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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 05:55

Alors, que se passa-t-il du côté de Vigàta, en Sicile ? Il y a qu'à Marinella, là où habite le commissaire Salvo Montalbano, s'installèrent depuis cinq mois de nouveaux voisins. Pas tellement le mari, Adriano Lombardo, quarante-cinq ans, vendeur exclusif d'une marque d'informatique. Lui, il est fantomatiquement absent. Sa femme Liliana, la belle brune de trente-cinq ans, est employée dans un magasin de vêtements à Montelusa. Voilà qu'elle a de sérieux tracassins, qu'on lui a saboté le moteur de sa voiture. Peut-être la vengeance d'un malfaisant qui la harcela au "tiliphone" ? Car des amants, Salvo Montalbano est sûr qu'elle en aurait plusieurs. Dont Arturo Tallarita, jeune collègue de travail de Liliana.

Salvo est flatté de véhiculer la jeune femme en panne, oui. Mais il ne se laisse plus trop embobeliner par les séductrices genre femmes fatales. Quand en public Liliana fait comme s'ils étaient intimement proches, quand elle joue sur leur voisinage pour l'exciter avant de l'inviter chez elle, le commissaire a des raisons à la circonspection. Surtout qu'il a trouvé la preuve qu'Arturo la rejoint chez elle la nuit. Tout ça promet un drôle de pastis ! Même jusqu'à des cameramen de la télé qui essaieront de filmer les ébats avortés de Salvo avec Liliana. Pas dupes, avec son fidèle Fazio, ils ont prévu la parade. Puis brusquement, Arturo disparaît, et bientôt Liliana pareillement. Sûrement qu'il y a un rapport direct avec une autre affaire en cours, aussi incompréhensible.

Là, c'est une bombinette qui explosa devant un commerce vide d'une rue peu fréquentée de Vigàta. Pas trop de dégâts, mais ça signifie quoi ? Une pression de la Mafia en rapport avec des habitants de l'immeuble contigu ? On raconte que Tallarita (c'est le père d'Arturo dont la famille habite là, en effet) il accepterait de collaborer avec les Stups pour alléger sa peine de prison. Dans ce cas, pourquoi l'explosion d'une deuxième bombinette devant un autre magasin vide ? Par ailleurs, il y a cet impact de balle sur le siège passager de la voiture de Salvo. Le carrossier qui répare le problème explique que ce n'est pas ce qu'a cru le commissaire. Le projectile fut tiré un précédent soir où il "s'atrouvait" en compagnie de Liliana, avec une arme de précision. Possible qu'elle en eût été la cible.

L'embrouille a-t-elle un lien avec le matériel informatique de Lombardo, le mari, dont on ne sait pas où ils sont, lui et ses appareils ? Salvo a compris depuis le début qu'on cherche à l'éblouir avec un jeu de miroirs : “Une fois, j'ai eu l'occasion de voir un film d'Orson Welles dans lequel il y avait 'ne scène qui se déroule dans une pièce aux murs couverts de miroirs, et on ne comprenait plus où on s'atrouvait, on perdait le sens de l'orientation et on croyait parler à quelqu'un devant soi alors qu'il était derrière. Il me semble qu'avec nous, ils veulent jouer exactement au même jeu, nous emmener dans une pièce aux murs de miroirs… Il faudrait qu'à partir de maintenant, ce soit nous qui prenions l'initiative.”

Quelles "pirsonnes" suspecter, et ce serait pour masquer quoi ? Quand l'agent Catarella annonce qu'on a découvert “un mort en état de cadavre” dans une voiture brûlée, et lorsque les pompiers interviennent à la villa de Liliana, ça sent les méthodes de mafiosi. Pour le commissaire, l'essentiel est qu'on ne le fasse pas passer pour un imbécile. Et qu'à la fin de la conclusion, justice soit faite…

Andrea Camilleri : Jeu de miroirs (Fleuve Éditions, 2016)

Ce résumé personnel parodie quelque peu la tonalité narrative des péripéties traversées par Salvo Montalbano dans cette nouvelle aventure. Car, si l'intrigue est aussi tortueuse et mystérieuse que les précédentes dans la série, Andrea Camilleri "besogne" autant sur le langage. Merci au traducteur de nous offrir ces nuances qui participent à notre plaisir, de conforter ainsi une ambiance qui nous devient familière. Ce qui nous fait sourire quand il s'agit de certaines descriptions, de dialogues ou des approximations de l'agent Catarella.

C'est un peu moins amusant, sans nul doute, lorsqu'est évoqué "l'incaprettato", technique meurtrière de la Mafia. Nous restons dans un véritable roman criminel : malgré l'humour, on ne l'oublie pas. L'irascible docteur Pasquano aura, lui aussi, à exercer son métier de légiste le moment venu. Argumenter, faire l'éloge d'un roman d'Andrea Camilleri ? Ce n'est probablement pas indispensable. Préciser qu'on adhère vite à l'univers du commissaire ? Ce serait également superflu. Dès que l'on a goûté au récit des tribulations savoureuses de Montalbano, on les déguste toujours avec une infinie délectation.

