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17 janvier 2018 3 17 /01 /janvier /2018 05:55

Peut-être faut-il préciser une nouvelle fois que “Temps Noir” n’est pas un magazine polar, mais une publication de référence destinée à celles et à ceux qui sont intéressés par l’univers des littératures policières, d’hier et d’aujourd’hui. Animée par Franck Lhomeau, cette revue présente de précieux témoignages, documents et illustrations, sur ce genre littéraire et son histoire. Soulignons la belle et riche iconographie accompagnant à chaque fois les textes. Dans ce vingtième numéro, il est largement question des liens entre les romans noirs et le cinéma…

S’il publie quelques romans au début des années 1950 dans la collection Fleuve Noir Spécial-Police (Priez pour elle, Méfiez-vous des blondes, Massacre en dentelles), c’est en tant que scénariste et dialoguiste que Michel Audiard acquiert une notoriété certaine dès cette époque. Il a le sens des répliques qui font mouche (“Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît” Le jour où on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner.”), servies par de grands acteurs. Ayant contribué au succès de nombreux films, il symbolise un cinéma populaire qui marqua trois décennies. Mais il subsiste des zones d’ombres dans la vie de Michel Audiard, qui ne souhaitait guère s’exprimer sur ses débuts professionnels.

Né en 1920, s’étant forgé une culture ambitieuse, le jeune homme vivote dans le Paris de la guerre. Sa rencontre avec Robert Courtine lui permet d’entrer à l’hebdomadaire L’Appel, publication collaborationniste dirigée par Pierre Costantini. De juillet 1943 à août 1944, il va écrire, principalement des nouvelles, pour ce journal – dont les Juifs sont la première cible. Les textes de Michel Audiard sont parfois sombres, mais généralement guillerets, souriants. Toutefois, respectant l’idéologie de L’Appel, il n’est pas rare que l’on trouve des allusions directes à une supposée fourberie juive. Dans d’autres articles, en tant que critique, il a parfois la dent dure contre le monde artistique d’alors, mais défend aussi des talents tels les cinéastes Jacques Becker ou Gilles Grangier.

À la Libération, tandis que Robert Courtine est en fuite à Sigmaringen, Audiard est brièvement inquiété car il a été chargé de veiller sur l’appartement de Courtine. Son rôle est minimisé, quelle qu’en soit la raison. Après la guerre, il entre au journal L’Étoile du Soir, où il écrit des articles sur le cinéma. S’il se montre mordant vis-à-vis de certains films ayant plu au public, il défend des chefs d’œuvres comme “Citizen Kane”, “Arsenic et vieilles dentelles” et des films américains issus du roman noir… Franck Lhomeau retrace en détail cette période méconnue de la vie de Michel Audiard.

Revue “Temps Noir” n°20 : le roman noir, quel cinéma ! (Éd.Joseph K)

Après-guerre, deux grandes collections sont lancées en parallèle, qui ont pour but de présenter au public français des auteurs anglais et américains. Face à la Série Noire, sous la direction de Marcel Duhamel, l’éditeur Sven Nielsen a créé les Presses de la Cité, avec sa collection Un Mystère. La rivalité s’installe vite, concernant les traductions et les droits d’auteurs accordés aux écrivains étrangers. Nielsen a deux atouts de poids : il récupère la publication des romans de Simenon avec lequel il est ami ; et il se montre généreux quant aux sommes et pourcentages octroyées aux auteurs traduits. Peter Cheney est alors le plus en vue, tant pour ses polars que pour ses romans d’espionnage. C’est Sven Nielsen qui rafle la mise, au grand dam de Marcel Duhamel. Ce dernier est conscient qu’il y a un auteur à ne pas rater : Raymond Chandler. Les tractations vont bon train, compliquées car les nouvelles de celui-ci intéressent moins la Série Noire… Un épisode éditorial que raconte Cécile Cottenet dans un article documenté.

De la fin des années 1940 à la décennie 1960, le cinéma britannique a produit quelques remarquables films noirs. Certains sont restés très célèbres, y compris pour leur ambiance musicale, d’autres méritent d’être redécouverts. Ce qui est possible grâce aux DVD. L’auteure Cathi Unsworth, dont plusieurs romans ont été publiés chez Rivages, propose sa sélection de titres. Des perles rares, choisies avec pertinence… Dans ce n°20, Pierre Charrel présente un dossier qui permet aux lecteurs de mieux connaître Fabrice Colin, Brian Everson, Claro, François Angelier (à propos de la collection dédiée à Jean Ray), et David Peace évoque Sherlock Holmes à travers un petit texte inédit en français.

La Série Noire et le cinéma, toute une histoire que nous rappelle François Lhomeau. Bon nombre de romans américains publiés dans la collection ont été adaptés au cinéma. Films de gangsters, scènes nocturnes et urbaines, tension et trahison entre les héros, violence et coups de feu, durs-à-cuire et femmes fatales, la légende du "film noir" est déjà sur les écrans quand naît la Série Noire. Durant les premières années, les auteurs français sont rares dans la collection, à l’exception notable de Jean Amila. Difficile de produire des films de truands "à la française". C’est le “Touchez pas au grisbi” d’Albert Simonin qui, se déroulant dans le monde de la pègre, sera le premier à être transposé au cinéma. On y utilise l’argot comme, dans les films américains, le slang. C’est une sorte d’aristocratie du banditisme qui est au centre de l’histoire : “Max-le-Menteur et ses amis déambulent comme des pachas dans les rues de la Capitale, au volant de voitures de luxe…”

Suivront “Du rififi chez les hommes”, “Razzia sur la chnouf”, “Le rouge est mis”, autant de films évoquant les vicissitudes du Milieu. Mais il ne faudrait pas oublier l’atmosphère d’un grand film de l’époque, “Gas-Oil”, d’après le roman de Georges Bayle. L’auteur est un chauffeur routier, qui décrit admirablement son univers. Ce sera fort bien illustré à l’écran par le cinéaste Gilles Grangier, avec Jean Gabin et Jeanne Moreau. Quant à “Classe tous risques”, roman de José Giovanni s’inspirant du truand Abel Danos, ce rôle offre à Lino Ventura l’occasion de changer de style : “Plus mature, dépouillé de ses allures de brute épaisse et cosmopolite, il entre aisément dans le costume du caïd vieillissant…” Un autre roman de José Giovanni, “Un nommé La Rocca”, sera bientôt adapté au cinéma, histoire sombre et percutante à souhaits.

