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6 novembre 2015 5 06 /11 /novembre /2015 05:55

La Grèce subit toujours la crise. La famille du commissaire Kostas Charitos n'est pas moins touchée que les autres. Le policier économise le carburant de sa Seat. Son épouse Adriani est une ménagère attentive à leur budget. Katérina, leur fille avocate défendant immigrés et populations modestes, partage son cabinet avec son amie psy, Mania, et le compagnon informaticien allemand de celle-ci, Uli. Phanis, le mari de Katérina, est médecin hospitalier. Ses propres parents ont des ennuis d'argent, ruinés par les impôts. Zissis Lambros, le vieil oncle des Charitos, ancien militant communiste, s'occupe vaille que vaille d'un foyer qui héberge leurs compatriotes les plus pauvres. La guerre civile des années 1950, la Grèce des Colonels, l'oncle Lambros reste un des derniers témoins de ces époques troublées.

Katérina est agressée devant le Palais de Justice d'Athènes alors qu'elle s'occupait de deux Sénégalais. Une femme témoigne qu'il s'agissait d'un vrai commando, certainement des fachos de l'Aube dorée. Personne n'est intervenu pour défendre l'avocate. Pas même le flic de garde devant le tribunal. Il a regardé la scène tout en téléphonant. Hospitalisée, la fille de Charitos s'en remettra en quelques jours. Pourtant, la menace persiste, le commissaire recevant un appel virulent sur son téléphone portable. En théorie, ce numéro n'est connu que de rares collègues. Ça indique des fuites dans les services de la police, exploitées par l'extrême-droite grecque. L'équipe de Charitos enquête bientôt sur une mort suspecte, le suicide d'un ingénieur. Élevé en Allemagne, ce Grec était revenu dans son pays natal.

Malchance et projets contrariés peuvent expliquer ce décès. Néanmoins, on trouve une sorte de message revendiquant cette mort, signé “Les Grecs des années 50”. Canular ? Le commissaire n'en est nullement convaincu. Puis c'est le directeur de l'Institut Chronos, une école privée, qui est assassiné d'une balle dans la tête. La douille permet d'identifier une arme ancienne, un Smith & Wesson 38 modèle Victory, datant de 1950. Un nouveau message des mêmes signataires anonymes accompagne ce meurtre. La victime était un combinard ayant des appuis politiques, un avare réservant son fric pour l'éducation de son fils en Angleterre. Charitos dispose d'un vague indice, une vieille photo d'école qui fut sans doute prise autrefois dans la région de l’Épire. Un chirurgien qui y était scolarisé confirme.

Un autre homme est abattu dans sa voiture. Sans boulot officiel, cet ex-employé viré de l'administration de l'urbanisme ne manquait pas d'argent. C'était un expert en corruption de fonctionnaires, monnayant ses services. Deux autres victimes, des agriculteurs, sont à ajouter au compteur des crimes commis par “Les Grecs des années 50”. Le commissaire s'intéresse par ailleurs à un trafic de drogue autour des clients africains de sa fille. Ayant trouvé des preuves accablantes contre le flic de garde au Palais de Justice, Charitos et ses collègues font pression sur lui, essayant d'enrayer la gangrène commençant à pourrir la police, en faveur de l'Aube dorée. Quant à situer “Les Grecs des années 50”, peut-être vengeurs, rien d'évident…

Petros Markaris : Épilogue meurtrier (Éd.Seuil, 2015)

Ce sera une tétralogie, l'auteur ayant choisi de prolonger d'un épisode sa trilogie dédiée à la crise grecque (Liquidations à la grecque, Le justicier d'Athènes, Pain Éducation Liberté). Ce nouvel opus apparaît peut-être encore plus explicatif sur l'état d'esprit de la population en Grèce. À travers la vie de famille des Charitos et de leurs proches, nous observons la réalité quotidienne actuelle de ces membres de la classe moyenne. Privations relatives, en attendant des jours meilleurs. Inquiétude masquée, mais présente dans les têtes. Dans le pays, si des crimes ou des méfaits sont commis, certains nationalistes extrêmes désignent illico les immigrés, d'Afrique ou de l'Est de l'Europe. Le refrain populiste des fachos est le même partout, la violence verbale et parfois physique également.

En complément d'une enquête policière à l'allure (volontairement) éclatée, Petros Markaris nous présente un pan de l'Histoire grecque encore récente. Il nous rappelle que “l'OGRE”, organisation paramilitaire d'officiers nationalistes, fit régner la terreur et la mort autour de la Guerre civile qui déchira longtemps ce pays, avant la dictature des Colonels. Il souligne que rien ne s'efface jamais totalement dans la mémoire du peuple : “Avec la crise, on rouvre les vieux comptes. Les gens vont voir dans les années 80 ce qui a cloché, ils peuvent bien remonter d'encore trente ans, jusqu'aux années d'après la Guerre civile.” Si l'aspect criminel en fait un roman noir, cet excellent livre nous offre un regard lucide sur la situation grecque passée et actuelle, au plus près de la population.

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4 novembre 2015 3 04 /11 /novembre /2015 05:55

Dryden est une petite ville américaine ordinaire. Tom Nash est prof au lycée public local. Il a divorcé de Georgia, qui l'a cocufié et qui ne supportait plus la vie ici. Il élève son fils Eli, joueur de hockey-sur-glace, étudiant sportif séduisant qui reste prudent avec les filles. Et sa fille Deenie, seize ans, scolarisée dans le même établissement. Celle-ci compte une poignée d'amies proches, telles la brune Gabby Bishop ou Lise Daniels. Elle a bien changé depuis l'été précédent, Lise, passant de l'allure fillette à une féminité éclatante. Parmi ses copines, il y a aussi Skye Osbourne, à la chevelure blonde presque blanche. Une élève qui cultive une part de marginalité. Ces adolescentes échangent beaucoup de confidences, de textos, d'impressions au sujet des garçons. Deenie s'interroge sur son attirance pour Sean Lurie, hockeyeur comme son frère. Lise semble être moins prude avec les mecs.

