Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 février 2018 5 02 /02 /février /2018 05:55

Cécile est âgée de vingt-sept ans. C’est la fille d’un défunt musicien de jazz, qui a fini dans la dèche. De santé précaire, Cécile ne manque pas d’énergie dans ses activités sociales. Elle est employée par le Samu social. Toutefois, les maraudes nocturnes commencent à lui peser, aussi va-t-elle sans tarder changer de job. Prendre en charge les miséreux, même si c’est quasiment une vocation, c’est souvent être confronté à des situations compliquées. Et ça limite la vie sociale personnelle. Copiner avec Fifi d’Anvers, c’est sympa mais ça ne débouchera évidemment pas sur une relation intime. Il y a bien ce flic, Steve Legrand, avec lequel elle est en contact, mais elle est réticente quant à son métier.

Changeant d’association, Cécile va se consacrer aux biffins. Il s’agit de ces vendeurs en tous genres qui étalent leur marchandise – sans grande valeur, souvent – à côté des puces de Saint-Ouen. C’est le quartier où elle habite avec sa coloc. Ces biffins se sont organisés. Le rôle du groupe de Cécile est de veiller à la paix sociale dans ce carré. Parmi eux, on trouve des sans-papiers à régulariser et autres sujets relevant des services sociaux. Telle cette Nadia, plus toute jeune et très malade. Il y a aussi des personnages insolites, comme l’orateur Lothaire. Tout ce petit monde est globalement plus calme que ce qu’elle a connu jusqu’ici. Presque trop routinier et mollasson à son goût, d’ailleurs.

Par ailleurs, Cécile s’interroge sur la mort d’un sans-abri, Samouraï, un ami de Fifi. Il se peut qu’il ait aperçu un pyromane ayant récemment incendié un hôtel du secteur. “On sait comment ça se passe à Barbès. Les habitants ne veulent pas lâcher leurs logements, alors les proprios leur balancent des rats dans les couloirs, déversent des poubelles dans les escaliers, cassent la gueule à ceux qui s’accrochent.” Malgré tout, rien ne prouve que cet incendie ait été volontaire. Fifi d’Anvers s’est renseigné sur le passé de Samouraï, qui fut militaire en Afrique. Pourtant, une vengeance paraît improbable, car c’est d’une overdose – provoquée ou pas, jamais facile à déterminer – dont est mort Samouraï.

Cécile se demande si elle a trouvé le grand amour, avec ce technicien en informatique qui opère dans le quartier. “C’est pas le gars compliqué, genre à se poser des questions sur sa capacité à faire jouir.” Néanmoins, côté sentiments, Cécile est quelque peu complexe. Elle continue à suivre le cas désespéré de Nadia, et à vouloir comprendre la mort suspecte de Samouraï…

Marc Villard : Les biffins (Joëlle Losfeld Éditions, 2018)

Je passe la matinée à repérer les sauvettes qui se glissent régulièrement dans le carré. Il faut les prendre par le bras et les écarter gentiment. En fait, ils sont tous dans le même bain, mais certains ont la carte et d’autres pas. Les vendeurs à la sauvette sont plus jeunes que la moyenne des biffins du carré. Ils emballent leur matos dans un carton ou un drap sale et sont capables de disparaître en trente secondes chrono. Les filles préfèrent s’installer en dehors du carré pour éviter l’évacuation. L’une d’elles, une Asiatique, a noué ses cheveux en chignon, et son peignoir en éponge, composé de carreaux noirs et blancs, glisse sur son sein droit. Deux allumés roumains assis de l’autre côté de la travée sont comme hypnotisés par le mamelon offert. Elle relève la tête et tire vivement sur son vêtement. Un peu plus loin, une femme de soixante ans au bas mot a compilé une dizaine de sacs-poubelles éventrés dans lesquels sa vie fermente dans l’odeur de frites et de sardines avariées. Mais comme elle n’est pas du quartier, je laisse glisser. Je ne suis pas la brigade d’intervention, faut pas confondre.

On le sait, Marc Villard est un des plus grands experts en matière de nouvelles. Il excelle tout autant dans le roman court. Car son écriture précise fait mouche, évacuant les détails parasites pour ne retenir que le cœur palpitant d’une histoire. Ce qui ne l’empêche pas d’évoquer aussi finement les états d’âmes sentimentaux de son héroïne, que le curieux petit univers de ces biffins vivotant en vendant toutes sortes de produits, dont l’origine peut s’avérer douteuse. C’est le portrait de cette population, à la marge de notre société, qu’il met en évidence, sans jugement ni complaisance. Quant à l’aspect polar, il concerne les mystères autour de l’incendie d’un vieil hôtel, rue Polonceau. Les règles du genre sont respectées, avec une belle maîtrise là encore. Un roman court, certes, mais ne manquant pas d’une densité certaine. Jolie réussite à l’actif de Marc Villard.

Partager cet article
Repost0
1 février 2018 4 01 /02 /février /2018 05:55

Destiné aux amateurs de textes courts, le coffret “Autour de minuit” propose – dans une présentation soignée et originale – quatre livrets qui sont autant de nouvelles. Écrites par des auteurs qui comptent dans le monde du polar noir : Carlos Salem, Marin Ledun, Elena Piacentini et Anne-Cécile Dartevel. Quatre univers différents, mais une même volonté de sortir du lot, grâce à des nouvelles de qualité supérieure.

"La nuit de Valentín", de Carlos Salem : Poe reste fidèle à sa réputation de pilier de bistrot, amateur de galipettes avec des serveuses pas farouches. Cette nuit-là, c’est une blonde armée d’un flingue qui va diablement l’exciter. L’érection magistrale devient rare chez Poe. Par contre, cette femme fatale, c’est le summum de ses fantasmes. Elle dit avoir besoin de lui pour retrouver son ex-amant, Valentín. C’est typiquement le genre de séducteur qui fascine ses conquêtes, inexplicablement. Le duo commence la tournée des maîtresses de Valentín, d’Almudena à Marlene, ce qui ne se passera pas sans heurts. L’érection de Poe ne faiblit pas, mais il n’est pas près de comprendre la psychologie féminine.

