Il hait ce héros du militantisme basque, qui lui a pris son épouse. Chantal fut impressionnée par le livre de Ramirez, aujourd’hui best-seller. Mal dans sa vie de couple, elle quitta tout pour rencontrer cet homme qui la fascinait. Ramirez et Chantal devinrent bientôt intimes. Il envisagea même de l’épouser. Elle souhaitait surtout prendre part au combat basque. On lui confia un vague rôle d’agent de liaison. Elle voulait mieux, cette mission qui se termina si mal. Souffrant, assisté de son ami-employé Chico, Ramirez culpabilise. Pouvait-il la retenir ?

Venu pour une prétendue consultation chez le Dr Ramirez, Ragon est incapable de l’assassiner. Le mari de Chantal disparaît durant plusieurs mois. Ramirez est tourmenté par ses souvenirs, ayant servi de base à son livre à succès. Certes, il a connu très tôt les persécutions franquistes. Mais qu’a-t-il subi pour devenir symbole héroïque de la cause basque ? Ayant besoin de soins, Ramirez s’installe un temps à Paris avec Chico. De retour, Ragon lui rend régulièrement visite... 

On l’appelait Johnny (Denoël, 1979)

Le cargo du commandant Berthier va bientôt quitter la rade d’Abidjan. Avec l’accord du second, le capitaine Marzin, il accepte un passager clandestin, Blanck. Mêlé à un complot, ce Français pas très clair doit fuir le pays. De nuit, il embarque avec trois amis : Petrovian, sa sensuelle maîtresse métisse Ina Desroze, et Charles, le frère d’Ina. Malgré cet imprévu, le commandant s’arrange pour les loger à bord. La compagnie impose un autre passager, officiel celui-là : Lagouge, comédien en tournée. Situation difficile à gérer, d’autant que Blanck donne des ordres, et qu’Ina s’exhibe sous les yeux de l’équipage. Charles sympathise avec le comédien. Pétrovian se méfie de tous.

On découvre Blanck pendu dans sa cabine. L’assassin est un certain Johnny, rôdant sur le navire. Des indices laissent à penser que ce meurtre est en rapport avec une affaire datant de 1943. Près de la Pointe du Raz, un groupe de résistants fut victime des nazis. Seuls Blanck et Johnny en réchappèrent.Il se peut que Petrovian ait éliminé son ami Blanck, auquel il devait une grosse somme. L’enquête de Berthier et de Marzin n’aboutit qu’à des suppositions. Lors de l’escale à Dakar, tout le monde est consigné à bord. D'autres meurtres se produisent. La fièvre monte, les passagers sont tendus, l’équipage grogne…

Morte Fontaine (Denoël, 1982)

En Alsace. Rolande, 26 ans, ex-miss, fut un temps chanteuse. A cause d’un nommé Bob, elle est impliquée dans un réseau de prostitution de luxe. Un client, diplomate anglais, décède de mort naturelle. L’organisation envoie un homme pour éliminer Rolande, témoin gênant. Elle se défend, et le tue. Après avoir averti son oncle Charles, elle se cache en Allemagne. Elle sait que sa fille Sylvie, six ans et demi, a été recueillie avec son chien Tarzan par un jeune couple. Daniel, pianiste, et la fantasque Kouka voudraient comprendre. Par téléphone, Rolande leur demande de protéger la fillette quelques jours. Kuntz est un policier aigri. Il subit des pressions au sujet du défunt diplomate. Se sachant menacé, l’oncle Charles contacte Daniel, qui arrive trop tard. «Appelez Lucifer» sont les derniers mots de Charles..

Escroquemort (Denoël, 1992)

Quand il apprend que l’oncle Napoléon, à près de 70 ans, envisage de se marier avec une jeunette, ce roublard de Vincent renifle sans tarder le péril. L’héritage promis et tant espéré passerait sous le nez des neveux : Guillaume (dit «Ti-Lou»), Xavier et lui, Vincent. Bien la peine d’y faire tous ses caprices, à ce vieil avare de Napoléon ! Xavier, employé de banque, marié à Paulette, il a sûrement pas trop besoin du fric de leur oncle. Mais Ti-Lou, avec sa Fernande qu’est en fauteuil roulant, et qui trime pour pas lourd, les sous de Napoléon lui ferait du bien. La femme de Vincent rêve depuis toujours d’un petit appartement au centre-ville. Ils pourraient alors se l’offrir, quitter le quartier pouilleux où ils végètent. Et puis, il y a Maria. Une veuve encore jeune qui est la maîtresse de Vincent. Elle en est très amoureuse. S’il devient riche, il ne l’oubliera pas. Dans cette situation de crise, Vincent réunit ses frères pour empêcher Napoléon de convoler. Ils y parviendront. Même si le décès de Napoléon était accidentel, il y avait l’intention ! Commence alors entre les trois frères un jeu de dupes...

Hommage à Jean-François Coatmeur (1925-2017)

Tous nos soleils sont morts (Albin Michel, 2002)

1998. Un groupe d’activistes utilise le nom d’Hadès. Mel, Gilou, Patrick, Camille et Pierre-Henri ont commis des attentats dans le Morbihan. Ils s’attaquent une deuxième fois au promoteur immobilier Sabatier. Gilou est tué lors de cette opération. Mel est persuadée que Sabatier l’a abattu. Ses amis pensent qu’il faut arrêter. Seul Camille accepte de seconder encore la jeune femme. Après avoir brièvement enlevé le promoteur, Camille renonce finalement. Il craint d’avoir été reconnu, devient parano. Mel trouve un moyen d’approcher la famille de Sabatier, espérant ainsi venger Gilou. La jeune épouse de Sabatier, vient d’accoucher. De santé fragile elle laisse l'infirmière Alice s'occuper de son bébé. Cyril, fils du premier mariage de Sabatier, éprouve une rancune tenace contre son père et Alice. S’il ne déteste pas Véronique, il se sert d’elle pour viser Sabatier. Il est question d'interner la jeune femme. Cyril et Mel restent ses seuls alliés. Contre l’avis de ses amis d’Hadès, Mel projette d’intervenir... Le commandant Valentin et son adjointe enquêtent sur le groupuscule...

La fille de Baal (Albin Michel, 2005)

A Brest, Delphine est professeur de littérature médiévale à la fac Ségalen. Elle est mariée à Dominique, chercheur au CHU et enseignant à l’école de médecine. Ayant perdu leur petite Cécilia en 1991, ils ont un fils de 11 ans, Morgan. Delphine entretient une liaison avec l’un de ses étudiants, Reynaldo. Une nuit, il est mortellement agressé par deux hommes masqués. Présente, Delphine se fait violer. Avant de s’enfuir, elle prévient anonymement la police. Dès le lendemain, elle doit feindre, cacher sa profonde tristesse. Elle ne dit rien à son mari, ni à l’enquêteur qui l’interroge. Elle ne se confie qu’à Manon, sa meilleure amie. Delphine est contactée par son ancien amoureux, Jérémy, revenu vivre dans la région.