En plein cours, Lise est victime d'une crise sérieuse, bien au-delà d'un malaise. Tom Nash s'inquiète autant que sa fille Deenie. Hospitalisée, Lise paraît avoir frôlé l'arrêt cardiaque : méconnaissable physiquement, elle se trouve dans un état comateux. Dès le lendemain, l'agitation règne entre les copines du lycée. Lors d'un concert scolaire en matinée, Gabby est prise d'une crise alors qu'elle joue du violoncelle. Soignée après ces convulsions mal explicables, elle ne restera pas trop longtemps à l'hôpital. Quant à Lise, elle est dans un état stationnaire pas vraiment rassurant. Sa mère Sheila Daniels se montre accusatrice, plutôt hystérique. Est-on en train d'empoisonner les adolescentes de Dryden, est-ce de la faute des jeunes hommes de cette ville ? Entre soupçons de rage et histoires vampiriques, les filles du lycée imaginent n'importe quoi, et circulent les plus douteuses rumeurs.

Deenie se demande si la cause du virus, ce ne serait pas le lac de Dryden ? Elles s'y sont baignées récemment, alors que c'est strictement interdit. La couleur fluorescente de ce plan d'eau et les algues nocives confirment que ce lac est ultra-pollué. Le père de Jaymie Hurwich, une autre lycéenne, veut convaincre tout le monde que c'est lié au vaccin que les filles ont été obligées de se faire injecter. Sinon, pourquoi une envoyée du ministère de la santé serait-elle sur place ? Au gymnase, c'est la rousse Kim Court qui est la troisième victime de convulsions. Le lycée est maintenant carrément en ébullition. À l'hôpital, bien que Tom Nash soit l'ami d'une employée, on ne laisse guère filtrer d'informations.

Le cas de Kim Court pose une double énigme à Deenie. Kim ne s'est pas probablement pas baignée au lac. À cause de ses multiples allergies, elle n'a pas non plus été vaccinée comme elles. Non contaminée, Deenie culpabilise puisque ses amies sont touchées. Sauf Skye Osbourne, mais celle-ci n'est réellement proche que de Gabby. À la réunion de tous les parents d'élèves, grosse excitation générale : le vaccin, le lac, peut-être le stress car les victimes sont filles de divorcés, les hypothèses fusent. Le virus serait “à l'intérieur des filles”, ce qui reste une explication vaseuse. Tom ne sait pas comment mieux protéger sa fille Deenie, tandis qu'Eli cherche aussi à aider sa sœur et à comprendre les faits…

Megan Abbott : Fièvre (Éd.Jean-Claude Lattès, 2015)

Megan Abbott figure parmi les plus subtiles des romancières de notre époque. On l'avait constaté dans ses polars “à l'ancienne”, où elle inversait certains codes du roman noir. On l'a vérifié avec ses romans “contemporains”, autour des jeunes filles (La fin de l'innocence, Vilaines filles). La psychologie des adolescentes, c'est un écheveau de sentiments confus et compliqués, bien difficile à démêler. Fidélité et piques entre véritables copines, attirance envers les garçons, besoin d'un parent protecteur sans être étouffant, contexte scolaire : ça risque de s'embrouiller dans la tête de certaines d'entre elles. S'il s'agit d'Américaines dans cette histoire, on peut supposer que ces questions sont universelles.

Il se produit un "élément déclencheur" qui va secouer la tranquillité locale. Des parents s'énervent, en particulier lors de la réunion au lycée. Bien que règne une forte tension, l'auteure évite de verser dans le spectaculaire, dans un voyeurisme glauque. Car elle reste du côté de celles et ceux qui subissent l'affaire : la jeune Deenie, son père et son frère, plus quelques amies. Comment réagir intelligemment face à une situation obscure ? Ils se sentent "impliqués" de près, pas juste concernés. N'étant pas atteinte par la fièvre, Deenie craint même d'être accusée de l'avoir provoquée. Côté garçons, même affichant un flegme apparent, son frère Eli ne peut pas rester étranger au problème actuel.

Outre le regard juste de l'auteure sur les jeunes filles, certainement y a-t-il un clin d'œil dans le titre : “The fever” fait référence à l'excellente chanson de Peggy Lee, “Fever”. Peu importe une éventuelle étiquette polar, c'est un suspense psychologique d'une finesse magnifique que nous présente Megan Abbott, avec sa maestria habituelle. Bravo Megan.

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2 novembre 2015 1 02 /11 /novembre /2015 05:55

Chastity Riley est procureur à Hambourg, au nord de l'Allemagne. Elle apprécie le quartier animé de Sankt Pauli où elle vit, près du port. Elle est la fille d'une mère allemande volage partie s'installer aux États-Unis, dans le Wisconsin. Son père américain l'éleva seul du côté de Francfort. Il se suicida quand elle eut juste vingt ans. Il repose à Belhaven, en Caroline du Nord (États-Unis) auprès de sa famille. Chastity préféra son pays natal, et Hambourg. Elle n'a qu'une seule amie, la brune Carla, qui tient un bar. Ensemble, elles assistent aux match de l'équipe de foot de Sankt Pauli (3e division) qui compte beaucoup de supporters. Grande fumeuse, buvant sec, sujette à des vertiges, Chastity reste volontiers célibataire.

