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1 septembre 2018 6 01 /09 /septembre /2018 04:55

L’insurrection du lundi de Pâques 1916 est un des fondements de l’État irlandais. Mais le combat était loin d’être terminé. En janvier 1919, fraîchement élus, les vingt-neuf députés irlandais sous la présidence d’Eamon de Valera, décidèrent de siéger à Dublin (leur parlement sera le Dail Eireann) et non pas à Londres. L’Angleterre ne pouvant rester indifférente à une telle provocation, un processus de répression s’engagea. De leur côté, les Irlandais créaient l’IRA (Irish Republican Army) avec son bras armé, le Sinn Fein.

Bien que nettement inférieurs en nombre, les activistes menèrent des opérations de guérilla contre l’occupant militaire anglais et ses auxiliaires, les Black and tans. Ces derniers se vengeaient, faisant preuve d’une terrible violence contre la population irlandaise. Si le Sinn Fein s’empara parfois d’armes ennemies, leurs moyens étaient fort limités pour s’imposer dans cette guerre d’indépendance. Ex-combattant de 1914-1918, le général Richard Mulcahy s’occupait de la stratégie depuis son QG, au château de Grean Castle, assisté par un énigmatique Yann.

À Dublin, Kevin Cullen est alors un juriste de vingt-huit ans, associé à Franck Cameron, un peu plus âgé que lui. Les dossiers qu’ils traitent concernent généralement les intérêts de la couronne britannique et des citoyens d’origine anglaise. Cameron est fiancé à Mary, la fille du colonel Gardner, de l’état-major. Ayant eu une mère purement Irlandaise, et ayant étudié en France, Kevin Cullen est secrètement un patriote sympathisant de l’IRA.

Au printemps 1921, Kevin se déplace plusieurs fois jusqu’au Connemara pour régler une question de succession chez Maeve FitzGibbon. Kevin s’avoue séduit par cette jeune veuve, dont l’époux est mort lors de la guerre, qui habite le château de Recess. Si Mrs FitzGibbon n’éprouve aucune hostilité envers le peuple irlandais, elle ne semble pas adhérer à cette indépendance désormais réclamée, s’en tenant au précédent accord entre Irlandais et Anglais, le très controversé Home Rule. Côté forces armées britanniques, vu les exactions du Sinn Fein, il s’agit d’intensifier la répression contre ces vils rebelles.

Kevin Cullen apprend que les Anglais avec les Black and tans vont tendre un piège à l’IRA, à Ardnacrony, dans la région de Roscrea. L’ouest de l’Irlande du Sud reste un territoire où les occupants ont de grosses difficultés à maîtriser la situation, très peu de gens sachant qui commande la section de l’IRA dans ce secteur. Seamus Griffith, le chauffeur de Maeve FitzGibbon, est un intermédiaire avec les chefs de l’IRA et les activistes locaux, tels Paddy O’Mullan. Kevin Cullen parvient à l’avertir à temps de l’intervention armée de Roscrea.

Seamus réussit à alerter le général Richard Mulcahy en se déplaçant jusqu’à son QG. Le piège sera un échec cuisant pour les troupes anglaises et leurs auxiliaires. Ce qui renforce l’objectif de l’état-major d’envoyer quantité de soldats supplémentaires, afin de mener une répression de plus en plus dure envers une population considérée comme complice du Sinn Fein et de l’IRA. En effet, le peuple protège sans hésiter ceux qui agissent.

Être un informateur ne convient plus à Kevin Cullen. Il souhaite participer complètement au combat des indépendantistes irlandais, s’engager sur le terrain. C’est urgent, car le prétexte de ses déplacements dans le Connemara cessera très bientôt. L’IRA lui affecte un agent de liaison, Philly Brady. Le colonel Gardner étant trop bavard, Kevin apprend qu’un navire chargé d’armes et de munitions arrive bientôt en Irlande du nord. Grâce à lui, le Sinn Fein en est informé : ils attaquent le convoi ferroviaire transférant les armes. Le butin sera envoyé à Grean Castle et bien caché. Le général Mulcahy peut être satisfait.

Toutefois, les Britanniques ont un agent qui a infiltré le QG de Mulcahy. Quand il sait qu’une réunion importante va se tenir le 8 mai entre les hauts responsables de l’IRA (dont Kevin Cullen, admis parmi eux désormais) dans la presqu’île de Howth, il transmet le renseignement à ses chefs anglais – qui pensent n’avoir aucun mal à intervenir. Combien de martyrs faudra-t-il déplorer avant qu’un traité acceptable soit signé entre le Dail Eireann et le pouvoir londonien ?… 

Pierre Nemours : La harpe et le glaive (Fleuve Noir, 1967)

Il n’était guère qu’à deux cent yards de la chaumière des Gallager. Paddy O’Mullan l’y attendait. Kevin Cullen voyait pour la première fois de jour la petite ferme. Elle était posée au milieu d’un îlot de verdure, tourné d’un côté par le bog, de l’autre par l’eau frémissante du lough. Une dizaine de moutons paissaient à proximité de la maison. Deux chevaux trottaient dans un corral, crinières au vent. Gallager était aux champs. Seule sa femme Bridget vaquait aux soins du ménage. Elle se pencha vers le bébé, s’assura qu’il dormait, et sortit à son tour, laissant les deux hommes seul à seul.
— Je suis chargé de vous transmettre les félicitations du commandement de l’Armée Républicaine Irlandaise, dit O’Mullan avec quelque solennité. Vous nous avez évité, l’autre samedi, une sévère défaite, et nous avons même pu prendre l’offensive. Je ne vous cache pas que l’impression sur la population, dans la région de Roscrea, a été profonde.

