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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 06:10

La marquise italienne Luisa Casati s’installe en cet automne 1908 à Paris. C’est l’hôtel Ritz, place Vendôme, qui a l’honneur de la recevoir, avec toute sa ménagerie et son personnel exotiques. Épouse de Camillo Casati, un noble oisif qui mène sa vie de son côté, Luisa est l’héritière d’une très grosse fortune. Ce qui explique que ses excentricités soient excusées par la direction du Ritz. D’autant qu’elle compte bon nombre de célébrités parmi ses amis. Néanmoins, c’est un remue-ménage permanent autour d’elle : la virevoltante marquise ne fait rien pour passer inaperçue, que ce soit chez les joailliers, chez le couturier Paul Poiret, dans les soirées mondaines où elle ne craint pas de s’inviter, dans les banques et tous autres endroits où il est de bon ton de la trouver. Partout, elle joue son personnage.

Dès son arrivée, la marquise Casati croise le policier Justin Galuchard. Avec son parapluie, son chapeau melon et sa redingote vert olive, il correspond au portrait des limiers du Quai des Orfèvres de son temps. Il s’est donné pour mission d’appréhender Alfred Lupin, un des plus célèbres gentlemen cambrioleurs de France, un parent d’Arsène. Galuchard et Luisa se rencontrent d’abord dans les caves du Ritz, mais c’est bientôt sur le toit de l’hôtel que va être découvert un cadavre. Il semble s’agir du scientifique Artemus Gallardon, un client de cet établissement. Sauf que le Professeur est bien vivant dans sa chambre. Fine mouche, l’Italienne a déjà compris que c’était en réalité le fameux Alfred. Celui-ci avait un projet très singulier avec Gallardon. La marquise et le cambrioleur enquêtent ensemble dans le milieu de la fonderie d’art, et font la connaissance d’un vieil ouvrier mal embouché.

Si chacun va son chemin, la marquise est convaincue qu’Alfred commettra un vol au cours d’une soirée de fête chez le comte et la comtesse de Melleroy. Dangereux quand même, car le policier Galuchard est présent sur les lieux. Néanmoins, le coffre de l’aristocrate est bel et bien délesté de son contenu. Un tour de passe-passe qui n’est peut-être pas l’œuvre d’Alfred. D’ailleurs, Galuchard retrouve le butin pas si loin. Pourtant, le cambrioleur a mis la main sur autre chose de plus grande valeur, chez les Melleroy… Qui a donc volé un collier produit par les joailliers Van Cleef & Arpels ? La marquise ou bien "son double", en la personne du facétieux Alfred ? L’Italienne est disculpée, possédant un bon alibi. Mais tous deux ne sont-ils pas complices, d’une certaine façon ?

La marquise Luisa Casati et Alfred Lupin sont appelés à se côtoyer encore quelques fois, entre les Galeries Lafayette et la banque du Crédit Foncier. Autant pour tirer profit de situations énigmatiques (du côté d’Alfred) que pour résoudre des cas nébuleux (en ce qui concerne l’Italienne). Quant à Galuchard, il fera ce qu’il pourra, on ne lui en demande pas davantage…

Frédéric Lenormand : Madame la Marquise et les gentlemen cambrioleurs (City Éd., 2016)

Quelque chose la tarabustait : qui avait tenté de renverser le fondeur avec une automobile ? Ce n’était pas un ordre de Lupin, il ne se serait pas précipité pour le sauver. Et qui avait tué Gallardon ? Sûrement pas Lupin non plus, il n’en retirait nul bénéfice, en tout cas il ne l’aurait pas tué sur le lieu même de leur cambriolage. Elle voulait bien le croire quand il disait qu’il existait dans cette affaire un troisième larron dont ils ignoraient tout. Un homme dangereux, tout proche d’elle. Luisa frémit et caressa l’échine de son guépard…

Le début du 20e siècle fut riche en personnalités excentriques, qui animèrent les milieux artistiques et festifs du Paris de la Belle Époque. Certes, on parle ici des cercles fortunés au centre des mondanités d’alors, dilapidant sans compter, jouant les mécènes, se ruinant quelquefois. Luisa Casati (1881-1957) a bien existé, figurant parmi cette caste aisée de la société. Elle fut la muse de nombreux artistes de son temps, du poète Gabriele d’Annunzio au portraitiste Giovanni Boldini, en passant par la sculptrice Catherine Barjansky, Man Ray et quantité d’autres. Frédéric Lenormand reprend pour cette fiction certaines des images qu’elle a laissées, et les traits de caractère qu’on connaît d’elle. Elle s’environna d’animaux et finit sans le sou à Londres, comme le montre ce roman.

Par contre, concernant le gentleman cambrioleur, l’auteur ne vise pas de rester fidèle à la mythologie d’Arsène Lupin. C’est pourquoi il ne s’agit pas de lui, mais d’un prénommé Alfred. Si, tel son homologue, il se grime à volonté et ne redoute nullement la police, il sert surtout de faire-valoir à la fantasque marquise italienne. Les écrivains populaires d’alors (Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Souvestre et Allain…) nous ont donné à penser que tout était possible à cette époque, même les scènes les scènes les plus incroyables, n’est-ce pas ? C’est donc ce que, à son tour, nous propose Frédéric Lenormand. Il utilise une tonalité pleine de légèreté, qui est la bienvenue. Voilà un roman policier sympathique et distrayant à souhaits.

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10 novembre 2016 4 10 /11 /novembre /2016 05:59

Âgé d’une trentaine d’année, Antoine Revin est veilleur de nuit dans un foyer social de la région de Limoges. On y héberge des ados en difficulté sociale ou psychologique. Maîtrisant sans trop de problème la situation, Antoine apprécie ce métier. N’étant pas éducateur, il n’a pas à s’intéresser au cas des pensionnaires. Pourtant, il discute souvent au milieu de la nuit avec la jeune Ouria. Parfois, il calme le petit Aymeric qui cauchemarde, croyant voir un moine templier. Une nuit, il suit une émission de télé sur l’affaire Firnbacher : un jeune condamné est en prison depuis des années, accusé d’avoir tué et mutilé un enfant. Le portrait-robot d’un vague suspect jamais identifié frappe Antoine. Il connaît l’homme, lié à un épisode douloureux de sa propre vie.

