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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:25

 

« DES AVOCATS AVISES »


C'est, bien sûr, un clin d’œil aux titres de la série Perry Mason publiés autrefois dans la collection Un Mystère. S’il reste le maître absolu en ce domaine, d’autres personnages ne doivent pas pour autant être oubliés.

Qu’il s’agisse de Me Loursat, l’avocat alcoolique de Les inconnus dans la maison (de Georges Simenon, Gallimard, 1940) ignorant ce qui se passait sous son toit et plaidant la cause d’un jeune homme moins favorisé que ses « amis » de bonne famille… ou de Paul Biegler, déroutant avocat mi-blasé mi-combattif, de Anatomie d’un meurtre (de Robert Traver, Calmann-Lévy, 1958) défendant le lieutenant Manion, jugé pour avoir tué l’agresseur de son épouse, la trop belle Laura Manion… les avocats font partie des grands héros classiques de la Littérature policière. C’est bien naturel, puisque toute affaire élucidée – ou supposée telle – finit en justice. On parle de « romans de prétoire » pour qualifier ce genre d’ouvrages. Abusivement, car les séances au tribunal ne constituent jamais l’essentiel du récit. undefined

En effet, dans un roman comme dans la réalité, le rôle d’un avocat ne commence pas à la première audience des Assises. L’élaboration du dossier de la défense est primordial, et souvent difficile. Parfois, il faut établir quelle est la personnalité d’un accusé qui reste muet – comme dans Plaidoyer pour l’absent (d’Alain Page, Fleuve Noir, 1968) où l’assistant de l’avocat devra retrouver des témoignages de moralité favorables à cet homme qui, après des débuts artistiques prometteurs, a peut-être manqué de chance. La plupart du temps, il s’agit logiquement de découvrir le vrai coupable. Les enquêteurs s’étant fourvoyés, l’avocat doit reconsidérer l’ensemble des faits. Là où un défenseur réel se contente des pièces du dossier, l’avocat de roman prend une part active dans la recherche de preuves. Il met tout en œuvre pour sauver son client, prenant des risques pour démêler une situation complexe.

Il n’est pas question de recenser tous les avocats de romans (auxquels il conviendrait d’ajouter les juges d’instruction, les présidents des Assises, les procureurs, et autres districts attorneys, personnages-clés d’une multitude d’histoires). D’ailleurs, beaucoup n’entreraient pas dans le cadre qui vient d’être défini : les avocats meurtriers ou les avocats assassinés, par exemple. Intéressons-nous à trois d’entre eux ayant fait l’objet de séries. Le nom de Perry Mason vient immédiatement à l’esprit. C’est le champion toute catégorie en la matière, avec environ 80 romans, des millions d’exemplaires vendus, des adaptations télé. Voilà 70 ans qu’il existe, et il n’a quasiment pas vieilli. Mais évoquons d’abord deux de ses collègues, moins prestigieux mais aussi sympathiques : l’américain John Adams (du français Jean-Pierre Garen) et Valentin Roussel (d’André Héléna – sous le pseudo de Noël Vexin). Le premier ne totalise que dix-huit titres, le second dix-sept. Néanmoins, on aurait tort de minorer leurs qualités. Faisons plus ample connaissance avec ces héros, leur entourage, leur clientèle et leurs méthodes, avant de retrouver l’inusable Perry Mason.

 

JOHN ADAMS, de J.P.Garen (Fleuve Noir Spécial Police, 1961-1982)

 

John Adams est avocat dans une ville de Californie, Pin City – qui deviendra Big Pine. Il se décrit lui-même ainsi : «… Je mesure un mètre quatre-vingt-cinq et pèse dans les quatre-vingt dix kilos. Ma profession d’avocat ne me prédispose pas particulièrement aux sports violents, seulement j’ai fait la guerre de Corée dans les Marines et j’ai gardé un certain entraînement » (Poursuite sans espoir, 1963). Il est marié à Sylvia, une jeune veuve qu’il a rencontrée et défendue dans Justice à rendre (1961), premier roman de la série. Elle sera plusieurs fois directement mêlée aux affaires de son mari. Adams est associé à Patrick Sheldon (marié à Jane), leur cabinet est prospère : « Quoi que dix ans plus jeune que moi, c’est Pat Sheldon qui a provoqué notre association. Cette installation à l’âge de trente-cinq ans, après une sanglante aventure et mon mariage, a constitué un changement radical de mon existence » (Défense sans pitié, 1963). Si cet associé est présent dans l’histoire, il n’y tient généralement (comme Jane) qu’un petit rôle, devenant de plus en plus insignifiant. C’est dans Morte sous la pluie (1964) qu’il est le plus concerné par l’affaire.

Les deux meilleurs amis de John Adams sont Joe Scott et Bill Landon. Joe tient un snack-bar (puis un restaurant) que l’avocat fréquente très souvent, pour y faire le point sur le dossier en cours. Joe est un chaud lapin, qui n’hésite pas à aider Adams quand il doit se battre physiquement. Bill Landon est journaliste au « Pin City News », un informateur précieux et complice. En face, police et justice s’allient pour lui rendre la tâche difficile. Le capitaine Cartling est un policier efficace, qui sait rester juste : « La porte s’ouvre brutalement, et le capitaine Cartling apparaît. C’est un homme massif d’une cinquantaine d’années, les épaules légèrement tombantes, mais il ne faut pas se laisser abuser par son apparence car sous la couche de graisse roulent encore de solides muscles » (Malheur à la défense, 1964). C’est un enquêteur sérieux, sachant admettre ses erreurs, se basant sur les faits et non sur les rancœurs ou les impressions partisanes du district attorney. Laissons Adams nous présenter le D.A. : « Hillary Himes est petit, ventripotent et joufflu. Son crâne dégarni et brillant pourrait servir de publicité à une marque d’encaustique. Sa petite taille lui a donné sans aucun doute des complexes car il a un caractère épouvantable, mais je sais pour l’avoir affronté lors de précédentes affaires qu’il est aussi tenace qu’un bouledogue et aussi rusé qu’une tribu de renards » (Une semaine pour la défense, 1971). Un rude adversaire, très Américain dans sa mentalité bornée.