Il est incroyable qu’un roman de cette qualité (publié en 1967 dans la collection Feu, chez Fleuve Noir) n’ait jamais bénéficié d’une réédition. Dans ses quarante-neuf romans policiers, cinquante-et-un romans d'espionnage, neuf romans de guerre et ses deux romans historiques, Pierre Nemours (1920-1982) a fait preuve d’une belle précision documentaire. Souvent, cela apparaissait en toile de fond de l’intrigue (décors ou faits réels), ou plus directement comme dans “La harpe et le glaive”. Bien que ce soit une fiction, l’auteur nous entraîne au cœur du conflit en question, à la fois chez les rebelles irlandais et du côté des Britanniques. D’une manière cohérente et crédible, faut-il le souligner ? Oui, il exista assurément des personnages tels que Kevin Cullen, prêts à participer concrètement à cet épisode crucial pour l’avenir des Irlandais. Quant aux réactions quasi-colonialistes de l’état-major anglais, on n’a pas de mal a imaginer qu’elles furent proches de ce que décrit l’auteur.

Teinté d’un brin de romantisme (ce qui sied à l’Irlande éternelle), ce roman d’aventure ne manque ni de suspense, ni de péripéties. Il ne s’agit pas d’un "cours d’Histoire", mais d’une fiction palpitante, utilisant le contexte avec intelligence. Oublié de nos jours, Pierre Nemours est un romancier à ne pas sous-estimer. Outre l’aspect documentaire très juste, notons une souplesse narrative qui rend plus qu’agréable la lecture de ses romans. Si, en particulier dans le domaine du polar, ses intrigues sont traditionnelles, elles restent solidement structurées. Pour l’anecdote, l’intitulé de chaque chapitre cite un comté irlandais. Le titre, “La harpe et le glaive”, fait référence à la harpe celtique et au glaive des chevaliers d’autrefois. Certains romans de Pierre Nemours sont disponibles ces dernières années chez French Pulp Éditions.

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28 août 2018 2 28 /08 /août /2018 04:55

À Isola, grande agglomération de l’est des États-Unis, au tout début des années 1960, vers la mi-octobre. Parmi les forces de police, le commissariat du 87e district – dirigé par le lieutenant Peter Byrnes – est un des plus actifs, avec seize inspecteurs et cent quatre-vingt-six agents. Ce vendredi-là, le 87e est alerté qu’une fusillade vient de se produire dans une librairie de Culver Avenue, causant plusieurs morts. Les policiers Steve Carella et Meyer Meyer sont bientôt sur place, ainsi que le jeune inspecteur Bert Kling. Trois victimes sont identifiées : Herbert Lang, Anthony La Scala, et Claire Townsend. Cette dernière n’est autre que la petite amie de Bert Kling. Si le jeune policier est sous le choc, Steve Carella est aussi démoralisé que son collègue. Pour tous les flics du quartier, la solidarité va rapidement jouer dans cette enquête, vite baptisée "l’affaire Kling".

Les inspecteurs ne pensent pas que le tueur ait été un dingue. Il visait quelqu’un en particulier. Claire Townsend, assistante sociale en milieu médical, quasiment fiancée d’un policier ? Son père Ralph Townsend envisage cette explication. Tandis qu’un quatrième client de la librairie, le quincaillier juif Joseph Wechsler, décède à l’hôpital des suites de ses blessures, Meyer et Carella entament leurs investigations en rencontrant la jeune veuve (enceinte) d’Herbert Land. Professeur à l’Université, il a récemment eu un problème avec un étudiant, le jeune sportif Barney Robinson. Une piste à vérifier pour les policiers. Bert Kling participe à l’enquête, rendant visite à la veuve de Joseph Wechsler. Blessé, celui-ci prononça un mot : Karachi. Mais son épouse ne voit pas ce qu’il a voulu dire.

Outre Carella et Meyer, les inspecteurs Hal Willis et Arthur Brown (le Noir de l’équipe) ne ménagent pas leurs efforts non plus. Quelques questions à Fred Batista, patron d’un garage des environs, ne sont pas inutiles. Meyer Meyer, lui, s’intéresse à Mrs Glennon et à sa famille, un cas social dont s’est occupée Claire Townsend. La mère est souffrante, la fille Eileen est censée séjourner chez sa tante. Quant au fils, Terry Glennon, c’est un petit voyou. D’ailleurs, à peine Meyer a-t-il quitté Mrs Glennon qu’il est agressé par Terry et sa bande. Concernant Eileen, il y aura des suites, tristement dramatiques – la loi d’alors étant ce qu’elle est. À quel point la consciencieuse Claire Townsend fut-elle mêlée, voire très impliquée, dans la situation de cette jeune fille ? Steve Carella bute toujours sur la signification du mot Karachi, clé de cette affaire…

Ed McBain : Le dément à lunettes (Presses de la Cité, 1962)

[Mrs Wechsler] parlait avec un effroyable accent yiddish, qui surprit Kling au début, parce qu’elle paraissait si jeune et que cet accent seyait mal à la jeunesse, semblait-il. Et puis, en la regardant de plus près dans la pénombre du salon, il s’aperçut qu’elle avait largement dépassé la quarantaine, qu’elle avait peut-être même plus de cinquante ans, et qu’elle avait un de ces rares types sémites qui ne vieillissent pas vraiment, avec des cheveux d’un noir de jais et de grands yeux bruns lumineux, plus lumineux encore car ils brillaient de larmes. Elle lui tendit la main et il la serra maladroitement, sans savoir que dire, sa propre douleur soudain effacée, noyée dans les yeux de cette belle femme blême sans âge.
— Voulez-vous me suivre, s’il vous plaît ?
Son accent était véritablement atroce, un accent de vaudeville, d’histoires de Moïse et Lévy, dénué de tout comique à cause de l’incommensurable tristesse de la malheureuse. Kling ajusta automatiquement son ouïe, rejeta l’épais dialecte, traduisit mentalement pour n’entendre que la signification des mots sous l’accent et derrière la mauvaise construction des phrases.