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16 janvier 2016 6 16 /01 /janvier /2016 05:55

À la frontière entre la Caroline du Sud et la Géorgie, la Tamassee est une rivière sauvage de montagne. Depuis quelques années, elle est protégée par le Wild and Scenic Rivers Act qui limite les activités autour d'elle. L'exploitation forestière ou immobilière ne sont plus guère autorisées. Venu de Floride, c'est Luke Miller qui a réussi à faire classer la Tamassee afin que ce site exceptionnel ne soit plus abîmé. Ce qui provoque sans doute la grogne d'autres habitants du village voisin, mais beaucoup ont admis cette nécessaire protection. Venue pique-niquer en famille sur les berges de la Tamassee, une ado de douze ans s'y est noyée il y a cinq semaines. Joel et les jumeaux Randy et Ronny, les plongeurs locaux, ne sont pas parvenus à dégager le corps de Ruth Kowalsky, coincé sous un rocher à proximité de la chute de Wolf Cliff Falls. Le père de la victime souhaite employer les grands moyens.

Un technicien pense possible de détourner le cours de la rivière, le temps de sortir le corps des eaux, grâce à un barrage amovible. L'opération ne durerait que quelques heures. Le nouveau garde forestier est plus qu'embarrassé par cette solution. Certains habitants sont favorables à l'utilisation d'autres vieilles méthodes, ayant fait leurs preuves. Luke Miller et sa petite amie étudiante plaident l'interdiction de toute intervention humaine. Pour eux, la rivière est une sépulture aussi digne qu'une tombe de cimetière. L'agent immobilier de la région pense que le cas Kowalsky l'aidera à contourner la loi, à obtenir des autorisations de construire. La neutralité de Billy Watson, enraciné ici, qui tient une boutique où les gens du cru font la fête le samedi soir, est relative. Les arguments des uns et des autres, lors des réunions au foyer communal, ne sont pas satisfaisants.

Âgée de vingt-huit ans, Maggie Glenn est photographe pour un journal de Caroline du Sud depuis un an. Plutôt formée à l'écriture, elle a choisi de développer ses talents pour la photo. Elle est originaire de ce comté d'Oconee, où se passe cette affaire. Sa mère est décédée, son intransigeant père est proche de la mort, son frère Ben a quitté la région. Maggie reste en contact avec sa tante Margaret et son cousin Joel, un des plongeurs, ainsi qu'avec son ami d'enfance Billy. Elle quitta le comté sept ans plus tôt, après une relation amoureuse de quelques semaines avec Luke Miller. Son journal décide d'envoyer sur place leur meilleur journaliste, Allen Hemphill. Elle l'accompagnera, autant comme photographe que comme guide, puisqu'elle connaît les coutumes des riverains de la Tamassee.

Du Rwanda au Kosovo, Allen Hemphill a été un baroudeur de l'information. Suite au décès accidentel de sa famille, âgé de trente-neuf ans, il a pris une nouvelle voie. Si Maggie se place un peu du côté des écologistes, malgré ses réticences envers Luke, Allen pense être objectif en évoquant la douleur des parents, et le bien-fondé du barrage provisoire. Maggie va passer une nuit chez son père, mais leurs rapports restent hostiles. Celui-ci résume son point de vue : “Il se trouve toujours quelqu'un pour monter ici nous expliquer comment faire les choses, à commencer par quels arbres on peut abattre jusqu'à savoir si un type a le droit de garer un mobile home sur son terrain. Ils ont jamais l'air de piger qu'on se débrouillait à merveille avant qu'ils débarquent ici avec leurs conseils.”

Lors d'une ultime réunion, toutes les parties plaident leur cause. Si le témoignage de la mère de l'ado apparaît décisif, les officiels ont déjà fait leur choix auparavant. Peu leur importe que bulldozers, spectateurs et médias abîment les abords de Wolf Cliff Falls. Et ils oublient que la Tamassee n'est pas un calme cours d'eau de plaine, mais une tumultueuse rivière de montagne. Malgré la pose d'un barrage provisoire, toute opération de ce type comporte des risques…

Ron Rash : Le chant de la Tamassee (Éd.Seuil, 2016)

Outre l'aspect “respect de la nature” qui motive l'intrigue, ce roman est enrichi par bien d'autres éléments. D'abord, les parcours personnels de Maggie et d'Allen, l'une et l'autre marqués par des épreuves qui sont encore difficiles à surmonter. Si la jeune femme reste attachée à ces lieux, ce n'est pas sans quelques rancœurs, ni sans troubles vis-à-vis de sa famille. Allen est un grand pro du reportage, sans nul doute. Mais, entre émotionnel et intérêts divers, il arrive que la déontologie et l'impartialité soient gommés.

Le comté d'Oconee, autour de la Tamassee (dans la réalité, c'est la rivière Chattooga), qui fut un territoire Cherokee, est au centre de l'histoire avec ses habitants. Des bouseux, des cul-terreux, aux yeux des citadins qui ne respirent pas la même vie. Ou des montagnards fiers de leur contrée, de leurs traditions. Dont les habitudes sont quelque peu contrariées par la protection du paysage. Qui n'ont pas envie de se voir diriger par quiconque, bien sûr. Qui n'ont ni tort, ni raison, mais s'accrochent à ce qui “leur appartient”.

En réalité, l'existence de ces populations est guidée par une forme de spiritualité. Les croyances du peuple Cherokee (qui respectait la rivière) et les rites chrétiens mêlés de superstitions (on masque les miroirs après un deuil) sont ancrés en eux. Au contraire d'une Foi prosélyte, il s'agit de coutumes religieuses adaptées à cet endroit précis, crées au fil du temps par eux-mêmes et pour eux seuls. De même qu'ils prennent régulièrement leurs repas en commun, à l'auberge de Mama Tilson. Parce qu'ils sont voisins et amis, non pas animés d'un pieux esprit clanique, mais telle est la normalité de leurs rapports.