Non sans des rapports sexuels épisodiques et torrides avec (Henri) Klatsche. Ce jeune et séduisant voisin est un ex-repris de justice, reconverti dans la serrurerie. Au bar de Clara, Chastity côtoie depuis peu le distingué Zandvoort. Assez agréable, peut-être envahissant pour elle. Chastity pense qu'il remplacerait avantageusement l'amant de Clara, Fernando, avec qui son amie a eu des problèmes. Mais Clara choisit un Écossais pour nouvel amant. À la Kripo, la police criminelle, Chastity éprouve de l'affection pour le commissaire Faller. Marié et plus âgé, il se montre paternel avec elle. Elle fait aussi confiance à l'inspecteur Calabretta, d'origine italienne, professionnel solide. Assistante du légiste, Betty Kirschtein lui semble posséder un caractère volontaire, qui en ferait une possible amie pour Chastity.

Le cadavre d'une jeune femme nue coiffée d'une perruque de fête est découvert sur les rives de l'Elbe, près du port d'Hambourg. Elle a été scalpée, après avoir été endormie au phénobarbital à haute dose. Cette inconnue âgée d'environ vingt-cinq ans n'a pas subi de relation sexuelle. Grâce à Klatsche, Chastity a rendez-vous avec un petit mac de Sankt Pauli, Basso. Mais ils le retrouvent massacré chez lui. Avec ou sans lien vis-à-vis de cette affaire, car il était mêlé à divers traficotages. Selon des contacts chez les prostituées, la victime était plutôt strip-teaseuse dans l'un des clubs du quartier chaud du Diez. En effet, finalement identifiée, cette Margarete y était employée. Le commissaire Faller suit une autre piste : Siggi Poings-de-Fer, ex-caïd de ce secteur, peut-être pas si "rangé".

La deuxième victime découverte au bord de l'Elbe par un pêcheur à la ligne est une jeune femme de dix-neuf ans, Henriette Auer. Même barbiturique et même mode opératoire que dans le cas précédent. Elle aussi était danseuse au club l'Acapulco, ce que ne nie pas le patron de l'établissement. Klatsche avise son amie Chastity des rumeurs qui commencent à circuler dans Sankt Pauli. Tout ce dont la police est sûre, c'est que les victimes ont suivi sans méfiance leur assassin. C'est Chastity elle-même qui trouve le troisième cadavre, en se promenant sur une plage de l'Elbe. Strangulation, victime scalpée et perruque, une fois encore. Peut-être que des traces de pneus sur la plage offriront un indice utile.

Les journaux de Hambourg mettent la pression sur la Kripo. Les flics ne restent nullement inactifs : ils surveillent discrètement l'Acapulco, dont les danseuses servent d'appâts. Ils identifient presque à coup sûr le propriétaire du véhicule. Et découvrent les raisons de la mort du petit truand Basso. Certes, l'assassin des filles sera arrêté. Ce ne sera pas sans conséquences dangereuses pour Chastity et le commissaire Faller…

Simone Buchholz : Quartier rouge (Black Piranha, 2015) – Coup de Cœur –

Un excellent roman policier se démarque principalement grâce à deux éléments, la qualité de son intrigue criminelle et la capacité de restituer un ambiance singulière, authentique. Sur ce point, aucun doute : nous voilà plongés dans le district de Sankt Pauli à Hambourg, sous la grisaille qu'illuminent les néons, avec l'Elbe et les infrastructures du port. C'est l'auteure qui en parle le mieux : “Quelque part derrière les nuages, les étoiles brillent dans le ciel et un agréable sentiment de bien-être me gagne : ici, je suis chez moi. Dans ce petit quartier miteux, avec ses pavés esquintés, ses immeubles sombres, ses guirlandes lumineuses, ses joies et ses peines, ses histoires dérisoires mais sympathiques, son éternel crachin.”

Elle dessine encore d'autres moments : “C'est vendredi soir, et le quartier rouge brille de mille feux. Les rues se remplissent… Le week-end, le public du Kiez est incroyablement varié. Parfois, j'aimerais que le quartier redevienne comme il était il y a cinquante ans, lorsque personne n'osait y mettre les pieds...” Une vraie déclaration d'amour au quartier.

Quant à l'aspect criminel de cette histoire, c'est également du costaud. Pas seulement parce que des meurtres de prostituées, ça apparaît réaliste : quantité de faits-divers ont relaté ce genre de crimes. Le modus operandi est fatalement celui d'un tueur en série, aux sombres motivations. Surtout, on retient l'imbrication entre le métier et la vie privée, chez la procureure Chastity Riley et dans son entourage (on suit aussi les amours agités de son amie Carla).

Entre Klatsche, plus jeune qu'elle, et le protecteur commissaire Faller, trop âgé pour être son amant, Chastity se cherche quelque peu. Elle n'est pas insensible au charisme de l'inspecteur Calabretta, non plus. Ce qui n'empêche pas la jeune femme d'être intrépide dans son boulot. Une héroïne idéale, à laquelle on s'attache très vite. Un suspense énigmatique et percutant, addictif. On espère que les quatre autres polars de cette série seront prochainement traduits en français, car celui-ci est impeccable. – Coup de Cœur –

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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 05:55

2003, New York. Barry Donovan est un policier de la Brigade Criminelle. Son épouse et sa fille sont décédées lors des attentats du 11-Septembre. “Vivant mort dans un monde dénué de sens, il lutta quotidiennement avec l'envie d'en finir avec une existence devenue vaine.” C'est par Internet qu'il a sympathisé “avec un dénommé Werner von Lowinsky, quinquagénaire énigmatique et spirituel”, lui aussi isolé à sa manière. Ils cultivent depuis une amitié assez irrationnelle. Après une mission où il a été gravement blessé, Barry est de retour dans son unité. Il y retrouve ses partenaires Abigayle Raven et Jim Steranko (dit Spoutnik), ainsi que le capitaine Stanton. Il est temps de s'occuper d'un curieux crime.