On ne peut passer à côté du film de Jean-Pierre Melville “Le Doulos”, truffé de références à l’Amérique revendiquées par le cinéaste. Mais l’humour va finalement s’imposer dans ces productions, remplaçant le strict climat de la pègre par des parodies appréciées du grand public. “Le cave se rebiffe” et “Les tontons flingueurs” en sont la meilleure illustration. Un truand semi-retraité et un orfèvre de la gravure de "faux talbins" doublant leurs congénères, la démonstration est plutôt jouissive dans le premier. (Ça court les rues, les grands cons ! — Mais celui-là c'est un gabarit exceptionnel ! Si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon ! Il serait à Sèvres !”). Quant au second, pas une scène qu’on ait oubliée tant ce film regorge de drôlerie. Un dossier qui nous replonge dans une époque où inventivité et audace permirent de créer des films d’anthologie.

Encore un numéro de Temps Noir à ne pas manquer.

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28 décembre 2017 4 28 /12 /décembre /2017 05:55

Barney Mandell est un champion de boxe connaissant une célébrité certaine dans la région de Chicago, autour de 1950. Il est né dans une famille d’immigrés polonais, et s’appelle officiellement Bernard Mancztochski. Il a été élevé dans le quartier des abattoirs, le plus pauvre de Chicago. Ma, sa mère, y habite toujours, ainsi que Rosemary Doyle, leur voisine infirmière, amie d’enfance de Barney. Son père est décédé, de même que son oncle Vladimir qu’il n’a jamais connu. Cet enseignant polonais s’était, lui, expatrié au Brésil. Barney a épousé la séduisante Gale Ebbling, fille du fortuné Juge Ebbling, lequel vit dans une belle propriété de Lake Forest. Ces deux dernières années, sujet à des hallucinations pouvant entraîner des violences, Barney les a passées dans un hôpital psychiatrique.

Cette épreuve est terminée pour le boxeur, qui est sorti le jour-même. Il s’est installé dans un hôtel de Randolph Street. En partie parce qu’il est déçu que Gale ne soit pas présente, il a passé la journée à s’enivrer dans des bars. Agressé dans sa chambre d’hôtel, Barney découvre bientôt le cadavre d’une blonde dans sa salle de bains. Cette Virginie Marvin l’avait allumé quelques heures plus tôt, mais il ne lui avait pas cédé. Barney est presque sûr de ne pas avoir tué cette fille. Il pense fuir, mais manque d’argent. Alors, autant qu’il appelle la police. Appartenant à une famille de flics, Rosemary le rencontre en cellule. Elle ne le croit pas coupable. Mais c’est évidemment l’intervention du Juge Ebbling qui s’avère capitale. Si l’enquête se poursuit, les charges contre Barney semblent occultées.

M.Curtiss est un agent officiel du fisc, qui paraît informé dans les détails de tout ce qui concerne Barney et sa famille. Toutefois, le boxeur n’en saura pas davantage, car Curtiss est abattu par un inconnu. Barney ne peut pas exclure avoir été lui aussi visé. Prévenir la police ? Non, il a hâte de rejoindre Gale à l’hôtel. Mais avant, il fait un détour par chez sa mère. Où se trouve Rosemary, mécontente contre Barney, et surtout Pat Doyle, le frère policier de la jeune femme. Ce dernier reproche au boxeur d’avoir laissé sa mère sans soutien financier depuis deux ans, Ma ayant vécu de la charité du voisinage. Ce n’est pas ce qu’avait prévu Barney pour sa mère, pourtant. De nouveau, il va être interpellé par les policiers, concernant cette fois le meurtre de M.Curtiss.

Cette fois, son beau-père s’est carrément déplacé pour le sortir de prison. Voiture avec chauffeur, prestige du personnage, Barney n’a d’autre choix que de jouer "profil bas" face au Juge Ebbling. Il ne sait trop si une caution a été versée. Dans un premier temps, il rejoint Gale à l’hôtel, pour des retrouvailles torrides. Puis le couple quitte Chicago, pour la maison des Ebbling, à Lake Forest. L’inspecteur Carlton et le lieutenant Rose viennent jusqu’à là relancer Barney, qui redoute de sombrer à nouveau dans un état psychologique le renvoyant à l’asile…

Day Keene : Deuil immédiat (Série Noire, 1958)

Alors on le regarderait comme on regarde un fou. On annulerait sa caution et on le retiendrait, comme témoin, sans même lui donner le temps de voir Gale. Mandell se remit à transpirer. La police pouvait tout aussi bien penser qu’il avait tué Curtiss. L’inspecteur Carlton le considérait comme un assassin. La dernière chose que Carlton avait dite, c’était : "Je mettrais ma tête à couper que Mandell était avec la souris, et qu’il l’a descendue."
Le jour commençait à éclairer la fenêtre. Les périodes de silence, entre les grondements du métro, diminuaient au fur et à mesure que le rythme du jour croissait pour acheminer le premier flot matinal. Il y eut un bruit précipité, quelque part dans l’immeuble. Dehors, dans le couloir, des portes de fer s’ouvraient et se fermaient ; c’étaient les groupes d’ascenseurs qui s’étaient mis en marche.

Écrit en 1951, “Deuil immédiat” fut le cinquième roman signé Day Keene (1904-1969). On peut préférer son titre original “To kiss, or kill” (Embrasser ou tuer), plus évocateur. Paru en 1954 dans la collection Oscar, peu diffusée, il trouva sa place en 1958 dans la Série Noire, dont l’auteur était déjà un des piliers. Il fut réédité en poche dans la collection Carré Noir en 1973. Day Keene reste un des experts du roman noir de l’après-guerre. En examinant une intrigue telle que celle-ci, on réalise à quel point elle est finement pensée et fort bien construite. Il ne s’agit pas simplement de présenter un héros accusé à tort, qui s’enferre dans la position de coupable idéal. L’auteur ne noircit pas les situations, mais il entretient des questions énigmatiques autour du personnage central.