Il vaut mieux conserver son sang-froid dans certaines circonstances. “Marlene regarde la blonde. La blonde regarde Marlene. Elle fait deux têtes de plus qu’elle, et la chanteuse paraît plus chétive et fragile que jamais, comparée à cette féroce walkyrie. Au lieu de répondre, Marlene fait volte-face et se dirige vers sa loge, après nous avoir invités d’un geste à la suivre. La blonde lève l’arme et la lui appuie sur la nuque. Marlene continue à marcher de ce pas aérien qui me rendait fou. Dans sa loge, elle nous sert des verres, sans un regard pour l’énorme automatique logé entre les mains de la blonde.”

"Wild Girl", d’Anne-Céline Dartevel : Mona est une drôle de fille. Avec son amant Fred, elle habite dans une caravane défraîchie, pour ne pas dire miteuse. Se shootant aux pétards et à la vodka, Fred écrit au kilomètre des romans que personne ne veut publier. Mona est une artiste. Ces temps-ci, elle se produit sur scène au Paloma Café. Déguisée en Debbie Harry, elle interprète les chansons de Blondie, dans un spectacle de transformistes. Mona est un homme, oui. Ce soir-là, ses parents septuagénaires ont assisté au show. Les Vieux, Mona n’en garde vraiment pas de bons souvenirs. Enfance chaotique, maltraitance. Un pèlerinage chez eux ne serait certainement pas une bonne idée pour Mona.

Sur scène, elle donne le maximum. “Je me déhanche au rythme un peu mollasson de la batterie. Ma cape en fausses plumes est la première à voler dans le décor. Je défais ensuite ma jupette d’un geste sec et l’envoie valdinguer côté jardin. Dans le public, ça siffle et ça gueule à tout va. J’enchaîne sur Atomic mais le batteur, frappé d’apathie, me bousille l’intro. J’ai beau me démener comme une bête de somme, ça ne sonne pas aussi rock que je le voudrais. Je finis par Denis, le moins connu des titres de Blondie…”

Coffret “Autour de minuit” (Éditions In-8, 2017)

"Gasoil", de Marin Ledun : La station-service de Victor fait partie du paysage local, et elle est plutôt bien située. Depuis trente-deux ans, trimant du matin au soir, Victor se montre arrangeant avec la clientèle, sympa envers les jeunes. Mais il est conscient que ça ne va pas durer éternellement. La concurrence est acharnée sur les carburants, les commerciaux de l’enseigne sont impitoyables dans des cas comme le sien. Il veut encore y croire. S’il ne s’était pas produit un accident la nuit précédente, ça aurait été sûrement possible. Victor n’en est pas responsable, il n’a fait que son métier. Aussi dramatique soit-elle, l’histoire pouvait s’arrêter là. Mais le destin choisit souvent la plus noire des solutions.

Le pompiste pouvait-il agir autrement ? “Victor ne disait jamais rien. Il les aimait bien, les gosses comme Ziber parce qu’ils étaient nés au même endroit que lui et qu’il avait été comme eux. Pas trop d’avenir, pas assez de fric, juste le présent à vivre, quelques pièces à mettre dans un réservoir et que le monde aille se faire foutre ! Voilà comment il s’était retrouvé mécano, puis pompiste. Voilà comment Ziber s’était retrouvé dans un ravin. Victor avait eu plus de chance, si l’on peut dire…”

"Le dernier homme", d’Elena Piacentini : Ce hameau presque mort, ces quelques maisons vides, ça fait une trentaine d’années que Horace les connaît. Jeune instituteur, il enseigna dans une classe unique qui accueillait une douzaine d’enfants venant des villages environnants. À l’époque, il remarqua deux frères, les Cafani, très dissemblables parmi les élèves. Séverin, un gamin taciturne et rêveur, était l’opposé de son cadet de deux ans, Antoine, extraverti et volubile. Pour la retraite, Horace est venu s’installer dans une des maisons de ce hameau fantomatique. Le cas de Séverin l’intéressait toujours, trois décennies plus tard, pour son caractère anthropologique.

L’enseignant pense être lucide. “Certains ont déclaré que la vie les avait séparés. Ils ont tout faux, ils confondent l’effet et la cause. À la naissance, les frères étaient antipodes, la logique voulait qu’ils suivent des trajectoires opposées. Antoine a quitté le hameau à sa majorité et a ouvert un bar sur la côte. Séverin est resté. Ce n’était pas un choix par défaut, mais une vocation et une affinité qu’il portait en lui depuis l’enfance. Il était de ce royaume, fait par lui et pour lui. En osmose avec la plus infimes de ses composantes… La vie de Séverin était là. Le bruit, les espaces confinés, les lumières artificielles, il en aurait crevé.”

Partager cet article
Repost0
30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 05:55

Au nord de l’État de New York, se trouve la ville de Promise Falls, avec ses trente-six mille habitants. L’activité n’y est guère florissante. Le journal local a cessé de paraître. Le parc d’attractions a fermé ses portes. Il n’y a que l’ancien maire Randall Finley qui s’en sort bien en commercialisant son eau de source. Il vaut mieux avoir un job du côté de Boston, métropole la plus proche. David Harwood y a été reporter. Mais, pour s’occuper de son fils de neuf ans Ethan, ce veuf a pensé rebondir à Promise Falls. Habitant chez ses parents, il cherche du boulot. Quant à Barry Duckworth, inspecteur de police de cent trente kilos, ça fait tout juste vingt ans qu’il est flic. Marié à Maureen, il essaie de surveiller son régime alimentaire, tout en exerçant son métier consciencieusement mais sans trop se fatiguer.