Quant à l'écriture de Ron Rash, elle est remarquable. Les descriptions, les échanges, les caractères, tout ce qu'il raconte (par la voix de Maggie) est pleinement vivant. On ne peut qu'être séduit par son style.

Quoi de mieux qu'un extrait pour le comprendre ?

“Wolf Cliff est un lieu où la nature s'est donnée un mal fou pour que les humains se sentent insignifiants. La falaise elle-même, c'est soixante mètres de granite qui domine la gorge. Une fissure balafre sa face grise tel un fragment d'éclair noir incrusté là. La rivière se resserre et devient plus profonde. Même l'eau qui paraît calme y est rapide et dangereuse. Au milieu de la rivière, cinquante mètres au-dessus de la chute, un hêtre aussi gros qu'un poteau télégraphique repose comme un ponceau en équilibre sur deux rochers de la hauteur d'une meule de foin. Une crue de printemps l'avait déposé là douze ans auparavant.

La chute elle-même coule entre deux blocs espacés de deux mètres cinquante seulement, et se déverse dans un bassin assez vaste et profond pour engloutir une caravane double essieu. Le rocher de gauche s'avance sur l'eau. Un plongeoir parfait, sauf qu'à cet endroit un contre-courant crée un ressaut hydraulique et, derrière, une cavité profonde, cavité où le corps de Ruth Kowalsky était suspendu entre ciel et terre.” [traduction Isabelle Reinharez].

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15 janvier 2016 5 15 /01 /janvier /2016 05:55

À Notre-Dame-de-Paris, en ce lundi 16 août, la journée précédente a été chargée, avec la procession traditionnelle de l'Assomption. Ce matin, on ne peut que remarquer cette jeune femme en blanc, court vêtue, priant sur le banc de la chapelle de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. On s'aperçoit qu'elle est morte depuis plusieurs heures. Dossier immédiatement confié à la magistrate blonde Claire Kauffmann. “Mignonne, froide comme une lame et raide comme la Justice” dit d'elle le commandant Landard, flic depuis vingt-deux ans. Venu du Quai des Orfèvres, c'est lui qui est chargé de l'enquête. Il est assisté par le jeune lieutenant Gombrowicz. Le légiste leur apprend que le vagin de la victime a été scellé avec la cire d’un cierge. On peut se demander si Mourad, un des surveillants, a bien fait sa dernière ronde avant de boucler la cathédrale. Il certifie que ce fut le cas.

Cette jeune fille excitante fut à l'origine d'un incident, la veille. Elle suivait de trop près la procession de la Vierge, selon un jeune homme blond qui est intervenu, la bousculant avant qu'on le maîtrise. Étant sûr qu'il reviendra vite à Notre-Dame, les flics montent une souricière et ne tardent pas à l'alpaguer alors qu'il vient de se confesser. Il se prénomme Thibault. Claire Kauffmann et Landard tiennent leur coupable. C'est peu dire qu'il idolâtre la Vierge Marie. Une perquisition est menée dans l'étouffante maison de sa mère. La chambre de Thibault est un musée dédié à la Vierge, mais avec des dessins nettement moins chastes. Quand Landard pense avoir défini le scénario plausible du crime, Thibault commet un acte qui ressemble à un aveu. Ce qui devrait clore l'enquête, au grand soulagement des autorités ecclésiastiques.

Disgracié suite à une maladie infantile, souffrant encore le martyre, marqué par la mort de son frère aîné, le père François Kern est compatissant envers les abîmés de la vie. Comme les prisonniers de la centrale de Poissy, dont le lucide Djibril. Mais aussi les égarés qui fréquentent Notre-Dame, où il est en poste chaque été. Il ne croit pas que l'obsessionnel Thibault ait assassiné Luna Hamache, étudiante en licence d'Histoire, si tentante dans sa courte robe blanche. Même si le SDF Kristof s'exprime dans un sabir polonais, le père Kern pense comprendre le message de ce témoin : “Le péché a pénétré entre ces murs. Il n'a pas eu besoin d'entrer par le trou de la serrure. Tout simplement parce qu'il avait la clé.” Il contacte Claire Kauffmann, affirmant que la victime était attendue à Notre-Dame la nuit de sa mort. Est-ce suffisant pour relancer l'affaire ?…

Alexis Ragougneau : La Madone de Notre-Dame (Éd.Points, 2016)

Il serait facile d'imaginer Kern sous les traits de Quasimodo. Esmeralda pourrait être ici incarnée par la substitut Claire Kauffmann, aussi bien que par la victime, la belle Luna. D'autres parallèles avec l'œuvre de Victor Hugo sont possibles. Et Landard serait un cousin de Javert ? Contentons-nous de lire un livre à la fois, celui-ci. Même dans un haut-lieu tel que Notre-Dame-de-Paris, une enquête reste un puzzle à reconstituer. Pour ce faire, il convient de bien observer les personnages, leurs caractères et leurs failles. Il faut avouer qu'au niveau des protagonistes, l'auteur nous a gâtés.

Ainsi, l'affaire serait confiée à une magistrate peu expérimentée et au pire flic de Paris ? Même s'il ne s'agit pas de super-limiers, ce n'est pas si exact et on ne les blâmera pas. Avec son mal-être, le père Kern n'apparaît pas le plus qualifié pour les investigations. L'atout essentiel de ce premier roman d’Alexis Ragougneau, c'est son écriture fluide et même vive. Sans négliger une construction du récit fort bien pensée. Car on verra que certains “seconds rôles” ont également toute leur place. Voilà un nouvel auteur tout-à-fait prometteur, à découvrir maintenant en format poche.