Quelle est la clientèle de John Adams ? Variée, puisqu’il défend aussi bien un petit truand de Los Angeles qu’un pompiste de Sun City. Mais ce sont souvent les proches de l’avocat qui sont en accusation. A commencer par son épouse Sylvia, plusieurs fois en cause, et par son ami Joe. Il assurera aussi la défense de son pire ennemi, le D.A.Himes. Et, restant dans la tradition, Adams sera en personne obligé de s’expliquer devant la Justice : « Voir un avocat accusé d’un crime n’est pas chose courante, à Pin City tout au moins, et cela attire la foule des grands jours. – Etat de Californie contre John D.Adams. Audience préliminaire, annonce le juge » (Dangereuse hospitalité, 1965). Sa méthode d’investigation est active et musclée. Outre les renseignements obtenus par Bill Landon, Adams affronte volontiers la partie adverse ou les suspects probables pour obtenir des preuves – quitte à se montrer quelquefois très violent. L’action est privilégiée, les séances au tribunal ne représentant en moyenne qu’un petit quart du récit. La plupart du temps, l’avocat n’a qu’un court délai pour préparer la défense de son client – ce qui donne une évidente vivacité à l’histoire. Plus que les intrigues, ce sont les conditions de chaque enquête – racontée à la première personne par l’avocat – qui priment, et donnent leur saveur à ces romans.

 

VALENTIN ROUSSEL, de Noël Vexin (Ditis-La Chouette, 1956-1961)

 

André Héléna créa ce personnage de série après en avoir discuté avec Frédéric Ditis, qui venait de lancer la collection « La Chouette ». Dans la postface de La croix des vaches (Fanval Noir, 1988) Ditis précisait : « Ce n’est pas au hasard qu’il avait décidé de faire de son héros un avocat. Le code de procédure pénale n’avait pas de secret pour lui. Gilles Perrault, qui appréciait ses romans et qui à cette époque était avocat, m’avait fait remarquer qu’Héléna ne commettait jamais la moindre erreur dans les scènes se déroulant au Quai des Orfèvres ou dans les descriptions des interrogatoires. Il était parfaitement au courant des méthodes de la police judiciaire… » En effet, Valentin Roussel ne plaide guère au tribunal, mais on le voit face à des juges d’instruction ou à la police, défendant habilement ses clients.

« - Roussel, Valentin, Roger, Alexis, 104 rue de Rennes, avocat » se présente-t-il au secrétaire d’un commissariat dans Ces messieurs de la famille (1956). Il n’est alors qu’un jeune avocat plein d’ambition. Au fil de ses aventures, il gagnera clientèle et prospérité, s’installant avenue Mozart avec sa compagne. Celle-ci se prénomme Roberte. Elle est journaliste à « Soir de France ». Une jeune femme dynamique qui participe aux affaires de Valentin (sous le prétexte d’en tirer des reportages). Gaston, rédacteur en chef du journal, apporte de l’aide à son ami avocat dans les premières histoires.

Ce n’est qu’au septième roman que Valentin bénéficiera d’une secrétaire : « Maintenant, Mlle Perlin était là en permanence (…) Il pouvait se payer une employée, et ce n’était pas là un mince triomphe. De plus, Mlle Perlin avait une excellente qualité. Elle n’était pas belle (…) C’était à cause de ces désavantages multiples que Roberte avait contraint Valentin à choisir Mlle Perlin parmi la foule des jeunes femmes accourues à son appel, non parce qu’elle était jalouse mais l’air bon chien de la pauvre fille lui avait plu » (Descente à Pigalle, 1958). Mlle Perlin jouera un rôle à part entière dans les aventures de l’avocat. Valentin Roussel se doit d’avoir un interlocuteur dans la police : ce sera le commissaire Chennier. Considérant que tous les flics se ressemblent, il le décrit peu : « Chennier le regarda et haussa les épaules. L’homme avait la quarantaine, il y avait donc assez longtemps qu’il était dans la police. Ce n’étaient sûrement pas les spectacles sordides qui lui avaient manqué » (Crochet au cœur, 1957).