Le pasteur quinquagénaire Deshawn Willard et son fils de onze ans ont été assassinés dans leur appartement. La victime fut autrefois un boxeur puissant et réputé. On lui a tranché une main, qui reste introuvable. Par contre, on découvre bientôt l'arme du crime, une épée courte. Les empreintes confirment que ce sont celles de Jimmy Lean, le suspect resté sur les lieux après le double meurtre et des aveux téléphoniques à la police. Ce repris de justice, ex-toxicomane connu de Barry, était un ami du pasteur.

La victime faisait partie de l'organisation du Possible Pardon, qui s'occupe de Jimmy Lean. Cette enquête peut permettre à Barry de se rapprocher de Lana Carvey, la médecin légiste. Celle-ci va être agressée par un mystérieux trio, deux types baraqués vêtus de longs manteaux et un plus petit au visage masqué par une capuche. Par chance, Werner von Lowinsky a pu intervenir à temps, se servant de ses pouvoirs.

Werner n'entend pas rester confiné dans son nouvel appartement. Il usera au besoin de sa capacité de se transformer et de se servir de l'hypnose. Peut-être sent-il déjà qu'existe un lien entre l'affaire et son propre passé. De son côté, Barry ne croit pas en la culpabilité de Jimmy Lean, qui s'était rangé. Il devra contrer Harry Ziegler, le substitut du procureur. La discrète et efficace protection de Werner n'empêche pas la menace de se rapprocher. La légiste Lana Carvey et Barry vont tomber dans les griffes de l'ennemi, dont l'implacable vengeance remonte à fort loin…

David Khara : Une nuit éternelle (Éditions 10-18, 2015)

David Khara a acquis une belle notoriété grâce à une trilogie (Le projet Bleiberg, Le projet Shiro, Le projet Morgenstern), entre thrillers et noires intrigues. En post-face de ce livre, Philippe Ward nous rappelle le parcours de cet auteur. Son premier roman “Les vestiges de l'aube” (disponible chez 10-18) mettait en scène Barry Donovan et Werner von Lowinsky. Déjà, ils formaient un étonnant duo. Si une complémentarité forte les unit, c'est dû aux épreuves qu'ils ont traversées chacun de leur côté. Un flic dans la réalité du 21e siècle, un vampire survivant depuis cent-cinquante ans : on comprend que l'intelligence de l'auteur a consisté, dès le départ, à ne pas en faire une simple “histoire de vampire”. Quand il suffit d'interventions sataniques ou magiques pour tout régler, il n'y a guère d'intérêt.

Ce sont des enquêtes criminelles énigmatiques qui servent réellement de base aux intrigues conçues par David Khara. Sans en dire trop, ce second épisode permet d'explorer le parcours singulier de Werner et son univers. S'il est issu du 19e, au temps de la Guerre de Sécession, c'est jusque dans la Moldavie du 13e siècle qu'il faut aller chercher des réponses. Réussir à concilier une part de Fantastique avec des investigations policières dans l'ambiance new-yorkaise récente, ça dénote d'une belle maîtrise. Portraits ciselés des personnages, narration fluide ; ajoutons-y des scènes-choc, telles l'attaque du transport de prisonniers ou le face-à-face final avec l'adversaire. La tonalité personnelle de David Khara apporte à cette histoire une tension mesurée, plus qu'agréable.


 

Disponible en version poche 10-18 dès le 5 novembre 2015 –

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30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 05:55

En mai 2010 à Blewbury, tranquille petite ville de la campagne anglaise dans l'Oxfordshire. Le bureau de police est sous les ordres du superintendant Benton, de Wallingford. Depuis peu, c'est l'inspecteur Anthony Reeves qui dirige localement le petit effectif de Blewbury. Il est revenu vivre auprès de son vieux père, ancien colonel décoré de l'armée britannique, dont le cerveau ne fonctionne plus très bien. D'ailleurs, dans la maison de famille où tous deux vivent, rien n'est en état non plus, déplore avec agacement ce célibataire qu'est Reeves. Son adjoint le sergent Brian McHaggis est, au contraire, doté d'une grande famille et d'une épouse râleuse, qui accepte très mal le métier de policier de son mari. Elle finit par le quitter pour aller se réfugier avec leurs enfants chez sa mère. McHaggis ne voit pas du tout comment la convaincre de revenir.

Au bureau de police de Blewbury, on trouve également les constables jumeaux Ed et John Rawskin, ainsi que la secrétaire et standardiste Rosie. La nouvelle venue, c'est Karen Stanner, qui accède au grade de sergent. Avec ce poste, cette blonde aux yeux bleus d'un mètre quatre-vingt se rapproche de sa mère et de sa sœur Molly, habitant ici. Ayant vécu plusieurs échecs amoureux, Karen fait l'impasse sur ces questions. Par contre, son voisin séduisant Julian Joyce, médecin anesthésiste, pourrait être le partenaire idéal pour Mary, la meilleure amie de Karen. Une idylle qu'elle essaie de favoriser. La jeune policière sent que l'inspecteur Reeves ne lui accorde guère de confiance. Le sergent Brian McHaggis se montre un peu distant avec elle, aussi. Pourtant, une enquête va nécessiter qu'ils mettent en commun leurs capacité, car plusieurs meurtres vont se succéder.