Antoine avait huit ans. Il adorait plonger dans la Vézère, en aval du barrage de Treignac. Malgré les crues de la rivière, il ne craignait pas les risques. Ce jour-là, il fut heurté par un tronc d’arbre, et faillit mourir. Un inconnu se trouvant sur la rive le sauva des eaux. Ce blond barbu aux yeux bleus soigna ses multiples plaies, non sans lui faire un peu mal pour qu’il retienne la leçon, avant que l’enfant ne soit hospitalisé. Le corps d’Antoine est encore strié des cicatrices causées en cette occasion. Conscient que son témoignage sur le suspect du portrait-robot peut relancer l’affaire Firnbacher, Antoine s’adresse à un ami journaliste, qui le met en contact avec Teddy Romero, expert en tueurs pervers.

Romero et sa collaboratrice Mina, médium, interrogent en détail Antoine sous hypnose. Les faits sont proches de ceux du dossier Firnbacher. La méthode correspond à celle du découpeur, qui a seize victimes à son actif. Avec une notable différence tout de même, c’est qu’Antoine est vivant et que c’est ce découpeur qui l’a sauvé et soigné. Une révision du procès apparaît possible. Au foyer, une nuit suivante, le jeune frimeur Gaétan cause des troubles qu’Antoine parvient à réprimer avec l’aide d’Ouria. Après l’incident, un éducateur lui rappelle qu’il n’a pas à s’improviser psy. Un peu plus tard, Antoine soupçonne une présence suspecte autour du foyer…

Éric Maneval : Retour à la nuit (Éd.10-18, 2016)

— Antoine, nous avons étudié le dossier médical de votre hospitalisation. Nous n’avons hélas pu rencontrer aucun témoin direct de votre séjour, et ce qui apparaît c’est qu’il vous a sauvé la vie. Certes, il vous a découpé, mais d’après le rapport vous aviez de nombreux résidus de bois dans le corps. Vous avez survécu à de graves infections. Il n’est pas chirurgien, il a fait ce qu’il a pu avec ce qu’il avait. Il se peut également qu’il ait pris du plaisir à ça. Il se peut même que cet évènement ait déclenché chez lui quelque chose de profondément pathologique qu’il aura reproduit plus tard. Mais ce qui est certain, Antoine, c’est qu’il vous a soigné. Il ne vous a sadiquement fait aucun mal.

Cette intrigue noire et psychologique s’avère plus interrogative qu’oppressante, ce qui constitue un bel atout. Inutile de surcharger la tension quand l’histoire est bien pensée. Et la forme assez courte permet au récit de garder une réelle densité. Sans doute, mais ce n’est pas un reproche, l’auteur aurait-il pu s’attarder sur la relativité des témoignages. Apporter une version disculpant l’accusé dans une révision de procès, ce n’est pas anodin. Et puis, le héros n’occulte-t-il pas une part d’enfance dans son récit ? On laisse au lecteur le soin de se poser lui-même les questions.

Pour les sceptiques à ce sujet, l’hypnose est traitée de manière intéressante, puisqu’elle va jusqu’à la transmission de pensée. Quant à la psycho des ados, on voit ici que certains éducateurs sociaux en ont une vision trop schématique. Prendre du recul, éviter l’affectif, c’est d’accord. Mais ces jeunes ont aussi un instinct, une sensibilité du vécu, qu’Antoine perçoit mieux que ses collègues. Un suspense qui se base sur de tels personnages, êtres humains donc imparfaits, ne peut que séduire !

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9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 07:48

C’est à Montmartre que se situe l’univers du commissaire Léon. C’est là qu’il habite, avec sa envahissante mère Ginette. Plus Belge qu’elle, ça n’existe pas. Plus intrusive dans la vie de son fiston Léon, c’est pas imaginable. Il y a aussi le chien du commissaire, Babelutte. À peu près inutile, car sans le moindre flair. Toujours prêt à fuguer, dès que ses instincts sexuels se réveillent. Le QG de Léon, c’est Le Colibri, le bistrot de Jeannot (pas loin du Lux Bar, cher au regretté Bernard Dimey). La fine fleur de la faune montmartroise y est ancrée quasiment du matin au soir. Il paraît même qu’on y croise parfois des auteurs de polars, Thierry C. ou Mouloud A. Et puis, il y a le commissariat où Léon tricote en cachette de ses adjoints, pour s’empêcher de fumer. Nina Tchitchi, Pinchon et Bornéo, voilà une équipe de policiers hors norme qui s’active, même si leurs résultats peuvent laisser sceptique.

Le commissaire Léon part enfin en vacances, et même en croisière. Pas aux antipodes, sur un paquebot luxueux. Tout en restant aux portes de Paris, Léon et Babelutte vont naviguer sur le Canal de l’Ourcq. Un voyage bucolique et solitaire pour le commissaire, qui n’a pas embarqué sa mère Ginette et qui évitera de trop répondre au téléphone, si possible. Sauf que Léon découvre du côté de Sevran le cadavre d’une jeune rousse de dix-huit ans, complètement défigurée, attachée à une échelle sous l’eau, près de la rive. Si elle n’a pas été violée, elle a le lobe d’une oreille arraché. Léon appelle Nina, Bornéo et Pinchon à la rescousse, pour mener l’enquête tandis qu’il poursuit sa croisière sur l’Ourcq. Dans un coin de forêt, il découvre une maison lugubre, habitée par la petite Aurélie, qui ne parle pas, et par sa grand-mère impotente, à l’allure de vieille sorcière digne des contes d’antan.