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14 janvier 2016 4 14 /01 /janvier /2016 05:55

À Vigàta, le commissaire sicilien Salvo Montalbano a prévu de passer quelques jours avec sa fiancée Livia, venue le rejoindre. Pas vraiment d'enquête en cours, ça devrait bien se passer. Un problème, quand même : on est sans nouvelle du brigadier Fazio, le policier le plus consciencieux et efficace de l'équipe. Si Salvo rassure son épouse inquiète avec des calembredaines, il cherche dans les cliniques de Montelusa si Fazio s'y trouve. Un témoin a entendu des coups de feu sur le port, la nuit passée. Ça concerne certainement Fazio, le commissaire et son adjoint Mimì Augello en sont convaincus. On envoie des plongeurs afin de savoir si un corps n'a pas été jeté à la mer. Ils ne trouvent rien.

Grâce à un ami journaliste, qui le met en contact avec un homme en cavale, Salvo obtient un renseignement capital. C'est du côté de la montagne Scibetta que la police devrait aller fouiller. En effet, il y à là-bas trois profonds puits à sec, servant de tombes anonymes. Un cadavre gît dans l'un de ces puits depuis déjà quelques jours, et encore un autre dans un second puits, précipité au fond plus récemment. Aucun d'eux n'est Fazio, heureusement. Bien qu'harassé de fatigue, Salvo repère aux alentours un tunnel assez large pour y pénétrer en voiture. C'est là-dedans que s'est réfugié Fazio pour échapper à ses ravisseurs. Il est traumatisé, en état de choc. On va l'hospitaliser à Fiacca, pour plus de sécurité.

Avec tout cela, Salvo a complètement oublié Livia. Elle est partie mais, contrairement à ce qu'il craignait de sa fiancée prompte à s'énerver, elle ne paraît pas lui en tenir rigueur. Le commissaire gagne du temps vis-à-vis de sa hiérarchie, tant qu'il ne sait pas exactement sur quoi Fazio enquêtait réellement. Sa première visite à l'hôpital est brève, minutée par une stricte infirmière pète-sec, digne d'une gardienne de prison. Toutes ne sont pas aussi rebutantes. À l'opposé, le charme de Salvo semble opérer sur la belle infirmière Angela. Un peu remis, même si sa mémoire est fragile, Fazio indique que c'est son ami Manzella qui avait des soupçons sur une affaire de contrebande. Ce qui entraîna son enquête.

Encore faut-il savoir où dénicher ce Manzella ! Salvo constate qu'il paraît avoir quitté son appartement. Il y a laissé une paire de jumelles de marine, et une longue-vue braquée en direction du port. Salvo se rend chez l'ex-épouse de Manzella. Elle confirme que celui-ci, un homme au caractère instable, avait pour manie de surveiller les autres. À l'hôpital, où semblait rôder un criminel, on a jugé préférable de placer Fazio dans une chambre moins exposée. Pour le commissaire, les choses avancent bien avec l'infirmière Angela. Passer la soirée ensemble, c'est sympathique, mais Salvo n'est pas si naïf. Quand la concierge de l'immeuble de Manzella est abattue, il est temps s'activer pour faire cesser ces meurtres. Au final, Salvo et son équipe ont des chances de pêcher un gros poisson…

Andrea Camilleri : La danse de la mouette (Pocket, 2016)

Autour du commissaire Montalbano, les personnages récurrents sont sa fiancée Livia, les policiers Mimì Augello, ainsi que Gallo et Galluzo, le grognon Docteur Pasquano joueur de poker, le brave gaffeur Catarella à l'accueil du commissariat, le restaurateur Enzo. Et puis le brigadier Fazio, celui qui généralement fait avancer les enquêtes. Si on est coutumier des aventures de Salvo Montalbano, c'est un personnage que l'on apprécie, pour son sérieux et sa complémentarité avec son chef. Cette fois, c'est pour Fazio que l'on a des raisons de s'inquiéter. Certes, on va le retrouver et le soigner, mais l'affaire ne s'arrête pas là. Car, en Sicile, il est rare qu'un caïd mafieux ne soit pas impliqué dans des méfaits.

De l'humour, cet "épisode" n'en manque pas. Pas tellement à cause de Catarella qui, au contraire, est plutôt à la hauteur. Mais, entre les barrages routiers des carabiniers, son supérieur auquel il raconte des carabistouilles, et une très jolie infirmière à dénuder, Salvo nous fait sourire plus d'une fois. Les lecteurs d'Andrea Camilleri connaissent parfaitement les qualités du maestro. Quant aux autres, qui n'ont pas encore exploré son œuvre, ils se privent de grands moments de plaisir.

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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 05:55

Le Vermont est un État rural et forestier, confiné dans sa tranquillité et ses traditions. Ici, dans ce petit comté que certains jeunes surnomment Connardville, on exploite le bois. Du moulin de la famille de Whizzer, qui fut une belle menuiserie, reste la modeste scierie qui ne tourne plus guère depuis l'accident dont il a été victime. Désormais en fauteuil roulant, Whizzer vivote dans les vieux bâtiments, et reçoit chaque jour quelques copains dans son bureau. Ils discutent en séchant des bières, du temps d'avant, du monde actuel. Ils sont quelque peu "hors du temps", Whizzer et ses amis. La jeune femme qui leur rend une visite-surprise ce mercredi-là, ils la connaissent à peine.