Ce ne sont pas les lettres de menaces reçues par la mairie, assorties de citations bibliques et de dates, qui passionnent vraiment l'inspecteur Reeves. Quand un crime est commis à Key Fields, la luxueuse maison de retraite locale dans son parc protégé, il faut s'activer. La victime est une dame de soixante-quinze ans, Mrs Emily Dawson. Ancienne enseignante, elle avait les moyens de disposer d'un cottage. McHaggis est chargé d'interroger celles et ceux qui vivent dans les maisonnettes autour. Sans doute pourrait-on suspecter Edward Robey, vieux séducteur qui fut l'ami intime de Mrs Dawson. Ou Aaron Drum, le petit-fils de la victime, un marginal sans argent qui se dit peintre avant-gardiste. Mais ce dernier a un alibi. La photo représentant quatre jeunes filles dans un parc a disparu chez Mrs Dawson, alors qu'elle y tenait plus que tout.

Peu après, un autre meurtre est commis au domaine de Key Fields. Ex-directrice du lycée où enseigna la première victime, Evelyn Dennis était aussi âgée de soixante-quinze ans. Toutes deux fréquentaient un peu le club de loisir des environs, le Sunny Club. La même photographie de groupe a disparu. La commère voisine Mrs Roth et d'anciens collègues des deux victimes sont interrogés par McHaggis et Karen Stanner. Ann Sommerville, du même âge que les précédentes, habitait à Smoke Acre, où elle a été assassinée d'un coup de pelle sur le crâne. C'était une riche héritière égoïste vis-à-vis de son ex-mari et de leur fille. Dans son journal intime, Carolyn Stanhope suit cette série de crimes, se souvenant d'épisodes du passé. Le père Clarke, vieux prélat résidant à Key Fields, est-il suspect ou serait-il un allié pour la police ? Il s'agit d'explorer toutes les pistes plausibles…

Valérie Saubade : Le pacte des innocentes (Éd.Anne Carrière, 2015)

Pour concevoir ce roman d'enquête, l'auteure s'est directement inspirée de la tradition des énigmes classiques "à l'Anglaise". On peut certainement y voir un hommage à toutes les romancières dans la lignée d'Agatha Christie. Bien qu'il s'agisse de l'époque actuelle, on reconnaît les décors et les ambiances de la Grande-Bretagne éternelle. Les bow-windows sont omniprésents et les documentaires animaliers de la BBC sont suivis par les personnes âgées. On supprime des vieilles dames de bonne condition sociale, et les hypothèses vont dans diverses directions, tout en n'oubliant pas la fameuse photographie de groupe. Il n'est pas question d'en cacher l'importance, puisqu'on y trouvera l'origine des meurtres.

Les journées d'investigation se terminent par un "petit bilan personnel" (parfois avec l'aide d'une psy, pour l'inspecteur Reeves). Car les policiers sont aussi des êtres humains, avec leurs tracas et leurs sentiments. L'occasion d'apporter une touche de romantisme dans le récit, concernant Karen et son amie Mary. Quant à Reeves, il peut fantasmer sur une belle infirmière à domicile. Formule narrative qui offre de petits sourires à la tonalité de l'histoire. À l'évidence, l'auteure sait que dans ce type de romans, on ne dramatise pas exagérément les scènes plus sombres. Le mystère plane, les enquêteurs recueillent les indices, et pour les lecteurs c'est d'une lecture fort divertissante. Valérie Saubade reconstitue un suspense traditionnel, avec tout le charme que cela suppose.

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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 05:55

Markus Sedin est un financier finlandais âgé de quarante-deux ans, un des experts de la Norda-Bank. Il est l'époux de Taina, qui fut une très compétente gérante de fonds pour la même banque. Elle est désormais en longue maladie, s'occupant de leur fils Ville, gamin imaginatif. En mars à Ostende (Belgique), Markus Sedin et ses confrères doivent finaliser un partenariat avec la banque De Vries. L'accord ne se présente pas vraiment bien. Lors d'une soirée dans un club local, Markus fait la connaissance d'une prostituée mi-Hongroise mi-Roumaine. Âgée de dix-neuf ans, elle se prénomme Réka. De retour en Finlande, se démenant peu sur le plan professionnel, Markus retrouve sa femme et leur fils.

Il renoue bientôt avec Réka, trouve même l'occasion de la rejoindre dans son pays. Il lui donne une belle somme pour qu'elle aide sa famille qui vit dans un taudis. Il achète un appartement dans un immeuble neuf d'Helsinki, afin d'y loger Réka dès le mois d'avril. La jeune femme se montre reconnaissante envers lui. Il mène alors une double vie, les affaires financières et ses proches comptant moins que les moments passés avec Réka. Pourtant, le 1er mai, le destin de Markus Sedin bascule. Il se trouve d'abord dans un état second puis, face à la situation, il va faire preuve d'énergie pour éviter les conséquences. Il se peut que l'enquête des policiers d'Helsinki ne fasse pas le lien avec lui.

Veuf de sa compagne Sanna, le policier Kimmo Joentaa est toujours en poste à Turku, à une centaine de kilomètres d'Helsinki. Il entretient une relation avec Larissa, vingt-six ans, qui se montre très secrète sur son vrai nom et sur sa vie. Pour lui qui cherche un semblant d'équilibre, c'est compliqué. Il apprend qu'un ami, Lasse Ekholm, vient d'avoir un accident de voiture dans la soirée du 1er mai. Anna, la fille du conducteur, est morte sur le coup. Kimmo Joentaa s'efforce d'apporter son soutien et sa présence aux parents sous le choc, Lasse et Kirsti Ekholm. Le père se souvient juste d'une lumière, d'un éclair, à l'instant de l'accident. Comme si avait surgi une voiture roulant nettement trop vite. La mère d'Anna ne sait trop de quelle manière réagir, dans une sorte de déni. Le père est hospitalisé.