La clientèle de Valentin Roussel vient de tous les milieux : des jeunes voyous qu’il essaie d’extraire de la mouise avant qu’ils ne s’y enfoncent, aussi bien que des gens modestes mal préparés aux problèmes. En s’embourgeoisant, il enquêtera Du côté de Passy (1959) et rencontrera la baronne de Cuxac (Diamants d’avril, 1960) ou M. de Puyvalador (Arrivederci Paris, 1960). S’il ne respecte pas toujours la stricte légalité, il est assez malin pour ne pas risquer sa carrière. S’il fréquente la faune de Pigalle, au point d’assister à certains règlements de compte entre bandes, il ne copine pas exagérément avec les truands (dans la postface déjà citée, Ditis ajoutait : « Il m’a toujours semblé aussi qu’il parlait très bien des hommes du Milieu. Que d’ailleurs il méprisait. » C’est absolument certain). Ses aventures permettent de découvrir les coulisses du monde des jeux d’argent clandestins, des Halles, de la boxe, des boites de nuit servant de façades aux truands, des receleurs, etc… On ne peut pas parler de méthodes d’enquête : Valentin est averti d’une sale affaire, ou il trouve un cadavre, ou il est consulté par un brave homme inquiet… et voilà notre héros plongé dans une nouvelle histoire mouvementée, aux nombreux rebondissements (le savoir-faire de l’auteur est indéniable). Les intrigues ne sont pas aussi simplistes qu’on pourrait le croire. Ce qui est remarquable, c’est la narration plutôt souriante de ces aventures, l’auteur ayant sans doute réalisé qu’on n’attire pas le public sans une dose d’humour.

Rappelons qu’il fut encadré pour les premiers romans de la série par Simone Sauvage, puis par Claire Cailleaux.

 

PERRY MASON, d’Erle Stanley Gardner (Presses de la Cité, Gallimard)

 

On ne présente plus l’avocat Perry Mason. Dans sa toute première affaire écrite en 1933, en réponse à une visiteuse, il livre une véritable profession de foi : « - D’accord, moi je suis différent. Si je me suis fait une clientèle, c’est parce que je lutte pour mes clients (…) Les gens ne viennent pas me trouver parce que ma tête ou mon mobilier les ont séduits, ou parce qu’ils ont fait ma connaissance à un club. Ils viennent me trouver parce qu’ils ont besoin de moi. Ils viennent me trouver parce qu’ils attendent que je fasse quelque chose pour eux » (Sur la corde raide, Gallimard, 1951).

Mais que serait Perry Mason sans Della Street ? C’est M.B.Endrèbe, traducteur d’une grande partie de la série, qui la décrit le mieux : « Dévouée corps et âme à son employeur – qu’elle appelle « patron » et dont elle est discrètement amoureuse – Della Street est d’un loyalisme à toute épreuve. Jamais prise de court par les réactions imprévues de l’avocat, il lui arrive même de prévenir par ses initiatives les demandes de Perry Mason, tant elle est habituée à penser comme lui. Elle est toujours prête à le seconder dans ses recherches, au risque même de se compromettre personnellement (…) En sus de quoi, elle est fort jolie, extrêmement féminine, et possède un cœur prompt à s’émouvoir devant une cause désespérée… » (Préface de l’Omnibus Objection, votre honneur, Presses de la Cité, 1990).

Le troisième pilier des aventures de Perry Mason est le détective privé Paul Drake, prêt 24 heures sur 24 à enquêter pour son voisin avocat. Lui aussi mérite bien d’être présenté : « Paul Drake, le détective, ne ressemblait en rien à l’idée qu’on se fait généralement du directeur d’une agence privée. Il était grand, avec un long coup tendu en avant. Ses yeux globuleux, à fleur de tête, avaient une perpétuelle expression d’amusement secret. Pour lui, le meurtre était un petit incident sans importance de la vie quotidienne » (La jeune fille boudeuse, Gallimard, 1951). Dans le personnel de Perry, outre Jackson – un obsédé des textes de loi – on ne peut oublier la standardiste Gertie, amusante jeune femme souvent pleine de bon sens qui joue parfois un rôle fort utile à son patron.

Le lieutenant Tragg est la plupart du temps chargé des enquêtes de police. Entre Mason et lui, on note un grand respect mutuel. Tragg est un pro, consciencieux, cherchant uniquement la vérité, ouvert à toute hypothèse si elle s’appuie sur des faits. A l’opposé, le sergent Holcomb représente le flic obtus ne cherchant qu’à nuire à l’avocat et à ses clients. Il est aux ordres du District Attorney. Les relations entre Perry Mason et le D.A.Hamilton Burger sont tendues, voire houleuses : « Les reporters et Mason savaient déjà que Burger serait frustré de la belle publicité qu’il escomptait (…) les rédactions se disputeraient les clichés montrant le district attorney , le visage convulsé de rage, essayant maladroitement de boxer Mason, tandis que l’avocat esquivait légèrement l’attaque » (La femme futée, Un Mystère, 1955). Si, estimant la cause facile, Burger laisse ses substituts s’en occuper au début du procès, il intervient ensuite soit parce qu’il pense triompher, soit pour contrer Perry Mason quand il prend l’avantage. Au final, il est évidemment battu par l’astucieux avocat.

Pour l’essentiel, la clientèle de Perry Mason est féminine – même quand il accepte de défendre des hommes, des femmes sont concernées de près. Ces jolies femmes peuvent être aussi bien serveuses de bars ou filles de milliardaires, risquer une accusation de meurtre ou vouloir sauver celui qu’elles aiment. L’important est que la situation soit insolite et attise la curiosité de Mason. Car c’est bien lui qui choisit sa clientèle. Ses honoraires varient selon les personnes, et sont parfois symboliques. Il peut engager de gros frais pour mener à bien une affaire. Pour comprendre sa méthode, il faut se souvenir que toutes les intrigues sont extrêmement compliquées. Il commence donc par glaner, en personne ou grâce à Paul Drake, un maximum de renseignements et d’indices. Au besoin, il complique encore plus les choses pour égarer la police – risquant d’être lui-même inquiété. La deuxième phase est généralement destinée à effectuer un premier tri parmi les suspects et les hypothèses possibles. Ce n’est que dans le dernier tiers du récit, consacré au tribunal, qu’on approchera peu à peu de la vérité. Toutefois, ce schéma comporte de multiples variantes. Sans doute est-il préférable de ne pas chercher à comprendre trop vite le nœud de chaque affaire. Il est plus prudent de suivre les péripéties de l’histoire afin d’en saisir tous les éléments. Le style de l’auteur étant plutôt simple, et la narration entraînante, on se laisse vite prendre au jeu. Même le grand Raymond Chandler adorait çà, nous dit-on. (Lire aussi les portraits de Perry Mason et Della Street dans L’almanach du Crime 1980 de Michel Lebrun, Editions Guénaud)