Bien que Léon l’ignore, la fillette Aurélie est sacrément perturbée par l’image fantôme de sa mère disparue, qui s’adresse à elle dans sa tête. S’il est vrai que rôde un être pervers, la gamine pourrait être séquestrée dans la cale d’un bateau à l’abandon. Encore qu’elle soit capable de se sortir, momentanément, de ce mauvais pas. Un peu plus loin, dans les bois de Claye, c’est le cadavre d’un jeune pendu qui est à son tour retrouvé, le visage arraché comme pour la rousse. Rebelote pour l’équipe du commissariat. Léon rencontre alors Minouche et surtout son frère Bilou, drôle de bonhomme. Suspect, ce cantonnier de Villeparisis obsédé par les nains de jardin est longuement interrogé par les limiers-adjoints de Léon. Plus sûrement le profil d’un chtarbé que d’un criminel, le Bilou : en le cuisinant à point, peut-être livrera-t-il malgré tout un ou deux détails intéressants ?

Dans le même secteur géographique, une infirmière assez moche a été agressée par un type tout juste évadé de prison. En soupçonnant ce nommé Bullit, les enquêteurs sont-ils enfin sur la piste du tueur ? Rien n’est moins certain, mais en voilà un autre capable de fournir des indices. Tout en poursuivant son périple pas si paisible sur le canal, Léon va s’occuper de la petite Aurélie, tout en n’oubliant pas qu’un tueur reste dans l’ombre…

Nadine Monfils : Le silence des canaux (Pocket, 2016)

…Et s’il était entré dans la police, les histoires de sa grand-mère y étaient pour quelque chose. Elle lui avait donné le goût de l’intrigue et une fascination pour l’inexplicable. Pour lui, un criminel était une énigme.
La nature lui faisait du bien. Elle lui redonnait la force dont il avait besoin. Toutes ces nuits, il les avait passées à reconstituer les crimes. Il s’était mis tour à tour dans la peau des victimes et dans celle de l’assassin. Être flic, c’est comme être comédien ou écrivain. C’est se mettre dans la peau des autres pour ressentir et chercher à comprendre. Et le grand danger, c’est la compassion. Tant pour les bourreaux que pour les victimes. C’est là qu’on risque de basculer. De se prendre pour Dieu.

Inutile de préciser que “Le silence des canaux” est un jeu de mot en référence au roman de Thomas Harris “Le silence des agneaux”, mettant en vedette le célèbre Hannibal Lecter. Toutefois, ce sont plutôt des allusions à Georges Simenon et à son œuvre qu’il faut voir dans le présent roman. À bord de la péniche l’Ostrogoth, le créateur de Maigret navigua sur les canaux à travers la France vers 1930. De “La maison du canal” au “L’Écluse n°1”, en passant par “Le charretier de la Providence”, “Chez les Flamands” ou “Le baron de l’écluse”, canaux et cours d’eau lui servirent bien des fois de décors. Ici, le commissaire Léon embarque sur une péniche nommée “Le bateau d’Émile”, une nouvelle de Simenon. Il sera encore question d’un château de Saint-Fiacre, bien que celui de Maigret se situe dans l’Allier, alors que nous restons sur le Canal de l’Ourcq à quelques encablures de Paris.

Dans ses romans pleins d’inventivité, Nadine Monfils nous offre un feu d’artifice coloré de fantaisie, d’humour débridé, de caricatures réussies. Néanmoins, jamais elle n’omet que la "comédie policière" se base obligatoirement sur une intrigue criminelle, si possible forte. La noirceur qu’elle décrit est héritée des contes d’autrefois qui, s’ils sont édulcorés pour les enfants, étaient d’une férocité cruelle. Le crime n’épargne pas les petites filles, c’est un des thèmes souvent exploités par cette auteure. Le surnaturel ou l’ésotérisme ne suffisent pas toujours à les sauver des griffes d’obsédés martyrisant leurs victimes (et les ours en peluche), quel que soit le rôle joué par une sorcière dans l’histoire. Une drôle d’alchimie entre noirs mystères et francs sourires, voilà ce qui rend vraiment agréable la lecture des suspenses originaux de Nadine Monfils.

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8 novembre 2016 2 08 /11 /novembre /2016 06:05

L’Histoire du monde ayant connu une grande quantité d’épisodes sanglants, il est légitime que se publient un certain nombre d’ouvrages sur "les grands criminels à travers les âges" devenus sombrement célèbres. On pensera en priorité à des personnages tels que Landru (1869-1922) ou Charles Manson (né en 1934). Ceux-là sont typiques. Soit par une allure insignifiante de petit-bourgeois, escroc sans envergure mais méticuleux, qui fit s’envoler en fumée les cadavres de ses victimes féminines. Soit par un aspect de gourou halluciné, à la tête d’une famille hippie qu’il incite à commettre des crimes spectaculaires. Même coupables de séries meurtrières, ça reste des individus ayant agi par intérêt, par plaisir sadique personnels, ou par opportunité. Le cas de Mme Voisin, empoisonneuse en série au temps du Roi-Soleil, est plus machiavélique. Le pape Alexandre Borgia n’a pas laissé une bonne réputation en matière de poison ni de mœurs, non plus.

Depuis les empereurs Caligula et Néron, monstrueux héros de l’Antiquité romaine, le crime de masse est lié à un pouvoir despotique. Dans les Carpates, chacun à leur époque, Vlad l’Empaleur (qu’on peut aussi appeler Dracula) ou Élisabeth Báthory usent et abusent de leur puissance locale pour torturer et tuer. En France, dans les années 1400, il en est de même pour Gilles de Rais, cruel seigneur de l’Ouest qui martyrise des enfants. Il suffit de posséder une parcelle de pouvoir pour passer à un stade supérieur dans l’atrocité. Ce fut le cas de Reinhard Heydrich, ce pur aryen abattu en Bohème-Moravie le 27 mai 1942, qui était un des principaux théoriciens du nazisme. S’il ne participa nullement à des meurtres, il élabora la répression visant à anéantir les Juifs et les populations d’Europe de l’Est. On peut rester relativement dans l’ombre et n’être pas moins un sanguinaire.