Écrit en 1961, traduit l’année suivante par Louis Saurin pour la collection Un Mystère des Presses de la Cité, “Le dément à lunettes” est le sixième opus de la série des enquêtes du 87e district (disponibles en intégralité chez Omnibus). Comme toujours, l’auteur présente l’action des policiers de ce commissariat, qui nous deviennent familiers au fil des romans. Il ne néglige pas leur vie privée, certains étant mariés et parents. Ici, c’est même la fiancée de Bert Kling qui fait partie des victimes.

Ces histoires comportent à chaque épisode un aspect sociétal, une image de l’Amérique selon les époques (des années 1950 aux années 2000). Sans trop en dévoiler, “Le dément à lunettes” n’y échappe pas. Quelques pages sont, par exemple, consacrées à Arthur Brown, inspecteur Noir. “Quand [il] se regardait dans la glace, il se voyait lui”, sa couleur de peau ou son statut de policier n’y changeant rien. Que l’on ne compte pas sur Ed McBain pour banaliser ou justifier le moindre racisme. Pas de sexisme non plus (Eileen Burke, n'appartient pas au 87e District, mais cette policière y effectue des missions ponctuelles). Ed McBain (1926-2005) est un maître de la Littérature Policière, un incontournable du polar, du roman noir. 

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27 août 2018 1 27 /08 /août /2018 04:55

Le sort de Plonque n’est pas enviable : voilà dix-huit ans qu’il est marié avec Camina (née Rachot), et douze ans qu’il est privé de sexe. Car son épouse est un monstre d’égoïsme, d’une jalousie extrême. Plonque est l’esclave des caprices de Camina, qui n’éprouve aucun respect pour la plupart des gens. Tous des "nubuques", autrement dit des nuls, estime-t-elle avec sa férocité vulgaire. Outre sa famille – tous des dépressifs, la seule qu’elle supporte, c’est leur voisine Mme Quillard. Plonque la surnomme "Lamoule", car c’est une sexuelle, celle-là. Et justement, lui qui est en manque de sexe, il fantasme sur elle. Mais, sous la surveillance permanente de Camina, bien difficile d’aller très loin en la matière. 

Le suicide d’un des frères de son épouse va offrir à Plonque un peu de liberté. Suite à un accident de voiture dont il est sorti indemne, il fait semblant d’être impotent. Il ne compte pas sur les Rachot pour s’apitoyer, d’autant que Camina doute fort qu’il ait réellement un problème de santé. Le Dr Pételle, médecin traitant de la famille, décrète que Plonque souffre d’une "paralysie flasque". Un diagnostic peut-être absurde, mais un moindre mal quand on sait que les médecins de la dynastie Pételle sont des adeptes de l’amputation. Puisque le docteur le certifie souffrant, Camina est bien obligée de s’incliner. Plonque en profite pour tenter une relation sexuelle avec Mme Quillard, mais c’est plutôt raté.

Plonque est contraint d’assister aux obsèques de son beau-frère, le suicidé. Toute la famille Rachot est déprimée, sauf Camina – plus survoltée que jamais. Une journée qui se termine par une alcoolisation générale des frères et sœurs de Camina, venus s’installer chez Plonque et sa femme, avec la grand-mère. Plonque reste alité quand ils sont là, mais le démon du sexe l’habite toujours. Nouvelle tentative clandestine du côté de Mme Quillard, d’autant moins coopérative que son viril amant Bitov est présent. Ce dernier va frapper sévèrement Plonque, ce qui ne l’incitera pas à renoncer tant est grand son besoin de sexe. Dans la foulée, la grand-mère témoigne que Plonque est sorti, bien valide.

Ça ne lui porte pas chance à la mère de Camina, cette dénonciation. Plonque trouve bientôt un allié : le croque-mort Alban Pitaine. Celui-ci a flashé sur Solange, la chaste sœur de Camina. Encore un cas psychanalytique incurable, mais le croque-mort espère quand même en venir à bout. L’infernale Camina harcèle toujours Plonque, qui joue son rôle de paralysé sans faillir. Rêve-t-il de revanche, d’être enfin maître chez lui ? Sans doute que oui, mais son obsession sexuelle constitue l’essentiel de ses préoccupations… 

Franz Bartelt : Chaos de famille (Série Noire, 2006)

Le quatuor à cordes pour se pendre apparut en quatre fois, d’un couple à chaque fois : le déprimé au bras de sa dépression. Ils étaient misérables, à vomir, les yeux sur les joues, la bouche collée de bave sèche, encore saouls comme des abeilles décollant d’un champ de bétoine, pas encore en état de souffrir de ce qu’ils voyaient. Le docteur Pételle leur adressait des petits mouvements des doigts en ciseaux, qu’ils ne déchiffraient pas. Je pouffais discrètement.
Ils s’étaient plantés autour du corps, raides et immobiles, comme du marbre. Camina baissait la tête. Elle se ravisa et, d’un coup de pied dans la promenette, elle m’envoya cogner contre le mur.
Ce fut Solange qui, la première, tordit sa grosse bouche pour pleurer. Les autres la suivirent dans l’expression du chagrin, y allant de confiance, sans éprouver encore ce pourquoi il fallait mouiller d’une larme le présent et le passé immédiat…

Certes, des familles aussi caricaturales que celle de cette Camina, ça n’existe pas. Encore que l’on puisse se poser la question, tant ces dépressifs chroniques nous rappellent des gens qu’on a pu connaître – beaucoup moins vulgaires qu’eux, quand même. Aux ordres de son épouse Camina, Plonque nous raconte son quotidien… un sacré portrait ! Finies les relations sexuelles, a décrété sa femme depuis longtemps. Elle préfère passer tout son temps devant la télé, une véritable drogue pour elle, se faisant servir par son mari. Qui, lui, ne rêve que de sexe, leur voisine pouvant convenir à cette obsession.