Delphine reçoit bientôt des courriels signés Ariel. Ces messages deviennent vite obscènes, visant aussi Dominique. On glisse des billets insultants sous son pare-brise. On a retrouve un SDF mort. Sans doute est-ce lui qui venait de téléphoner à Delphine. Ariel ne tarde pas à faire chanter Delphine. Elle paie les 20 000 € demandés. Elle redoute que l’homme n’en reste pas là. Quand la menace se renouvelle, Delphine avoue (presque) tout à son mari. Très actif, fatigué par un début de cancer qu’il réfute, Dominique ne lui apporte qu’un soutien relatif. D’autant qu’il ne peut renoncer à un colloque sous les tropiques. Quant à ce diable de Morgan, il lui complique la vie. Delphine soupçonne Manon. Le meurtre d’un collègue, prof facho, n’est pas sans rapport avec l’affaire…

Une écharde au coeur (Albin Michel, 2010)

Disculpé par un non-lieu, le quadragénaire Gwen Malinec est libre après deux ans et demi de prison. Il reste en contact avec sa compagne Nicole, qui s’occupe de leur fille Justine. Il est préférable que Gwen ne revoit pas Antoine, 17 ans, fils adoptif de Nicole, à cause de qui il fut incarcéré. C’est dans la maison de sa défunte mère, à Pouldavid près de Douarnenez, que Gwen va s’installer avec son chien Argo. Alors qu’il approche de sa destination, une ombre fantomatique surgit dans la nuit. Ayant été agressée alors qu’elle se baignait dans une crique voisine, une jeune femme cherche du secours. Gwen accepte d’héberger Mara, 28 ans. Sa première version des faits apparaît douteuse. En effet, elle oublie volontairement de préciser qu’elle se trouvait cette nuit-là avec son amant Yvan. Gendre d’un puissant élu local, celui-ci n’est pas intervenu. Croyant que Mara s’est noyée, il laisse toutefois un ultime message sur son répondeur.

Ayant été averti qu’Antoine a fait une fugue, Gwen pousse Mara à lui confier la vraie version de sa mésaventure. Elle possède peu de renseignements sur Yvan, sauf qu’il est vaguement prof de dessin. Ce n’est pas lui qui l’a agressé dans l’eau, Mara en est certaine. Elle finit par admettre avoir été contactée par un inconnu, afin de piéger son amant. À la fois, elle fut contrainte d’accepter car on menaçait son fils hospitalisé, et elle ne pouvait refuser la jolie somme promise. Ce qui n’explique pas pourquoi c’est elle qui a été victime d’une agression. Par son ancien instituteur, Gwen envisage l’éventualité qu’Yvan soit un de ses ex-copains de classe. Mais il ne trouve aucune trace de lui dans les annuaires. Finalement, Gwen renoue avec son copain d’enfance Yvan, lui révélant tout ce qu’il sait au sujet de Mara. À l’abri chez Gwen, elle ne risque sans doute rien. Pourtant, Gwen sent une menace autour d’eux. Néanmoins, il ne se méfie pas assez quand, par un subterfuge, on l’éloigne de sa maison…

L’Ouest barbare (Albin Michel,2012)

Septembre 1938. Jérôme Le Gallès vit à Pouldavid, près de Douarnenez. Marié à Tania, employée dans une conserverie, Jérôme est un jeune menuisier ébéniste. En ces temps où les rumeurs de guerre se précisent, les clients restent prudents. Donatien Groubart, le père de Tania et de sa demi-sœur Julienne, est un ancien colonial d’Indochine, un homme fortuné. Il a prêté de l’argent à Jérôme pour aider à son installation. Croyant que le jeune couple envisage de quitter bientôt la France, Groubart réclame le remboursement anticipé de cette dette. Impossible pour les finances de Jérôme. Quand celui-ci retourne le soir même à la propriété de son beau-père, Groubart vient d’être tué accidentellement par un cambrioleur. Dans l’urgence, Tania et Jérôme se fabriquent un alibi quelque peu bancal. Une rapide enquête des gendarmes porte le soupçon sur le gendre de la victime. Malgré de nombreuses incohérences, Jérôme est condamné.

Durant la débâcle de juin 1940, lors d’un transfert vers une autre prison, Jérôme a l’opportunité de s’évader. Jean-Paul, son compagnon de cavale, est un Alsacien au casier judiciaire chargé. Si ce malfrat frustre n’a guère de points communs avec Jérôme, sa débrouillardise sera utile. Car une fuite à pieds en direction de la Bretagne ne les mènerait pas bien loin sur les routes de l’Exode. Déguisés en soldats hollandais, ils trouvent un cheval et son attelage pour avancer plus vite, avant d’être hébergés par un prêtre. Probablement pas dupe, ce dernier leur prête des vélos afin de poursuivre leur trajet. Prendre le train, alors que se multiplient les bombardements, s’avère quasiment impossible. Les fugitifs arrivent quand même dans la région de Douarnenez, où ils devront redoubler de prudence…

Les noces macabres (Albin Michel, 2016)

Habitant Ivry, Christelle est une jeune femme d'environ vingt-cinq ans, dont son petit-ami Pascal est très amoureux. Elle reste proche de sa mère, Nanou, quinquagénaire vivant à Puteaux. Toutes deux sont infirmières en hôpital, leurs opinions politiques étant marquées à gauche. En ce mois de mars 2011, l'état de santé de Nanou est fragile. Il se dégrade encore davantage quand sa fille lui parle d'un patient admis là où elle est employée, suite à un accident de voiture. Âgé de 54 ans, très gravement touché, cet Alain Vénoret est un chirurgien orthopédiste exerçant en Suisse. Il est originaire de la région brestoise, comme Nanou. Bien que la mère de Chris n'ait pas semblé se souvenir de lui, la crise qui la secoue peut être associée au nom de cet hospitalisé. Le choc sera bientôt fatal à Nanou. Elle a laissé à sa fille un curieux dossier.

Par ailleurs, trois hommes sont confrontés à des moments fort contrariants. Médecin à Mortagne-au-Perche, Loïc Mazou était intimement proche d'un de ses patients. Si la mort de ce dernier n'est pas exactement naturelle, le docteur s'arrange pour que la femme au service du défunt n'en sache rien. Dans le Finistère, la carrière politique d'Eugène Abilien paraît bien amorcée. Pourtant ce notable va renoncer à poursuivre dans cette voie, "pour raisons personnelles". À l'abbaye de Kerascoët, le père Gildas Runavot est apprécié dans sa communauté. Son suicide est en contradiction avec les principes religieux. Pourquoi la chanson "Le lac majeur" suppose-t-elle un mauvais souvenir pour Abilien, Runavot et peut-être Mazou ?

