La marquise italienne Luisa Casati s’installe en cet automne 1908 à Paris. C’est l’hôtel Ritz, place Vendôme, qui a l’honneur de la recevoir, avec toute sa ménagerie et son personnel exotiques. Épouse de Camillo Casati, un noble oisif qui mène sa vie de son côté, Luisa est l’héritière d’une très grosse fortune. Ce qui explique que ses excentricités soient excusées par la direction du Ritz. D’autant qu’elle compte bon nombre de célébrités parmi ses amis. Néanmoins, c’est un remue-ménage permanent autour d’elle : la virevoltante marquise ne fait rien pour passer inaperçue, que ce soit chez les joailliers, chez le couturier Paul Poiret, dans les soirées mondaines où elle ne craint pas de s’inviter, dans les banques et tous autres endroits où il est de bon ton de la trouver. Partout, elle joue son personnage.
Dès son arrivée, la marquise Casati croise le policier Justin Galuchard. Avec son parapluie, son chapeau melon et sa redingote vert olive, il correspond au portrait des limiers du Quai des Orfèvres de son temps. Il s’est donné pour mission d’appréhender Alfred Lupin, un des plus célèbres gentlemen cambrioleurs de France, un parent d’Arsène. Galuchard et Luisa se rencontrent d’abord dans les caves du Ritz, mais c’est bientôt sur le toit de l’hôtel que va être découvert un cadavre. Il semble s’agir du scientifique Artemus Gallardon, un client de cet établissement. Sauf que le Professeur est bien vivant dans sa chambre. Fine mouche, l’Italienne a déjà compris que c’était en réalité le fameux Alfred. Celui-ci avait un projet très singulier avec Gallardon. La marquise et le cambrioleur enquêtent ensemble dans le milieu de la fonderie d’art, et font la connaissance d’un vieil ouvrier mal embouché.
Si chacun va son chemin, la marquise est convaincue qu’Alfred commettra un vol au cours d’une soirée de fête chez le comte et la comtesse de Melleroy. Dangereux quand même, car le policier Galuchard est présent sur les lieux. Néanmoins, le coffre de l’aristocrate est bel et bien délesté de son contenu. Un tour de passe-passe qui n’est peut-être pas l’œuvre d’Alfred. D’ailleurs, Galuchard retrouve le butin pas si loin. Pourtant, le cambrioleur a mis la main sur autre chose de plus grande valeur, chez les Melleroy… Qui a donc volé un collier produit par les joailliers Van Cleef & Arpels ? La marquise ou bien "son double", en la personne du facétieux Alfred ? L’Italienne est disculpée, possédant un bon alibi. Mais tous deux ne sont-ils pas complices, d’une certaine façon ?
La marquise Luisa Casati et Alfred Lupin sont appelés à se côtoyer encore quelques fois, entre les Galeries Lafayette et la banque du Crédit Foncier. Autant pour tirer profit de situations énigmatiques (du côté d’Alfred) que pour résoudre des cas nébuleux (en ce qui concerne l’Italienne). Quant à Galuchard, il fera ce qu’il pourra, on ne lui en demande pas davantage…
Quelque chose la tarabustait : qui avait tenté de renverser le fondeur avec une automobile ? Ce n’était pas un ordre de Lupin, il ne se serait pas précipité pour le sauver. Et qui avait tué Gallardon ? Sûrement pas Lupin non plus, il n’en retirait nul bénéfice, en tout cas il ne l’aurait pas tué sur le lieu même de leur cambriolage. Elle voulait bien le croire quand il disait qu’il existait dans cette affaire un troisième larron dont ils ignoraient tout. Un homme dangereux, tout proche d’elle. Luisa frémit et caressa l’échine de son guépard…
Le début du 20e siècle fut riche en personnalités excentriques, qui animèrent les milieux artistiques et festifs du Paris de la Belle Époque. Certes, on parle ici des cercles fortunés au centre des mondanités d’alors, dilapidant sans compter, jouant les mécènes, se ruinant quelquefois. Luisa Casati (1881-1957) a bien existé, figurant parmi cette caste aisée de la société. Elle fut la muse de nombreux artistes de son temps, du poète Gabriele d’Annunzio au portraitiste Giovanni Boldini, en passant par la sculptrice Catherine Barjansky, Man Ray et quantité d’autres. Frédéric Lenormand reprend pour cette fiction certaines des images qu’elle a laissées, et les traits de caractère qu’on connaît d’elle. Elle s’environna d’animaux et finit sans le sou à Londres, comme le montre ce roman.
Par contre, concernant le gentleman cambrioleur, l’auteur ne vise pas de rester fidèle à la mythologie d’Arsène Lupin. C’est pourquoi il ne s’agit pas de lui, mais d’un prénommé Alfred. Si, tel son homologue, il se grime à volonté et ne redoute nullement la police, il sert surtout de faire-valoir à la fantasque marquise italienne. Les écrivains populaires d’alors (Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Souvestre et Allain…) nous ont donné à penser que tout était possible à cette époque, même les scènes les scènes les plus incroyables, n’est-ce pas ? C’est donc ce que, à son tour, nous propose Frédéric Lenormand. Il utilise une tonalité pleine de légèreté, qui est la bienvenue. Voilà un roman policier sympathique et distrayant à souhaits.