L’humour noir n’est pas incompatible avec le roman noir ; Franz Bartelt le démontre ici magistralement. Obsèques virant au chahut, médecins découpeurs, croque-mort faisant une fixation sur la bouche de Solange, et bien d’autres scènes hilarantes, tout est prétexte à faire sourire les lecteurs, y compris des digressions bienvenues. L’humour exige de la finesse, de l’inventivité et une véritable écriture. C’est le cas de ce roman, vivement conseillé à ceux qui auraient le moral en berne.   

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26 août 2018 7 26 /08 /août /2018 04:55

Ayant perdu toute sa fortune à cause du "Jeudi noir" d’octobre 1929, Joachim Muzardin de Falgoncoul se suicida en Amérique. Son fils Romuald fut rapatrié en France, puis élevé par sa grand-mère au village de Quièffrans, entre Gray et Vesoul, une enfance dont Romuald garda surtout des mauvais souvenirs. Quatre décennies plus tard, âgé de quarante-quatre ans, Romuald est photographe de cartes postales pour une entreprise parisienne. Sa tournée provinciale le ramène (trente années après qu’il en soit parti) à Quièffrans. Un lieu que ce royaliste considère comme la pire des cambrousses, peuplée de péquenots, de ploucs. Le château-fort de ses ancêtres est toujours là, mais en ruines. Il rêve de richesse afin de le rénover, d’imposer sa domination aux habitants de Quièffrans.

Ce n’est pas exactement par hasard que Romuald rencontre la blonde bergère Irène de Vesoul, car cette orpheline de vingt-et-un ans a de l’ambition. Si elle peut "mettre le grappin" sur Romuald, elle n’y manquera pas. Thibaut, le cousin de Romuald, inventeur pratiquant des recherches secrètes, le prévient de se méfier d’Irène. Chez le notaire, Romuald a confirmation que son château et la propriété des Falgoncoul n’ont pas la moindre valeur marchande, qu’il n’a même aucun droit à des dédommagements. Ce n’est pas ainsi, sans un sou, qu’il redorera le blason de sa famille.  

Au printemps suivant, ayant perdu son emploi, il sympathise avec Rik, un Hollandais. Ils embarquent ensemble pour travailler sur un navire. En Mer d’Oman, la chance va sourire à Romuald. Un pêcheur local de perles lui offre une fortune en pierres précieuses. Face à de fieffés margoulins, de vrais malfrats, Romuald perd gros au poker et paye en perles. Sans doute est-il préférable de rentrer au plus vite en France, de retrouver Irène au village. Mais ses partenaires escrocs, eux aussi de retour à Paris, s’aperçoivent que les perles de Romuald ne valent pas grand-chose. Ils savent où le retrouver : ils vont le traquer au village de Quièffrans. Prévenu par Irène, Romuald se réfugie chez son cousin Thibaut, où les malfrats n’iront pas le chercher.

Romuald va bientôt comprendre pourquoi ces perles valant des millions près de la Mer d’Oman ne sont plus que des colifichets en France. Néanmoins, Irène y tient à son collier de perles. Plus qu’à Romuald, c’est certain, bien qu’il fasse beaucoup d’efforts pour que la parure reste éclatante. Irène va au-devant des ennuis, la prison la guette, et pour plus longtemps que prévu…

Pierre Siniac : Des perles aux cochonnes (Série Noire, 1977)

Il est possible que “Des perles aux cochonnes” (1977) ne soit pas le plus mémorable des romans de l’excellent Pierre Siniac (1928-2002). Dans une dédicace en début d’ouvrage, il parle de "féerie noire". On pourrait qualifier cette histoire de "tribulations fantaisistes". Il s’agit là d’une comédie, dont le héros – fauché, mais s’estimant supérieur à la plèbe rurale de cette région de Haute-Saône – va vivre quelques improbables aventures. S’enrichir ? Pas autant qu’il l’espère. La caricature est assumée (là-bas, les campagnards disent "Vzoul" ; le cousin de Romuald est un drôle d’énergumène). Le roman noir et l’humour ne sont pas incompatibles, surtout avec des auteurs comme le regretté Siniac.

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24 août 2018 5 24 /08 /août /2018 04:55

L’affaire est relativement simple. À trois reprises, des fillettes de sept et huit ans ont été violées et tuées par le même homme. Pour le sergent Bell et l’inspecteur Lyle, le coupable est George Barker, quarante-cinq ans. Beaucoup trop de coïncidences dans son emploi du temps : il se trouvait près des lieux dans les trois cas. C’est lui qui, se promenant avec le chien de ses voisins, a découvert le troisième cadavre, celui de la petite Gwen, sept ans. Il est d’ailleurs curieux que ce ne soit pas le fox-terrier Spot qui ait repéré le corps, mais bien George Barker. Selon plusieurs voisins, le chien n’était peut-être pas avec lui ce soir-là. Quant aux deux autres cas, c’est sur le parcours de ses balades vespérales que se sont produites les agressions des gamines, ça a déjà été démontré.

L’inspecteur Lyle, expert en interrogatoires, ne s’y trompe pas : George Barker est un faible qui craquera forcément. C’est un petit homme timide, un éternel vaincu, un simple employé administratif, un fonctionnaire qui n’a pas d’amis dans sa profession, pas un de ces criminels aguerris capables de résister longtemps face à la police. Il a accepté de venir au commissariat. L’interrogatoire débute à 22h40. Avec résignation, Barker répond aux questions de l’inspecteur Lyle, tandis que le sergent Bell note tout. Oui, il a trouvé le cadavre de Gwen, qu’il connaissait vaguement. Non, il n’avait jamais entendu parler de Pauline, ni de Rosemary, les deux autres petites victimes. Pauline était une dévergondée, d’après l’inspecteur. Possible, Barker n’en sait rien du tout.