Marla Pickens est la cousine de David. Depuis qu’elle a perdu son bébé alors qu’elle était enceinte, elle vit en recluse et n’a plus toute sa tête. Sa mère Agnes, énergique directrice de l’hôpital de Promise Falls, et son père Gill n’y peuvent pas grand-chose. Pas plus que le médecin Jack Sturgess, d’ailleurs. Quand David débarque chez Marla, elle lui annonce qu’un "ange" lui a livré un bébé la veille. Si elle n’a pas kidnappé ce nourrisson, il faut que David retrouve quand même d’urgence les véritables parents. Il s’agit du couple Gaynor. Arrivé chez eux, il trouve le cadavre de Rosemary Gaynor, poignardée. Rentrant de Boston, le mari est surexcité par la situation. Agnes, la mère de Marla, est alertée. Très vite, elle convoque une avocate qualifiée, car sa fille va fatalement être soupçonnée.

Barry Duckworth est par ailleurs occupé par une affaire d’agressions sur le campus du collège de Promise Falls. Ces tentatives de viol, le chef de la sécurité de l’établissement prétend les régler. Certes, c’est un ex-flic, mais ses méthodes sont discutables. Barry se demande en quoi ça peut avoir un lien avec les vingt-trois écureuils morts pendus non loin de là. Peut-être, plaisir de psychopathe dans ces méfaits. Et maintenant, il va devoir enquêter sur le meurtre de Rosemary Gaynor. C’est bien le bébé de la victime qui a été "confié" à Marla. Il serait essentiel de savoir où est passée Sarita Gomez, la "nounou" que Rosemary employait officieusement. Barry déniche son adresse, mais cette femme est en fuite. Le mari de la victime, souvent absent, n’a pas d’autres infos sur Sarita.

Tandis que le père de David est recontacté par son "ami" Walden Fisher, qui a traversé un double drame ces dernières années, l’ex-journaliste est approché par l’ancien maire. Finley espère reconquérir son poste et a besoin d’un assistant pour sa communication. David doit y réfléchir. Pendant ce temps, dans le parc d’attractions vide, la responsable découvre une étrange mise en scène. Barry y envoie un de ses adjoints, mais pas sûr qu’une explication apparaisse aisément. Ayant fait une tentative de suicide, Marla est hospitalisée. Le docteur Sturgess semble plutôt incompétent, estime David qui ne le connaissait pas encore. Au collège, l’opération montée par le chef de la sécurité pour attirer et coincer le violeur ne prend pas une bonne tournure. Est-ce que le nombre 23 serait la clé de ces événements ? Barry ne sait quoi penser. Pour protéger sa cousine, David mène sa propre enquête…

Linwood Barclay : Fausse promesses (Éd.Belfond, 2018)

Je n’entrai pas dans les détails, et je ne pris pas l’initiative de raconter l’histoire du bébé que Marla avait tenté de kidnapper à l’hôpital de Promise Falls. Je me doutais ben qu’il le découvrirait tôt ou tard, mais ce n’était pas moi qui allais le lui apprendre.
Ce n’était pas que je craignais la colère de ma tante si je divulguais cette information. Enfin, d’accord, peut-être un peu. Mais c’était vraiment Marla que je cherchais à protéger. Ce qu’elle avait fait à l’hôpital était absolument accablant dans les circonstances présentes, et je n’étais pas sûr que Duckworth ou qui que ce soit d’autre dans la police de Promise Falls ressente le besoin de mener une enquête très approfondie, une fois cette information connue. Marla avait tué Rosemary Gaynor et pris la fuite avec le bébé. C’était aussi simple que ça. Affaire classée. Allons boire une bière.
Je ne pensais pas que ce soit aussi simple. Mais ça pouvait l’être.

Une évidence s’impose : Linwood Barclay possède l’art et la manière de construire et de raconter une histoire, de la rendre franchement excitante. Le tempo est sans doute un des principaux atouts, cette intrigue se déroulant sur seulement deux journées. Ce qui permet de suivre tour à tour chacun des protagonistes. Si le policier et l’ex-reporter sont au cœur du mystère, bon nombre d’autres personnes interviennent. Pas de problème pour situer chacun d’entre eux, tous ayant leurs caractéristiques (le père et la mère de David, sa cousine et ses parents, le mari de la victime, le médecin, l’ancien maire, etc.) Normal, l’idée étant de nous présenter l’ambiance d’une petite ville de l’Est des États-Unis. Si on y trouve des quartiers plus chics, comme chez les Gaynor, la population est diverse.

L’intrigue inclut évidemment de sombres évocations. Outre le meurtre, Marla se souvient de la perte de son bébé, Walden Fisher et son ex-futur gendre Victor ne se sont pas remis d’un drame, par exemple. À la base, les circonstances criminelles ne tourne-t-elles pas autour du bébé de Rosemary (allusion au film Rosemary's Baby”) ?

Toutefois, l’auteur utilise aussi une plaisante tonalité, légère et souriante. L’accumulation de mauvaises surprises autour de David relativise la noirceur, il faut bien le dire. Et lorsqu’un incident se produit avec son fils Ethan, la conséquence pour l’ex-journaliste pourrait être plutôt positive. La bonhomie du brave policier Barry Duckworth, malgré tout perspicace, contribue à limiter la tension. Un roman très entraînant et captivant, premier tome d’une trilogie, nous dit-on. On attend la suite avec impatience.

Partager cet article
Repost0
28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 05:55

Le docteur Séverine Dombre est néphrologue à l’hôpital Tenon, à Paris. Un métier exigeant qui n’explique pas vraiment que sa vie soit un désert affectif. Ça remonte sans doute au décès suspect de son père, quand elle était toute petite. Depuis, elle ne montre plus guère ses émotions. Séverine est la mère de Vincent, seize ans, mais c’est le père qui élève leur fils par ailleurs. Sa relation intime avec Hubert Pélissié, chef d’entreprise âgé de soixante-six ans, n’est que ponctuelle et pourrait sembler œdipienne. Gardant une certaine distance envers les autres, elle apparaît satisfaite de faire passer sa profession avant sa vie privée.