Lillian fut la copine de Kevin Bay, qui a quitté la région depuis peu. C'est le shérif Wingate qui lui a conseillé de s'adresser à eux, vu qu'il ne peut pas régler son problème. Avec ses beaux cheveux longs châtains et son air arrogant, cette presque trentenaire leur apparaît comme une forte tête. Elle est harcelée par le nommé Blackway, ex-adjoint du shérif, qui a abîmé sa voiture et zigouillé son chat. Lillian n'a pas l'intention de fuir, comme Kevin. Elle veut trouver une solution pour que Blackway, caïd local et traficoteur, cesse de l'ennuyer. Whizzer n'a sous la main que deux pauvres bougres : le Grand Nate, jeune costaud sans instruction, et le vieux Lester, un homme expérimenté et malin.

Lillian n'est pas vraiment convaincue que ce duo de branquignols puisse l'aider, mais elle n'a pas le choix. Nate n'est guère causant, répétant qu'il "n'a pas peur de Blackway" et suivant les consignes de son aîné. En guise "d'arguments" afin de raisonner l'adversaire, Lester se munit de "tringles à rideaux" pour donner à penser qu'ils sont armés. Ils font étape chez Fred Fitzgerald, un patron bûcheron victime d'une entourloupe de la part de Blackway. Ce n'est pas sur un chantier de bûcheronnage qu'ils retrouveront le caïd. Le trio se renseigne au High Line, un baisodrome pouilleux, où les "associés" de Blackway les orientent plutôt vers le Fort, un ancien garage transformé en bistrot.

Tandis qu'au moulin-scierie, Whizzer et ses copains dissertent sur la vie, et s'interrogent sur les improbables chances de réussite du trio, Lester espère amadouer la brute qui tient le bar du Fort. Finalement, c'est plutôt par un pugilat que se conclura cet épisode. Pour la suite, Lester n'a pas de plan précis. Lillian réalise la situation : “Ils l'avaient envoyée avec un gamin qui n'était même pas allé au collège et un vieux qui pouvait à peine marcher. Ils ne la protégeraient pas, même s'ils pouvaient… Ça n'allait pas fonctionner.” Néanmoins, le trio se dirige vers les Villes Perdues, un secteur forestier où Blackway habite dans un drôle de logement. Bien que capables d'improvisation, il ne sera pas facile de le piéger…

Castle Freeman Jr : Viens avec moi (Sonatine Éd., 2016)

Ne nous fions surtout pas à sa relative brièveté (180 pages) : voilà un roman possédant énormément d'atouts favorables. Soulignons d'abord l'unité de temps : pour l'essentiel, l'action se passe sur une seule journée, en continu. Ensuite, la narration alterne les scènes vécues par le trio Lillian-Lester-Nate cherchant à débusquer leur adversaire, avec les conversations de Whizzer et de ses potes restés dans le bureau du moulin, sirotant leurs bières. L'auteur décrit l'ambiance générale et quelques-uns des décors, fort pittoresques, du Vermont campagnard. Mais, autre bel atout, il soigne particulièrement les dialogues.

Discussions dont la tonalité est largement ironique, en témoigne ce passage sur le sort des femmes dans cette région, où les possibles conjoints ne sont pas brillants : “Des femmes, des jeunes femmes qui sont plus ou moins intelligente, bien élevées, honnêtes, capables, fortes. Elles veulent travailler. Partout ailleurs, elles finiraient avec des jeunes types biens et solides, des types comme elles. Mais par ici elles s'entichent de types qui sont tout le contraire, des types qui sont voués à finir en prison, qui passent leur vie à causer des problèmes. Elles finissent avec des types qui sont des emmerdes ambulantes.”

À l'exemple de nombreux romans noirs, l'auteur n'a pas jugé indispensable de compliquer l'intrigue, qui n'est d'ailleurs pas dénuée de suspense. Il a préféré inclure une forme de poésie, tant dans le climat de l'histoire qu'à travers les savoureux personnages. Ce livre a été adapté au cinéma, scénario de Joseph Gangemi et Gregory Jacobs. "Go with me", un film de Daniel Alfredson, avec Anthony Hopkins (Lester), Julia Stiles (Lillian), Ray Liotta (Blackway), Alexander Ludwig (Nate), Hal Holbrook (Whizzer). Avant tout, il s'agit d'un roman noir de belle qualité.

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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 05:55

Romain Delorme est né en 1870. Il est le fils d'Anselme Delorme, qui fit carrière dans la police avant une retraite financièrement aisée. Il est donc légitime que Romain entre dès 1908 dans les Brigades mobiles crées par Georges Clemenceau, les Brigades du Tigre. Par patriotisme, contre l'avis paternel, il s'engage comme combattant en 1914. Il va côtoyer entre autres le lieutenant Louis Pergaud, prix Goncourt quatre ans plus tôt. Romain frôle la mort en 1915, sauvé par un caporal juif, avant d'être hospitalisé à Paris. Il y retrouve Caroline Rémy, dite Séverine (1855-1929), journaliste libertaire féministe. Cette activiste, cible d'adversaires acharnés qu'elle ne craint pas, a des révélations à lui faire sur ses vraies origines. Ce qui permettra à Delorme d'affronter sans complexe son "père".