Barney Mandell n’est pas un quidam ordinaire. Issu d’une modeste famille de Polonais, son parcours ascensionnel plaide pour lui : c’est un type réglo. Ce qu’il rappelle ainsi à un de ses amis du quartier : “Je ne vous ai rien fait et vous me traitez comme une merde. Je suis fort en gueule, je suis un gars prudent, je suis un voyou de derrière les abattoirs, à qui un petit succès sur le ring et un riche mariage sont montés à la tête. Tout ça c’est des conneries. Vous le savez. Pourquoi est-ce que je n’aurais pas une bonne opinion de moi-même. Je suis en haut de l’échelle, à côté des meilleurs gars de ma série. J’ai gagné un tas de fric avec mes poings…” Peut-être a-t-il des défauts, et fut-il un temps ébranlé par les coups au point d’être interné, mais c’est quelqu’un qui n’a rien à se reprocher. Et c’est ainsi qu’on le suit dans ses mésaventures, qu’on espère qu’il se tirera du pétrin, car on est confiant quant à son innocence.

Les romans de Day Keene étaient d’excellents polars, il faut s’en souvenir.

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26 décembre 2017 2 26 /12 /décembre /2017 05:55

Début de l’année 1960. Âgé de cinquante-cinq ans, l’inspecteur de police Stanislas Worms a pris sa retraite, quittant Paris pour s’installer à Rennes avec son épouse. En février, il apprend tardivement le décès de son ami du même âge Albert Mourelle, de Douarnenez. Celui-ci y dirigeait la Biscuiterie Celtique. Libre de son temps, Worms se rend peu après à Douarnenez, qui fête à cette époque les Gras, le carnaval de la ville. Suzanne, la veuve de Mourelle, est beaucoup plus jeune que le défunt. Il s’est remarié, sa première épouse et leur fille étant mortes plusieurs années plus tôt. Chez Suzanne vit aussi sa propre mère, Mme Maz, vieillarde silencieuse qui passe pour une folle mystique. C’est avec sympathie que la jeune veuve accueille Stanislas Worms, lui apprenant que son mari s’est suicidé.

M.Lautridou, gestionnaire administratif de la Biscuiterie Celtique, confirme à Worms que l’entreprise connaissait depuis quelques années de graves difficultés financières. Dans une telle situation, rien d’étonnant que Mourelle ait choisi d’en finir. Néanmoins, l’ex-inspecteur se pose des questions, même si ses doutes ne se basent que sur de vagues impressions. Certes, l’emploi du temps de l’après-midi fatal paraît clairement établi, selon les dires de sa secrétaire. Pourtant, cette Mlle Le Guen, célibataire sportive de trente ans, n’inspire que modérément confiance à Worms. En outre, des visiteurs pouvaient entrer dans le bureau de Mourelle aussi bien par l’entreprise que par son domicile privé. Roger Martin, ouvrier syndicaliste, semble être le dernier a avoir vu vivant Mourelle.

Worms ne tarde pas à interroger Roger Martin, qui nie avoir assassiné son patron. Venu de Nantes durant la guerre, l’ouvrier fut alors en quelque sorte protégé par Mourelle. Si leurs idéaux politiques divergeaient, Martin n’oubliait pas ce qu’il devait au défunt. Worms dort mal la nuit suivante, autant à cause des échos du carnaval, que parce qu’il reste troublé par beaucoup de questions. Et quelqu’un s’introduit clandestinement dans les bureaux, ce qui s’explique mal. Le vieux gardien Joseph, qu’il interroge le lendemain, est sûrement honnête, mais son témoignage est-il si fiable ? Réunir les protagonistes paraissait une bonne idée à Worms, mais il constate surtout l’animosité entre Suzanne Mourelle et Mlle Le Guen. Dès lors, on peut imaginer que Roger Martin et la veuve soient très proches.

On en est toujours au stade d’éléments diffus, quand l’ancien policier trouve un meilleur indice. Il s’agit d’un chèque, avec un montant déjà conséquent, signé le mois précédent par Mourelle. En apparence, rien d’anormal selon la banque. Tandis que Roger Martin prend la fuite, possible signe de culpabilité, Stanislas Worms fait un détour par Nantes afin de mieux cerner l’affaire. Au final, une reconstitution de la mort de Mourelle devrait permettre de tout comprendre…

Jean-François Coatmeur : Chantage sur une ombre (Le Masque, 1963)

— Ainsi, murmura Worms, vous n’avez pas quitté votre siège de l’après-midi. Et vous n’avez rien entendu ? Pas un écho de la lutte qui peut-être se déroulait à deux pas, derrière cette porte ? Et le coup de feu, rien ?
— On entend très mal d’un bureau à l’autre. M.Mourelle, qui était très dur d’oreille, aggravait encore comme à plaisir son isolement. Vous pouvez parler à côté, votre voix ne percera pas cette cloison (…) Quant au coup de feu, continua la jeune fille, je tiens du commissaire Malgorn en personne que la balle a été tirée à bout touchant, ce qui a dû amortir la détonation. Et n’oubliez pas que la machine de l’usine assure un bruit de fond permanent, qui tend à absorber tous les autres bruits.

La France de 1960 est encore très marquée par le souvenir de la Guerre mondiale, pas si éloignée. Coatmeur va évidemment l’inclure dans cette intrigue, se passant Douarnenez. Un décor qu’il maîtrisait parfaitement, lui qui était natif de Pouldavid-sur-mer, un quartier de cette ville. Notons que, plutôt qu’une des multiples conserveries de sardines, il évoque une usine de biscuiterie – plus sujette à des problèmes financiers, peut-être. On regrette un peu qu’il n’y ait pas davantage de détails sur les Gras, pittoresque rendez-vous festif cher aux habitants des environs.

Publié en 1963 dans la collection Le Masque, “Chantage sur une ombre” est le premier roman paru de Jean-François Coatmeur. Il ne le reniait assurément pas, mais pouvait le considérer comme un "galop d’essai" avant d’affirmer une manière plus personnelle, plus tard dans la collection Crime-Club chez Denoël. Même si l’inspecteur Worms est un récent retraité, ça reste avant tout une enquête policière. Toutefois, l’auteur ne s’inspire pas d’un modèle du genre commissaire Maigret, comme le firent tant d’autres romanciers d’alors. Les investigations de Worms visent à rectifier la version officielle, peu satisfaisante, de la mort de son ami. Avec des hypothèses et une poignée de suspects, dans la tradition. Non sans une belle part de psychologie et d’ambiance énigmatique. Décédé le 11 décembre 2017, Jean-François Coatmeur livrait là un premier titre d’un bon niveau.