Séverine reçoit un nouveau patient ayant besoin d’une greffe de reins. Cet Albanais est accompagné de deux sbires, plutôt gardes-du-corps que traducteurs. Elle souligne que les procédures médicales et les règles légales sont strictes en France, que les délais d’attente sont généralement longs. Ce qui ne déroute pas du tout ses interlocuteurs, prêts à payer de grosses sommes pour accélérer les choses. Ils obtiennent tous les justificatifs exigés, non sans faire peser une pression forte sur Séverine. Elle va devoir répondre d’une fausse accusation devant la Répression des Fraudes. Puis il se produit un incident, quand sa carte bancaire est dérobée. Peu après, le voleur est abattu dans un règlement de comptes. Hospitalisé à l’hôpital Tenon, il ferait un donneur d’organes compatible avec l’Albanais.

Surtout, Séverine s’inquiète pour son fils Vincent. L’entourage du patient étranger est très bien renseigné sur ses proches et elle-même, y compris sur les moyens de la contacter hors du milieu hospitalier. Elle pense que ça peut résulter d’une vengeance contre elle, au sein de son service. Lorsque Séverine assiste à l’exécution d’un nommé Marmont, qui fait partie de la sphère médicale, probable complice des Albanais, c’est bien la preuve que la menace plane aussi sur elle. Séverine se rapproche de son fils, emmenant Vincent en week-end sur la côte normande. Outre les sites du Débarquement, c’est le petit village de Delaiseville qui intéresse la jeune femme. C’est de là qu’était originaire son père, qu’elle n’a quasiment pas connu. Une bourgade qui traversa des heures sombres à la Libération.

L’équipe des policières Claude Chaudron et Nathalie Machaut, de la Criminelle, a lancé son enquête sur le meurtre de Roger Marmont. Étant une des dernières à l’avoir rencontré, Séverine est interrogée, et bientôt mise sous surveillance. Si on y ajoute le cas du voleur de carte bancaire, trop de morts violentes autour d’elle, estime la police. Dans le même temps, les Albanais sont de retour dans le service de Séverine, disposant d’un "donneur vivant" pour la greffe. Tout serait en ordre, mais le patient est trop faible et elle est obligée de reporter l’intervention. Face à ce retard, les Albanais vont augmenter la pression, s’en prenant à Vincent – c’était à craindre. Si Séverine doit réagir en prenant les bonnes décisions, les policiers ne sont pas inactifs non plus…

Olivier Kourilsky : Marche ou greffe ! (Éd.Glyphe, 2018)

Le technicien, qui semblait porter tous les malheurs du monde sur les épaules, se dirigeait vers l’avenue Parmentier. Il allait sûrement prendre le métro. Séverine accéléra le pas pour l’aborder. Elle avait prévu de l’attaquer de front, comme si elle était au courant de tout, pour le déstabiliser. Ce Roger ne lui paraissait pas bien solide.
Au moment où elle arrivait à quelques mètres de lui et s’apprêtait à l’appeler par son nom, une moto chevauchée par deux individus portant un casque intégral s’approcha du trottoir. Le passager arrière tendit un bras vers Roger. Séverine entendit deux violentes détonations. La tête du technicien explosa, le sang jaillit et l’homme s’effondra. "Sûrement pas un calibre 22", eut-elle le temps de se dire. La moto repartit dans un rugissement et disparut en quelques secondes sans qu’elle puisse relever son numéro. Des cris s’élevèrent.
Séverine s’éloigna au plus vite du lieu de l’assassinat. Elle n’avait pas du tout envie d’être interrogée. Roger était mort et elle savait qui étaient les commanditaires.

Voilà un roman qui fourmille de qualités. Le lecteur de polars apprécie quand l’auteur s’est attaché à soigner la construction de l’intrigue. Avec Olivier Kourilsky, le perfectionnisme est de rigueur en la matière. D’autant que, s’agissant ici de son 9e titre, il maîtrise les rouages de l’histoire avec l’aisance qu’apporte une expérience certaine. Avec limpidité, il présente les portraits des protagonistes, et les faits auxquels est confrontée son héroïne. L’esquisse psychologique, basée sur son passé, est amplement suffisante pour que l’on entre rapidement avec elle dans l’action, pour partager sa dose d’anxiété.

Si l’ambiance de ce "polar médical" est 100 % crédible, c’est avant tout parce que Olivier Kourilsky connaît parfaitement le contexte. Sa biographie nous rappelle qu’il fut longtemps l’assistant du professeur Gabriel Richet à l’hôpital Tenon avant de prendre, en 1982, la direction du service de néphrologie-dialyse du tout nouvel hôpital d’Évry. Le métier du docteur Séverine Dombre et l’univers hospitalier n’ont donc pas de secret pour lui. C’est un atout non négligeable, pour évoquer un milieu avec réalisme. Ensuite, viennent des situations issues de la fiction, improbables mais néanmoins imaginables. Concernant l’épisode dramatique au village de Delaiseville, on est également proches d’événements qui se sont vraiment déroulés, en Normandie ou ailleurs en France.

Un suspense solide, riche en péripéties et en risques encourus, raconté avec une fluidité exemplaire. Un roman que l’on prend grand plaisir à lire !

Partager cet article
Repost0
26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 05:55

Lauréat du Grand Prix de Littérature Policière en 2011 pour “Le poète de Gaza”, Yishaï Sarid avait précédemment publié dans son pays “Une proie trop facile”, en 2000. Ce titre est désormais disponible en format poche, chez Babel Noir. L'aspect enquête est bien présent. Une accusation de viol n'est jamais à prendre à la légère. Dans toutes les armées règne une certaine omerta qui ne facilite pas les investigations. Surtout quand le militaire impliqué jouit d'une bonne opinion générale. Quant à la victime, elle ne fait pas le poids, sa candeur et sa religiosité affichées n'étant pas de véritables arguments. Dans un pays éternellement sur la défensive, compliqué de mener à bien une affaire délicate comme celle-là…

 

À Tel Aviv, à la fin du 20e siècle, cet avocat trentenaire vivote de son métier, sans ambition. Il fut employé par un grand cabinet, avant d'exercer en solo. Heureusement que Shabtaïl, puissant mais obscur en affaires, est assez généreux. Célibataire, sa vie privée n'est pas plus reluisante. Sa colocataire Niva, une artiste dont il est amoureux sans espoir, est trop désargentée pour payer les factures. Fille d'un cinéaste incapable de financer ses films, Niva compte repartir un jour tenter sa chance à New York. Lieutenant-colonel dans les services juridiques de l'armée, Ofra est une amie fidèle de l'avocat. Elle lui propose de traiter une affaire de viol : une ex-jeune soldate a porté plainte contre un capitaine.