Peut-être se souvient-on moins encore du nom de Nikolaï Iejov. Né en 1895, peu éduqué, il se met tôt au service de la révolution bolchevique, dont il devient vite un apparatchik doté d’un large pouvoir. À l’heure où Staline domine la Russie, ce débraillé alcoolique de Iejov, pervers sexuel et sadique par nature, est un partisan de la plus ferme répression : n’y a-t-il pas partout dans le pays des ennemis du régime ? Et tant pis si, admet Iejov, “il est inévitable qu’un certain nombre d’innocents soient liquidés… Mille fusillés de trop, pas la peine d’en faire un plat.” Chef du NKVD, la police politique, il est l’artisan des Grandes Purges, de 1936 à 1938. À l’apogée de sa carrière, il n’est pas rare qu’il soit présent lors des exécutions d’anciens amis martyrisés par ses services. Bien que Iejov sente venir sa disgrâce, les rouages staliniens ont été trop bien huilés par lui-même pour y échapper.

Les figures du Mal (Éd.Perrin-Sonatine Éd., 2016)

Si l’on n’a pas lu “La fête au Bouc” (2002, Gallimard) de Mario Vargas Llosa, on ne connaît pas forcément le dictateur Rafael Leónidas Trujillo (1891-1961) qui dirigea Saint-Domingue d’une main de fer pendant trente ans. Quand les Américains occupent l’île, à partir de 1916, Trujillo s’affirme comme leur plus zélé supplétif, le plus violent. Lorsque les États-Unis installent un semblant de démocratie, sa position dans l’armée lui permet de conquérir bientôt le sommet. Non seulement c’est un despote d’une cruauté sans limite, sûr de son destin depuis l’enfance, mais il s’enrichit éhontément au détriment du peuple dès les années 1930. L’Amérique pense à l’évincer, mais il bénéficie d’un répit durant la guerre. Avec ses tueurs du SIM dans leurs Coccinelles noires, les exactions du régime de Trujillo se poursuivent. Néanmoins, l’époque change et son élimination approche.

En Afrique, l’Ouganda fit longtemps partie de l’Empire britannique. Issu d’un milieu très pauvre, quasiment inculte, un colosse de cent kilos pour un mètre quatre-vingt-onze (à dix-huit ans) va tirer profit de son "éducation" au sein des troupes anglaises. Début des années 1960, après l’indépendance, cet Idi Amin Dada va vite grimper dans la hiérarchie militaire, en s’affichant proche du président Milton Obote. En janvier 1971, il s’empare du pouvoir, pour près d’une décennie. On estime qu’il causa 300.000 morts dans son pays, massacres d’ethnies minoritaires ou exécutions d’opposants supposés. Pas d’intervention de la communauté internationale ? Non, car à ce niveau, Idi Amin Dada "amuse la galerie" en faisant le pitre, caricaturant son personnage de potentat fantasque juste risible. (Grand ami de la France, Bokassa l’imitera peu après en Centrafrique). Destitué en 1979, Idi Amin Dada vivra une paisible retraite de dictateur criminel jusqu’en 2003.

Parmi les tyrans du 21e siècle, c’est assurément l’héritier du pouvoir nord-Coréen qui fait le plus frémir. C’est à l’orée de la première guerre mondiale que débute la saga tragique de sa famille, avec son aïeul Kim Sang-ju. N’étant pas le successeur désigné, Kim Jong-un a écarté un de ses frères pour accéder à la tête du pays. Avant de faire condamner ses propres conseillers, afin de rester le seul maître. Quant aux plus hauts gradés militaires, leur sort ne dépend que de lui. “La population civile n’a pas été davantage épargnée. Bien que le régime prétende avoir aboli la peine de mort, des centaines d’exécutions ont été pratiquées depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, la plupart groupées et publiques. Puisqu’il s’agit de régner par la terreur, tous les prétextes sont bons pour vous condamner à la peine capitale…” Derrière le masque du petit joufflu souriant, un infâme massacreur !

 

Coordonné par Victor Battaggion, cet ouvrage collectif dresse les portraits de Caligula, Néron, Frédégonde, Ezzelino III, Gilles de Rais, Vlad Tepes, le pape Alexandre Borgia, Ivan le terrible, Élisabeth Báthory, Madame Voisin, Landru, Trujillo, Mao Zedong, Nikolaï Iejov, Reinhard Heydrich, Idi Amin Dada, Polpot, Charles Manson, Saddam Hussein, Ben Laden, Kim Jong-un.

Vingt-et-une “Figures du Mal” parmi les plus impressionnantes de l’Histoire, présentées dans autant de chroniques qui illustrent leur instinct destructeur, leur cruauté. Manière de rappeler que la monstruosité est universelle, de tout temps et en tous pays.

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7 novembre 2016 1 07 /11 /novembre /2016 06:06

À New York, de nos jours. Le détective privé Leonid McGill est âgé de cinquante-cinq ans. C’est un Noir de taille moyenne, mais plutôt musclé car il pratique la boxe. Il est marié à Katrina depuis près d’un quart de siècle. En marge de leur couple, elle a eu des aventures, ce qui contribue aujourd’hui à son état dépressif. De son côté, Leonid est un homme qui attire les femmes. Sans doute parce que, ayant longtemps appartenu à des milieux ne s’accordant guère avec la Loi, il émane de lui une allure de "dur". Bien que s’étant écarté du banditisme, il garde de nombreux amis parmi les délinquants, et même les tueurs-à-gages. Le capitaine de police Carson Kitteridge l’a toujours à l’œil, n’ignorant pas que Leonid (dit LT) franchit dans les deux sens la frontière entre actes illégaux et autorisés.