Au printemps 2012, Chris a quitté son poste à l'hôpital pour s'occuper exclusivement de la convalescence d'Alain Vénoret. Il s'est installé à Paris, car le temps de sa rééducation sera probablement long. Plutôt qu'infirmière, Chris fait figure de régisseuse des soins apportés au patient. Pascal, son petit-ami, est le grand perdant dans cette situation. Surtout quand Vénoret et elle déménagent à Brest, en juillet…

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8 décembre 2017 5 08 /12 /décembre /2017 05:55

Frédéric Le Cairan est un trentenaire qui habite le centre-ville de Rennes, au début des années 2000. Il vivote sans job précis, mais réussit à publier ponctuellement une revue, L’Ankou Magazine. Avec la complicité d’un vieil imprimeur gauchiste, tandis que c’est son amie Alice Arbizu qui se charge des photos. Si, comme son frère Martial, elle vit au Pays Basque, la jeune femme garde des attaches en Bretagne. Pour l’anniversaire de Fred, elle le rejoint à Rennes. Et lui offre une boîte à chaussure avec quelques cadeaux. Dont un livre de Lacenaire, un revolver Smith & Wesson, et un carnet bleu "mode d'emploi". Fred a utilisé le flingue pour abattre son voisin d’immeuble, le député Philippe Rogemoux. Ils n’avaient guère de contact, mais la victime se tenait alors près de sa fenêtre.

Les parents de Fred sont décédés et il ne connaît quasiment pas ses frères et sœurs. Sauf la petite Mathilde, cinq ans, dont la garde lui a été refusée par la Justice. Ce sont les Viocs, leurs grands-parents fortunés, qui sont les tuteurs de la fillette. Ce qui fait enrager Fred, mais il n’y peut rien. Suite à la mort du député, Fred et Alice sont en cavale, dans la Poubelle leur servant de voiture. Ils comptent faire croire qu’ils sont juste en vacances. Ils se dirigent vers la région du Conquet, en Finistère, à la pointe de la Bretagne. Un ami de la jeune femme leur prête sa maison en son absence. Mais le revolver offert à Fred appartient à Luis Dominguez, un féroce terroriste basque. Accompagné de Martial, le frère d’Alice, il arrive en Bretagne pour récupérer l’arme, et ne fera pas de cadeau, lui.

Lieutenant de police, Mc Cash est Irlandais d’origine. Quinquagénaire, sa vie de couple n’a pas été brillante. Ce grand gaillard continue à abuser de stupéfiants et d’alcools. Si on lui confie une enquête, il applique sa méthode personnelle avec sa propre morale. Outre sa stature, Mc Cash est plutôt repérable car il est borgne, avec un bandeau sur l’œil. Quand la commissaire lui demande d’investiguer sur Frédéric Le Cairan, ça n’a rien à voir avec le meurtre du député. Mais puisque l’appartement du suspect a été fouillé, ça pourrait bien être l’œuvre de la DST. Ses collègues penseraient donc que le crime est dû à un activiste régionaliste, ce que n’est pourtant pas vraiment Fred. Ayant compris qu’Alice et Fred sont ensemble, Mc Cash suit une autre piste, qui le mène vers Le Conquet.

Le couple remarque le flic aux airs de cyclope, et prend la fuite. Un périple chaotique à pieds et à vélo, sans trop d’argent même si une copine de Fred lui en donne un peu. Le duo Luis-Martial est également à leurs trousses : même retardé, le Basque ne renoncera jamais. Mc Cash tente de faire parler la voisine de Fred, mais sans doute s’y prend-il mal, lui qui est si maladroit face aux femmes. Bientôt, il s’aperçoit que Fred et Alice ont pris le bateau reliant Lorient à l’île de Groix, où la jeune femme avait un autre ami. Le flic arrive trop tard, quand le couple braque un voilier – dont le propriétaire est très coopératif. Direction Belle-Île-en-mer, c’est tout proche, de même que les îles d’Houat et d’Hoedic. Il vaudrait mieux que ce soit Mc Cash qui les retrouve en premier…

Caryl Férey : Plutôt crever (Folio)

Par une sorte de curiosité malsaine, [Mc Cash] s’était procuré le dernier rapport de police concernant le meurtre qui défrayait la chronique. D’après celui-ci, Philippe Rogemoux avait été touché au cœur, blessure qui avait provoqué la mort, quasi-instantanée. L’homicide avait eu lieu au domicile de la victime dans la nuit de samedi à dimanche, à trois heures et quart du matin, sans qu’aucun témoin n’ait pu établir le portrait d’un suspect […] Il pouvait s’agir d’un règlement de comptes ou d’un acte terroriste : l’Armée Révolutionnaire Bretonne avait fait sauter plusieurs perceptions ces derniers temps et l’on prêtait des intentions belliqueuses à plusieurs groupuscules régionalistes, en plein revival depuis l’avènement de la mondialisation.
Les résultats de la balistique corroboraient cette piste. D’après l’expertise, l’arme du crime, de calibre.44, était probablement issue du lot de Smith & Wesson détourné quinze jours plus tôt au Pays basque espagnol.

Caryl Férey : Plutôt crever (Folio)

Parmi les lecteurs de Caryl Férey, les plus intransigeants ne citeront que ses romans noirs les plus denses, les plus violents (Haka, Utu, Zulu, Mapuche, Condor), dont on ne saurait nier la force. Ces titres lui ont valu un vrai succès, de nombreux prix littéraires, et même une adaptation cinématographique. Néanmoins, il serait stupide de minorer la qualité de ses autres romans, dont les enquêtes de Mc Cash, “Plutôt crever” (2002) et “La Jambe gauche de Joe Strummer” (2007). D’autant que le flic borgne sera de retour en 2018 dans “Plus jamais seul”, une troisième aventure sûrement pas moins agitée que les précédentes. En outre, “Plutôt crever” ayant été réédité au printemps 2017 chez Folio policier, pourquoi ne pas redécouvrir cette histoire ?

Pour le personnage de Mc Cash, Caryl Férey s’est inspiré d’un ami proche, Lionel C., qui l’a d’ailleurs récemment accompagné en Russie, comme il le raconte dans “Norilsk” (2017). C’est un anti-héros qui est à l’opposé du "socialement inséré", qui a choisi d’observer un décalage avec les réalités d’un monde trop lisse à son goût. Mc Cash n’est pas un rebelle, il est juste indifférent aux ordres et aux règles. Il ne se laisse impressionner par personne, fussent-ils haut-placés. On le constate par son attitude face à la commissaire Trémaudan, sa supérieure hiérarchique. Quant aux coupables, il a aussi ses propres critères. Peut-être parce qu’il lit les écrits du philosophe Nietzsche, qu’il n’approuve pas toujours. Son nom pourrait se lire tel "cash" (direct) ou "macache" (rien du tout).