Par ailleurs, quelque part en Finlande, Unto Beck est un jeune homme de dix-neuf ans. Il a de curieuses obsessions, telle sa machine à coudre, et adore les bonbons. Solitaire dont la candidature a été refusée par l'Armée, Unto exprime ses délires via Internet. Il paraît idolâtrer un certain ABB, un criminel scandinave. Gagné par ses fantasmes, Unto se laisse parfois aller à des diatribes violentes, des menaces extrêmes. Un comportement qui n'est pas sans inquiéter sa grande sœur Mari. Malgré tout, un rapport psy ne conclut pas à sa dangerosité. Alors que le projet qu'il rumine dans sa tête serait multi-meurtrier.

Kimmo Joentaa ne suit pas de très près l'enquête en cours, menée par Sundström, patron de la Criminelle de Turku, et ses collègues. Des policiers d'Helsinki sont aussi concernés. Il s'agit d'investigations autour du Villa Bella, un club-sauna de Salo, ville des environs. Le propriétaire admet que bon nombre de filles étrangères s'y prostituent. Toutes viennent de pays d'Europe de l'Est, sans qu'on exige leurs papiers, ni de savoir si un proxénète profite de l'argent qu'elles gagnent. Ceci explique la progression lente des policiers, jusqu'à la fin du mois d'août. Le couple Ekholm ne se remet pas vite de la mort de sa fille, non plus…

Jan Costin Wagner : Le premier mai tomba la dernière neige (Éd. Jacqueline Chambon, 2015) – Coup de Cœur –

Bien qu'il s'agisse réellement d'un polar, il serait erroné de l'aborder comme un suspense noir, un roman d'enquête, ou un thriller aux péripéties spectaculaires. N'attendons pas non plus une étude sur la société finlandaise, trop souvent qualifiée d'exemplaire. C'est à une poignée de personnages, dans le contexte d'aujourd'hui, que s'intéresse l'auteur. En tête, Kimmo Joentaa, déjà héros de précédents titres. L'empathie n'est pas un vain mot pour ce policier plein d'humanité. Il en fait la preuve envers des parents meurtris, autant que dans le cas du généreux amant de Réka Nagy. “Un pigeon amoureux qui s'est fait entuber, un imbécile heureux” estiment ses collègues. Joentaa le voit plus positivement.

C'est avec délicatesse que l'auteur décrit le traumatisme du couple Ekholm, avec finesse qu'il montre l'attachement de Joentaa à sa défunte compagne, avec justesse qu'il dessine le portrait de Unto Beck. Ce dernier manque de repères, se réfugie dans une virtualité qui le conduit à admirer l'excès, sans doute à se prendre pour un héros. Les financiers ne sont pas caricaturés, mais apparaît en filigrane leur froide superficialité, leur esprit combinard. Quant à l'ombre de Larissa, elle compte dans la vie privée de Joentaa. Une intrigue riche en subtilité, basée sur des ambiances d'une palpable densité : on se laisse volontiers captiver par ce remarquable roman de Jan Costin Wagner.

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27 octobre 2015 2 27 /10 /octobre /2015 05:55

D'origine franco-catalane, âgée de trente-sept ans, Alexis Castells habite Londres. Elle est auteure de livres sur les tueurs en série. Son amie Linnéa Blix est créatrice de bijoux pour Cartier. La soirée de gala qui s'annonce doit être sa consécration. Mais Linnéa est absente, elle n'est pas rentrée de son pays natal, la Suède. Peter Templeton, le fiancé de la jeune femme, et Alba, amie d'Alexis, s'inquiètent à juste titre. Ils prennent au plus tôt l'avion pour Falkenberg, la ville suédoise où Linnéa possède une maison. Elle y séjournait pour s'isoler, pour créer. Le policier Lennart Bergström est porteur d'une tragique nouvelle : le cadavre de Linnéa Blix a été retrouvé, martyrisé. “Ses yeux avaient été arrachés. Sa gorge avait été tranchée verticalement du menton à la fourchette sternale et la peau du cou bâillait comme une veste déboutonnée. La trachée avait été sectionnée.”

Profileuse anglaise d'origine canadienne, Emily Roy est envoyée par son supérieur Jack Pearce en renfort pour la police suédoise. C'est une professionnelle au caractère abrupt, mais dont les analyses sont généralement justes. Si Alba et Peter retournent à Londres, Alexis Castells préfère rester un peu à Falkenberg. Emily Roy et elle se connaissent, même si chacune garde une distance avec l'autre. Le cas de Stellan Eklund, ami de jeunesse et actuel voisin de Linnéa, n'a pas échappé aux deux femmes. C'est un ancien policier, qui a vécu des moments dramatiques. Sa sœur Lenna est l'épouse du commissaire Bergström. Il n'était pas l'amant de la victime. Dans la même ville, on trouve aussi Karl Svensson, ex-mari de Linnéa. C'est un sculpteur coté, un snob qui a une réputation de fêtard, amateur de mineures. Ayant rompu tout lien avec Linnéa, il apparaît peu suspect.

