La carrière du romancier nantais Serge Arcouët (1916-1983) débuta dès 1947. Il écrivit sous divers pseudonymes : John Silver Lee, Russ Rasher, Terry Stewart pour la Série Noire. De 1953 à 1969, c’est sous le nom de Serge Laforest (en breton, Arcouët ou Arcoat signifie "la forêt") qu’il publia trente-cinq romans policiers dans la collection Spécial-Police du Fleuve Noir. Beaucoup cultivent des ambiances dignes du pur roman noir, d’autres sont de savoureuses comédies. En voici quelques exemples…
Les Croix de cire (1964)
Deux jeunes d’à peine vingt ans ont disparu sur l’île d’Ouessant. D’abord François Morvan, puis Noëlla Berven. L’enquête est un échec pour le premier policier envoyé à Ouessant. Le commissaire Yves Glénan va s’en charger en personne. Il est natif de l’île, qu’il a quittée depuis longtemps. Ses origines devraient rendre la population plus coopérative. Il est invité à s’installer chez Thérèse, son ancienne nourrice. Pour la mère de Noëlla, comme pour les parents de François, leurs enfants sont assurément morts. Très autoritaire, le père de François lui avait interdit de sortir avec Noëlla. Il voulait qu’il épouse Hermine, suite à un arrangement avec la tante de celle-ci. Yves Glénan est très attiré par Gaud Jagu, qui vend ses créations aux touristes. Il rencontre aussi la non moins séduisante Hermine, qui a quitté la maison de sa tante. C’est grâce à Gwenn, qui passe pour un simplet, que le policier retrouve le cadavre de Noëlla dans les marais. La jeune fille se serait suicidée. Quelques jours plus tard, le corps de François est, à son tour, découvert dans une grotte. Il a été poignardé. Yves Glénan cherche à définir les relations exactes entre François et les trois jeunes femmes. Les lettres trouvées le laissent perplexe. Quand le père de François s’attaque à Gwenn, le policier doit user de la force. La mère de Noëlla, Gaud Jagu, Hermine, et sa tante, quatre suspectes auxquelles Yves Glénan rend visite, jusqu’à l’affrontement avec la coupable…
Si ce roman reste sombre, Serge Laforest est ensuite l’auteur d’une tétralogie villageoise, quatre comédies policières hilarantes ayant pour héros un duo de gendarmes. Le chef est le brigadier Stanislas Belhomme, “un grand Tourangeau athlétique, aux yeux d’un gris bleuté, au visage énergique mais d’expression aimable. Il parlait d’une voix tranquille et grave. Ses uniformes étaient de bonne coupe car, en plus de sa solde, il possédait des revenus personnels.” Il est assisté par le gendarme Pietro Carbucci “un Corse trapu au regard perçant et noir. Selon les circonstances, il s’exprimait d’un ton cassant ou, au contraire, d’une voix sucrée et insinuante. Rien ne le réjouissait davantage que de faire dire à un témoin le contraire de ce qu’il avait raconté cinq minutes plus tôt.” Ils vont être confrontés à d’amusantes ambiances de bourgades perdues, où se produisent néanmoins des crimes mystérieux. Les noms des personnages (Victor Ratichon, Justin Verdevin, Athanase Tranchemuse, etc.) suffisent à comprendre qu’on est là dans un humour bon enfant, qui n’est pas sans rappeler certains romans de Charles Exbrayat. Ces intrigues racontées avec fluidité sont extrêmement agréables à lire.