Dans cette intrigue, nous suivons la cavale – façon road movie – d’un jeune couple. S’ils sont déterminés à s’en sortir, ne les imaginons pas tels Bonnie & Clyde. Car s’il y a de la rage chez Fred, il est conscient de ses faiblesses, et n’a aucun instinct de tueur. Quant à Alice, la liberté est une nécessité vitale pour elle, et on la sent plus forte que Fred. De Rennes à la pointe nord-finistérienne, puis de la presqu’île de Crozon vers les îles du Ponant en Bretagne-sud, c’est à une balade bretonne que nous invitent les tribulations du couple. Un territoire que l’auteur connaît bien, moins exotique que ses voyages au bout du monde, mais dont il se sert d’une manière qu’on pourra trouver malicieuse. Louvigné-du-Désert, Trégarvan ou Locmaria-Plouzané valent bien d’autres destinations.

La tonalité rythmée, c’est toujours un atout favorable pour un polar. Elle est servie ici par un découpage scénique qui nous permet de suivre le couple, Mc Cash et Luis le Basque. Malgré ses côtés sombres, c’est finalement un récit enjoué et souple qui nous est raconté. Dans un genre différent des best-sellers de Caryl Férey peut-être, mais pas moins réussi. On a hâte de retrouver prochainement l’insolite Mc Cash.

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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 05:55

Les Éditions 10-18 proposent de redécouvrir une célèbre détective, Maud Silver, dans un recueil rassemblant ses trois premières enquêtes, de Patricia Wentworth (1878-1961). Coup d’œil sur “Le Masque gris”, où Miss Silver apparaît pour la première fois…

Suite à l’annulation de son mariage avec sa fiancée Margaret Langton, Charles Moray partit faire le tour du monde pendant quatre ans. En cette fin des années 1920, il est de retour à Londres. À sa grande surprise, il découvre qu’une réunion secrète se tient dans sa propre maison. Ces comploteurs sont dirigés par un homme mystérieux, le Masque Gris. Charles les a observés sans se montrer. Il avertirait la police si, parmi les conspirateurs, ne figurait son ex-fiancée Margaret. Le gardien de la demeure, Lattery, est incapable de donner une explication à Charles. Plus tard, par son ami Archie Millar, joyeux dilettante, il va apprendre que ces obscures manigances visent certainement une jeune fille, héritière d’une grosse fortune.

Âgée de dix-huit ans, vivant jusqu’alors en Suisse, la blonde Margot Standing revient à Londres après le décès de son riche père. Edward Standing s’est noyé en Méditerranée, en chutant de son yacht du côté de Majorque. Pour sa fille, il semble logique d’hériter de l’argent paternel, mais il se présente des complications. Car tout n’est pas clair dans la filiation, un flou entretenu de longue date par le défunt millionnaire. Faute de testament et de certificats, c’est au navrant neveu Egbert Standing que reviendrait l’héritage. D’autant que ce dernier produit une lettre de son oncle évoquant “la naissance irrégulière” de Margot Standing. De son côté, Charles Moray espère renouer avec Margaret Langton, qui ne paraît pas mariée, mais elle reste un peu distante.

Sur le conseil de l’ami Archie, Charles s’adresse à une détective privée afin d’obtenir des infos sur les individus s’étant réunis chez lui. Il faut bien qu’il fasse confiance à cette Maud Silver. Peut-être plus perspicace qu’elle ne semble, cette dame d’âge mur est une vieille fille qui reçoit sa clientèle en tricotant. C’est dans un simple cahier qu’elle note tous les éléments relatifs à l’enquête en cours, ses renseignements étant toujours fiables. Margot Standing a réalisé que son cousin Egbert lui voulait du mal. Aussi disparaît-elle, optant pour une fausse identité : Esther Brandon, un nom qui a peut-être rapport avec sa mère qu’elle n’a pas connue. Mal préparée à cette fuite, la jeune fille est bientôt retrouvée dans la rue, plutôt égarée, par Charles et Margaret.

Tandis que Margot Standing est hébergée chez Margaret, qui refuse d’avouer à son ex-fiancé son rôle dans la bande du Masque Gris, Charles suit les pistes envisagées par Miss Silver. Jaffrays, homme de confiance du défunt Edward Standing, et William Cole, employé au service du milliardaire, figurent en tête de liste. Pendant ce temps, Archie Millar fait la connaissance de Margot, chacun d’eux n’étant pas insensible à l’autre. Si elle ignore qui il est exactement, le Masque Gris est un puissant malfaiteur auquel Maud Silver a été confrontée plusieurs fois ces dernières années… 

Patricia Wentworth : Les premières enquêtes de Miss Silver (Éd.10-18, 2017)

Ils atteignirent bientôt Knightbridge, il faisait de nouveau sombre, les phares des voitures étaient à peine visibles et les bruits du trafic leur arrivaient étouffés par le brouillard. Avant de s’engager sur la chaussée, Charles s’arrêta un instant, mais Margaret n’hésita pas et continua de marcher droit devant elle. Aussi, quand le jeune homme voulut poursuivre sa route, il ne la revit plus : elle avait été happée par le brouillard.
Il se précipitait à sa recherche quand il entendit une voix rauque hurler : "Faites donc attention !" Au même instant, une voiture lui heurta violemment l’épaule avec son rétroviseur et ce fut avec un réel soulagement qu’il atteignit le terre-plein central […] Charles se demandait où il avait déjà vu ce costume bleu et ce cache-nez, lorsqu’une pensée traversa son cerveau comme un éclair : c’était dans le cabinet noir de Thorney Lane le soir où, dissimulé, il avait assisté, plein de curiosité et de colère, à l’étrange complot criminel ! Cet homme était le numéro 40, le gardien sourd qui ouvrait la porte aux visiteurs du Masque Gris.

Outre “Le Masque gris”, paru en 1928, ce recueil présente aussi “L’affaire est close” (1937) et “Le chemin de la falaise” (1939). Ces trois premières enquêtes de Maud Silver, détective imaginée avant Miss Marple d’Agatha Christie, baignent dans l’ambiance britannique de leur époque. Il faut souligner que l’écriture ne manque pas de style, avec des descriptions soignées et des dialogues qui font mouche. Même si les traducteurs d’autrefois avaient leurs mérites, ces romans bénéficient de traductions récentes, dans un langage plus souple et actuel. Ce qui met le texte en valeur, à l’évidence. Par sa méthode personnelle de travail, l’auteure innovait encore en présentant des chapitres courts, offrant un bon tempo au récit. Ce qui compense le fait que Maud Silver soit une dame paisible, résolvant les mystères sans trop quitter son confortable fauteuil. Des romans délicieusement énigmatiques, teintés d’un brin de romance, qui se lisent toujours avec grand plaisir.

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9 septembre 2017 6 09 /09 /septembre /2017 04:55

Scénariste, Claude Combel est marié à Maud. Au soir de la présentation du nouveau film écrit par Claude, son épouse semble contrariée par l’histoire qu’il a développée, inspirée d’une de ses relations amoureuses passées à lui. Dès lors, Claude se met en tête que Maud a un amant. Si c’est le cas, il ne peut s’agit que de Richard, partenaire de tennis et ami d’enfance de son épouse. Jouant les espions, son idée se confirme. Aimant toujours Maud, il ne veut pas la perdre. Aussi cherche-t-il comment éloigner Richard de sa femme, comment reconquérir Maud.