Si Leonid et son frère Nikita héritèrent de tels prénoms, c’est que leur père Tolstoy McGill était animé d’un esprit tendance communiste révolutionnaire. Il abandonna sa famille alors que ses enfants étaient encore bien jeunes. On supposa que Tolstoy était mort, mais Leonid apprend qu’il vit en réalité à New York depuis quelques années. Ce qui ne signifie pas qu’il ait envie de renouer avec ce père détesté, dont il a pourtant retenu des préceptes utiles pour comprendre le monde. Leonid et Katrina ont trois enfants. Dimitri, vingt-trois ans, est le fils légitime du détective. C’est moins sûr pour leur fille Shelly ou pour Twill. À dix-huit ans, Twill étant le plus lucide de toute leur famille, Leonid l’initie au métier d’enquêteur. Quant à Dimitri, il déménage pour s’installer avec sa petite-amie Tatyana, ex-prostituée venue de Biélorussie. Cela n’arrange pas le moral de Katrina.

Leonid prend en charge Zella Grisham, trente-six ans, qui sort tout juste de prison, où elle a passé huit ans de sa vie. Officiellement, c’est l’avocat Breland Lewis qui emploie Leonid, alors que c’est l’inverse. Le détective a une lourde dette envers Zella. Le fait est qu’elle tira sur son amant infidèle, et le blessa. Mais sa condamnation fut due à sa participation supposée à un braquage de plusieurs dizaines de millions de dollars. Il s’agissait d’un coup monté faisant de Zella le parfait bouc-émissaire. À cette époque employé pour rendre des services à des mafieux, Leonid fabriqua de fausses preuves contre elle. Même si Zella ne sait rien de tout ça, le premier contact entre eux est hostile. Par la suite, elle demande au détective de retrouver son ancien amant, mais aussi sa fille. En effet, enceinte lors de son emprisonnement, elle ne put s’occuper de son bébé.

Leonid laisse son fils Twill enquêter sur une tortueuse affaire concernant la famille Mycroft, des gens fortunés dont le fils semble fort mal tourner. Aidé par la fille de ce couple, Twill devrait remplir sa mission avec efficacité. Le "privé" ne trouve plus aucune trace de l’ex-amant de Zella, ni de la femme qui couchait avec lui. Étonnant, car il utilise les meilleurs moyens disponibles. Si un policier tel que le capitaine Lethford espère toujours résoudre l’affaire du braquage colossal, il n’est pas le seul. Détective pour le groupe d’assurances Rutgers, Antoinette Lowry n’a pas l’intention de faire de cadeau à Zella. Ni à Leonid, alors que les deux détectives auraient intérêt à ne pas s’opposer dans un cas aussi complexe…

Walter Mosley : Une erreur de jugement (Éd.Jacqueline Chambon, 2016)

Je m’engageai dans le sillage du géant, grimpant quatre étages. Le parcours était faiblement éclairé et la fièvre me faisait tanguer comme une embarcation. Ces deux données causèrent une légère sensation de peur qui vint se loger au creux de ma poitrine.
En d’autres circonstances, jamais je ne me serais rendu dans un lieu inconnu simplement parce que Kit me le demandait. Il était mon ennemi ; un adversaire, ce n’est pas un ami.
Or, j’étais malade, amoureux, et en quête de rédemption. J’aurais mieux fait de me placer sous la protection de deux médecins et d’un moine zen. Au lieu de cela, j’étais à Brooklyn, sans véritable échappatoire…

Après “Le vertige de la chute”, “Les griffes du passé”, et “En bout de course”, il s’agit de la quatrième aventure du détective new-yorkais Leonid McGill. Belle tradition du roman noir que ces histoires de "privés", généralement empêtrés dans des situations énigmatiques et pleines de danger, quasiment seuls contre tous car la police ne les aiment guère, et parce qu’ils affrontent des coupables retors et sans pitié.

Dans ses intrigues, Walter Mosley fait preuve d’une virtuosité qui va bien plus loin que les scénarios ordinaires de cette catégorie. En apparence, la part de "vie personnelle" concernant Leonid semblerait primer sur l’aspect criminel. Son propre passé dans le banditisme, ses relations avec son épouse, le sort de leurs enfants, ses amis fréquentables ou carrément suspects, son damné père, tout cela contribue à l’univers du détective, bien au-delà des enquêtes. Celles-ci sont, néanmoins, concrètes au fil du récit.

Trop de puristes du polar noir mésestiment à tort les romans de Walter Mosley, peut-être parce qu’un seul de ses titres (sur plus de deux douzaines ayant été traduits) figure dans la Série Noire et quatre chez Seuil Policiers. Et pourtant, comment ne pas être séduit par la tonalité d’écriture de cet auteur ? Il décrit avec autant de subtilité les instants violents ou les moments d’apaisement, les impressions du héros sur tel ou tel protagoniste, ses états d’âme les plus intimes, la place des Noirs dans la société américaine, et tant d’autres scènes racontées sur le tempo adéquat.

La fluidité narrative nous fait presque oublier à quel point les journées, et parfois les nuits, de Leonid McGill sont bien remplies, rythmées par un flot incessant de péripéties. S’il nous paraît si naturel de suivre le détective, c’est la preuve d’une sacrée maestria de la part de Walter Mosley ! Un auteur de qualité supérieure, parmi l’élite de ce genre littéraire.

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5 novembre 2016 6 05 /11 /novembre /2016 06:05

Seaside est une petite ville sur la côte nord-ouest des États-Unis. Son principal attrait est dû au parc d’attraction Wonderland. Une trentaine d’années plus tôt, Jack Shaw créa ce vaste espace ludique qu’il baptisa Le Monde Merveilleux, avant d’avoir de sérieux ennuis personnels. Cet endroit fut ensuite racheté et amélioré par Nick Bishop, qui le rentabilisa. En plein cœur de la saison estivale, Wonderland emploie plus de mille salariés, des jeunes de la région pour la plupart. Depuis quelques années, Nick préférant voyager à travers le monde, c’est sa nièce de trente-six ans Bianca Bishop qui en assure la direction. Elle est assistée par Oscar Trejo (“Oz”), sous-directeur qui travaille là depuis vingt ans. Wonderland étant au centre de l’économie locale, c’est le chef de la police Earl Schultz qui intervient en personne s’il s’y produit un incident.