Le sergent Koby de la police militaire, homo de dix-neuf ans, sera l’assistant de l'avocat. Le capitaine Erez, visé par la plainte, apparaît comme un brillant élément de Tsahal. Il est sur le départ, vers un poste avancé de l'armée au-delà de la frontière libanaise. Il dirige une compagnie d'élite, où son sens du commandement et son charisme sont appréciés. Erez affirme ne pas être concerné. Koby et l'avocat se rendent dans le village d'Ofakim, au sud du pays, afin d'y rencontrer la victime. Réformée pour cause psychologique, dépressive recluse chez ses parents, Almog (Corail, en hébreu) se contente de réciter sa version des faits. En présence de sa famille hostile, les enquêteurs ne peuvent espérer mieux.

Le journal intime de la jeune fille indique sa foi tourmentée. Almog accepte de parler à l'avocat dans les bureaux d'Ofra. Cette fois, elle raconte précisément l'intégralité des faits. Son récit semble parfaitement crédible, dénotant d'un excès de candeur chez Almog. Des indices confirment que l'ex-soldate ne ment pas, mais le capitaine Erez a toujours le soutien de sa hiérarchie. En place dans un fortin sur le front, il ne compte pas revenir témoigner. Rejoindre la zone de conflit n'enchante guère l'avocat, même s'il est officier de réserve et bon tireur. Un trajet dans un camion de ravitaillement le conduit jusqu'au secteur militaire. Tandis que l'avocat expérimente la vie sur le front, Erez finit par se montrer plus cordial. Mais il faudra bien plus d’éléments au sergent Koby et à l’avocat pour cerner le caractère du militaire et de sa supposée victime…

Yishaï Sarid : Une proie trop facile (Babel Noir, 2018)

— Il vous a obligée à monter avec lui ? ai-je demandé dans l’espoir de trouver quelque chose qui puisse cadrer avec un paragraphe du Code pénal.
— Non, pas obligée. Une Jeep s’est arrêtée à ma hauteur, un modèle tout récent et dedans, il y avait un officier qui m’a invitée à monter. J’étais tellement troublée que je n’ai pas tilté que c’était lui, je ne l’ai pas reconnu avec tous ses galons et son uniforme. Je lui ai demandé s’il allait vers Ofakim et c’est quand il m’a répondu : "On a rendez-vous, non ?" que là oui, je l’ai reconnu. Je me suis installée devant. Il a voulu savoir pourquoi je n’étais pas venue, et je lui ai dit que j’avais oublié. C’était la première fois que je me retrouvais en tête à tête avec un gradé et que je pouvais lui parler simplement.

Les principaux atouts de ce roman noir ne résident pas seulement dans l'intrigue. C'est une image beaucoup plus complète de l’État d'Israël que présente Yishaï Sarid. Contraste entre l'urbanisme galopant de Tel Aviv (qui masque le front de mer, tant apprécié par cet avocat) et la ruralité de l'essentiel du pays ; entre Israéliens ambitieux s'éloignant du pays et patriotes attachés à leurs fonctions militaristes ; entre ce modeste avocat (dont la mère apparaît plus dynamique que lui) et le prestigieux cabinet où il fut employé. Le regard sur les Arabes d'Israël diverge, avec nuances, également. Le besoin de liberté reste inassouvi ou imparfait chez quelques-uns des protagonistes, dont notre avocat anonyme. La part sociologique et l'enquête se complétant, cette histoire racontée avec souplesse offre donc un double intérêt.

Partager cet article
Repost0
25 janvier 2018 4 25 /01 /janvier /2018 05:55

Jefferson Petitbois n’est pas un détenu lambda. À l’automne 1980, âgé de dix-sept ans, il vient d’être condamné à la peine capitale. Ce jeune Noir a commis des crimes violents, qu’il ne nie pas. Pour lesquels il n’éprouve aucun remords, non plus. Ce qui a pesé dans l’issue du procès, Jeff en est conscient. Comment aurait-il pu expliquer les circonstances, lui qui manque de culture et de vocabulaire, lui qui sait à peine lire et écrire ? Jeff a peur de la mort, c’est d’autant plus normal qu’il ignore quand interviendra son exécution. À quoi lui serviraient des visites de l’aumônier de la prison de Fresnes ? Il n’a foi en aucune croyance. Du moins, dans le sens religieux traditionnel, car avec son ami et mentor Max, il a testé d’autres pratiques s’inspirant de vieux rites africains.

Max n’est plus là. Derrière les barreaux, la solitude est la seule compagne de Jeff. Quant à sa demande de grâce présidentielle, compte tenu du contexte électoral, le président de la République actuel ne prendra pas de décision. Son successeur va tenir une promesse de campagne, la fin de la peine de mort. Si Jeff est soulagé, sa peine étant commuée, il ne se leurre pas : la perpétuité, c’est interminable. Surtout quand on reste considéré comme un détenu à haut risque, réduit à un isolement permanent, généralement enchaîné. Et puis, il y a l’aggravation de ses conditions de détention suite à l’agression sur le gardien Durance, gravement blessé. Jeff n’éprouve pas de regrets pour son acte, les conséquences n’ayant fait que confirmer son statut de condamné hors normes.