Le scénariste met au point un plan machiavélique. À son insu, Maud avale des produits de régime qui la rendent malade. Bientôt, elle perd anormalement du poids. Claude est omniprésent pour s’occuper de la santé de son épouse, ce qui montre qu’il tient plus à elle que Richard. Mais le docteur Weber, qui connaît bien Maud, ne s’explique pas les maux dont elle souffre. Il place une infirmière à domicile, Martine, pour veiller sur la jeune femme. Claude ne tarde pas à comprendre le rôle de l’infirmière. Le plan initial du mari se complique lorsque se produit un drame…

André Lay : Les enlisés (French Pulp Éditions, 2017)

Lorsqu’il a revu Maud après plusieurs années, son amour de jeunesse a rejailli comme un feu couvant sous la cendre. Seulement, ils avaient perdu l’innocence, la candeur de leur enfance ; tous leurs beaux, leurs purs souvenirs les ont conduits banalement dans un lit, où leurs étreintes d’amant et maîtresse ont forcément flétri les images qu’ils s’étaient faites de leur passé. La réalité ne remplace jamais le rêve, elle est faite d’une multitude de gestes, de pensées, sans poésie ; et leur passé romantique transformé en étreintes sensuelles où Maud a échangé son auréole de jeune fille sage contre des caresses apprises par un autre.
Malgré ses sentiments, Richard a forcément comparé avec ses aventures précédentes. Finalement, Maud est devenue une maîtresse de plus. Le fait qu’elle m’ait caché sa liaison, prouvant qu’elle ne désirait pas le divorce, a inévitablement amené Richard à songer qu’un jour ou l’autre leur aventure cesserait alors.
Le temps de réfléchir à tout cela, Richard et Maud se sont embrassés en bons camarades. Elle le remercie encore pour les violettes, qui doivent avoir un symbole, puis me laisse le raccompagner.

André Lay (1924-1997) fut un des piliers de la collection Spécial-Police du Fleuve Noir. De 1956 à 1987, il y publia cent quarante romans. Dont dix-huit ont pour héros récurrent le commissaire vénézuélien Perello Vallespi, un gros bonhomme qui s’excite vite. Dans une autre série, vingt-et-un titres sont consacrés au shérif Garrett, sévissant dans une bourgade du désert mojave. Il s’agit dans ces deux cas d’aventures souriantes et très agitées. Ses autres romans, plus d’une centaine, ne visaient pas spécialement l’originalité de l’intrigue criminelle, reprenant bon nombre de thèmes classiques du polar.

Par contre, André Lay fut de ceux qui, variant les décors de ses histoires, savaient installer des ambiances. Un lieu précis et ses alentours, une petite poignée de personnages, une relation malsaine entre ceux-ci, une vengeance ou un motif justifiant de supprimer l’adversaire… et c’est ainsi qu’avec une narration simple et fluide, il entraînait ses lecteurs dans une affaire solide. La psychologie et le suspense ne sont pas absents chez cet auteur. On le constate dans ce roman initialement publié en 1973.

Après avoir réédité plusieurs titres d’André Lay en format numérique, French Pulp Éditions propose désormais “Les enlisés” en version livre. Bonne initiative, car c’est une excellente manière de redécouvrir un romancier expérimenté de son époque.

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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 04:55

Paris, 1959. Norbert Chevalier est un homme jeune et séduisant, ressemblant un peu à Cary Grant. Expert en comptabilité, il est aujourd’hui fondé de pouvoir de la société de son ami Claude Leduc. Tous deux furent employés par une grosse compagnie. Quand Leduc fit un bel héritage, il fonda son entreprise de bijoux fantaisie, commercialisant en gros et en demi-gros. Naturellement, il engagea Norbert Chevalier comme comptable. D’autant que Claude Leduc voyage à travers l’Europe pour trouver des fournisseurs, laissant la gestion à son ami. Et quand il est à Paris, Leduc s’ennuie quelque peu. Sa solitude lui pèse parfois. Possédant un physique très ordinaire, à l’inverse de Norbert, il a peu de succès avec les femmes. Il a ses habitudes auprès de Christine, une prostituée.

Outre son métier, Norbert ambitionne de devenir auteur de théâtre. Il a écrit une pièce, dans laquelle jouera son amante Yanka Renaldi. C’est son idéal féminin, cette rousse de trente-cinq ans, aux yeux violets, au regard étrange, au visage félin. Faute de trouver un théâtre pour monter sa pièce, Norbert a décidé de produire lui-même le spectacle. Débuts à Bruxelles d’ici peu, puis tournée sont prévus. Pour la rendre plus attractive, la pièce aura une intrigue criminelle. Toutefois, le coupable ne sera pas puni, pour changer. Afin de se financer, Norbert a détourné quelques millions des comptes de la société de Claude Leduc. Il ne craint pas tant la réaction de son ami, mais c’est la banque qui risque de bientôt faire pression, car le prétexte qu’avance Norbert ne tiendra plus longtemps.

À ses yeux, le plus simple est d’éliminer Claude Leduc, en commettant un crime parfait. Il lui suffit de reprendre le plan prévu dans sa pièce de théâtre. La blonde Suzanne Tassigni – qui aime bien être surnommée Suzette – est une jeune femme très attirée par Norbert, qui lui ne la traite qu’en amie. Célibataire de condition modeste, Suzanne souhaiterait que Norbert comprenne ses sentiments. Pour la mise en œuvre de son projet, il faut d’abord que Claude et Suzanne se rencontrent. Le rusé Norbert s’arrange pour ça. Sans être une femme intéressée par l’argent, Suzanne n’est pas mécontente que Claude lui offre des cadeaux, ce qu’elle n’aurait pu payer elle-même. Amoureuse ? Sans doute pas. D’ailleurs, quand Claude lui propose de l’épouser, Suzanne refuse.

De nouveau, c’est l’occasion pour Norbert de jouer au conseiller matrimonial, pour tous les deux. Son meilleur atout, c’est qu’il cerne le caractère de Claude et Suzanne : “Jusqu’à présent, dans la réalité, tout ne s’est-il pas passé comme si j’avais écrit le scénario moi-même ? Un auteur ne connaît jamais ses personnages à fond, car il y a toujours un côté de leur personnalité à laquelle il n’a pas pu penser et qui lui échappe. Un côté flou. Moi, je connais ces deux-là par cœur.” La soirée du crime peut commencer, Norbert continuant à manipuler ses deux amis…

Fred Kassak : Crêpe-Suzette (1959 – Le Masque, 2003)

Ainsi cette fois, après avoir aspiré quelques profondes bouffées de sa cigarette, [Yanka] recouvra son sang-froid, se repoudra le nez et déclara que tuer un homme pour ne pas se faire accuser d’escroquerie et risquer ainsi la peine de mort pour éviter dix ans de prison, correspondait à peu près à faire une plaie pour guérir une bosse.
Norbert représenta que le problème se posait autrement : il s’agissait d’éviter dix ans de prison certains en risquant une peine de mort possible. Il évoqua le jeu de quitte ou double et le pari de Pascal. Il savait qu’elle serait sensible à cet argument : elle aimait comme lui le jeu et le risque. Elle lui reprocha pourtant de défier le sort en commettant simultanément un crime parfait dans sa pièce et dans sa vie. C’était attirer le soupçon.