En 1944, Erich Ebner est prisonnier à Buchenwald. C'est un étudiant en médecine anti-nazi. Cet été-là, il va être affecté au crématoire du camp de concentration. Si le Block 50 est sinistre, c'est surtout le Block 46 qui effraie les prisonniers “C'est l'antichambre de la mort… Ceux qui y entrent n'en ressortent pas.” Erich a sympathisé avec des étudiants scandinaves, car il projette de s'installer plus tard en Suède. Il est bientôt assigné au Block 46, où son expérience médicale peut servir aux expériences du Doktor Fleischer. Au début 1945, Erich a gagné la confiance du médecin nazi. La libération de Buchenwald va se produire plusieurs semaines plus tard, en avril. Si Erich Ebner parvient à quitter son pays, quelle vie pourra-t-il ensuite mener en Suède ?

À Londres, deux crimes avec des mutilations similaires ont été commis depuis quelques semaines. Ce qui explique qu'Emily Roy ait été missionnée chez les Suédois. Les victimes en étaient des enfants entre six et huit ans, Andy et Cole. Après la mort de Linnéa, un troisième gamin s'ajoute à la liste. Logan Manfield, sept ans, était le fils d'une célibataire prostituée. Dans l'ombre, le kidnappeur étudie ses victimes avant de les maltraiter. Emily Roy s'interroge sur le modus operandi, et sur l'éventualité qu'il y ait deux assassins, l'un copiant l'autre. Elle est de retour en Grande-Bretagne, de même qu'Alexis Castells. Pourtant, il est probable qu'elles devront repartir à Falkenberg. Malgré sa folie meurtrière, Adam le tueur est prudent. Il peut être surtout cruel, Emily en fera l'expérience…

Johana Gustawsson : Block 46 (Éd.Bragelonne Thrillers, 2015)

L'histoire racontée par Johana Gustawsson trouve sa source dans celle du camp de concentration de Buchenwald. Il n'est jamais inutile de raviver la mémoire, de rappeler les monstruosités engendrées par les dictatures. Dans la population actuelle, les “héritiers” de ces idéaux nazis et fascistes ont d'ailleurs tendance à se montrer assez décomplexés. Le parcours d'Erich Ebner au sein du camp s'inspire de la réalité, sur la base d'une solide documentation.

Toutefois, c'est sur une série de crimes commis soixante-dix ans plus tard, qu'il s'agit ici d'enquêter. Deux femmes s'en chargent, Emily Roy et Alexis Castells, à la fois complémentaires et de caractères divergents. La seconde reste en contact par téléphone avec sa mère, qui s'inquiète beaucoup pour elle. Tandis qu'Emily apparaît plus "fonceuse" et carrée dans ses investigations, mais pas exempte de sentiments.

C'est un thriller dans la bonne moyenne du genre qu'a concocté Johana Gustawsson. Les meurtres avec mutilations et le contexte du camp de concentration apportent leur dose d'horreur. La tonalité du récit aurait pu être bien plus percutante, il faut l'avouer. Comme si les lecteurs étaient priés d'observer mais de "rester en retrait". La construction scénique par courts chapitres n'encourage pas à fouiller la psychologie des protagonistes : il faut attendre que l'auteure nous en dise plus, ce qu'elle fait évidemment. Néanmoins, même s'il n'est pas exagérément trépidant, il s'agit d'un suspense de niveau satisfaisant, d'un polar apte à séduire bon nombre de lectrices et lecteurs.

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 05:55

Léo Tanguy est un journaliste qui depuis plusieurs années anime un site Internet d'infos. Il sillonne la Bretagne dans le vieux Combi ayant appartenu à ses parents. Il séjourne çà et là, au gré de ses investigations. Cette fois, c'est dans le Mené qu'il se pose quelques jours. Il s'agit d'une région rurale et vallonnée des Côtes d'Armor. Hélène, une amie depuis leur adolescence, a fait appel à Léo. Son père Philippe et sa mère Marie ont péri dans l'incendie de leur longère rénovée, son oncle Jean ayant disparu de chez lui environ un an avant. Sa famille avait reçu des lettres de menaces, détruites dans le sinistre. Philippe était militant, prônant un mode de vie respectueux de l'environnement, des sites et des populations les plus faibles. Pour lui, le progrès au service de l'humain valait mieux qu'un passé fantasmé, porte ouverte au populisme et à l'extrémisme. Il n'était donc pas apprécié de tous.

Dom, un ami d'Hélène, accompagne Léo à l'inauguration d'une usine de méthanisation. Il lui présente des figures locales, Lebret et Le Saout. Partisans de l'agriculture intensive, ils semblent sincères quant au recyclage des déchets de leur industrie, visant à produire du gaz propre. Pourtant, Hélène conseille à Léo de se méfier : “Le Saout, c'est un type plein de rancœur, un jaloux”. Le journaliste se renseigne auprès de sa copine Suzie. En effet, ce provocateur de Le Saout fait partie de “Vraie Croix”, groupuscule de catholiques intégristes menant des actions violentes, homophobes et anti-avortement. Autre sujet sensible dans la contrée autour de Collinée, les ouvriers maliens. Certains comme Hassane ont travaillé ici depuis quarante ans, dans des boulots pénibles, et y ont vécu en famille. Mais ils se sentent davantage mis à l'écart, la propagande intolérante faisant son œuvre.

Lors d'une réunion associative sur ces questions, un commando cagoulé de fachos frappe durement le public. Pas sûr que la gendarmerie fasse beaucoup d'effort pour retrouver les agresseurs. La famille Kerbussot, c'est probablement une piste à suivre pour Léo. Ils sont imprimeurs-libraires à Loudéac, ville située à quelques kilomètres de là. Ils affichent des opinions aussi décomplexées que haineuses. Léo ne doute pas qu'un des Kerbussot, ex-mercenaire, ait fait partie des cogneurs cagoulés. Rentrant à la nuit dans son Combi si repérable, Léo est pourchassé par un 4x4 noir. Peut-être celui qui rôde dans le coin depuis un certain temps, mais ces engins puissants ne sont pas rares.