Les dix premières années ont passé, dans un quotidien qui ne l’a pas conduit à la folie. Il a apprivoisé une souris, Germaine. Il a résisté aux provocations racistes du Chef Martin. Il a suivi les conseils du gardien Jean Dumont, qui l’a incité à lire et à écrire. Toutefois, pas si évident de raconter sur le papier son parcours d’enfant abandonné, cette violence qu’il contrôlait mal, son envie suicidaire, le rôle de Max. Ce dernier aurait pu simplement être un père de substitution, mais c’était un personnage mystique et pervers. Raconter sa vie à la psychiatre quinquagénaire Marie-Jeanne ? Faire comprendre le lien entre son premier geste de nature criminelle à sept ans, sa vengeance huit ans plus tard, et les autres meurtres ? L’espoir qu’un rapport favorable entraîne pour lui plus de liberté est mince.

La clé de son destin, c’était Max. Et l’initiation de Jeff, dès l’âge de quatorze ans, à l’iboga. Même avec le recul des années, il lui est toujours difficile d’analyser les faits, l’influence de ce produit hallucinogène. Plus de deux décennies maintenant que Jeff est détenu. Avec un nouveau gardien, un Noir qui garde ses distances, et d’autres incidents provoqués par le Chef Martin. Si Jeff a évolué, c’est en grande partie grâce à Jean Dumont, mais celui-ci a quitté la Pénitentiaire. Néanmoins, ils sont encore en contact. À quoi mènerait un assouplissement du régime carcéral de Jeff ? Peut-être à un retour au point de départ…

Christian Blanchard : Iboga (Éd.Belfond, 2018)

La seule personne qui m’a réellement perçu comme un être humain. Sauvé des eaux, je me suis retrouvé devant cet homme qui m’a adopté. Je n’ai pas été ‘placé’ chez lui. C’est Max qui m’a choisi. Et pour la première fois de ma vie, j’ai eu un véritable chez moi. La chapelle : mon sanctuaire.
Pas d’électricité. On s’éclairait aux bougies… plutôt avec des cierges. Max en avait trouvé tout un stock lorsqu’il avait découvert cette chapelle abandonnée. Éparpillées un peu partout, leurs flammes créaient des ombres sur les murs bruts. Je les trouvais rassurantes. Reflets apaisants. De temps en temps, Max allumait des tiges d’encens. Leur fumée et leur parfum accentuaient l’étrangeté du lieu.
Max : le bien et le mal. Max : un être hybride.
De trente ans mon aîné, il m’a montré le chemin…

Afin de ne pas se tromper de lecture, il est prudent de préciser qu’il ne s’agit pas d’un plaidoyer contre la peine de mort, même si l’auteur utilise un contexte qui suscita en son temps des débats enflammés. Le héros de cette histoire assume ses meurtres, encore qu’il ne les considère pas comme des crimes ordinaires. Il n’affirme pas non plus que son parcours chaotique depuis le début de sa vie eût mérité davantage de clémence. Le sujet premier, c’est ici l’enfermement – avec la solitude que cela cause. L’idée de ne plus sortir de prison, est-ce concevable dans l’esprit d’un détenu tel que lui ? Sachant que le concept de "vie normale" n’a jamais existé dans son cas. Enfant, il fut un sauvageon, et il reste inadapté à toute vie sociale durant ses premières années sous les verrous.

Quand on connaît Christian Blanchard, qui n’est nullement un romancier néophyte, on sait qu’un de ses thèmes de prédilection, c’est la dépendance. Comment un individu, quelles que soient ses failles, accepte-t-il un engrenage forcément négatif ? Des facteurs tels que l’alcool ou les stupéfiants offrent une réponse, largement imparfaite. La résilience de chacun, sa force mentale, devrait pousser à lutter contre ce qui est destructeur. Mais l’âme humaine ne fonctionne pas selon une mécanique précise, une programmation impeccable. Ce portrait magistral d’un prisonnier d’exception vise à fouiller dans les tréfonds de son cerveau, pour y détecter les racines de la noirceur. Le récit évoque également certains faits saillants, dans la société française depuis près de quarante ans.

Un suspense puissant, à découvrir absolument.

Partager cet article
Repost0
24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 05:55

Dans le Mexique actuel, ce quatuor de quadragénaires se connaît depuis leur adolescence. À l'époque de leur scolarité, ils se surnommaient les Bleus. Il y avait Jaime Lemus, élevé dans une famille aisée, fils de Don Carlos Lemus, magistrat lié à la politique. Désormais, Jaime est responsable d'un service de sécurité d’État qui fait le lien entre le Mexique et les Américains. Il y avait Mario Crespo, le plus neutre des quatre mais le plus fidèle en amitié depuis ce temps-là. Il est devenu prof, s'est marié avec Olga, formant un couple normal. Leur fils Vidal est un passionné d'informatique. Il y avait Tomás Arizmendi, qui aurait pu devenir un brillant journaliste, mais qui a plutôt suivi la spirale de l’échec.

Et puis, il y avait Amelia, au centre du groupe des Bleus. La rebelle et cultivée Amelia, si attirante pour Jaime et Tomás. Elle est devenu la présidente d'un des partis politiques d'opposition. Non pas qu'ils aient un poids contre le PRI, qui gouverne quasiment sans discontinuer depuis des décennies. Néanmoins, le parti d'Amelia et celui du sénateur Ramiro Carmona peuvent représenter un contre-pouvoir. Quand ils étaient ados, Don Carlos initia les quatre amis à la politique, en prenant exemple sur “1984” de George Orwell. La fascination d'Amelia pour le père de Jaime la conduisit à devenir sa maîtresse durant plusieurs années, malgré une différence d'âge évidente. S'il s'est éloigné de la politique, et de son fils Jaime, Don Carlos reste un homme de bon conseil.

Tomás a bâclé un article sur le meurtre de Pamela Dosantos, une artiste très connue, dont le cadavre démembré a été retrouvé. Tomás y citait une adresse proche de l'endroit ou fut découvert le corps – celle du bureau officieux de Salazar, Ministre de l'Intérieur. Rien n'indique le moindre lien entre Pamela et lui, mais l'article de Tomás est plébiscité par le public. La victime eut quantité de puissants amants… dont Salazar ? Il est indispensable que les Bleus d'autrefois fasse corps autour de Tomás, car il s'expose à de graves ennuis. Mario demande à son fils Vidal (et à son ami hacker Luis) de pirater tout renseignement sur Pamela Dosantos. Pour Tomás, voilà une bonne occasion de renouer avec Amelia.