Ce roman fut initialement publié aux Éditions L’Arabesque en 1959, dans la collection "Crime Parfait ?". Il fut réédité en octobre 1990 aux Éditions du Masque, en format poche, dans la collection Les Maîtres du roman policier. En mars 2003, “Crêpe-Suzette” fit partie de l’ouvrage rassemblant plusieurs polars souriants de Fred Kassak, dans la collection "Les Intégrales du Masque". Cet auteur, qui fut par ailleurs récompensé par le Grand Prix de Littérature Policière et par le Prix Mystère de la critique, a beaucoup compté dans l’histoire du polar. Également en tant que scénariste pour la télévision et pour la radio.

S’il a écrit des titres plus sombres, “Crêpe-Suzette” est une comédie à suspense. On pourrait le qualifier de "roman malin qui fait mouche". Car l’intrigue, très vivante, n’est pas présentée de façon ordinaire. Ce diable de Norbert ne cache nullement son but, il en discute ponctuellement avec son amie Yanka. Mais comment les choses vont-elles se passer concrètement ? Y aura-t-il vraiment meurtre ? Être insoupçonnable n’est jamais si facile, même si l’on a tout planifié. Évidemment, on peut y voir aussi l’ambiance de la fin des années 1950, ce qui ne gâte rien. Un roman et un auteur à redécouvrir.

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12 août 2017 6 12 /08 /août /2017 04:55

Vaste renouvellement des députés à l’Assemblée Nationale, en ce début de mandature parlementaire. Chacun prend ses repères, et le doyen des élus prononce le traditionnel discours inaugural à la tribune. Âgé de quatre-vingt-sept ans, Constantin Reverdion n’est plus aussi vaillant qu’il l’a été : il est victime d’un infarctus en public. La mort naturelle ne fait pas de doute. Pourtant peu après, l’AFP reçoit un courrier annonçant qu’il s’agit d’un meurtre, que l’on doit attribuer à un mouvement terroriste. Les élus s’interrogent sur le risque d’attentat visant ainsi l’autorité de l’État, au cœur même de l’Assemblée. Le député Raoul Talpin, habitué à se faire réélire, s’émeut peu de l’affaire. Comme chaque week-end, il retourne dans sa circonscription, auprès de sa population électorale.

Arlette Lecoin est une petite chanteuse locale âgée d’une vingtaine d’années. Même si elle est fiancée à Henri, mécanicien et gardien de but, c’est à sa carrière potentielle qu’Arlette pense en priorité. N’a-t-elle pas connu un vague succès grâce à un passage à la télé ? Elle fait la connaissance de Raoul Talpin et de son suppléant Pierre Valabray. Chef d’entreprise, ce dernier est moins passionné par la politique que le député Talpin. Arlette sait qu’elle a là une carte à jouer. Elle s’arrange pour emprunter le même TGV, quand l’élu retourne à Paris. Talpin promet de s’occuper d’elle, de l’aider pour sa carrière, non sans compensation intime. Il lui loue un studio pour la semaine dès leur arrivée. De son côté, Arlette reprend contact avec des amis de la télé, dont Hugues Malou, qui semble de bon conseil.

Arlette a accès à l’Assemblée Nationale, où Valabray la guide. Mais elle n’est pas venue en touriste, et se moque bien de la politique. Pour avoir des chances d’avancer, Arlette doit d’abord produire un disque. Comment le financer ? En privé, elle évoque avec le député le budget nécessaire, mais il diffère cette question. Hugues Malou a une idée : si Arlette filme en caméra cachée ses ébats avec Raoul Talpin, elle pourra faire pression sur lui grâce à cette vidéo. Cette péronnelle arriviste ne se choque pas d’en arriver à ce genre de chantage. De passage à Paris, son jaloux fiancé Henri a facilement trouvé l’adresse du studio d’Arlette. Elle le rassure sur sa fidélité, insistant sur son ambition de carrière. Mais Henri découvre la vidéo très intime d’Arlette et du député. Il est capable de se venger.

Face au chantage, Raoul Talpin consulte son suppléant Valabray. Il convient de régler le problème en évitant tout scandale. Sur ses deniers personnels, il paie une belle somme, donnant l’argent à Arlette qui sert d’intermédiaire avec le maître-chanteur supposé. Quand un colis piégé explose dans le bureau du député, comment ne pas y voir un lien avec la mort du doyen de l’Assemblée ? Vu le matériel utilisé, c’est plutôt du boulot d’amateur que l’œuvre de pros du terrorisme. La police déniche rapidement la piste d’Arlette, et c’est son fiancé Henri qui fait figure de principal suspect…

Gilbert Picard : Meurtre à l’Assemblée (Fleuve Noir, 1986)

Raoul voulut plaisanter. Mais son rire sonnait faux. Et il se souvint de son ami, le docteur Rami, un éminent cardiologue, qui lui avait conseillé d’éviter les émotions fortes. Il entendait encore dans son oreille ses sages paroles : "Pour ce qui est des émotions, contente-toi de celles que t’occasionne la politique. Laisse les autres aux jeunes. Il y a un âge où il faut savoir regarder les desserts sans les consommer." Pour conjurer le sort, et peut-être fuir une pointe d’angoisse, Raoul Talpin but une nouvelle coupe et prit une autre tranche du gâteau dont parlait le praticien […]
Prétextant qu’il avait des rendez-vous très tôt dans la matinée, il décida de partir en promettant à sa maîtresse de l’inviter le lendemain à déjeuner à l’Assemblée Nationale. Chacun y trouverait son compte. Elle découvrirait cet endroit prestigieux. Quant à lui, il est toujours flatteur à son âge de se montrer en compagnie de jeunes et jolies filles.

En tant qu’auteur de polars, Gilbert Picard a eu un palmarès plutôt prestigieux : Prix du Roman d’aventures 1977, Prix du roman policier de Royan 1979, Prix Moncey 1984, Prix de la Ville d’Antibes 1986. De 1975 à 1983, ses livres furent publiés dans la collection Le Masque, puis ils parurent chez Fleuve Noir. Il y publia des romans d’espionnage et d’anticipation, la majorité de ses titres figurant dans la collection Spécial-Police jusqu’en 1987. Notons encore deux livres parus chez cet éditeur, dans la coll.Crime Story en 1993 : “Spaggiari, ou le Casse du siècle” et “Waco, la secte en feu”. Il s’agit de romans s’inspirant directement de ces affaires spectaculaires.