Depuis un quart de siècle, Romain a suivi un parcours plus que singulier. Il n'avait guère qu'une vingtaine d'années quand il fit ses premiers pas dans la police secrète, grâce à son mentor, Louis Andrieux. Si celui-ci tient un rôle ambigu, c'est pour le bien de la démocratie en France : “Un deus ex machina que rien ne gratifiait autant que d'élaborer dans l'ombre plans et manœuvres pour réduire des ennemis dont il se persuadait, non sans quelque raison, qu'ils étaient avant tout ceux de la République...” L'époque fourmille d'opposants : nationalistes, royalistes, anarchistes, anciens Communards. En permanence, leurs ligues défient l’État. Leur point commun, c'est l'antisémitisme. Tous estiment que les Juifs ont un pouvoir exorbitant. Les nationalistes proches des catholiques s'avèrent les plus féroces.

Officiellement journaliste, mais bel et bien policier pour Andrieux, Romain ne tarde pas à fréquenter les sphères politiciennes. Sous prétexte de reportage, il devient bientôt un proche du marquis Antoine de Morès. Cet aristocrate fit fortune en Amérique, avant de se présenter comme un des plus fervents ennemis des Juifs en France. Ami de Jules Guérin, qui publie des journaux antisémites, Morès bénéficie de soutiens influents qui financent son action. Les bouchers de La Villette, la Cité du sang, lui servent d'hommes de mains. À chaque scandale dénoncé, telle cette livraison à Verdun de viande à soldats prétendument avariée, Morès et ses partisans crient "victoire" contre les Juifs. Leur impact est encore faible, mais Andrieux redoute la montée en puissance de Morès et de son mouvement.

Assisté d'Aurore, son amante et sa secrétaire, Romain observe les évènements qui agitent cette fin de siècle. Tout un ramassis de contestataires provoquent de graves incidents, comme au mariage de Juliette de Rothschild. Autour de Jules Guérin et de son journal "La libre parole", ils excusent le terroriste poseur de bombes Ravachol, accusant la République de tous les maux. Tel Morès, on se bat en duel pour ses idéaux, on commet des meurtres caractérisés, on est acquitté quand même. Romain en tirera cette conclusion : “Je me vautre dans un monde effrayant où la parole donnée n'a aucun sens, où des traîtres de mélodrames passent leur temps à ourdir des machinations sordides et des complots si alambiqués qu'on se demande comment ils peuvent se tirer eux-mêmes du labyrinthe issu de leurs cerveaux pervers.”

Entre-temps, Romain a été témoin des suites de l'affaire Dreyfus, en attente de révision d'un procès inéquitable ; il a contribué à la riposte d'Andrieux contre les nationalistes, et à la contre-attaque de Clemenceau qui va provoquer la chute de Morès ; il a participé à l'affaire de Fort Chabrol, chez les antisémites de Jules Guérin ; il a appris la vérité sur la mort plus que suspecte d’Émile Zola, et bien d'autres situations où la police secrète eut un rôle à jouer. En 1934, quand il raconte tout cela, ressurgissent les sulfureux nationalismes, autant basés sur le populisme que sur les traditions anti-républicaines, prétextes à de virulentes campagnes anti-juifs…

Roger Martin : Il est des morts qu'il faut qu'on tue (Cherche-Midi Éd., 2016) – Coup de cœur –

Le titre, “Il est des morts qu'il faut qu'on tue”, est emprunté au poète Fernand Desnoyers. Il exprime bien la violence politique régnant en France à la fin du 19e siècle, depuis "la Semaine Sanglante" qui acheva la Commune, jusqu'aux débuts du siècle suivant, avec ses résurgences précédant la 2e Guerre Mondiale. Dans une démocratie terriblement fragile, chaque manifestation se solde par des morts. "Se battre pour ses idées" signifie souvent risquer sa vie, dans un climat larvé de guerre civile. Beaucoup complotent pour renverser le système en place, mais d'autres aussi pour le protéger. Manipulés, les "gauchistes" d'alors vont plus tard réaliser que le combat antisémite n'est pas le leur, l'affaire Dreyfus n'y étant pas pour rien. En ce temps-là, les nationalistes (notion à ne jamais confondre avec le patriotisme) se croient des opposants capables d'arriver aux portes du pouvoir.

C'est une fresque historique s'appuyant sur une documentation pointue que nous dessine Roger Martin. Bien qu'il s'agisse d'une fiction, on y croise des personnalités réelles d'alors. Dont ce méprisable marquis de Morès, aventurier fantasque plus escroc que fin politique, charismatique meneur des xénophobes de son époque. L'auteur ne s'attarde pas sur le procès de Dreyfus, mais sur ses conséquences, avec la mort douteuse de Zola, et son houleux transfert au Panthéon. Sans oublier l'épisode répressif du 51 rue de Chabrol, qui calma un moment les mouvements précurseurs du fascisme. Quant au politicien Louis Andrieux, luttant avec fermeté contre le désordre ambiant, il n'est autre que le père d'un célèbre écrivain du 20e siècle.

La "toile de fond" est historique, au plus près des réalités. Toutefois, connaissant bien les littératures policières, Roger Martin revendique plutôt le roman noir qu'un cours d'histoire. Les péripéties priment tout, ce qui est l'apanage de la fiction. S'il y a effectivement une leçon à tirer, elle peut s'adresser à d'autres auteurs, grâce à deux éléments exemplaires : la structure sinueuse du récit, merveilleusement maîtrisée, navigue à travers les époques sans que le lecteur ne s'égare jamais ; et la narration est d'une souplesse remarquable, d'une fluidité hyper-agréable. Qu'on ne s'étonne pas que soit utilisé un vocabulaire anti-juifs tel que celui de ce temps-là. Si quelques révélations plus obscures sortent de l'ombre en cours de route, l'auteur a misé (à juste titre) sur la plus grande clarté d'écriture. Voilà un roman magistral, de qualité vraiment supérieure.