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24 décembre 2017 7 24 /12 /décembre /2017 05:55

Une petite ville au bord de la Loire, vers 1960. Le commandant Dromart est un valeureux ancien combattant, médaillé militaire en Indochine. C’est à cette époque qu’il est devenu aveugle. Portant le monocle, il fréquente le cercle des notables locaux. Chacun admet son talent de guérisseur, Dromart pratiquant l’acupuncture. D’ailleurs, il enseigne cette science à sa jeune voisine Georgette Abadie, qui est sage-femme. La vie privée de cette personne n’est pas sans secrets. Elle est la maîtresse cachée d’Alexandre Mérignac, politicien ayant des ambitions nationales. Toutefois, ce dernier compte rompre avec Mlle Abadie, afin de se fiancer avec Mme Desforges. Car une ravissante quadragénaire, veuve d’un capitaine de vaisseau, assez fortunée, c’est tout de même plus digne du rang de M.Mérignac qu’une simple sage-femme. Il demandera au commandant d’annoncer la rupture à Mlle Abadie.

Ce jour-là, il règne une certaine agitation dans l’immeuble où habite Dromart. Il apprend que Georgette Abadie, sortie pour une urgence dans la nuit, revenue et repartie, n’est pas encore rentrée. C’est en se rendant au commissariat pour signaler l’incident que Dromart apprend le meurtre de la jeune femme. Elle a été poignardée le matin même chez Mérignac. S’il n’est probablement pas le coupable, c’est la fin de la carrière politique de celui-ci. Le journaliste Pomarède, défavorable à la candidature de M.Mérignac, se charge de laisser planer le soupçon, bien que ne l’accusant pas. Sur le lieu du crime, on retrouve une bourse pleine de pièces d’or appartenant à la victime, mais le poignard meurtrier n’est pas celui qui tua Georgette Abadie. Il s’agit d’un couteau asiatique, que le commandant Dromart avait offert à Mérignac. Cet échange d’armes ne s’explique guère.

Le commissaire Tournemire est avisé d’un autre problème local. À quinze kilomètres de là, se trouve le château-forteresse du marquis de Nostang. L’aristocrate y vit assez reclus, avec sa fille de vingt ans, Bénédicte. Celle-ci souffre d’un mal disgracieux au visage. Outre le garde-chasse du domaine et sa belle épouse, la propriété du marquis héberge aussi un jeune Hongrois, Matyas Szolnok. Ce dernier a été tué dans un malencontreux accident de chasse, avant que son corps disparaisse dans des eaux profondes. La gendarmerie a été appelée pour cet accident, qui serait juste regrettable s’il n’était suivi de plusieurs suicides fort énigmatiques. De son côté, Tournemire reçoit le renfort du commissaire Périgny, plus compétent que lui en matière de meurtres. Chez les notables, on conseille à M.Mérignac de se faire bien vite oublier, de partir en voyage tandis que l’on s’occupe du crime.

Le journaliste Pomarède a invité un de ses amis le rejoindre. Marcel Colombe est détective privé. Avec le commandant Dromart, dont Pomarède connaît la sagacité, ils se rendent au château de Nostang. Où le marquis, aristocrate à l’ancienne maître chez lui, affiche une hostilité flagrante. Pas question qu’on fourre son nez dans ses affaires. À part l’accident de chasse, rien à reprocher au marquis selon les policiers, qui ne situent aucun lien pouvant exister avec la mort de Mlle Abadie. Par contre, ils pensent qu’un protagoniste a commis une usurpation d’identité, qui sera confirmée. Pour autant, ce n’est pas un assassin…

Rémy : Le monocle noir (Prix du Quai des Orfèvres, 1960)

Dans le miroir qui était suspendu vis-à-vis de la porte, il distingua clairement une main dressée, armée d’un poignard, qui s’abattit dans le dos de sa maîtresse. Poussant un cri, Mlle Abadie s’écroula tandis que le meurtrier s’enfuyait dans l’escalier. Après un instant de stupeur, Mérignac courut à la fenêtre de l’antichambre. À travers la pluie qui maintenant tombait, fine et froide, il ne discerna qu’une silhouette confuse, au moment même où elle disparaissait au tournant de la rue.
Inanimé, le corps de sa maîtresse gisait sur le tapis, un poignard planté entre les deux épaules. C’était une arme de vénerie, au manche fait d’une patte de sanglier. Sans réfléchir, Mérignac l’arracha de la blessure et le posa sur le marbre de la commode qui était placée sous le miroir. Un peu de sang vint rougir le corsage.

Récompensé par le Prix du Quai des Orfèvres en 1960, “Le monocle noir” fut porté au cinéma par Georges Lautner en 1961, avec Paul Meurisse, Elga Andersen, Bernard Blier, Pierre Blanchar, Gérard Buhr, Marie Dubois, Jacques Dufilho. Le scénario du film : des nostalgiques du nazisme se réunissent au château de Villemaur, pour y rencontrer un survivant du 3e Reich. Parmi eux, se trouve le commandant Dromard, agent secret muni d’un monocle. Cette comédie d’espionnage n’a aucun rapport avec l’histoire d’origine. On y retrouve certains noms : Dromart, le commissaire Tournemire, Bénédicte – la fille du marquis, Mérignac – ici, conservateur du château, Mlle Abadie – secrétaire, et non sage-femme. Ce jeu de cache-cache, pétaradant de "plop, plop" au son des revolvers dotés de silencieux, s’avère sans ressemblance avec le roman du colonel Rémy.

C’est un authentique suspense policier que concocta l’auteur. Témoignage d’une époque, nous sommes là dans l’ambiance d’une ville bourgeoise où magistrat, militaire retraité, médecin, maire, journaliste, politicien, incarnent la bonne société locale. Qui sait comment réagir au mieux de leurs intérêts, quand l’un des leurs est impliqué dans une sale affaire. Il existe encore des nobliaux, fiers de leurs privilèges, vivant quelque peu hors du temps dans un château où nul ne pénètre jamais. En effet, ce genre d’aristocrates conservait un réel dédain pour les populations ordinaires. L’intrigue présente un aspect historique, car la guerre d’Indochine n’est pas si éloignée – la bataille de Cao Bang ne datant que de 1950, par exemple. On note aussi qu’il est question d’acupuncture, types de soins venus d’Asie qui n’étaient sûrement pas très répandus dans la France d’alors.