 

Il existe des points communs entre ces trois héros, mais aussi des caractéristiques fort différentes. Bien que proches, John Adams est nettement plus violent que Perry Mason – mais moins subtil lorsqu’il interroge les témoins au tribunal. Valentin Roussel entre plus vite dans le vif du sujet que ses deux confrères. Les clients de Perry Mason sont moins francs que ceux de John Adams. Ce dernier et Valentin Roussel ont une vie privée, on ne sait rien de celle de Perry Mason. Ces nuances (et quelques autres) font la particularité de chacun. Intrigues et narration n’ont pas non plus exactement la même forme. Mais laissons aux lecteurs le plaisir de les comparer, de les redécouvrir.

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:21

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Un personnage : PERELLO VALLESPI
d'André Lay

 

André Lay fit partie des prolifiques auteurs de la collection Spécial-Police du Fleuve Noir. Il y publia son premier roman en 1956 : LE DIABLE EST AU FOND DU SAC (S.P.88). Il en écrivit 128, jusqu’en 1987. LES BONNES INTENTIONS (S.P.2067) fut son dernier titre. A la fin des années 60, il créa l’un des plus singuliers personnages de la littérature policière : le commissaire Vallespi. Les aventures de ce truculent héros se passent au Venezuela. Il est l’autoritaire chef de la police d’Apolonia.

« La petite ville située à peu près à égale distance de Merida et Trujillo, sur la Transandine reliant San Cristobal à Caracas, dominée au sud par la Cordillère, au nord par le lac Maracaibo, ne pouvant rivaliser avec ses voisines en pleine expansion, était un peu oubliée des pouvoirs publics. » (Sacré Vallespi,1968)

Perello Vallespi est un colosse de 120 kilos, rouge de figure, aux sourcils épais, à la moustache noire, qui a toujours un cigare coincé entre les lèvres. Voilà plus de 25 ans qu’il est dans la police. Il vit en couple avec la « voluptueuse Adelina » dont il est certainement amoureux. Ses subordonnés n’ont pas intérêt à évoquer la compagne de leur chef, sous peine de sanction. Malgré son poids, Vallespi ne manque pas de vitalité. Dès qu’il arrive, le commissariat tremble :

« … le colosse, cigare conquérant, moustache à l’horizontale, œil brillant, chemise de brousse impeccable, entrait en tornade dans le bâtiment. » (D’un seul coup d’linceul, 1976)

Les énormes colères de Vallespi font trembler tout le monde. Il passe peu de temps dans son bureau. Il préfère sauter dans sa Land Rover, pilotée par Fortino, pour mener l’enquête sur les lieux concernés. Il n’hésite jamais à affronter ses adversaires, le danger ne lui faisant pas peur. Son intrépidité le conduit parfois dans les pièges tendus par ses ennemis. Il trouve évidemment toujours le moyen de s’en sortir, et de faire éclater la vérité.

Santaca est le fluet adjoint du commissaire. Il représente exactement le contraire du corpulent et sanguin Vallespi :

« Grand, maigre, d’une pâleur maladive, le cheveu rare et terne, il paraissait fragile à côté du gros commissaire. Erudit, intelligent, sarcastique, il attendait sans impatience que son chef se casse une bonne fois les reins pour prendre sa place, ses connaissances dépassant de loin celles de Perello (…) Malgré leurs continuelles algarades, les deux hommes ne pouvaient se passer l’un de l’autre. » (Vallespi voit rouge, 1968)

Santaca n’est pas un instinctif comme son supérieur. Il sait se servir de son cerveau, se montrant aussi ironique qu’astucieux. Vallespi l’entraîne contre son gré dans ses aventures sur le terrain. S’il n’y est pas à l’aise, Santaca contribue souvent à sauver la situation, et à éclaircir un grand nombre d’affaires. Même au cœur de l’action, il n’est pas inutile de réfléchir.

Fortino est le chauffeur personnel de Vallespi. C’est un Noir toujours souriant. Il vit avec sa Doudou, une belle guadeloupéenne qui sait concocter des préparations miraculeuses. S’il se repose volontiers au commissariat ou dans la Land Rover, Fortino est prêt dès que son chef fait appel a lui. On le surnomme le Kamikaze d’Apolonia, car Fortino est un vrai danger au volant :

« Comme Vallespi faisait le vide devant lui dans les bureaux, Fortino faisait place nette dans les rues (…) Santaca ne pouvait monter en voiture sans songer que c’était pour son dernier voyage. » (V comme Vallespi, 1976) Dans cet épisode, la Doudou de Fortino est victime d’un enlèvement. Elle apparaît dans plusieurs autres romans.