Vanessa Castro a deux enfants : Ava, quatorze ans, et John-John, sept ans. Elle est veuve d’un militaire quadragénaire qui, atteint de stress post-traumatique aigu, est mort six mois auparavant. Alors inspectrice à la police de Seattle, Vanessa a choisi de changer de vie. Elle a obtenu le poste vacant de chef-adjoint de la police de Seaside. Pas vraiment parce qu’elle connaît un peu la ville, mais le maire actuel était un ami de son défunt mari et l’a imposée. Elle fera forcément mieux que son prédécesseur incompétent Carl Weiss. D’autant que le jeune policier Donnie Ambrose paraît prêt à collaborer utilement avec elle. Dès son arrivée, Vanessa est confrontée à une affaire dramatique à Wonderland. Le corps mutilé d’un sans-abri est découvert par Oscar Trejo au pied de la Grande Roue.

Un autre incident s’est produit en parallèle. Le jeune employé Blake Dozier a disparu après avoir escaladé la même Grande Roue. Une photo de son exploit figure sur Internet, tandis que circule aussi sur les réseaux sociaux un cliché du SDF mort. Exécrable image pour le parc d’attraction. Toutefois, Bianca Bishop peut compter sur Earl Schultz pour relativiser les faits. Le gardien de nuit Glenn Hovey, un quinqua à l’esprit limité, ne donne plus signe de vie depuis cette nuit-là. Vanessa apprend qu’un autre jeune homme, Aiden Cole, a lui aussi disparu, trois ans plus tôt. L’ex-flic Weiss ne fit aucun effort pour enquêter, selon le père d’Aiden. Quand se produit un problème au bar-club pour motards du garagiste Tanner Wilkins, impliquant le beau-fils du chef de la police, Vanessa fait une nouvelle découverte.

Employé à l’époque à Wonderland, le fils de Tanner a disparu voilà huit ans. Tanner étant un ancien délinquant repenti, les policiers locaux enquêtèrent à peine sur cette affaire. Il fit appel à un détective de Seattle, qui ne trouva malheureusement rien de plus. Vanessa connaît bien ce "privé" Noir : c’est son ami Jerry Isaac, ex-collègue inspecteur. Au final, ce sont désormais quatre dossiers de disparitions que Vanessa doit traiter. Tous ces jeunes hommes ayant été employés au parc d’attraction. Sa fille Ava va, elle aussi, y travailler durant l’été. Certes, elle est dynamique et saura vite être affectée à un bon poste. Ce qui n’est pas sans présenter un réel danger pour elle. Si Vanessa est bientôt rejointe par Jerry Isaac, le tueur-en-série est un ennemi extrêmement fourbe…

Jennifer Hillier : Wonderland (Hugo-Thriller, 2016)

Visiblement partagé entre l’envie de réconforter sa fille et celle de l’engueuler, Wilkins déchargea pour finir sa rage sur Vanessa :
« Écoutez-moi bien, madame le chef-adjoint. J’en ai jusque là des pratiques policières de cette ville. On a réussi à élire un nouveau maire parce qu’un tas de gens ― des citoyens qui paient leurs impôts et habitent Seaside depuis longtemps, depuis l’époque où ça allait mal ― pensent que ça doit changer. Tout cela doit cesser, vous m’entendez ? Les flics ne peuvent pas continuer à choisir leurs enquêtes. Schulz n’effacera pas celle-ci ainsi qu’il l’a fait pour mon fils. Ça suffit !  »

Ce thriller possède un grand nombre d’atouts favorables. À commencer par l’enquêtrice. Si, après de lourdes épreuves, Vanessa espère un boulot tranquille et une ambiance calme pour sa famille, c’est l’inverse qui va se produire. On imagine aisément cette petite ville dont l’économie repose presque en totalité sur ce parc d’attraction. On comprend donc la passivité de la police locale, évitant les remous malgré plusieurs disparitions. D’autant que cet endroit festif fut secoué naguère par un précédent scandale. Même absent, le PDG est respecté. Sa nièce la directrice exerce fermement son pouvoir, non sans favoriser certains jeunes employés séduisants. Quant à son adjoint Oscar, il paraît lassé de ce "cirque". Tous ces personnages centraux nous sont finement présentés, quelques-uns ayant davantage de défauts que de qualités, ce qui ne nous est pas caché.

Des suspects, cette intrigue en propose suffisamment pour que l’on en vienne à suspecter un tas de protagonistes. Ce qui cultive le climat inquiétant de l’histoire. Aussi sincère soit-elle, la compassion dont fait preuve la policière (envers Tanner Wilkins ou le père d’Aiden Cole) eût peut-être mérité plus de froideur professionnelle, mais ce n’est qu’un détail sans grande importance. L’essentiel, c’est qu’elle mène une enquête approfondie, ce qui ne fut pas fait avant son arrivée. Le soutien de son ami Jerry Isaac est le bienvenu, on le verra. En parallèle, on observe le jeune Blake Dozier, captif maltraité par le criminel, sans être assurés qu’il restera en vie jusqu’au dénouement. Des scènes qui réservent des surprises, bien sûr. C’est un thriller exemplaire du genre qu’a concocté là Jennifer Hillier : on dévore ce suspense frissonnant avec grand plaisir.

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4 novembre 2016 5 04 /11 /novembre /2016 06:02

En 1906, Le Touquet-Paris-Plage est une station balnéaire en pleine expansion sur la Côte d’Opale. À son retour d’Afrique, où il a passé dix années, c’est là que compte s’installer Armand Lamier. Âgé de trente-deux ans, il se nomme en réalité Rémi d’Andrézy. Après un passage dans le Légion, il partit pour le Transvaal, en Afrique du Sud, pour combattre aux côtés des Boers. Il y fut accusé du meurtre de son ami Jacob Joubert. Celui-ci possédait un exceptionnel diamant jaune, le "Jua Jicho", que le véritable assassin a dérobé. Ensuite, Rémi se joignit à une mission archéologique en Égypte, avant de regagner la France.