Plusieurs facettes criminelles sont habilement exploitées, sans inutile tension excessive. Avec une part énigmatique supplémentaire, qui vient corser le dénouement du scénario. Un excellent roman, sauf erreur jamais réédité, qui mérite d’être redécouvert.

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22 décembre 2017 5 22 /12 /décembre /2017 05:55

Marié depuis un an à la ravissante Stella, Dany Lorton est armateur à Liverpool. Pour leur anniversaire de mariage, plusieurs proches amis sont réunis chez le couple : un colonel retraité de l’armée des Indes avec son épouse, un jeune officier de la marine de guerre, et Joë Burton, un riche dilettante explorant le monde au gré de ses voyages sur son voilier. Dany Lorton raconte ses mésaventures à ses invités. Alors que son trois-mâts-voiles le Taï-Wan doublait le cap de Bonne-Espérance, le premier officier de bord Hapgate s’aperçut de la disparition du capitaine Miller, commandant du navire. Étrange, car la porte de sa cabine était hermétiquement close, et le hublot bien fermé. Hapgate trouva un message, de la main du capitaine : "Cette nuit du 28 juin, par X degrés de longitude est, et X degrés de latitude sud, le capitaine Miller a disparu."

Le Taï-Wan est malgré tout rentré à Liverpool, mais le Tribunal Maritime hésite à donner son aval pour la continuation de son activité. D’une part, le capitaine Miller n’avait pas la réputation d’être suicidaire ; d’autre part, dans le milieu maritime, on ne se fie plus guère aux bateaux sur lesquels s’est produit un drame. Néanmoins, l’armateur Dany Lorton va pouvoir organiser un prochain voyage, avec le capitaine Watson pour commandant. Grand amateur de mystères, Joë Burton se joindrait volontiers à l’expédition, mais il a déjà prévu une traversée jusqu’au Brésil en vue de découvrir l’Amazone. Quant à leur ami officier de marine Jacky Pootwick, il doit regagner son bord. L’essentiel, c’est que l’expérimenté capitaine Watson soit prêt à quitter pour quelques mois son douillet cottage côtier.

Certains incidents se produisent en parallèle. Un veilleur de nuit est agressé dans un entrepôt de fret maritime. Il semble qu’un inconnu s’était entre-temps caché dans une caisse déposée dans ce hangar. Par ailleurs, à Carnavon, le policier local est avisé qu’on a découvert un cadavre sur la plage. L’homme n’est pas identifiable. C’est le second corps venu s’échouer là depuis un an… Les mois ont passé. En mer, le Taï-Wan est sur le trajet du retour vers Liverpool. Au cap de Bonne-Espérance, l’officier de bord Hapgate redoute ce qui va effectivement se produire : le capitaine Watson disparaît. Peu après, un passager clandestin apparaît, souffrant de fièvres délirantes. Il va s’en remettre, mais on compte le confier à la police sitôt l’arrivée au port. Hélas, pas avare de fourberie, l’inconnu s’échappe bientôt, et causera même la mort d’un jeune agent de police.

L’inspecteur de police Francis Annemary est un enquêteur chevronné de Scotland Yard. Il renonce aux vacances auxquelles il a droit, pour s’intéresser à la double disparition des capitaines du Taï-Wan. En compagnie de Dany Lorton et de Joë Burton, il commence par explorer le navire. Il ne tarde pas à dénicher une partie de l’explication. Il va poursuivre ses investigations à Carnavon, réquisitionnant deux chalutiers pour mettre la main sur des éléments capitaux. Mais Francis Annemary n’est pas à l’abri du danger : on va tenter de l’empoisonner dans un restaurant. Néanmoins, il saura piéger le coupable…

Maurice Tillieux : Le navire qui tue ses capitaine (Éd.de l’Élan, 2017)

La nuit à bord du Taï-Wan se passa, très calme.
John Hapgate avait pris son quart à deux heures du matin et il allait bientôt en être six. Il bailla et pensa qu’il allait pouvoir dormir dans quelques instants, et il n’en était pas fâché. Mais il faisait si chaud qu’il était certain de ne pas bien dormir, et il désira un peu de fraîcheur. L’air stagnait littéralement autour de lui ; l’atmosphère était lourde, pesante, pas un souffle ! On étouffait. Le soleil se levait et teintait l’horizon de nuances pâles […]
Il se demanda soudain si le capitaine avait disparu cette nuit ? Cette pensée, qu’il trouva ridicule, le fit rire. Pourquoi le capitaine eût-il disparu ? C’était la conversation d’hier qui lui mettait ça en tête. Voyons, quelle heure était-il ?

Cet unique roman publié de Maurice Tillieux (1921-1978), auteur belge de BD, parut en 1943 aux Éditions A.Maréchal, de Liège, dans la collection Le Sphinx. À l’automne 2017, les Éditions de l’Élan l’ont réédité, reprenant le texte d’origine. On y trouve également des illustrations dessinées spécialement par René Follet pour cette nouvelle édition. S’y ajoute un double dossier illustré de documents d’époque : le premier sur le jeune Tillieux et ses débuts, par Daniel Depessemier ; le second sur les romans policiers belges durant la seconde guerre mondiale, par Étienne Borgers. Une curiosité littéraire fort intéressante, ce roman n’ayant plus été publié depuis la première édition.

Toutefois, il ne faut pas s’attendre à roman exceptionnel. On est loin des ambiances de ports telles que décrites par Pierre Mac Orlan, ou même Georges Simenon. Située vers 1927, l’intrigue rappelle les suspenses anglais de l’époque. Des disparitions énigmatiques en mer, quelques faits suspects en Grande-Bretagne, un jeune armateur et son entourage, un policier émérite, l’auteur utilise avec un certain talent les codes du genre. Il est habile à dresser le portrait des personnages, y compris des intervenants annexes tels le sergent de police Templeton, le réceptionnaire d’entrepôt Old Nick Fidler, l’agent Anthony Pucky, etc. L’aspect maritime est très bien mis en valeur, comme il se doit. Et la nature criminelle ou mystérieuse des situations s’avère évocatrice. On sourit parfois, entre amis, comme il est de bon ton au sein de la distingué société britannique d’alors.

Nous sommes là dans la tradition du roman d’enquête de bon aloi, distrayant et d’un niveau très satisfaisant. C’est donc une excellente initiative de proposer aux lecteurs de redécouvrir ce livre oublié de Maurice Tillieux, qui deviendra un grand nom de la BD.