Le Palais Bourbon et l’activité parlementaire servent de toile de fond à l’intrigue de ce “Meurtre à l’Assemblée”. Rien de comparable avec ce que nous connaissons aujourd’hui ? Si, quand même ! Voilà une trentaine d’années, les 577 députés étaient aussi dissipés que nos actuels élus. Et les professionnels de la politique s’arrangeaient pour ne pas être trahis par leur électorat, apparaissant ponctuellement dans leurs circonscriptions. Il existait déjà un contexte terroriste, sans doute un peu différent de celui des années 2010, mais pas si éloigné. Pour l’essentiel, l’aspect criminel concerne ici davantage des faits privés qu’une affaire publique ou politique. Encore que, parfois, les frontières soient minces. Une solide petite intrigue policière, racontée avec clarté par un auteur confirmé de l’époque.

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11 août 2017 5 11 /08 /août /2017 04:55

À Los Angeles, Bertha Cool a créé une agence de détectives privés, prenant pour associé Donald Lam. Directe et même irascible, Bertha Cool est une femme de poids, qui nourrit sans doute trop sa carrure d’obèse. Toutefois, on ne peut nier un certain dynamisme chez elle. L’allure de Donald Lam, pesant une soixantaine de kilos, est plus souple. C’est un ancien avocat qui s’est reconverti en tant que détective privé. Il n’est jamais à court de ruses et d’initiatives pour mener à bien ses tortueuses enquêtes. En cette année 1942, après l’attaque de Pearl Harbor, les États-Unis sont en guerre. Mais la vie continue dans le pays, et le duo de détectives poursuit ses activités.

C’est à La Nouvelle Orléans que se situe la nouvelle mission de Donald Lam et de Bertha Cool. Un avoué new-yorkais, M.Hale, les a engagés pour retrouver Roberta Fenn. Âgée de vingt-trois ans, elle a disparu trois ans plus tôt, alors qu’elle logeait dans un appartement du Vieux Carré, le quartier français traditionnel de la ville. Elle semble avoir utilisé un faux nom, Edna Cutler, à cette époque. Donald Lam ayant interrogé plusieurs témoins dans le secteur, il apparaît que Roberta Fenn serait toujours dans les parages. En effet, la jeune femme est devenue employée de banque. Elle habite dans un immeuble de Saint Charles Avenue. Le détective n’aurait pas de raison d’aller plus loin dans sa mission.

Pourtant, plusieurs éléments restent curieux. Roberta a été en contact avec un nommé Archibald Smith, de Chicago, qui ressemble fort à leur client, M.Hale. Donald Lam se demande pourquoi leur agence, basée en Californie, a été choisie pour retrouver Roberta Fenn, en Louisiane. Entre-temps, M.Cutler arrive de Los Angeles, recherchant son ex-épouse Edna. Leur divorce devrait être clos, mais un incident fâcheux pose problème. Un cadavre est découvert au domicile de Roberta. Le détective avait aperçu peu avant ce Paul Nostrander, avocat de trente-trois ans, aux abords de chez la jeune femme. Roberta a disparu, suite au meurtre. Quant à Cutler, il est toujours en ville, cherchant Edna.

Dans l’appartement du Vieux Carré, Donald Lam et M.Hale découvrent une cachette dans un meuble, contenant un revolver et des documents. Selon ces articles de presse, Roberta a été impliquée cinq ans plus tôt dans une affaire criminelle. Elle en fut une des victimes, ou peut-être la coupable. Donald Lam avait une piste au sujet d’Edna Cutler, du côté de Little Rock (Arkansas). Grâce à un de ces subterfuges dont il a le secret, le détective trouve l’adresse actuelle d’Edna, à Shreveport (Louisiane). Il quitte La Nouvelle Orléans, où le meurtre de l’avocat Nostrander reste non-élucidé pour la police. Il va tirer au clair les combines d’Edna Cutler, avant de se rapatrier avec Roberta Fenn en Californie. Malgré tout, il reste bon nombre de questions à éclaircir sur le rôle des protagonistes. Dont très peu sont vraiment innocents…

A.A.Fair : Des yeux de chouette (Le Masque, 1985)

Elle gravit les dernières marches en soufflant comme un phoque, suivit le couloir d’un pas de grenadier et levait la main pour frapper à la porte lorsqu’elle s’aperçut que celle-ci était entrebâillée…
— Attendez une minute, lui dis-je en l’empoignant précipitamment par le bras.
Je venais d’apercevoir, au milieu de la pièce, deux pieds d’homme dans une position insolite. Puis la porte, en achevant de s’ouvrir, découvrit le corps tout entier, affalé moitié sur un fauteuil moité par terre, la tête sur le plancher, une jambe repliée sur le bras du fauteuil. Un filet rouge sombre partait du sein gauche, avait traversé l’étoffe de la veste et s’était répandu sur le plancher en formant une mare d’aspect sinistre. Un coussin légèrement roussi, dont on avait dû se servir pour assourdir la détonation, gisait au milieu de la pièce.

Auteur de plus de quatre-vingt intrigues consacrées à l’avocat Perry Mason, Erle Stanley Gardner signa cette autre série sous le pseudonyme de A.A.Fair. De 1939 à 1970, Bertha Cool et Donald Lam furent les héros de vingt-neuf titres. La plupart furent publiés aux Presses de la Cité, coll.Un Mystère. “Des yeux de chouette” (Owls Don't Blink) date de 1942, c’est le sixième roman de cette série. Il a été publié en français dès 1950 dans les collections Détective-Club de l’éditeur Ditis. En 1985, ce roman fut réédité dans la coll. Le Masque. Le duo Bertha Cool-Donald Lam n’est pas sans faire penser à celui imaginé par Rex Stout, composé de Nero Wolfe (cent trente kilos) et de son assistant Archie Goodwin, qui mène effectivement les enquêtes – que la série d’A.A.Fair était censée concurrencer.

Racontées par Donald Lam, les investigations du détective privé sont fertiles en énigmes, en péripéties, en pistes à suivre, en suspects hypothétiques. Des enquêtes embrouillées, où l’on comprend bien vite qu’il suffit de suivre les pas du "privé". La caractérielle Bertha apporte une touche d’humour : cette fois, ce n’est pas en goûtant les spécialités culinaires de La Nouvelle Orléans qu’elle risque de maigrir. Mais elle n’a pas que des défauts, elle est patriote. Car c’est justement ce qui fait l’intérêt de cet épisode de leurs aventures.

L’action se déroule peu après l’entrée en guerre des Américains. Sur leur territoire, le quotidien change peu, mais le contexte est déjà présent. Ce qui n’empêche pas de continuer à faire la fête dans le Vieux Carré, entre Bourbon Street, Royal Street et autres rues fourmillant de bars-clubs avec entraîneuses. Esprit festif mais sans équivoque : Vous savez ce que c’est, à La Nouvelle Orléans. Il suffit qu’une femme aille s’asseoir dans un bar, et il y a aussitôt deux ou trois hommes autour d’elle. Mais ça ne tire pas à conséquence. Ce serait dans une autre ville, on vous prendrait tout de suite pour une grue. Là, non. Enfin, c’est La Nouvelle Orléans…” La description de l’ambiance contribue à rendre vivante cette histoire, témoignant de l’époque. Une série à redécouvrir.