L’inspecteur Scavaroni est la tête de turc de Vallespi. Il suffit de le présenter pour comprendre :

« Scavaroni, impeccable dans un costume feuille morte, cravate marron foncé, manchettes et col de chemise immaculés, fixait avec une désapprobation muette Perello Vallespi, vautré dans son fauteuil (…) Sorti frais émoulu de l’Ecole de Police de Caracas, le jeune inspecteur, en perpétuel désaccord avec son chef, devait chaque jour prendre sur lui pour retenir les propos cinglants qui lui venaient aux lèvres… » (One Man Show pour Vallespi, 1971)

N’ayant que mépris pour ce jeune policier sans envergure et trop raffiné, Vallespi l’écarte systématiquement de ses enquêtes. Il l’envoie sur des fausses pistes, car il veut résoudre seul les affaires. Un succès de Scavaroni diminuerait son prestige de chef, selon lui. Toutefois, l’inspecteur reste quelquefois impliqué dans l’histoire.

Bien sûr, le caractériel Vallespi n’a guère d’estime pour les autorités officielles, ni pour ses collègues d’autres villes. Tous des incompétents !

« Je parie que le commissariat de ce petit prétentieux d’Hernandez a brûlé. Il collectionne tellement de paperasse que cela devait arriver (…) Les fuyards n’ont pas de soucis à se faire. Les inspecteurs d’Hernandez ne retrouveraient pas une meule de foin cachée derrière une aiguille. » (Vas-y, Vallespi !, 1977)

Les aventures de Perello Vallespi sont, avant tout, des romans d’action. Néanmoins, les intrigues ne sont pas négligées dans ces histoires solides et mouvementées. Les péripéties sont racontées avec vivacité et humour par ce grand pro que fut André Lay. Il réussit à nous rendre sympathique, et même attachant, ce monstre de commissaire exotique.

 

Vallespi est le héros des romans Spécial-Police : SACRE VALLESPI (1968, SP 668) VALLESPI VOIT ROUGE (1968, SP 680) VALLESPI ET LE DELUGE (1969, SP 716) SAFARI POUR VALLESPI (1969, SP 734) VALLESPI CREVE L’ECRAN (1970, SP 788) VALLESPI CHASSE LA SORCIERE (1970, SP 813) ONE MAN SHOW POUR VALLESPI (1971, SP 871) VALLESPI ET LES SOUCOUPES VOLANTES (1971, SP 909) LES 12 TRAVAUX DE VALLESPI (1972, SP 952) VALLESPI, GO HOME ! (1972, SP 986) AVANTI, VALLESPI ! (1973,SP 1022) VALLESPI SENT LA POUDRE (1973, SP 1063) VALLESPI ET LES KAMIKAZES (1974, SP 1091) VALLESPI CHEZ LES AMAZONES (1975, SP 1168) HOURRA VALLESPI (1975, SP 1189) VALLESPI AU PILORI (1976, SP 1234) V COMME VALLESPI (1976, SP 1252) D’UN SEUL COUP D’LINCEUL (1976, SP 1289) -Y, VALLESPI ! (1977, SP 1332)

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:18

DEUX AUTEURS BRESTOIS :

CHRISTIAN BLANCHARD & YANNICK LETTY

 

Christian Blanchard est né le 20 juin 1959 à Dieppe. Titulaire d’un DESS de sciences humaines, il a été professeur de dessin industriel, puis proviseur. Il crée en 2004 à Brest les Editions du Barbu, publiant ses romans. Le héros des cinq premiers titres est Claude Le Noan. Célibataire de trente ans, ce passionné d’informatique et de photo, vit seul dans sa maison des Monts d’Arrée, en Bretagne. Son amie de cœur est lieutenant de police à Rennes. Après deux aventures à suspense, l’état psychologique de Le Noan se dégrade. Il devient accro à l’alcool et aux drogues dures. Dans La double « O », il est confronté à une dangereuse secte. Le chemin de souffrance l’amène à enquêter sur ses troubles origines, face à un adversaire sans pitié et bien renseigné. Pour Résiliences, il est impliqué dans une expérience risquant de le traumatiser définitivement. Cette très noire série explore les limites de la dépendance et de la résistance humaine. Sans rapport avec les précédents, Chairs amis est aussi extrême. Il s’agit d’une descente aux enfers dans le monde du vice avilissant et morbide. De jeunes hommes sont piégés afin d’assouvir les fantasmes de cruels obsédés. Les romans singuliers de Christian Blanchard s’adressent en priorité à un public adulte aux nerfs solides.

Bibliographie [Editions du Barbu, « Suspense et romans noirs »]

La mort des sens (2004) ; Incendie(s) (2005) ; La double « O » (2005) ; Le chemin de souffrance (2005) ; Résiliences (2006) ; Chairs amis (2006) ; Le théorème du Singe (2007) ; Que les gens sont laids! (Pamphlet, 2007)undefined

 





