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21 décembre 2017 4 21 /12 /décembre /2017 05:55

Brest, vers la mi-janvier 1991. Âgée de dix-neuf ans, Bernadette Mérou est étudiante en sociologie. Son petit-ami Jean-Loup Rungoat habite rue Saint-Malo, il partage un logement avec son ami Félix. Congolais d’origine, ce dernier y tient une librairie. Line et Théo, les parents quinquagénaires de Bernadette, restent proches de leur fille bien que leur couple soit en crise. Théo s’organise une autre vie à Rennes, mais revient à Brest le week-end. Ce dimanche-là, Line a trouvé Bernadette soucieuse, tendue. Durant l’après-midi, l’emploi du temps de la jeune femme s’avère mal défini. On la retrouve plus tard, victime d’une chute sur les rochers du port, qui aurait pu être fatale. Pendant sept semaines, Bernadette reste dans le coma. À son réveil, de graves séquelles subsistent.

Malgré un séjour médicalisé à Berck-Plage, le traumatisme de Bernadette n’a pas disparu début août. À son retour chez ses parents à Brest, elle conserve un mutisme inquiétant, et rejette toujours certains proches, tel Jean-Loup. Celui-ci et Line s’interrogent sur la chute de la jeune femme, et sur ce qu’elle fit ce dimanche après-midi. Visitant l’appartement de Bernadette, sa mère découvre son mémoire intitulé "Les Exclus de la cité". Elle s’intéressa en particulier au cas d’un vieil homme interné en psychiatrie. Cet Alphonse Ludulic a été placé depuis au Foyer Saint-Urbain, une maison de retraite. Le médecin traitant du foyer est le docteur Marjolin, qui a suivi le cas de Ludulic dès ses premiers dérapages mentaux. Bernadette l’ayant rencontré, Line le contacte, mais il minimise le problème Ludulic.

D’autres ne sont pas coopératifs envers Jean-Loup, non plus : c’est la famille du vieux monsieur, qui vit dans sa propriété. Edmond Crapart, neveu de Ludulic, apparaît comme un homme d’affaire assez influent, appartenant au club de notables "Les Féaux d’Armor". Sa ravissante compagne Asuncion n’est pas sa première épouse. Justin, le fils d’Edmond, fait facilement preuve d’agressivité. Les Crapart font partie d’une classe sociale qui ne se mélange pas avec tout le monde. Selon un voisin, Ludulic était déjà singulier, son parcours de colonial en Afrique y ayant sans doute contribué. Quand Line Mérou peut finalement poser quelques questions au vieil homme, il n’est guère bavard, répondant des platitudes. Ludulic est-il prisonnier de cette maison de retraite, ou de ses fautes passées ?

Si le docteur Marjolin semble troublé et même gêné par ce dossier, au point de se placer en retrait, Edmond Crapart affiche une certaine sérénité. C’est à cause d’une affaire de mœurs que son oncle dut, au départ, être interné. Line et Jean-Loup savent maintenant que Bernadette est passée chez Crapart la veille de son "accident", et qu’elle devait voir Ludulic l’après-midi en question. Jean-Loup et Félix tentent d’entrer nuitamment au foyer pour mettre la pression sur le vieux monsieur, mais c’est un échec. Lorsque se produit un suicide suspect, le policier Lordois et son équipe mènent une enquête sérieuse. Bien des choses méritent d’être éclaircies, en effet. Pour autant, il subsiste un vrai danger autour de Bernadette et de sa mère…

Jean-François Coatmeur : Des feux sous la cendre (Albin Michel, 1994)

Jean-Loup, qui avait réduit l’allure, vit l’individu qui s’extrayait de l’angle opposé de la bâtisse. Costaud, large d’épaules, démarche pesante d’homme de la terre, il portait combinaison de peine et bottes en caoutchouc boueuses et tenait par une laisse courte un grand chien au poil ras. Ludulic ? Après tout, il aurait pu au téléphone faire avaler à Line n’importe quelle salade ? Jean-Loup ralentit encore et stoppa au mitan de la terrasse. Il plaça l’engin sur sa béquille, s’avança. Le type était bien plus jeune qu’il ne l’avait cru, la vingtaine à tout casser, un balèze dont la face avait l’expression bornée à l’animalité forte de ces vachers d’autrefois, pauvres bougres à demi demeurés qu’on croisait parfois dans les campagnes perdues. Le gros chien tendait sa laisse en exhibant des crocs écumants […]
Le garçon le décortiqua pièce à pièce, méthodiquement. Une étincelle roublarde éclaira le lourd visage rougeaud. Le chien continuait de gronder, collé à la botte de son maître, un jus verdâtre lui dégoulinant de la gueule.

Comme dans la plupart des livres de Jean-François Coatmeur, cette intrigue ne repose pas sur des investigations balisées, type "roman d'enquête". Certes, au fil du récit, arrivent de nouveaux éléments qui précisent le rôle – parfois obscur – des protagonistes. La captation des biens d’un vieux colonial n’a d’intérêt qu’à travers les rouages de cette magouille. En fait, c’est le sort de Bernadette et de ses proches qui crée l’ambiance de cette histoire. La jeune femme, apathique suite à sa terrible chute, n’est plus en état de témoigner. Sa mère ne se consacre plus qu’à elle. Même si son mari apporte quelques détails, c’est sur le fougueux petit-ami de Bernadette que Line peut compter pour démêler les mystères.

Il n’est pas nécessaire de vanter la qualité des romans de Jean-François Coatmeur, dont la construction est toujours parfaite. Il est bon de souligner aussi la richesse du vocabulaire employé par l’auteur. Par exemple, il parle plutôt de vestibules et de corridors, au lieu de simples entrées et couloirs. En quelques mots choisis, il décrit une scène : “Sur sa gauche, un réverbère éclairait le béton triste d’une petite église au modernisme biscornu. Il traversa la placette, atteignit le porche”… ou dresse le portrait d’un personnage : “Il s’exprimait d’une voix parcimonieuse, comme si son statut de gringalet impliquait aussi cette économie d’énergie. Dans ses yeux d’un bleu de myosotis s’attardaient des candeurs d’enfance.” Loin d’une narration sans relief, quel style dans l’écriture de l’auteur !

Jean-François Coatmeur nous a quittés le 11 décembre 2017, à quatre-vingt-douze ans. Son œuvre ne sera pas oubliée par les amateurs de suspense. Lire ou relire ses romans, aussi sombres fussent-ils généralement, c’est l’assurance de grands plaisirs de lecture.