Pas question de relâcher le suspect : Barker est en état d’arrestation – pour le plus grand plaisir du sergent Bell. C’est alors qu’intervient Edwina Barker, l’épouse. Lyle avait bien compris que c’était une femme de caractère, une dominante dans leur couple. Elle "exige" de voir son mari qui, lui, ne le souhaite pas. Edwina est accusatrice, ne doutant pas que George Barker soit un assassin. Quand il se promène le soir avec le chien Spot, c’est pour pratiquer le voyeurisme, affirme-t-elle. Elle se souvient aussi d’un réveillon, cinq ans plus tôt, où son mari se montra trop câlin avec la petite Cindy, alors âgée de sept ans. Voilà qui conforte l’opinion de l’inspecteur Lyle. Pendant ce temps, le sergent Bell finit par user de violence contre Barker. Il est remplacé par l’agent Adams. Tandis que le petit matin approche, le suspect fatigué finira-t-il par tout avouer ?…

John Wainwright : À table ! (Série Noire, 1980)

Il serait faux de penser que le postulat choisi par l’auteur britannique John Wainwright (1921-1995) se base sur une intrigue facile. Décrire l’interrogatoire (nocturne) du principal suspect d’une série de crime odieux, c’est installer un huis-clos, un face-à-face, qui ne doit pas amener une ambiance pesante. Wainwright a l’habileté de garder une tonalité souple. Possédant de très bons atouts, les policiers sont quasiment sûrs du résultat ; il suffit d’être patient et de souligner les incohérences, les coïncidences, les faiblesses. Et voila l’épouse du suspect qui rajoute une bonne dose de détails troublants sur la perversité potentielle de son mari ! On pourrait en sourire, mais Barker fait remarquer à l’inspecteur que ce n’est pas drôle : “La situation caricaturée sur certaines cartes postales. La femme imposante, dominatrice, et le petit mari qui tremble devant elle, mais dans la vie réelle ça n’a rien d’une plaisanterie.” À l’avantage de qui tournera le duel entre les policiers et le coupable idéal ? Un vrai suspense.

Ce roman a été adapté au cinéma sous le titre “Garde à vue” en 1981, avec Lino Ventura, Michel Serrault, Guy Marchand, Romy Schneider. Un film récompensé par plusieurs Prix et quelques "César du cinéma", qui connut un beau succès public. Une autre version, américaine, a été réalisée en 2000 (“Suspicion”), avec Gene Hackman, Morgan Freeman et Monica Bellucci.

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23 août 2018 4 23 /08 /août /2018 04:55

En Amérique, vers 1940. À Chicago, âgé de trente-sept ans, Roy Earle sort de prison après six ans de détention. Il est loin, le temps de l’enfance heureuse, pour ce natif de Brookfield, dans l’Indiana. Encore que, dès cette époque, son entourage s’interrogeait sur l’avenir de ce gamin à la stature puissante, parfois violent, présentant un fort risque de "mal tourner". En effet, quelques années plus tard, Roy Earle fit partie du gang de John Dillinger, célèbre truand mort depuis, qui avait pleine confiance en lui. C’est le caïd McGann (dit "Big Mac") qui est intervenu pour que Roy Erle soit amnistié. En échange, il propose à Roy de diriger un hold-up en Californie, à Tropico Springs. Selon son indicateur employé d’un hôtel de luxe, Louis Mendoza, il y aurait beaucoup de bijoux à rafler.  

Roy Earle traverse le désert en voiture pour rejoindre la région de Los Angeles, mais c’est vers la montagne – où ses complices l’attendent dans des chalets leur servant de planque – qu’il met le cap. Entre-temps, sur sa route, il croise le vieux Pa’ Goodhue, ancien fermier de l’Ohio, qui compte s’installer Los Angeles avec son épouse et leur petite-fille Velma. Si Roy s’intéresse à Velma, ce n’est pas tant pour son charme (elle est ravissante) mais parce qu’elle est handicapée par un pied bot. Roy sympathise avec Pa’ Goodhue et sa famille, qu’il recontactera à L.A., avant de continuer son chemin vers la montagne. Il n’est pas surpris que Babe et Red, les complices, soient des tocards qui ne seront sûrement pas à la hauteur lors du hold-up. Seule Marie, la copine de l’un d’eux, lui paraît fiable. 

Un peu paumée et solitaire, la jeune femme de vingt-deux ans vient de San Francisco. Un jeu de séduction s’opère avec Roy. Celui-ci, comme Marie, s’attache au chien errant Pard. Roy voudrait écarter Marie des dangers qui s’annoncent, en l’envoyant à L.A., mais elle n’a pas l’intention de le quitter. Roy s’occupe par ailleurs du cas de Velma : une opération de son pied bot est onéreuse (400 $), mais il va la financer – en exigeant une avance à Big Mac. Bien que ça renforce les liens amicaux entre Pa’ Goodhue et Roy, ce dernier n’oublie pas qu’il a avant tout un hold-up à organiser. Selon Louis Mendoza, la police patrouille désormais à Tropico Springs et l’hôtel dispose maintenant d’un gardien. Des obstacles que ne craint guère Roy Earle, qui est plus incertain sur les compétences de ses complices.