Au Touquet, la veuve de Jacob et leur fille Anne ont trouvé refuge chez un cousin, Herloff van Straaten, courtier en diamants. Il souhaite un prochain mariage entre son fils Ernst et Anne, dix-huit ans. Ernst n’est autre que le meurtrier de Jacob. Il est acoquiné avec les Liebmann, qui habitent un château près de Longwy. Ceux-ci sont des fabricants de canons prêts à livrer aux Allemands des secrets sur les nouveaux modèles. Ernst séjourne chez eux à cette époque. Si sa prudente mère Hortense approuve tant soit peu le mariage à venir de sa fille, Anne ne paraît pas enchantée par cette perspective.

Rémi d’Andrézy va habiter dans la maison de ses défunts parents. Son père adoptif a été condamné et exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis. Rémi lui-même est toujours soupçonné du meurtre de Jacob. Il peut compter sur le soutien de Clarisse, l’employée de sa voisine, Mme Hoursine. Puisqu’on cherche un précepteur pour donner des rudiments de culture à Anne, Rémi se propose et obtient ce poste. Tous deux ne tardent pas à éprouver des sentiments amoureux mutuels. Néanmoins, la position de Rémi reste instable. Car des sbires d’Herloff van Straaten veillent, s’interrogeant sur le nouveau venu.

Une lettre posthume de sa mère laisse entendre que les origines réelles de Rémi ne sont pas ce qu’il croyait. Un certain Arthur Brisson est détenteur de mystérieuses informations, mais il est assassiné chez Rémi avant d’avoir pu les lui révéler. C’est alors qu’intervient le commissaire parisien Brochard. Il croit reconnaître le cambrioleur qu’il pourchasse depuis plusieurs années. Raoul d’Andrésy, se faisant aussi appeler Limézy, loge ponctuellement à la villa L’Arlésienne, au Touquet, où il est rejoint par son assistant, Grognard. Ni Raoul, ni Rémi ne savent qu’ils sont frères jumeaux. Leur famille ayant été autrefois ruinée, ils ont été élevés séparément. En Normandie ou au Touquet, des gens s’en souviennent-ils ?

Si le notaire qui employa naguère Rémi reste amical, d’autres lui veulent du mal. Il lui est bien difficile d’identifier ce joueur de limonaire (orgue de barbarie) présent lors des crimes récents. Quant au commissaire Brochard, il pense tenir son coupable. Grâce à Anne, Rémi parvient à s’échapper lors de son transfert en train vers Paris. Puis c’est Clarisse qui va l’aider à vivre dans la clandestinité. De son côté, sous le nom de Limézy, son frère Raoul fréquente la haute société de Paris-Plage, avant d’espionner ces industriels de l’armement qui semblent bien trahir la France. Le meurtre de la mendiante Maria dans la maison de Rémi, puis celui d’un tailleur de diamants d’Anvers dans le métro parisien, vont relancer l’enquête du commissaire Brochard…

Philippe Valcq : Le diamant jaune (Pôle Nord Éditions, 2016) — Coup de cœur —

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait. Le plan de ce fourbe était à la fois simple et machiavélique. Il épousait Anne et lui offrait le diamant jaune comme cadeau de mariage de la part de son père. Ainsi, dans l’hypothèse où d’autres personnes auraient eu connaissance de la destination de cette pierre, celle-ci ne pourrait pas alors être considérée comme volée.
Ce plan devait comporter une suite abominable. Une fois marié, il s’arrangerait pour se débarrasser des deux femmes et récupérerait le plus légalement possible le "Jua Jicho".
[Rémi] devait contrecarrer à tout prix ce dessein diabolique…

Philippe Valcq : Le diamant jaune (Pôle Nord Éditions, 2016) — Coup de cœur —

Il n’est pas rare que, chez de petits éditeurs, on déniche des romans d’excellent niveau. À cet égard, la collection "Belle Époque" de Pôle Nord Éditions apparaît fort prometteuse. Ce titre retient d’autant plus l’attention que l’on peut le lire comme une nouvelle aventure inédite d’Arsène Lupin. Il ne nous échappe pas que Raoul d’Andrésy n’est autre que le célèbre gentleman-cambrioleur, le nom de Limézy figurant parmi ses autres pseudonymes. Le prénom Clarisse fait également partie de la mythologie lupinienne : ce fut celui de la compagne d’Arsène. On sait encore que la jeunesse du futur roi du cambriolage comporte bien des zones d’ombres. On aura noté les initiales d’Armand Lamier (A.L.), fausse identité de son frère Rémi. Un jumeau ? Eh oui, pourquoi pas ? Aussi intrépide que lui, bien sûr.

Hormis les références à l’univers de Lupin, c’est le contexte utilisé par l’auteur qui offre un charme certain à cette intrigue. Que Philippe Valcq soit incollable sur cette région de la Côte d’Opale et sur Le Touquet-Paris-Plage, c’est l’évidence même, puisque cet érudit a bon nombre d’ouvrages à son actif sur ce sujet. En effet, à l’instar de Sable d’Or les Pins (en Bretagne) et de quelques autres, des stations balnéaires ont été créées "ex nihilo" dès la fin du 19e siècle. Les dunes du Touquet firent partie de ces expériences imaginées par des promoteurs d’alors. Par ailleurs, nous sommes à l’époque où Louis Blériot envisage de traverser la Manche en avion, où le préfet Lépine règne sur la capitale, et où les rapports avec nos voisins Prussiens s’enveniment de jour en jour. Un thème patriotique qui figure aussi dans certaines aventures d’Arsène Lupin, faut-il le rappeler ?