En attendant de savoir si Salazar est impliqué, le quatuor et Don Carlos doivent trouver une stratégie pour affronter le pouvoir. Menacé, Tomás doit autant se méfier des taxis que d'éventuels poursuivants en 4x4 blancs. La première réunion des ex-Bleus est interrompue par une alerte, malgré leurs précautions. Le rôle de Jaime n'est pas vraiment clair dans cet incident. Pour se contacter, Don Carlos confie à chacun d'eux un téléphone direct, censé éviter la surveillance. Tomás discute avec le vieux journaliste Don Plutarco, qui rencontra Pamela Dosantos. Le rôle de celle-ci n’était pas si futile qu’on pourrait le croire…

Jorge Zepeda Patterson : Les corrupteurs (Babel Noir, 2018)

Tomás comprit pourquoi Jaime leur avait donné rendez-vous à cet étage. Les suites communiquaient entre elles, et celle qui était contiguë donnait sur un autre couloir qui menait directement à l’issue de secours.
Amelia regretta les talons qu’elle avait choisi de mettre ce soir-là. Mario serrait l’ordinateur dans ses bras et Tomás dévalait l’escalier quand il vit qu’Amelia prenait du retard. Ils entendirent une rafale de coups de feu en provenance de l’étage qu’ils venaient de quitter. Jaime avançait en tête du groupe, pistolet au poing. Deux étages plus bas, ils trouvèrent plusieurs hommes munis d’armes automatique et Tomás crut qu’ils allaient être criblés de balles ; il s’élança sur Amélia et la renversa sur les marches, la protégeant de son corps.

La politique intérieure de chaque pays est forcément complexe. Vu d'Europe, le Mexique apparaît comme une nation ayant réussi à établir une stabilité rassurante. Il semble que le principal parti, le PRI, ait le soutien du voisin américain. Quand on entend parler de gangs criminels, ça reste plutôt confus dans nos esprits. On ignore qu'ils causèrent jusqu'à près de mille morts par mois. La corruption dans les cercles du pouvoir central et à la tête des provinces fédérées, on suppose qu'elle existe. Être dirigeant politique au Mexique, c'est plus qu'ailleurs être assis sur un siège éjectable, donc autant profiter des avantages et bénéfices que ça peut apporter. Tant que l'opposition se cantonne à réclamer vainement davantage de transparence dans la gestion politico-économique, tout va bien pour les élites au pouvoir.

Un grain de sable dans les rouages gouvernementaux bien huilés, voilà comment sont perçues les révélations de Tomás Arizmendi. S'il n'avait autour de lui un groupe d'amis bien placés, il devrait vite quitter le Mexique. Outre l'enquête du journaliste, chacun d'eux glane des renseignements sur la victime et, si possible, sur les arcanes politiques. Car la thématique de ce roman noir, c'est – sous couvert de fiction – de nous présenter le fonctionnement institutionnel de ce pays, au plus près de la réalité. Aspect documentaire, qui ne nuit nullement à l'intrigue, non dénuée d'une paranoïa troublante. Un suspense qui nous informe et suscite notre curiosité, c'est encore mieux. Désormais disponible en format poche chez Babel Noir, “Les corrupteurs” est un roman à ne pas manquer.

Partager cet article
Repost0
23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 05:55

Paris, au printemps 1912. Âgé de vingt-cinq ans, Dimitri Ostrov est un Juif d’origine russe. S’il a été élevé chez des aristocrates, il appartenait à un milieu plus modeste. Voilà sept ans, quand il a dû quitter son pays, ce jeune homme cultivé s’est dirigé vers la France. C’est ainsi qu’il rencontra la comtesse Svetlana Slavskaïa, qui a aujourd’hui quarante-trois ans. Dimitri, qu’elle surnomme affectueusement Dimia, est devenu le factotum de cette dame. Bien que les bolcheviks n’aient pas encore pris le pouvoir en Russie, la comtesse a choisi de vivre à Paris pour son univers artistique et ses plaisirs mondains. Veuve, elle est la mère d’Igor, qui a toujours conservé une distance vis-à-vis de Dimitri, alors qu’ils ont le même âge. Marié depuis six ans, Igor est le gendre du riche baron de Lansquenet, dont il usurpe le titre de noblesse pour faire oublier qu’il est Russe. D’où le côté sanguin de son caractère. La chasse et la vie de salon conviennent fort bien à cet oisif.

Svetlana Slavskaïa est une amie du célèbre couturier Paul Poiret. Ce qui suscite un peu de jalousie chez Denise, l’épouse du créateur de mode. Car le couple est moins fusionnel qu’il ne l’affiche. La femme de Paul Poiret s’efforce de paraître aussi aussi "spectaculaire" que lui, sans posséder son aura. Ils organisent dans leur demeure de la rue Saint-Honoré une soirée costumée sur le thème des contes orientaux, réservée à quelques privilégiés. Dont ne fait pas partie Igor, bien que sa mère ait pu le faire inviter. En revanche, Svetlana veut profiter de cet événement pour faire entrer Dimitri dans le "grand monde". Elle commence par lui offrir un appartement, dont il sera seul propriétaire. Et puis, ce n’est plus en tant qu’assistant de la comtesse, mais comme membre du gratin mondain qu’il est invité à la "Mille et deuxième nuit" de Paul Poiret. Néanmoins, Dimitri s’interroge sur la suite.