Tandis que Léo et Hélène cherchent si l'origine des faits actuels peut avoir un quelconque lien avec un lointain passé, la maison d'Hélène est vandalisée. Désespérant, mais il y a beaucoup plus grave : un jeune couple est violemment attaqué par le trio du 4x4. Cette fois, bien au-delà d'un simple "dérapage", il s'agit de meurtre. Ça devrait inciter les fachos à se calmer. Non, Léo continuant sa propre enquête, il est confronté à un motard casqué brutal. Peu après, le journaliste a de raisons de s'inquiéter quand Hélène disparaît. Il sait où aller la rechercher. Dans sa folie de "nettoyage", le motard casqué est plus dangereux que jamais…

Denis Flageul : Mal Mené (Éd.La Gidouille, 2015) – Léo Tanguy

Denis Flageul fut un des quatre auteurs (avec Sylvie Rouch, J.L.Bocquet et G.Alle) qui initièrent en 2008 cette série de romans ayant pour héros le cyber-journaliste Léo Tanguy. À l'instar de Gabriel Lecouvreur, de la célèbre série Le Poulpe, chaque roman est écrit par un auteur différent. Les créateurs du personnage ne s'interdisant pas d'y revenir, bien sûr. D'abord publiées chez Coop Breizh, les enquêtes de Léo Tanguy paraissent désormais aux Éditions La Gidouille. Soulignons qu'il s'agit toujours de romans inédits. Après Yvon Coquil, Michel Dréan et Hervé Sard, Denis Flageul revient nous raconter de nouvelles tribulations du grand rouquin, silhouette qui ne passe pas inaperçue dans son vieux Combi.

Dans sa vie privée, Léo Tanguy est un romantique, non dénué de séduction auprès des femmes. Pour ses investigations, il aborde chaque nouvelle affaire sans préjugés. Léo a davantage de sympathie pour ceux qui ont l'esprit ouvert et respectueux, qui pensent à l'humain plutôt qu'au profit maximum, que pour les gens bornés défendant égoïstement leur intérêt. Ces malfaisants-là, l'auteur nous en présente quelques-uns de bien gratinés. Manière de rappeler qu'entre le discours formaté anti-tout de certains extrémistes, et leur passage à l'acte criminel, le pas peut être vite franchi. Les discours populistes vindicatifs et les idéaux réacs ne sont pas seulement malsains, ils fabriquent aussi de la violence. Il y en a dans cette affaire, située dans la belle campagne costarmoricaine. Péripéties et suspense sont au programme de ce très bon polar.

Du même auteur : "Un fils à papa chez les zonards" (Coop Breizh, 2008)

C’est dans la paisible cité briochine que Léo Tanguy est appelé à mener l’enquête. Plus précisément au port du Légué, longtemps boudé par les habitants de Saint-Brieuc, désormais réhabilité. Jean-Claude Lebec, petit-bourgeois intolérant, n’a jamais cru à la version accidentelle de la mort de son frère Gérard. Selon lui, il ne fréquentait pas les marginaux de La Fabrique, lieu culturel alternatif, aujourd’hui détruit pour les besoins du nouveau port. Il ne se droguait pas comme ce "ramassis d’épaves", squattant ce bâtiment, troublant la quiétude de la population. Autant que la mort de Gérard Lebec, c’est l’histoire de La Fabrique qui intéresse justement Léo Tanguy. Il accepte de tirer ça au clair.

Avant ça, il y eut un autre décès suspect, celui d’un nommé Kevin. Léo n’ignore pas qu’un port reste un endroit dangereux, surtout si on n’a pas les idées claires. Serveuse au bar La Descente, Kelly fut la petite amie de Gérard Lebec. Elle admet qu’il avait un côté mystérieux. Les deux types qui surveillent Jean-Claude Lebec agressent Léo, en guise d’avertissement. Consultant des documents sur La Fabrique, Léo note un paradoxe. Il s’agissait d’une expérience en concertation avec la municipalité. Alors, pourquoi avoir soudain expulsé les squatteurs tolérés, avant de tout raser ?

Saint-Briac, qui fut le patron de Lebec, reconnaît que celui-ci avait changé. Sans doute l’épouse dépressive de Saint-Briac aurait-elle des choses à apprendre au cyber-journaliste. Rico et sa copine Gilou, ex-punks reconvertis dans l’agriculture bio, ne cachent pas leur hostilité envers Léo. Si ces deux-là en savent davantage, le silence ne portera pas chance à Rico. Ni à Gilou : percutée par les deux types, elle est hospitalisée grâce à Léo, gravement blessée. Elle s’en sortira. Le duo de tueur s'avère toujours plus menaçant. Mais ce sont les commanditaires qui intéressent Léo…

Denis Flageul s’inspira d’une situation bien réelle, puisque le port du Légué à Saint-Brieuc fut vidé de sa population marginale avant rénovation. Les initiatives culturelles sont rarement vues d’un bon œil dans des villes où règne un certain conformisme. Une sorte de phalanstère punk, ça fait désordre. Pot de terre de la liberté artistique contre pot de fer des intérêts supérieurs, éternels enjeux financiers. Exactement le genre d’affaire susceptible de taquiner l’intellect du journaliste Léo Tanguy. Flânant entre bistrots et port, surveillé dans l’ombre, il poursuit sa quête de vérité. Une narration alerte et une bonne intrigue, un polar de belle qualité à redécouvrir.

Denis Flageul : Mal Mené (Éd.La Gidouille, 2015) – Léo Tanguy
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