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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 05:55

Dans cette ville américaine rôde un psychopathe, un monstre qui a déjà violé et tué deux femmes. Ce soir-là, il espère faire une nouvelle victime, mais la population féminine se méfie maintenant. Bien qu’il ait déjà croisé la silhouette du tueur, ces meurtres ne sont pas le problème de Ray Fleck. Âgé de vingt-neuf ans, il est représentant en alcools. Il est marié à Ruth, vingt-trois ans, serveuse au bar-restaurant grec "Chez Mikos". Comme tant de joueurs invétérés, Ray Fleck a fini par s’endetter. En ce début des années 1960, cinq cent dollars c’est une lourde somme. Son bookmaker Joe Amico ne patientera plus très longtemps avant de réclamer son dû. Il est urgent que Ray trouve une solution. Une partie de poker peut-être, encore faut-il assez d’argent liquide pour miser.

Ruth détient un placement financier, une assurance-vie de dix mille dollars, grâce à quoi elle aurait pu se procurer les cinq cent dollars. Mais la jeune femme a refusé. D’ailleurs, elle commence à s’interroger sur son mariage, pensant au divorce. Elle songe à demander conseil ce soir-là à son patron George Mikos. Ce dernier est platoniquement amoureux de Ruth. S’il ne peut agir sur le mari de son employée, au moins s’efforcera-t-il de la protéger contre le psychopathe lorsqu’elle rentrera chez elle… Benny, trente-cinq ans, est un brave garçon simplet qui tient le kiosque à journaux du quartier. Son psychisme instable pousse Benny à s’accuser de crimes. La police locale le traite avec bienveillance, connaissant son cas. Cette fois, il compte avouer être le monstre qui a tué deux femmes.

Pour Ray Fleck, les petites combines visant à gratter une poignée de dollars ne fonctionnent pas très fort. De pauvres entourloupes qu’il remboursera un jour ou l’autre, mais Joe Amico ne l’entend pas ainsi. Il reçoit chez lui Ray, qui voudrait négocier un délai suffisant. Hélas, la confiance n’est plus de mise entre eux. La seule issue, ce serait Dolly Mason. Elle est esthéticienne, partenaire dans un institut de beauté. Elle aime tant les hommes qu’elle pourrait passer pour nymphomane, sans être prostituée. Elle a un amant en titre, Mack Irby, ex-flic devenu détective privé. Ray Fleck est assez intime avec Dolly, également. Pas au point qu’elle accepte de lui prêter cinq cent dollars, quand il la contacte. Alors, Ray ne trouve rien de mieux que de voler les bijoux de Dolly, qui s’en aperçoit vite.

À vrai dire, Ray a de faux espoirs concernant son butin, car ce n’est que du toc. Quand il s’adresse à un receleur, celui-ci n’est guère conciliant. Le détective Mack Irby a été alerté par sa maîtresse Dolly. Retrouver le vrai nom de Ray et son adresse, 312 Covington place, est un jeu d’enfant pour lui. Repérer dans quel bar il traîne à cette heure de la nuit n’est pas trop compliqué non plus. Tandis que le kiosquier Benny se rend au commissariat, rien ne s’arrange pour Ray. De son côté, il est l’heure pour Ruth de rentrer à son domicile…

Fredric Brown : Ça ne se refuse pas (Série Noire, 1963)

Pas question de prendre l’escalier cette fois. Il appela l’ascenseur. Puis il se rappela quelque chose et prit son portefeuille. Amigo avait dit à Monahan de prendre trente-six dollars, mais Monahan avait peut-être tout raflé. Non. Monahan avait été honnête : le portefeuille contenait le billet de dix et quatre billets d’un dollar. Une misère !
Il fallait absolument taper Dolly maintenant. Et autant essayer d’obtenir d’elle cinq cent dollars pendant qu’il y était. Qu’est-ce qu’il avait à perdre ? Si elle marchait (et il lui proposerait n’importe quel intérêt pour arriver à ses fins) il renoncerait à la partie de poker pour ne pas risquer de les perdre. Il garderait la somme intacte pour être sûr de pouvoir payer Joe demain.
Tandis que cinquante ou cent dollars ne l’avanceraient à rien pour régler la question de Joe. Si Dolly ne pouvait pas faire mieux, sa seule chance ce serait de faire fructifier ce petit pécule au poker.
― "Dolly, Dolly, je t’en supplie, murmura-t-il. Sois comme la maîtresse de ce type dans la nouvelle de Maupassant."

Ce roman a été adapté trois fois à l’écran. Aux États-Unis, "Knock Three-One-Two" fut un épisode de la série Thriller, diffusé le 13 décembre 1960 sur NBC. Une adaptation assez fidèle, avec Joe Maross dans le rôle de Ray Kinton (au lieu de Ray Fleck), Beverly Garland dans celui de Ruth, et Warren Oates. En France, c’est Jean-Pierre Mocky qui transposa cette histoire sous le titre "L’ibis rouge" en 1975, avec Michel Serrault, Michel Simon, Michel Galabru, Jean Le Poulain, Evelyne Buyle. Une nouvelle adaptation française date de 1998 : "Ça ne se refuse pas", un film d’Eric Woreth, avec Isabelle Renauld, Jean-Marc Barr, Julie Gayet, Stéphane Rideau, Daniel Duval : Dans une ville hantée par la présence d’un meurtrier invisible, Marthe traverse la nuit. Endettée au jeu, deux cent mille francs à rembourser sous vingt-quatre heures, ne pouvant compter sur personne, elle s’engage dans une lente spirale, allant de bar en bar pour essayer de se refaire.

Le premier atout à retenir, c’est l’unité de temps : cette histoire se déroule en continu de 17h à 2h45 de la nuit. Ce qui suppose une belle virtuosité de la part de l’auteur, dont ce fut un des derniers romans. Car il n’y a aucun temps mort dans la narration, la logique et la chronologie sont impeccables. Le deuxième atout favorable, c’est la construction du récit. Le chassé-croisé de personnages (Ray, Ruth, Benny, Dolly, Mikos, Mack Irby) est une forme permettant d’en dresser des portraits vivants, et de suivre les péripéties qu’ils vont traverser. Ça assure évidemment un bon tempo. Concernant George Mikos, Fredric Brown trouva une astuce supplémentaire, bel exercice de style. Le troisième atout, c’est bien sûr le dénouement de cette intrigue, une chute inattendue et très maligne.