Il a fallu patienter, dans leur planque à la montagne, avant que les coffre-forts de l’hôtel soient remplis de bijoux. Moins agressifs qu’à son arrivée (y compris envers Marie), Babe et Red semblent prêts à assurer leur rôle – ce dont doute encore Roy. Louis les prévient quand vient le jour J. Avec Marie (et le chien Pard), la petite bande descend à Tropico Springs. Si Roy est obligé de tirer sur le gardien de l’hôtel, et si Louis doit filer avec eux, le butin du hold-up sera aussi conséquent que prévu. Roy et Marie vont s’enfuir de leur côté. Toutefois, la police est rapidement sur la trace de Roy Earle…

W.R.Burnett : High Sierra (1941 – Éd.10-18)

Marie ferma la porte. Pard salua Roy d’un aboiement, puis il sauta sur le lit et se mit en boule. Roy s’allongea sur le dos et se mit à somnoler. Il entendait Marie s’affairer dans la cuisine et préparer le petit-déjeuner. Un sentiment de bien-être l’envahit. C’était sacrément agréable d’être couché avec Pard à ses pieds et une chouette fille comme Marie dans la pièce à côté. "Nom de Dieu" se dit Roy "Je n’ai jamais été aussi heureux quand j’étais marié. Je vieillis, sans doute. Quand on a un peu roulé sa bosse, on a plus envie de s’amuser. On a juste envie de se reposer. De toutes façons, j’ai jamais eu l’impression d’être marié quand j’étais avec Myrtle. La moitié du temps, elle était sortie (…)"
Son rêve lui revint à l’esprit, mais il avait perdu beaucoup de sa force maintenant que le soleil brillait, que les oiseaux piaillaient gaiement, et que les voix tranquilles de pêcheurs montaient du lac.

Si les passionnés de Littérature Policière ont retenu ce roman, c’est en partie que “High Sierra” a été adapté à l’écran en 1941 par le cinéaste Raoul Walsh, et l’auteur, William Riley Burnett, avec Humphrey Bogart, Ida Lupino, Alan Curtis, Arthur Kennedy, Joan Leslie, dans les rôles principaux (titre français : La Grande Évasion). C’est le cinquième titre écrit par William Riley Burnett (1899-1982), qui a précédemment connu un gros succès avec Little Caesar. On est là dans la meilleure tradition du roman noir, ça va sans dire, mais bien au-delà d’une banale "histoire de truands". Certes, il y aura un braquage avec ses suites. Néanmoins, l’ambiance est nettement plus riche que ça. 

Roy Earle est un personnage singulier, un authentique "dur à cuire" (un "tough guy"). Il en porte la vocation depuis son enfance, avant d’appartenir à un gang prestigieux. Truand chevronné un peu fatigué, Roy se montre froid et distant (selon les cas, méprisant) vis-à-vis de ses interlocuteurs du banditisme. Son caractère profond est beaucoup plus complexe. En sympathisant avec le vieux Pa’ Goodhue, il ne cherche pas une famille, ni a séduire la jeune Velma. Quand il se fait protecteur pour la belle Marie, c’est avant tout qu’il déteste la brutalité de ses complices, autant que leur amateurisme. Tels sont les moments que l’on retient en priorité à la lecture de ce livre, où tous les protagonistes ont leur importance (l’auteur décrit avec finesse leur comportement ou leur passé). Voilà un roman à ne surtout pas sous-estimer, dont la structure et l’écriture sont remarquables.

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22 août 2018 3 22 /08 /août /2018 04:55

Luther Grandison est un sexagénaire aisé habitant à Dedham, sa propriété du Connecticut, à l’Est des États-Unis. On le considère comme un esprit distingué, auteur de plusieurs ouvrages de référence, criminologue à ses heures. Il est le tuteur de deux jeunes femmes, ses pupilles étant très différentes. Mathilda, dite Tyl, vingt-deux ans, est une riche héritière, mais pas très belle. Althea, c’est l’inverse : une ravissante personne, sans le sou, qui vient d’épouser Oliver, jeune homme brillant encore que superficiel. Un mariage arrangé par Grandison, qui espérait ainsi garder Mathilda sous son emprise. Partie en voyage, Mathilda est supposée avoir péri dans un naufrage. Secrétaire de Grandison, Rosaleen Wright s’est récemment suicidée, par pendaison, dans la bibliothèque de son employeur. Le policier Tom Gahagen enquête mollement sur cette affaire-là.

Jane Moyniham est la jeune tante de Francis Moyniham, le fiancé de la défunte Rosaleen. Elle est certaine que Luther Grandison a assassiné sa secrétaire. Elle convainc Francis. Pour le prouver, tous deux ont un plan, mais ce sera très difficile. Tandis que Jane devient la nouvelle secrétaire de Grandison, Francis se fera passer pour le mari de la disparue Mathilda. Toutefois, celle-ci réapparaît saine et sauve. Elle découvre alors qu’elle se serait mariée avec un certain Francis Howard. Malgré les preuves qu’il fournit, Mathilda n’est absolument pas dupe de ce soi-disant mariage (car elle était amoureuse d’Oliver). Même le témoignage du pasteur qui les aurait mariés n’y fait rien. Elle a surtout hâte de rentrer à Dedham auprès de Luther Grandison, le seul en qui elle ait une confiance aveugle.

Le policier Tom Gahagen pointe un détail horaire important sur le prétendu suicide de Rosaleen, sans insister tellement. Par contre, cela servira peut-être à Jane et Francis pour déterminer la véritable heure du crime. Tous deux veillent à ce que Grandison ne devine pas leur plan. Francis et Althea ont une conversation à l’abri des oreilles indiscrètes, le jeune homme cherchant des réponses, des précisions sur la mort de Rosaleen. De son côté, Mathilda se confie à son tuteur, lui répétant qu’elle ne croit nullement la version de Francis – un imposteur à ses yeux, qui viserait son héritage. Grandison est, lui aussi, très circonspect envers Francis, et confirme les doutes de sa pupille. La mort continue à rôder sur Dedham, avec un nouveau soi-disant suicide (au somnifère).