Yannick Letty
est né le 16 mai 1959, Brest. De formation scientifique (océanographie), il a été pendant une douzaine d’années instituteur dans de petites écoles rurales du Finistère, avant de devenir professeur de sciences de la vie et de la terre. L’héroïne de ses romans est Marguerite Coadou. Dans Empreinte génétique, elle est inspecteur de police. Après dix ans à Paris, elle est de retour à Brest. Elle doit y affronter des souvenirs marquants. Elle enquête sur une série de meurtres, visant des employées d’un centre de recherche. Le principal suspect est l’ancien compagnon de Marguerite. Les analyses ADN sont formelles. Refusant d’y croire, la jeune femme interroge les proches de son ami. Jusqu’à ce qu’une autre piste s’impose. Pour Mémoire de sang, Marguerite a démissionné de la police et ouvert une librairie. Elle mène deux enquêtes parallèles. L’une concerne une affaire vieille de trois siècles, jamais élucidée, évoquée dans un récit de l’écrivain Anatole Le Braz ; l’autre, sur la mort d’un retraité, auteur d’un manuscrit racontant la 2e Guerre en Bretagne. Avec sa voisine et amie, Marguerite découvre des secrets oubliés. Poupées russes a pour décors les Alpes, où la brestoise va passer ses vacances d’hiver. Elle vient en aide à une jeune russe pourchassée. Une étrange clinique Italienne est au centre d’un trafic d’êtres humains. Seul l’inspecteur Pietramorta accepte de croire Marguerite. Avec lui, elle tente de regagner la France. Mais des tueurs sont à leurs trousses. Sur leur chemin, une forteresse cache de sombres expériences. Dans Passé décomposé, Marguerite enquête sur sa famille, tenant de comprendre ce qui a conduit sa mère et sa grand-mère à la folie. Pendant ce temps, un tueur enlève des femmes de la région. L’histoire de Brest, autrefois bombardée et rasée, plane sur cette affaire. Toute guerre est traumatisante ; celle d’Irak est à l’origine de ce roman.

Bibliographie [Editions Terre de Brume, « Granit Noir »]

Empreinte génétique (2001) ; Mémoire de sang (2002) ; Poupées russes (2003) ; Passé décomposé (2006)

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:16

Deux romans de Renaud Marhic

« Schisme'n'Blues » (Terre de Brume, 2003)

Le narrateur est un journaliste quadragénaire désabusé, exagérant les beuveries. La chronique hebdomadaire de cet anti-conformiste athée est supprimée. Heureusement, il a Sandya. Cette étudiante en histoire pourrait être sa fille ; c’est sa « p’tite caille ». Parmi tous les « revendicatifs neuneux » lui proposant des sujets improbables, Désiré Cailleron lui présente un curieux dossier... Le Grand Schisme d’Occident date d’il y a six siècles, époque où les papes siégeaient en Avignon. Nombreuses furent les embrouilles pour qu’ils retournent à Rome. Une tendance de la chrétienté s’y opposa, celle de Benoît XIII. Soutenus par saint Vincent Ferrier, ses partisans et lui résistèrent jusqu’à leur apparente extinction. Cailleron pense qu’existent encore des « papes de l’ombre ». Cailleron a disparu. Avec Sandya, le journaliste visite les sites évoqués dans son rapport. A commencer par l’île du Comte, devenu centre de villégiature, où il reconnaît des symboles de la papauté sécrète. Ici furent reçus des puissants de ce monde. Des enjeux stratégiques et géo-politiques justifieraient qu’ils aient tenté des alliances avec les descendants de Benoît...

Les sectes, les sociétés secrètes, les Eglises, ce sont les sujets de prédilection de Renaud Marhic. La vie et l’œuvre de Benoît XIII ne nous sont certes pas familières. Mais la narration vivante entraîne les lecteurs dans les arcanes de ce lointain schisme. On suit avec grand plaisir les ironiques mésaventures du héros. Ce loser très crédible est en quête d’une incertaine vérité qui n’intéresse plus que lui – et nous. L’écriture peut déconcerter, mais elle offre le ton adéquat au récit. Un roman plutôundefinedt original, fort convaincant.

« Teminus Brocéliande » (AK Editions, 2007)

Etudiant rennais, Christophe R. a disparu au cœur de la forêt de Brocéliande, au “Val sans retour”. La mère du jeune homme engage un profiler afin de retrouver son fils. Si le parcours de Maël Mac’Herig est particulier, il connaît bien les affaires de “playing killers”. Pourtant, il se sait mal accepté par les spécialistes. Christophe R. a laissé des textes et autres signes, qu’il s’agit de décrypter... L’étudiant tente d’explorer un monde parallèle, où vit la troublante Linoï. N’ayant pas toutes les clés, il traverse des scènes éprouvantes dans cet étrange Méta-Monde. Il participe à un Jeu de l’Oie animé par un gnome, suit la “Caravane des Semences” jusqu’à la cité de Versalia, survole des paysages inconnus, fréquente un bar issu du passé, cherche en Arcadie les traces du Grand Pan, aperçoit parfois Linoï... Grâce à un appel à témoins sur une radio indépendante, Mac’Herig tient une piste sérieuse. Christophe R. et ses amis satanistes se réunissent en secret. La cérémonie qui se prépare risque d’être fatale à Christophe R. La police intervient. Le quiproquo frôle la bavure. Par ailleurs, l’étudiant était en contact avec un mystérieux bouquiniste...

Le jeune disparu nous entraîne dans ses délires fantasmagoriques, “de l’autre côté du miroir”. On le suit avec curiosité dans cet univers décalé. Néanmoins, l’auteur est plus cartésien qu’il y paraît. L’ésotérisme démoniaque et les mythes celtiques sont ici le prétexte (bien documenté) à une vraie enquête. S'il ne manque pas d’expérience, le solitaire Mac’Herig se laisse convaincre par des faux-semblants. Marhic maîtrise avec subtilité le rythme de ce kaléidoscope, avant d’en décoder les images. Un “thriller féerique”, déroutant, atypique. Un roman d'une belle originalité.
- Cette collection est désormais rééditée par les Editions du Barbu, coll.
Polars & Grimoires -

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:09

 

JEAN-BERNARD POUY EN 12 TITRES

 

SUZANNE ET LES RINGARDS (1985, Gallimard)

On l’appelle Dumbo, à cause de son visage repoussant. Il est roadie, régisseur de la tournée du groupe rock « Bande à Part ». Il n’aime ni leur musique, ni les musiciens. Trop de boisson, de drogue, et de filles, pour être excellents. Notoriété trop facile, aussi. Dumbo n’aurait pas dû laisser Suzanne rencontrer les rockers. On a retrouvé la gamine, sauvagement assassinée, dans la baignoire de la chambre de Dumbo. Il est innocenté. Le suspect arrêté se suicide… La route, les concerts. Dumbo interroge les musiciens du groupe, qu’il pense coupables. Il les emmerde avec ses questions. De quoi se souviendraient-ils ? Ils n’avaient accordé aucune importance à Suzanundefinedne. Quand l’hostilité contre Dumbo se fait plus dure, Lucie est là pour l’aider. La responsable technique sait se faire respecter...