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6 août 2017 7 06 /08 /août /2017 04:55

Le détective privé Nestor Burma se rend à la Gare de Lyon, où sa secrétaire Hélène est censée rentrer de Cannes. Mais elle n’est pas dans le train en provenance de Marseille. La Foire du Trône n’est pas loin, place de la Nation. Il y a de l’animation, des attractions en tous genres, et des jolies femmes. Nestor en suit une sur le Super-Grand-Huit. C’est alors qu’il est attaqué par derrière, se bagarrant avec un inconnu sur le scenic-railway. Nestor a failli passer par-dessus bord, mais c’est l’autre qui s’est tué en tombant. Possédant une arme, le détective est obligé de s’expliquer avec les policiers du 12e arrondissement. Heureusement qu’il est un ami du commissaire Florimond Faroux, de la Criminelle. Celui-ci arrive bientôt à la rescousse, garantissant l’honnêteté de Burma.

La jolie femme remarquée par le détective a été choquée par l’accident car elle se trouvait dans le wagonnet juste devant, sur le scenic-railway. Elle s’appelle Simone Blanchet. Quant à l’agresseur, il se nommait Roger Lancelin. Soit il s’agissait d’un dingue, soit il y a eu méprise concernant Nestor Burma. L’année précédente, un accident similaire s’était produit sur le même Super-Grand-Huit. Le détective recueille le témoignage de la jeune victime, Geneviève Lissert, restée gravement handicapée depuis. Il n’aime pas ce genre de coïncidences. Il prend ensuite contacte avec Simone Blanchet. Elle ne connaît pas non plus l’agresseur, ce Lancelin. Toujours sensible au charme féminin, Burma accompagne la jeune femme pour une nouvelle balade à la Foire du Trône.

Simone y est importunée par un groupe de petits frimeurs. Comme ils sont trop insistants, ça se termine en pugilat. Heureusement qu’un lutteur de foire intervient en faveur de Burma. Selon le commissaire Faroux, le défunt Lancelin (dont ce n’est pas le vrai nom) aurait été impliqué huit mois plus tôt dans le vol de cent cinquante kilos d’or, en gare de Montpellier. Un de ses complices vient d’être arrêté. L’entreprise victime du vol versera une belle prime à qui retrouvera l’or. Certes, ça peut motiver le détective, mais il a surtout envie de comprendre. Qu’on l’ait pris pour un flic alors qu’il attendait Hélène en Gare de Lyon, soit. La suite s’avère moins explicable. Peut-être que le nommé Albert Millot, petit chef des bagarreurs avec lesquels s’il s’est colleté, savait quelque chose ?

Le jeune Bébert, “c’est un mariole de fête foraine, un caïd en simili-imitation, un corniaud qui voudrait bien bouffer un mur pour cracher des briques, mais dont le ciboulot n’est pas organisé pour imaginer quoi que ce soit.” Par contre, la fille qui vit depuis quelques jours avec lui, elle a sûrement des choses à cacher. Cette Christine s’enfuit bien vite, même si on ne tarde pas à la retrouver. Entre-temps, un négociant en vins de Bercy s’est adressé au détective, requérant ses services. Il risque fort d’y avoir d’autres cadavres dans cette affaire. C’est dans une maison de Saint-Mandé, près de chez Mme Parmentier (une lectrice d’histoires policières), que Nestor Burma va dénicher les clés de tous ces mystères…

Léo Malet : Casse-pipe à la Nation – Nestor Burma (1957)

Elle ne se le fait pas répéter. Elle se pelotonne dans un coin, comme un chat frileux. Hop. Je volte rapidement et balance un coup de crosse sur la main de Bébert. Je ne sais pas ce qu’elle était en train de manigancer, si ses intentions étaient bonnes ou mauvaises, mais enfin elle s’approchait un peu trop près de moi, à mon gré. La gouape pâlit sous le coup et agite sa main, pour lui donner de l’air, puis se la prend dans l’autre, en dansant de douleur. De toutes mes forces, je catapulte le zigue. Il perd l’équilibre et tombe sur une caisse, qu’il écrase sous son poids. Il reste assis parmi les débris de bois. Je souhaite qu’une écharde lui ravage les fesses. Sans cesser de frictionner sa pogne endolorie, qui vire lentement au technicolor, il me regarde et dit :
— Ça va. C’est régulier. Vous voulez votre revanche, hein ? À moins que ça vous suffise comme ça. Mais si vous voulez une vraie revanche, j’aimerais autant qu’on aille ailleurs.

Nestor Burma est une des grandes figures de la littérature policière française. Son agence de détective est basée rue des Petits-Champs où, généralement, il est assisté par Hélène, sa dévouée secrétaire. Dans la série “les nouveaux mystères de Paris”, Burma va explorer une quinzaine d’arrondissements, en cette fin des années 1950. On retiendra les intrigues énigmatiques à souhaits, fort bien construites, évidemment. Les péripéties ne manquent pas, et le détective a souvent l’occasion de se bagarrer, ou de prendre un coup sur la tête qui va l’assommer. Mais ses aventures sont également un témoignage sur le Paris d’alors.

Le voici dans le 12e arrondissement : “Ça ne manque pas d’arbres, dans le 12e… Et des beaux. Pourvu que ça dure. Avec leur urbanisme et leurs problèmes de la circulation, ils sont bien capables d’abattre tout ça, un de ces quatre.” Léo Malet, l’auteur, est lucide quant aux transformations de la ville. En ce temps-là, Bercy était synonyme des entrepôts de vins qui irriguaient la consommation des Parisiens, et non d’un puissant ministère. Une activité traditionnelle qui périclitera une vingtaine d’années plus tard. En mai, place de la Nation, se tenait la Foire du Trône. Avec des attractions beaucoup plus typiques que les manèges, aussi sensationnels soient-ils aujourd’hui. Les forains avaient leurs baraques où le public était convié, des cracheurs de feu aux lutteurs en passant par les voyantes et tant d’autres animations. Époque révolue, mais il n’est pas interdit de s’en souvenir.

Damnée modernité, estime Nestor Burma ! En 1957, circulent encore des locomotives à vapeur, nettement plus attirantes que les nouvelles machines : “C’est un de ces trains à traction électrique, à qui il manquera toujours la poésie spéciale qui s’attache aux locomotives puissantes, rugissant, crachant, et enveloppées de fumée.” On notera au passage une référence à l’abbé Pierre : “On est couverts par les types d’à côté, ceux qui crèchent dans le baraquement. Ce sont des ménages de boulots que l’abbé Pierre a placés là, en attendant mieux.” Les enquêtes et le suspense, oui. Mais c’est aussi le témoignage historique qui séduit dans ces aventures.

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