Francis et Jane sont sûrs qu’il s’agit à nouveau d’un meurtre, dont l’auteur ne peut être que Grandison – qui a éliminé ainsi un témoin gênant. Le policier Tom Gahagen hésite entre suicide et dosage inapproprié de somnifère, mais insiste peu. Mathilda a toujours pleinement confiance en son tuteur Grandison, modifiant son testament en faveur de celui-ci pour annuler le faux document instituant son "mari" comme héritier. Si Francis choisit d’affronter directement Luther Grandison, c’est à ses risques et périls…

Charlotte Armstrong : L’insoupçonnable Grandison (1947)

— La pauvre ne devait pas voir la vie en rose. Althea lui avait chipé son fiancé, et le jeune ménage était en train de s’installer à Dedham. Un sale coup pour elle ! On conçoit qu’elle ait désiré fuir le spectacle de leur bonheur. Aussi…
Mais Francis n’écoutait plus. Jane vit luire dans les yeux de son neveu la même lueur que jadis, lorsqu’il misait sur un cheval, et ayant gagné achetait pour sa mère avec le bénéfice ainsi réalisé, un bracelet d’un prix exorbitant. Comme elle avait aimé en lui ce goût de l’aventure chevaleresque que tempérait toujours, à l’ultime moment, son sens de la mesure ! À nouveau, il semblait prendre le mors au dent…

Quatrième roman écrit par l’auteure, “L'Insoupçonnable Grandison” fut publié en 1947 par Frédéric Ditis dans la collection suisse de Détective-Club, puis réédité en 1953 dans la coll.française de Détective-Club. En 1958, troisième parution dans le coll.La Chouette. En 1984, ce roman fut réédité dans la collection "Les maîtres du roman policier" chez Le Masque. L’histoire n’est pas "située" dans une époque définie et, géographiquement, on sait juste que ça se passe entre New York et le Connecticut, assez proche. Charlotte Armstrong s’est ici concentrée sur les rouages de cette affaire énigmatique.

On n’a pas de mal à imaginer un personnage "intouchable" tel que Grandison, dont le charisme influe sur son entourage et au-delà. Il garde toujours un calme apparent, fait semblant de mépriser les questions financières, s’exprime avec assurance. Mais, observatrice, Jane Moyniham a compris illico sa véritable nature et ses combines. Reste à collecter des preuves contre lui, ce qui s’avérera forcément compliqué – car ses deux pupilles ne l’accableront pas. Sans être négligeable, le rôle de la police reste mineur. La construction de l’intrigue est solide, impeccable, le récit ne nous cachant rien. Encore un parfait exemple de la qualité des romans d’alors, que l’on relit avec grand plaisir.

Ce roman fut transposé au cinéma sous le titre “Le crime était presque parfait” (1947) par Michael Curtiz, avec Claude Rains (Grandison), Joan Caulfied (Mathilda), Audrey Totter (Althea), Constance Bennett (Jane). À ne pas confondre avec le film homonyme d’Alfred Hitchcock (avec Grace Kelly), sorti en 1954.

Charlotte Armstrong : L’insoupçonnable Grandison (1947)
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18 août 2018 6 18 /08 /août /2018 04:55

En Bretagne, Hoellic est une commune du Morbihan rural, dans la vallée de l’Oust, du côté de Josselin, à une soixantaine de kilomètres du littoral. Quadragénaire, après avoir exercé dans le social du monde pénitentiaire à Rennes, Solenn Triquenot a été élue maire de Hoellic. Elle a eu pour compagnon Jean-Noël Raël (dit Nono), mort récemment, un éleveur qui s’essaya à des méthodes moins polluantes. Si elle reste en contact avec Yvonne, la mère de Nono, ses rapports avec le père Raël – son prédécesseur à la mairie – sont tendus. Présidente du Syndicat pour la collecte et l’élimination des déchets, Solenn Triquenot se penche sur l’historique des dossiers en question, sentant que les pratiques y sont nébuleuses.

Par contrat avec le Syndicat, c’est l’entreprise Maturin qui assure la collecte des déchets et la société Souig qui est chargée de leur élimination. Deux entités qui n’en font qu’une, car Maturin appartient au groupe Souig. C’est Yann Rufenec, le sémillant directeur régional de la Souig, qui a mené les transactions pour le rachat de Maturin. À Pontivy, Solenn visite l’usine d’élimination des déchets gérée par la Souig. Directeur d’exploitation du site, Hervé Terrasse ne cache pas à Solenn que, par le passé, il y eût quelques tricheries coûtant cher à la collectivité. Et qu’il y aura quelques "dépenses à programmer" pour le Syndicat, en vue de la mise aux normes de l'usine de Pontivy.

Rencontrant à Lorient le directeur régional Yann Rufenec, Solenn éprouve une impression défavorable à son égard. Les réponses préparées et l’obséquiosité de Rufenec laissent à penser qu’il ne dit pas la vérité. Solenn rencontre ensuite Mme Maturin. Celle-ci lui expose ingénument – en l’absence de son mari – les conditions de la vente de l’entreprise, et les combines permettant de frauder sur les chargements. Peu après, Solenn est contactée par Annie, une ex-détenue dont elle s’occupa naguère. Le mari de celle-ci, Jean-Luc Chaunay (surnommé Bitos), a des révélations pour Solenn. Concernant les entourloupettes sur le traitement des déchets et quant au rôle de Yann Rufenec.

Tandis que "l’enquête" de Solenn ne passe pas inaperçue, le directeur régional de la Souig rôde autour d’Yvonne Raël, qui doit bientôt vendre les biens de son fis Jean-Noël. Celui-ci était en contact avec Maurice Sempé, d’Avignon. Ce dernier expérimente des solutions sur le traitement des déchets, afin de réduire la pollution. Les cercles de l’agro-agri semblent approuver les progrès en la matière (on y suivait les initiatives de Jean-Noël), mais n’est-ce pas pour récupérer et annihiler ces méthodes nouvelles, moins néfastes ? Solenn est alertée d’un gros souci sanitaire à Hoellic : le captage d’eau consommable présente une inquiétante augmentation du taux de nitrates. La population n’est pas sans réagir. Solenn avait remarqué que plusieurs personnes étaient atteintes de dermatoses à Hoellic.