L’HOMME A L’OREILLE CROQUEE (1987, Gallimard)

Dans le train qu’il emprunte de Nantes à La Rochelle, Marcel (15 ans et demi) rentre de vacances scolaires. Un grave accident se produit. Marcel reste bloqué plusieurs heures sous des tonnes de tôle. Il n’est pas seul : Marie-Claude, une jolie jeune femme, est bloquée avec lui, tout contre lui. En attendant les secours, il broie du noir. Ils sont finalement sauvés. Retour au collège, puis nouvelles vacances chez son copain Eric. Il est contacté par un type patibulaire, qui lui parle d’Arlette (le vrai prénom de Marie-Claude). Si elle est encore vivante, Marcel doit la retrouver, la prévenir du danger. Pénible périple vers le Centre-Bretagne, ou elle se cache...

LA BELLE DE FONTENAY (1992, Gallimard)

Enric Jovillar est retraité, en région parisienne. Il y cultive un jardin ouvrier, avec un soin particulier pour les pommes de terres. Né en 1929 en Espagne, sourd-muet depuis l’enfance, il s’est réfugié en France avec sa sœur. Durant toute sa vie, il a milité dans les mouvements anarchistes. Il est fiché par la police. Aujourd’hui, plus grand chose ne perturbe sa vie de célibataire… Sauf la mort de Laura. Il aimait bien cette adolescente, qui venait au jardin. Le commissaire Gaillet suspecte Enric ? Il ne s’en inquiète guère, s’en amuserait presque. Il mène sa propre enquête : Laura, bonne élève sans histoire, plutôt mûre, aimait fréquenter les adultes. Portrait trop simpliste, selon Enric. Menaces à l’appui, il est fermement prié de ne plus s’occuper de l’affaire...

R.N.86 (1992, Editions Clô)

Léonard ignore pourquoi son épouse Lucie avait tant changé depuis son retour d’un stage dans le Gard. Il ne comprend pas pourquoi elle s’est suicidée. Il se rend dans la région de Nîmes, s’arrête à Remoulins, sur la R.N.86. Non loin du fameux Pont du Gard, dont Lucie lui avait adressé une carte postale. Il lui semble que cet ouvrage majestueux est lié à la mort de sa femme. La gendarmerie, trop occupée à l’époque, n’a aucun motif de se souvenir de « l’accident » de Lucie. Ses amis de stages non plus ne renseignent guère Léonard. Vague piste, d’un blond nordique, vu avec elle. Le hasard conduit Léonard dans un luxueux hôtel de Castillon. Il y rencontre un écrivain original. Celui-ci se souvient de Lucie et de son amant...

PLEIN TARIF (1994, Mille & Une Nuits, Petite Collection)

Heureuse initiative humanitaire que de loger les SDF en période de grand froid. On utilise des vieux wagons de chemins de fer, installés en dix convois dans une gare parisienne désaffectée. Le narrateur retrouve son oncle parmi cette faune odorante et bruyante. L’oncle a rejeté sa famille, mais accepte son neveu. Celui-ci vient le voir quotidiennement. Bientôt les hébergés devront lever le camp. Soutenus ou excités par divers mouvements politiques très marginaux, ils refusent de céder, de partir...

DEMONS ET VERMEILS (2000, Baleine, Série Grise)

Ulysse est employé municipal à Pailhaste, dans le Gard. Pour la sortie des personnes âgées de la maison de retraite locale, il remplace le chauffeur de car titulaire. Quatre jours de promenade pour aérer les petits vieux. Dans le car, ils sont plutôt bruyants, les anciens. Pas drôle leur vie, oubliés qu’ils sont par leurs familles. Comme le brave Norbert, qui vient de mourir. Ils en profitent donc pour s’amuser. Ulysse les aime bien, mais reste vigilant. Ils insistent pour faire un détour imprévu, qu’Ulysse refuse… Trop mal au dos, impossible de conduire ! Les passagers imposent leur solution : ancien chauffeur, Lucien va le remplacer...

1280 ÂMES (2000, Baleine, Pierre de Gondol)

L’auteur américain Jim Thompson écrivit dans les années 1960 un singulier et glauque roman noir : « Pop.1280 ». Traduit en France, ce livre fut titré par Marcel Duhamel : « 1275 âmes ». Quelques pages sautèrent. Pourquoi cette différence de cinq âmes ? Le libraire-bouquiniste Pierre de Gondol aime les défis intellectuels. Quand un client lui pose cette énigme, il se documente. La logique voudrait que les cinq supprimés se trouvent dans les pages non traduites. Dans ces passages surréalistes, il retrouve effectivement trois personnes. Disons trois et demi, avec le cheval. Il poursuit son enquête aux Etats-Unis. D’abord, situer Pottsville – où se déroule l’histoire...