- Ce roman est disponible dès le 14 janvier 2016 -

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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 05:55

Val Plaisir est une station de Savoie, dans la Vallée de la Maurienne, non loin de Modane. Estelle et Jérémy Drillon sont des jeunes mariés, récemment installés ici avec leur bébé de cinq mois, Lilas. Ils habitent un chalet en retrait du centre. Originaire de Lyon, séduisant et jovial, Jérémy est le patron du bar-bowling. Âgée d'une vingtaine d'années, Estelle est employée à la pharmacie locale, mais elle est en arrêt pour s'occuper de Lilas. Célibataires tous les deux, la pharmacienne Claudine Ortenaz et son frère Fabien sont les seuls vrais amis de la jeune femme. Fabien est amoureux d'Estelle, mais elle ne l'encourage pas à persister. Alors que débute la saison hivernale, les affaires devraient être bonnes pour le bar-bowling. Estelle aide quelque peu son mari, en faisant le service.

Nadia, la sœur jumelle de Jérémy, est de retour des États-Unis. Elle vient de vivre pendant quatre ans à New York, où elle était barmaid. Estelle devine une femme de caractère. Puisque ce sont les vacances de Noël, Nadia va assister son frère au bowling, logeant au chalet du couple. Elle ne se montre nullement maternelle avec la petite Lilas, exprimant une totale indifférence envers le bébé. Il se produit quelques escarmouches entre Estelle et sa belle-sœur. Elle a l'impression mal explicable de “jumeaux en miroir” : plus encore qu'une ressemblance, existe entre Nadia et Jérémy une sorte de symétrie opposée. “C'est comme si l'un des jumeaux était le reflet de l'autre.” Finalement, Nadia a l'intention de rester là durant quelques semaines, avec la bénédiction de son frère.

Plusieurs incidents inquiétants se succèdent autour de la petite Lilas. Estelle ne peut en accuser Nadia, mais n'en pense pas moins. Un problème causé par Fabien lors d'une sortie en montagne ne fait qu'accentuer la paranoïa de la jeune mère. Si Estelle observe Jérémy et sa sœur, elle constate qu'ils sont proches, mais sans rien d'équivoque. Toutefois, quand Nadia fait prendre des risques à Lilas sur sa luge, s'ensuit une virulente scène de ménage entre Jérémy et Estelle. Il est décidé que Nadia s'installera dans la chambre disponible au bowling. “Des idées noires m'assaillaient sans cesse… Le doute me torturait. Et si Claudine avait raison ? Et si je surprotégeais Lilas, voyais du danger où il n'y en avait pas ?” se demande Estelle, perturbée par le rappel d'un fait dramatique de son passé.

Pourtant, d'autres incidents vont se produire, qu'elle doit logiquement attribuer à Nadia. Mettre de temps à autre Lilas à l'abri chez Claudine est insuffisant. D'autant qu'Estelle en apprend davantage sur la famille Drillon. Réagir ? “Je ne voulais plus être celle qui s'efface. Je ne voulais plus être une agnelle. Comme une louve, je défendrais mon petit jusqu'à mon ultime goutte de sang”…

Élisa Vix : Ubac (Éd.Rouergue Noir, 2016)

On a écrit des tas de choses sur la gémellité, sur la relation fusionnelle supposée entre les jumeaux, fussent-ils dizygotes comme dans ce cas. Élisa Vix a parfaitement raison de ne pas s'attarder sur l'aspect "médical" du sujet. Par contre, elle illustre le côté troublant que peuvent parfois inspirer les comportements de jumeaux-jumelles. Que ceux-ci jouent sur la ressemblance physique, c'est assez sympathique. Quand leur attitude fait penser à un couple, naît un certain malaise. D'autant plus pour Estelle, la narratrice, issue d'un milieu instable, n'ayant pas vraiment de repères auxquels se raccrocher.

À l'opposé de l'adret, l'ubac évoque le versant moins ensoleillé d'une montagne alpine, ce qui fait référence à la part sombre d'un individu. Telle est la notion qu'utilise cette intrigue, qui ne se prétend pas exactement novatrice. L'intérêt, c'est que le suspense tourne autour d'un petit nombre de personnes. Menace, vrai péril ou craintes fantasmées, mensonge ou situation mal comprise ? Des conséquences criminelles ne sont pas à exclure. Élisa Vix nous propose là un bon petit polar de tradition, qui se lit agréablement.

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8 janvier 2016 5 08 /01 /janvier /2016 05:55

Près de Valenciennes, dans le Nord, Wollaing fut longtemps une ville industrielle. L'usine Berga, principal moteur de l'économie, fonderie de plomb, employa jusqu'à 1150 salariés en 1969. Dans les années 1970, la situation empira progressivement. Le vieillissement des installations, la sévérité patronale, les rachats de l'entreprise, l'intransigeance syndicale, autant de causes qui entraînèrent en 1983 la fermeture de Berga. Pour les ex-employés, rares furent les reclassements réussis. Des investisseurs profitèrent des aubaines fiscales, mais leurs entreprises disparaissaient vite, plongeant leurs salariés dans une précarité de plus en plus flagrante. Certains achetèrent des bistrots. Fredéric Wallet créa une salle de musculation. Rémy Leroy devint ferrailleur. Un autre alla travailler sur le port d'Anvers. La plupart vivotèrent ainsi durant trente ans, avec peu d'espoir de boulot pour leurs enfants.