Grâce à Hervé Terrasse, Jean-Luc Chaunay et Maurice Sempé, Solenn progresse – mettant en évidence les manœuvres frauduleuses de Nicolas Maturin et Yann Rufenec. Mais s’en prendre à des sociétés comme la Souig n’est pas sans danger. Une brillante avocate et un soutien journalistique ne seront pas inutiles. Savoir pourquoi la soi-disant brocanteuse Catherine Le Deric et son fils Youenn ont reçu une vache en cadeau peut apporter à Solenn un des éléments de réponses…   

Hélène Crié-Wiesner : On peut toujours recycler les ordures (Série Noire, 2002)

Face à mon air ahuri, elle se reprit et expliqua sans la moindre gêne :
— Je ne sais pas ce que Bitos a dit exactement mais, dans le métier, tout le monde connaît la combine. On est payé à la tonne collectée. Les camions sont donc pesés à leur arrivée au centre de traitement, que ce soit une usine d’incinération ou une décharge. Les chauffeurs s’arrangent pour ne pas vider entièrement leur cargaison. Personne ne voit rien, ce sont des bennes hermétiques. Ils repartent en partie chargés, et quand ils reviennent à nouveau pleins, la balance enregistre une part de ce qui a déjà été compté […] Je vous dévoile aussi la variante : on arrosait les ordures avant d’arriver sur la balance. C’étaient des pratiques courantes, autrefois. Je ne dis pas que certains ne continuent pas…

Sans être extrémiste sur ces sujets, environnementaux et écologiques, il n’est pas interdit de s’interroger. Ruraux ou citadins, que l’on soit attentif à ne pas surcharger en produits phytosanitaires dans les campagnes, que les "urbains" trient ou pas leurs déchets, nous engendrons tous de la pollution. Qui, au final, se mesure par dizaines de milliers de tonnes d’ordures. La collecte et l’élimination des déchets forment un business utile, nécessaire, perpétuel. Avec probablement ses dérapages, ses connivences, ses arnaques. “On peut toujours recycler les ordures” d’Hélène Crié-Wiesner remonte à une quinzaine d’années, en 2002. Depuis, les contraintes environnementales ont évolué, se sont durcies. On pourrait ainsi supposer que, désormais, tout est limpide dans le traitement des déchets. Est-on sûr que ce soit le cas pour tous produits toxiques et autres métaux lourds ?

De nos jours, les dépotoirs sauvages ont été remplacés par des éco-stations, des centres de recyclages, des sites propres. Comme le montrait déjà l’auteure, ce sont les gros groupes qui décrochent les marchés de collecte et d’élimination des ordures. Quitte à confier la mise en œuvre à des sous-traitants, peut-être encore. Nos décideurs politiques de terrain sont satisfaits : la Délégation de Services Publics paraît fonctionner, et ils n’ont plus à se charger de ces affaires-là, chapeautées par des Communautés de communes ou d’agglomération (qui en assurent le financement, c’est quasiment tout). Ils se proclament bons gestionnaires des deniers publics. Le Code des marchés publics est respecté. Système exemplaire, vraiment ? La DSP, solution parfaite ? Possible, mais qui vérifie que de "vieilles pratiques", de l’approximatif ou des combines, des accords douteux, ne subsistent pas ? Il ne s’agit pas d’accuser, juste de comprendre.

C’est sur une tonalité enjouée, avec une part d’ironie bienvenue*, qu’Hélène Crié-Wiesner écrivit cette fiction – après que cette journaliste se soit documentée sur la question des déchets. (* “Les propriétaires des terrains menacés de restriction d’activités n’allaient pas se laisser faire facilement. Il est vrai que perdre la liberté de dégueulasser l’environnement est une dure contrainte. Décider que sur deux kilomètres à la ronde, personne n’aura le droit de stocker des huiles usées ou des produits phytosanitaires, d’installer une casse de vieilles bagnoles ou une production de porcs, ou tout simplement d’épandre du lisier alors que les cuves sont pleines, voilà qui constitue des atteintes intolérables au droit de propriété.”)   

Si elle situe l’action dans le Morbihan, plutôt moins intoxiqué par la pollution agricole que d’autres départements de l’Ouest, c’est visiblement parce qu’elle connaît bien les lieux qu’elle décrit – un élément rendant crédible son scénario. Son héroïne narratrice Solenn Triquenot, maire de la commune fictive de Hoellic, est partisane d’une vie "au plus proche du naturel", sans intransigeance radicale. Mais les magouilles au détriment de l’argent public, portant parfois sur des montants considérables – des chauffeurs restant dans leur camion à la pesée des déchets, ça finit par chiffrer lourdement, par exemple – ça mérite d’être révélé à la population, aux contribuables.  

L’auteure évoque aussi le rôle des maires, de plus en plus complexe, entre le social, les intérêts de leurs concitoyens, les moyens dédiés à l’entretien local, et les réglementations changeantes. Beaucoup d’entre eux (en particulier dans les communes petites et moyennes) font le maximum pour le bien de tous. L’urbanisation galopante dans certaines régions (où les terrains sont plus abordables) ne simplifie sûrement pas le problème des déchets, quand grossit inexorablement le nombre d’habitants. Aborder tout cela par le biais d’un roman permet d’illustrer ces thèmes actuels de façon moins aride que des rapports officiels ou des reportages. Afin de garder en tête que nos déchets représentent une vraie question sociétale.

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