Un pas en enfer (1967)
Félicie Mouillon possède un visage ingrat, mais un corps de rêve. Comme elle n’est pas farouche, tous les garçons de la contrée ont droit à ses faveurs. Cette jeune paysanne semble aimer faire l’amour, pas de raison de s’en priver. Si sa réputation au village et dans le secteur n’est pas brillante, elle s’en accommode. Et puis ses parents, un peu primaires sans doute, n’y trouvent rien à redire. Voilà donc une situation qui convient à tous. Quand Félicie disparaît, sa famille finit par alerter la gendarmerie. Le brigadier Belhomme et le gendarme Carbucci tentent d’établir les faits. Une fugue de Félicie ? Peu crédible pour une fille satisfaite de son sort. Un jeune amoureux qu’elle aurait repoussé et qui se serait vengé d’elle ? Impensable, puisqu’elle était toujours d’accord. Un voisin n’aimant pas le père Mouillon, qui s’en serait pris à sa fille ? Difficile à croire. D’autres suspects sont possibles. Tel le fils du comte des Entrailles, Thierry. Celui-ci a fait de la prison pour meurtre et affiche un comportement curieux. Il affirme bien aimer Félicie. Et cette vieille vipère d’Anna Grellon ? Elle se veut garante de la vertu dans la région. Certains n’ont pas peur d’elle, et le montreront bientôt. Quelques jeunes hommes du village font aussi preuve d’une bizarre nervosité depuis le début de l’affaire. Tout en courtisant l’institutrice locale, Fernande, le brigadier poursuit son enquête. Il doit parfois freiner son fougueux adjoint. Mais les deux gendarmes ne sont pas les seuls à chercher le coupable…
Malemort (1967)
On retrouve ici le brigadier Belhomme et son adjoint Carbucci, qui officient dans une autre bourgade. Belhomme a épousé l’institutrice Fernande. Les gendarmes sont confrontés à une nouvelle affaire villageoise. Édouard Fluet est le jeune directeur d’une usine récemment installée sur la commune. Une initiative de son père, Germain Fluet, pour de sombres raisons fiscales. Édouard Fluet est un séducteur cynique, qui s’amuse avec les plus belles de ses employées. Il parait qu’il doit prochainement épouser la fille du notaire Circuy, jolie fille sans cervelle. Ce que la marquise de la contrée, fine mouche, considère comme une absurdité. Multipliant les aventures sexuelles, Édouard finit par être détesté de toute la population. La mort de Valérie Cloque est un suicide, c’est exact. Toutefois, le motif de ce suicide, c’est qu’elle était enceinte à cause d’Édouard. Quand celui-ci est retrouvé assassiné dans l’étang gelé, comment ne pas penser à une vengeance du père de Valérie ? Ou peut-être à celle d’un amoureux de la jeune suicidée. Le gendarme Carbucci s’intéresse de près à la jeune Suzanne, qui affirme n’avoir jamais cédé à Édouard. Le brigadier Belhomme recense les ex-conquêtes de la victime. Albertine et Irma sont deux pestes rancunières. Sidonie serait la maîtresse du moment d’Édouard. M.Foigras n’est pas moins suspect. Sous-directeur sur le départ, il en profite pour diriger maintenant l’usine. Quant à la marquise, ses trop bonnes déductions et ses promenades près des lieux du crime, permettent aussi de la soupçonner. Un second meurtre relance l’enquête. Mais si on s’en prend à Suzanne, Carbucci voit rouge…
Le même duo enquête dans deux autres romans de la même collection. Le mort revient (1967) a pour décor Tendrelieu, charmant village provençal de six cent âmes. Natives d’ici, trois sœurs jumelles âgées de dix-sept ans, Barbe, Julietta et Zoé, filles d’Eusèbe Culevez, possèdent une réputation diabolique. Des évènements inquiétants secouent bientôt Tendrelieu. Quand le vin est tiré (1968) se déroule dans le tranquille village de Troufignolle, commune vinicole proche de l’océan. À bien y regarder, la population est nettement plus excitée (par le vin et le sexe) qu’on peut le croire. C’est autour de l’anglaise Mabel Fayce que se noue une délicieuse intrigue burlesque… Dans ces deux histoires fort drôles, Stanislas Belhomme et Pietro Carbucci ont souvent fort à faire pour calmer les habitants, et ne découvrent pas sans difficulté la vérité des faits. Je ne sais si "Trois coups pour un", son dernier roman publié en 1969 dans cette collection, appartient à la même série. Des romans à redécouvrir, sans nul doute...