C’est dans un décor fastueux, et selon une mise en scène chorégraphique, que le couturier accueille Svetlana, Dimitri et les personnes triées sur le volet. Dans l’entourage de Poiret, figurent ses deux séduisantes muses, Manon et Oriane. Parce qu’elle lui rappelle son amour de jeunesse Anastasia, Dimitri tombe immédiatement amoureux de la belle Oriane. Dans la folie de cette nuit exceptionnelle, ils deviennent amants. Mais, au matin, une mauvaise surprise attend Dimitri : il découvre la comtesse assassinée. Elle a été étranglée par le précieux collier, d’une valeur d’un million, cadeau récent d’un de ses admirateurs mystérieux. Le temps de donner l’alerte, le bijou a disparu. Le commissaire Champlain, un monarchiste nationaliste maurassien, et son adjoint Bertholet sont chargés d’élucider ce crime. Non sans tenir compte de la grande notoriété de Paul Poiret, ami des puissants.

Si le créateur de mode est sincèrement triste d’avoir perdu sa plus proche amie, Igor se réjouit secrètement de la mort de sa mère. Il se voit déjà hériter des quinze millions de Svetlana. Tandis que Dimitri tente de poursuivre son idylle avec Oriane, il est convoqué par les enquêteurs. Ayant bénéficié de la générosité de la comtesse, il semble le meilleur des suspects. Peut-être va-t-il devoir se débrouiller pour prouver son innocence. Quant à l’assassin, s’embarquer pour le voyage du Titanic reste la solution pour fuir les problèmes. C’est un quart de siècle plus tard qu’interviendra le dénouement de l’affaire…

Carole Geneix : La mille et deuxième nuit (Éd.Rivages, 2018)

Il enleva ses babouches qui retombèrent en un léger feulement sur le sol. Il avait mal aux pieds d’avoir dansé la gigue toute la nuit. Qu’avait donc fait Svetlana ? Elle lui avait rappelé de ne pas s’occuper d’elle, qu’à partir de minuit il était libre comme l’air. Surtout Dimia, ne te soucie pas de moi. Aujourd’hui, c’est ‘ta nuit’. Je vais te faire rencontrer les plus grands. Fadaises ! Elle l’avait abandonné à son sort, sans le présenter à qui que ce soit. Et minuit avait sonné sans qu’il pense une seconde à elle. Peut-être était-ce dans l’ordre des choses. Il entendit un léger bruit et tourna la tête. Les ombres fantomatiques des costumes semblaient le narguer. Personne, il n’y avait personne dans ce grenier encombré de merveilles (…)
Les peaux de tigre étaient sagement étalées au même endroit, gueules béantes. Soudain, quelque chose attira son attention. Un talon rouge et puis, plus haut, l’escarpin lui-même, ouvrant sur un magnifique volant de soie bleue. Cette mise, ce mollet, c’était Zobéide dépassant de la peau de tigre. Et qui plus est, une Zobéide ivre morte. Pourvu qu’on ne l’ait pas vue !

Ah, la Belle Époque ! C’est l’ère de l’insouciance et de l’optimisme, puisque l’argent coule à flots. La bourgeoisie d’affaires et l’aristocratie fortunée spéculent sans crainte, cet Âge d’Or étant durable. Les politiciens et les professions libérales, les artistes et les créateurs de mode, font également partie de cette élite profitant du prestige de la France. Sans oublier nos grands ingénieurs qui, de Gustave Eiffel aux constructeurs automobiles, apportent le progrès technique. Ni ce cinématographe qui va révolutionner le monde du spectacle. Tout est formidable, la bonne société exulte de bonheur, l’enthousiasme est partout. Et Paris attire un cosmopolitisme bienvenu, financier autant que mondain.

Se faire une place dans ces cercles, beaucoup en rêvent. Dimitri se contente d’un rôle de second plan, près de sa comtesse russe vénérée. Ce n’est pas de la reconnaissance, mais une honnêteté intellectuelle. Jeune Juif, il n’appartient pas à la noblesse, et le paraître ou le sensationnel ne lui correspondent pas. Malgré tout, par la volonté de Svetlana, Dimitri est propulsé au cœur des sphères les plus enviées. Où règnent quelquefois la jalousie et l’égoïsme, en plus de l’avidité à rapidement s’enrichir.

Quant au contexte général, il est nettement moins stable que l’indiquent les apparences. Après l’affaire Dreyfus, les revanchards n’ont pas dit leur dernier mot. Le banditisme atteint des sommets, la bande à Bonnot et leurs semblables sévissant à leur guise. Enfin, pour ceux qui veulent être un peu réalistes, les rumeurs de guerre sont de plus en plus crédibles, un conflit de grande ampleur s’annonce inévitable. Se réfugier dans la futilité, s’exhiber sans complexe, c’est refuser d’admettre tout cela.

Telle est l’ambiance, festive avec ses facettes plus sombres ou énigmatiques, que restitue Carole Geneix dans ce roman "d’époque". Un suspense fort sympathique.

Partager cet article
Repost0

Action-Suspense Contact

  • : Le blog de Claude LE NOCHER
  • : Chaque jour des infos sur la Littérature Policière dans toute sa diversité : polar, suspense, thriller, romans noirs et d'enquête, auteurs français et étrangers. Abonnez-vous, c'est gratuit !
  • Contact

Toutes mes chroniques

Plusieurs centaines de mes chroniques sur le polar sont chez ABC Polar (mon blog annexe) http://abcpolar.over-blog.com/

Mes chroniques polars sont toujours chez Rayon Polar http://www.rayonpolar.com/

Action-Suspense Ce Sont Des Centaines De Chroniques. Cherchez Ici Par Nom D'auteur Ou Par Titre.

Action-Suspense via Twitter

Pour suivre l'actualité d'Action-Suspense via Twitter. Il suffit de s'abonner ici

http://twitter.com/ClaudeLeNocher  Twitter-Logo 

ACTION-SUSPENSE EXISTE DEPUIS 2008

Toutes mes chroniques, résumés et commentaires, sont des créations issues de lectures intégrales des romans analysés ici, choisis librement, sans influence des éditeurs. Le seul but est de partager nos plaisirs entre lecteurs.

Spécial Roland Sadaune

Roland Sadaune est romancier, peintre de talent, et un ami fidèle.

http://www.polaroland-sadaune.com/

ClaudeBySadauneClaude Le Nocher, by R.Sadaune

 http://www.polaroland-sadaune.com/