La caractéristique principale des pionniers de la Littérature Policière, dont on publiait les romans en feuilletons, était de présenter une suite incessante de péripéties, captant ainsi l’intérêt des lecteurs. Du mystère, certes, mais des rebondissements à foison, du nouveau tout au long du scénario. Révéler quelques détails n’empêche pas d’attiser la curiosité, on sait déjà que la suite sera autant trépidante. C’est dans cet esprit que Philippe Valcq a conçu le présent récit, conformément à cette grande tradition. Un roman très réussi.

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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 05:59

C’est entendu, Jean-Bernard Pouy est un auteur émérite de polars, dont on ne va pas faire une fois de plus le panégyrique. À l’heure où l’excellente revue "Temps Noir" présente dans son numéro 19 un riche entretien avec lui, intéressons-nous aussi à un livre de Pouy qui sort en parallèle : qu’est-ce donc que ce “Casse-pipe intérieur” ?

Depuis trente ans, le cerveau bouillonnant de J.B.Pouy a été sollicité par quantité d’hebdos et de magazines. Il a écrit des articles aussi bien pour Rouge ou Libération, que pour Biba ou Marie-France. L’Humanité, Le Magazine littéraire, Télérama, Les Temps Modernes, Le Galopin, Nekepell, Émois : magazine européen, la revue 813 et encore quelques autres ont eu l’honneur de publier ses textes, pas toujours en lien avec la fiction polardeuse. Ces articles, on les a peut-être lus et on s’est bien marrés. Car ils étaient généralement placés sous le signe de l’humour. Ces superbes digressions datant des décennies passées, seuls ses plus ardents admirateurs atteints de collectionnite aiguë les ont archivées.

Beaucoup de ces articles, Franck Lhomeau et son équipe les ont réunis pour ce livre, “Le casse-pipe intérieur”. Quels sujets multidirectionnels aborde donc J.B.Pouy ? Le sport, et en particulier les exploits des pédaleurs, par exemple. Ce n’est pas lui qui leur mettra des bâtons dans les roues. Car le Critérium cycliste de Paule, dans le Triangle des Bermudes breton, est aussi redoutable qu’un Paris-Roubaix. Parce qu’il ne faut pas se moquer du “Je ferai mieux la prochaine fois” balbutié après course par des champions exténués…

Une bonne vieille formule populaire affirme : "La culture, moins tu en as, plus tu l’étales… mais c’est aussi comme un parachute : si tu n’en as pas, tu t’écrases." Pouy s’autorise à railler notre sacro-sainte culture générale, dans "Ils causent, ils causent, les Français". Certes, nous nous targuons de savoir des tas de choses, afin d’alimenter les conversations et surtout de briller en société. Ce petit jeu de l’érudition est plein de nuances, nous dit-il. Tiens, qui est capable de situer la rue Clotide-de-Vaux à Paris, et mieux encore qui peut préciser qui fut cette jeune femme ("Une belle dans la peau"), prématurément décédée ? À part pour quelques andouilles, l’impasse Guéménée n’évoque sans doute rien. L’ayant fréquentée avec ses amis de Rouge, Jean-Bernard Pouy nous en parle savamment.

Un auteur éclectique comme lui est capable de dresser un improbable éloge de Dieppe ou de Limoges, qui ont presque autant de charme que New York. De proposer d’abolir la télé, ses émissions-cultes et ses bêtisiers, pour remplacer tout ça par de l’intelligence. De nous démontrer que le film “Les cadavres ne portent pas de costard” est un pastiche plus réussi qu’il y paraît des films noirs hard-boiled (durs à cuire). De déplorer que le cinéma, aussi souriant ou finement pensé soit-il, n’est pas un remède contre les conflits guerriers. Bien d’autres thèmes sont explorés, en particulier dans des chroniques pour l’émission de France Culture "Des papous dans la tête"à laquelle Pouy participe ponctuellement.

Jean-Bernard Pouy : Le casse-pipe intérieur (Éd.Joseph K, 2016)

S’il faut trouver à tout prix des rapports entre rock et polar, empoignons le manche. Distorsion et feed-back garantis. C’est vrai que le polar (et sa Rolls intime, le roman noir) souffrent des mêmes mots/maux que le rock, victimes du regard hautain du reste du monde. Ça a beau vendre à mort et mondialiser tous azimuts, ce n’est pas culturellement décent et politiquement correct. Pour tout dire, c’est populaire. Donc caca. Mal écrit par rapport à Flaubert, ou fainéant par rapport à Stockhausen…

Et le polar dans tout ça ? Mais oui, c’est un sujet sur lequel il a également milles choses à dire, à écrire. On ne l’esbrouffera ni sur Raymond Chandler et son héros Philip Marlowe, ni sur “Le faucon de Malte” d’Hammett (il nous en livre une version assez déjantée). Qu’on ne le chatouille pas trop sur Patrick Raynal, son ami de longue date, quelles que soient leurs différences. Fredonnons sa parodie de la chanson “Gabrielle” de Johnny Hallyday, qui devient “La complainte de Cheryl” — la compagne du Poulpe, of course. Hommage à nos librairies indépendantes (à l’abri des braquages), au regretté Robin Cook, et même à la célèbre "maison Poulaga" (inventée de toutes pièces, il est vrai).

Aux auteurs en devenir, on ne peut que recommander la lecture de l’article "Descendons du marronnier", recensant quelques clichés à éviter quand on écrit un polar ; ce texte se complète par une séance au tribunal pour un directeur de collection sans complexe… Les adhérents de l’association 813 (les amis des littératures policières) ayant assisté à des AG savent que Pouy sait également jouer avec les chiffres, l’essentiel étant que les comptes (farfelus, alambiqués, additionnels ou soustrayeux) tombent juste. On nous en rappelle ici de gratinés. Voilà un recueil de trois cent (belles) pages, des textes délicieux qui prouvent la diversité de l’inspiration enjouée de Jean-Bernard Pouy. Un ouvrage d’anthologie, à se procurer sans délai !

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