Antoine Vanderbeken est médecin à Wollaing, ville d'origine de sa famille. Il perdit un frère jumeau quand ils étaient ados. Son père fut chef du personnel de l'usine Berga. En Indo puis en Algérie, Édouard Vanderbeken (alors surnommé Douve) eut une carrière militaire chargée. Il fit même partie des commandos Delta de l'OAS, avant d'être engagé à l'usine. Au cœur des actions de la décennie 1970 chez Berga, il est décédé depuis l'époque de la fermeture. Chasseur, comme son associé Delcourt, le docteur Antoine Vanderbeken s'affiche bien plus humaniste que son père. Il n'est pas indifférent à la détresse régnant ici, chez les jeunes en particulier. Quand la junkie Pauline Leroy traverse des crises, il n'hésite pas à l'aider. Employée de la supérette de M.Haddouche, celle-ci semble vouloir prendre un nouveau départ. Son petit-ami Serge Maes et elle projettent de quitter la France.

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Mais pour tenter une vie ailleurs, ou simplement échapper à la misère ici, il faut beaucoup d'argent. Les banques sont exigeantes, heureusement que certains prêteurs via Internet se montrent plus généreux. Néanmoins, il faut rembourser, et dans une minorité de cas, l'emprunteur ne peut pas. C'est là que Freddie Wallet et son ami Gigi, Gérard Waterlos, interviennent pour le recouvrement des dettes. Carrure musclée et air menaçant suffisent souvent pour des remboursements, parfois ils cognent. Quand Pauline est retrouvée morte dans un terrain vague, son père Rémy Leroy est convaincu que ce duo a assassiné sa fille. L'enquête est conjointement menée par le commandant Erik Buchmeyer et la lieutenant Saliha Bouazem. Le premier est un quinquagénaire difficile à gérer pour sa hiérarchie. La seconde est originaire de Thionville, en Moselle, autre région où la sidérurgie fut reine.

Soupçonner Wallet et Waterlos ? Les collecteurs de dettes avaient-ils vraiment intérêt à supprimer Pauline, qui devait 50000 Euros ? Saliha privilégie l'hypothèse Serge Maes, car elle a été témoin d'une rencontre de ce petit truand avec des trafiquants, ceux de la bande des Boggaert. À moins qu'une troisième piste se dessine ? Tout en sympathisant avec les deux médecins, Erik explore quantité de documents sur l'époque de l'usine Berga, ainsi que des archives-photos familiales. Des rancœurs remontant aux luttes sociales du passé seraient-elles à l'origine de l'affaire ? Avec son collègue et ami Belge, Erik en examine toutes les facettes possibles. Saliha finit par récupérer l'essentiel de la somme empruntée par Pauline. Un nouveau meurtre est commis, pour lequel Rémy Leroy est suspecté. Au final, ce seront quatre meurtres et un suicide que le couple de policiers devra élucider…

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Pour le contexte général, tout est dit dans le résumé qui précède ici. Région sinistrée, oui sans nul doute, car elle fut l'une des plus industrialisée de France. Personne ne sut freiner le déclin, relancer les activités pourvoyeuses d'emplois en grand nombre. Les politiques ne sont cependant pas seuls fautifs, une partie de la population se braquant sur ses acquis, et le patronat jouant le pourrissement tout en bénéficiant d'aides publiques. Cette part sociologique est essentielle dans ce roman, Emmanuel Grand renvoyant lucidement dos-à-dos ceux qui vécurent la fin de l'ère industrielle dans la région, qui y contribuèrent.

Autre cible de cette histoire : les sociétés de crédit à la consommation. À côté de celles qui ne disent pas toute la vérité sur les taux demandés sur leurs prêts, il semble qu'existent des margoulins utilisant l'anonymat d'Internet pour jouer aux usuriers. Des sommes très importantes, permettant par exemple l'achat d'une puissante voiture neuve, sont offertes. Conséquence assurée, le remboursement doit être infaillible, sinon la violence intervient. Le mirage de la fortune ne dure pas éternellement. L'auteur présente là des pratiques fort plausibles. Encore une façon, détestable et même odieuse, d'exploiter la pauvreté.

Évidemment, c'est sur une intrigue criminelle que repose ce sombre roman. Les deux enquêteurs utilisent des méthodes différentes. Le taciturne Erik Buchmeyer se fie d'abord à son instinct, se réfère aux témoignages et aux archives, se moque bien de son supérieur Delcroix et de ses visées politiciennes. La jeune Saliha aime encore son métier de policière mais un tel dossier risque de lui apporter des désillusions. Erik la rassurera : “Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'on était des héros ? Des justiciers, des redresseurs de torts ? Non, on est juste des flics qui font leur boulot. Un petit maillon de la chaîne… Tu as tout pour être une excellente flic, Saliha.” Par ailleurs, l'ensemble des protagonistes sont dessinés avec une belle justesse, tout comme l'ambiance qui apparaît véridique.

Après “Terminus Belz” (Prix PolarLens 2015, Prix Tenebris 2015 au Québec), ce deuxième polar d'Emmanuel Grand confirme les qualités de l'auteur.

- Lire aussi la chronique de Pierre Faverolle sur ce roman (ci-dessous) -

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