Il faut souligner la tonalité de ce roman. Avec un criminel dans les parages, il serait facile de plomber l’ambiance. Au contraire, c’est avec une bonne dose d’ironie qu’est racontée la soirée en question. Ray n’est qu’un gagne-petit incapable de se sortir du pétrin. Ruth n’est plus dupe de ce mari dépensier. Dolly la croqueuse d’homme n’est pas stupide. Joe Amico le bookmaker, non plus. Plus de sourires que de noirceur, finalement. Bien que Fredric Brown soit quelque peu oublié aujourd’hui, c’était un auteur d’excellent niveau.

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14 décembre 2017 4 14 /12 /décembre /2017 10:30

D’Horace Mac Coy, on retient les titres de ses romans, publiés chez Gallimard soit dans Série Noire, soit sous couverture blanche : On achève bien les chevaux (1935), Un linceul n’a pas de poche (1937), J’aurais dû rester chez nous (1937), Adieu la vie adieu l’amour (1948), Pertes et fracas (1953). Quand en 1974 est publié “Les rangers du ciel”, on commence à s’apercevoir que Mac Coy était également un excellent auteur de nouvelles. C’est probablement avec “Black Mask stories”, paru aussi au Livre de Poche en 1975, que va éclater cette évidence. Car, parmi les légendaires pulps – magazines bon marchés de l’entre-deux-guerres aux États-Unis – “Black Mask” fut peut-être le plus mythique.

L’introduction de ce recueil est signée Jean-Claude Zylberstein, éminent spécialiste de la littérature populaire, qui créera plus tard la collection Grands Détectives chez 10-18. C’est un portrait d’une remarquable justesse, qui situe autant Horace Mac Coy que son œuvre. Un écrivain inclassable, dont le regard sociétal sur l’Amérique lui ferma certaines portes ? Sûrement. Pourtant, ses romans noirs ont toute leur place aux côtés de ceux de Dashiell Hammett, Raymond Chandler ou David Goodis. Idem pour ses nouvelles, bien sûr. Si les préfaces laissent parfois sceptiques, celle-là est véritablement à lire.

Ici, le premier texte (“Le tueur de tueurs”) apparaît tel une novella, un roman court. Le héros est un enquêteur pur et dur, sans états d’âme particuliers. Le seul but de Jim Sherman est que triomphe la Justice. On est dans le style behavioriste, où la psychologie comportementale se réfère aux actes, pas aux émotions intérieures. Une intrigue rythmée et fort bien ficelée, certes, mais c’est aussi un témoignage sur l’ambiance d’une époque, gangrenée par le banditisme et par une bonne dose de corruption… Les quatre autres nouvelles de ce recueil s’intitulent : Erreur sur la victime, La piste des tropiques, Une vilaine affaire, Le vengeur.

Horace Mac Coy : Black Mask stories (Le Livre de Poche, 1975)

"Le tueur de tueurs" – Au milieu des années 1930, dans une métropole du Middle West. Engagé par un caïd local, le new-yorkais Nicky Arnold a effectivement fait le ménage dans le milieu des bootleggers, les trafiquants d’alcool. S’il a éliminé les gangs rivaux, Nicky Arnold a fini par supprimer son commanditaire pour prendre sa place. Depuis son QG du Sahara Club, il dirige ses affaires en rétribuant largement son personnel, sans oublier d’arroser quelques flics corrompus. Chef de la police, Terry Mulroy est conscient qu’il risque son poste s’il ne parvient pas à faire cesser les activités de Nicky Arnold. D’autant qu’un comité secret de citoyens fortunés met la pression sur lui. Il ne s’agit pas seulement de coincer le truand, mais d’assainir totalement la situation concernant les bootleggers.

L’homme providentiel, c’est Jim Sherman. Voilà dix-huit ans qu’au sein de la police de New York, puis à titre plus individuel, il fait la guerre aux criminels de toute espèce. Il ne manque pas de sang-froid, on le surnomme “le tueur de tueurs”. La réputation de Nicky Arnold, Jim Sherman la connaît et il ne craint pas de l’affronter. Ce sera une mission bien payée, ce qui compte aussi. D’emblée, il s’invite au Sahara Club, manière d’avertir son adversaire : “La prochaine fois que je te rencontrerai, je risque de te traîner en taule.” Dès le lendemain, une femme au service de Nicky Arnold va tenter de le chloroformer dans sa chambre d’hôtel. Jim Sherman ne se laisse pas surprendre. Il imagine un plan : peut-être qu’en excitant Mink Molardo, le chef d’un autre gang, il pourrait atteindre Nicky Arnold.

Tous les policiers ne sont pas des pourris. Jim Sherman s’appuie sur les inspecteurs Dick George et Walker. Mais c’est une bataille mortelle qui est lancée contre le banditisme, et ça risque d’expédier pas mal de monde à l’hôpital, ou pire. Toutefois, Jim Sherman va tomber sur un jeune et ambitieux district attorney, qui est en admiration devant lui. Le magistrat lui confirme qu’il ne fera preuve d’aucune clémence envers les truands. Il ne reste qu’à espérer qu’il soit vraiment intègre. Par ailleurs, la “société secrète” de notables est moins caricaturale que le craignait l’enquêteur, même si leur cérémonial est quelque peu absurde. Des preuves, Jim Sherman en détient : il est en possession d’un petit carnet rouge indiquant les relations entre les malfrats et certains complices…

L’affaire de l’assassinat des policiers était du ressort du district attorney. Les journaux qui annonçaient le crime, à grands renforts de superlatifs, publiaient aussi des éditoriaux réclamant vengeance. Les feuilles les plus conservatrices jetèrent elles-mêmes leur prudence légendaire aux orties et l’on put y lire des articles fulgurants. Le district attorney promit publiquement :"Nous mettrons sous les verrous les assassins de Walker et de George, et nous les enverrons à la chaise électrique, envers et contre tout."
Jim Sherman était allé lui faire son rapport, et lui avait remis tout ce qu’il avait trouvé dans les poches de Molardo. Tout, sauf le petit livre rouge. Il le conservait jalousement. Il contenait la preuve irréfutable dont il avait besoin. Le district attorney donna à Sherman des conseils de prudence…

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