TRAIN PERDU WAGON MORT (2003, La vie du rail, Rail Noir)

Un train de nuit se dirige vers la capitale de la Zoldavie. Prof de géopolitique, chargé de transmettre un contrat commercial, François est l’un des passagers. En fin de nuit, le train s’arrête en pleine campagne. Le wagon de queue a été décroché. 18 voyageurs sont maintenant seuls, au cœur d’une immense plaine, à quarante kilomètres de la prochaine gare. Cinq personnes tentent de s’y rendre à pied. François préfère attendre sur place, avec la belle Violette, et le solide Albert. On s’organise ; on se rationne ; on espère en devinant une lointaine lueur ; on s’inquiète aussi. Avec un gros tracteur, on peut enfin tirer le wagon jusqu’à proximité de la gare. L’hypothèse d’une guerre-surprise se confirme...

H 4 BLUES (2003, Gallimard)

Lionel, le meilleur ami de Nicolas depuis leur scolarité au lycée Henri IV, vient de mourir. Sa veuve ne croit pas à une mort naturelle. Pour oublier ses actuels ennuis, Nicolas va jouer au détective. Il n’y a pas grand chose de suspect. Peut-être des tracesundefined de curare dans le corps de Lionel ? Peut-être ces femmes gravitant autour du séduisant Lionel ? Pour Nicolas, c’est surtout l’occasion de se remémorer les élèves et les profs d’Henri IV, à son époque. Il apprend que certains condisciples sont récemment décédés. L’appartement de Nicolas est détruit par un incendie. Est-ce une vengeance après avoir défendu et hébergé une jeune gothique overdosée ?

NYCTHEMERE (2004, Les Contrebandiers)

Depuis quelques mois, le chaos destructeur sévit dans le Paysage Idéologique Français. Les diverses organisations politiques ont fait le ménage. Eliminées la Maison Blanche vendéenne, la fascisante Maison Brune, la Maison Verte du Jura, et toutes les autres. La Maison Bleue et la Maison Rose, principaux copropriétaires du pouvoir, se sont alliées sans se faire confiance. Mieux armée, la Maison Bleue reste bientôt seule. Mais un petit groupe de résistants se prépare dans l’ombre, bientôt rejoints par d’autres improbables mouvements...

LA VIE PAYENNE (2004, Autrement, Noir Urbain)

Dans un square parisien, Pascal est en avance à un rendez-vous fixé dix ans plus tôt avec ses anciens amis. Ils étaient cinq idéalistes, une fille et quatre jeunes hommes. La vie les a séparés. Ayant abusé de l’alcool, l’un d’eux est mort. Sylvie est la première a rejoindre Pascal. La seule, car elle lui apprend la mort d’un autre membre du groupe, disparu en Afrique. Quant à Romain, le plus brillant d’entre eux… Sylvie et lui vivent ensemble. Pascal accompagne Sylvie chez eux. Pénibles retrouvailles avec Romain. Il a un service à demander à Pascal...

LA FARCE DU DESTIN (2004, Les Contrebandiers) – avec Patrick Raynal.

Frère Antoine est moine à l’abbaye St Tugdual, près de Carhaix en Bretagne. Chargé des achats à l’hypermarché, il est troublé par les femmes. On l’a oublié, mais il a un passé mouvementé, Antoine ! Il rencontre la pulpeuse Mado. Elle fait du strip-tease dans un club ringard, le « Paradiso ». Rencontre due au hasard ? Dominique, protecteur de Mado, provoque Antoine. Celui-ci le bat au poker. Pourtant, peu après, Antoine tombe dans un piège. Son supérieur n’est pas plus dupe que lui. Le capitaine de gendarmerie n’y croit pas non plus. Reste à savoir ce que veulent le truand Dominique et son dangereux ami Kouzma. Si Antoine feint d’accepter le chantage, il va réagir…

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 16:03

MICHEL LEBRUN, FLORILEGE

 

Pour beaucoup de lecteurs actuels qui connaissent encore son nom, Michel Lebrun fut surtout un ardent défenseur de la Littérature Policière. Celui qu’on appela « le Pape du Polar » écrivit de nombreuses chroniques sur le sujet, dans divers magazines, dans ses fameux « Almanach du Crime » et « Année du polar » parus de 1980 à 1988. Ses articles restent une référence pour les passionnés.

Mais Michel Lebrun (1930-1996) fut avant tout un très grand auteur. N’oublions pas qu’il obtint en 1956 le Grand Prix de Littérature Policière, pour « Pleins feux sur Sylvie ». Ses romans publiés sous d’autres pseudonymes (Pierre Anduze, Michel Lecler, Michel Lenoir, Oliver King, Laurence Nelson, Lou Blanc) ne sont pas moins savoureux que ceux qu’il signa sous le nom de Michel Lebrun (qui était aussi un pseudo, puisqu’il se nommait Michel cade).

Sa bibliographie complète figure dans le livre qu’Alfred Eibel lui a consacré : « Michel Lebrun, témoignages » (Editions Hors Commerce, collection Hors Noir, 2002). Le magazine Polar, dont il fut un des piliers, lui consacra un dossier spécial dans le N°19, en mai 1981. La revue « 813 », dont il fut un des adhérents fondateurs, publia en décembre 1996 un numéro spécial Lebrun (n°52). Ces documents permettent de mieux faire connaissance avec ce personnage, que tout ceux qui l’ont connu qualifient d’attachant et de généreux. Voici les résumés de quelques livres de cet auteur talentueux, qui proposait aux lecteurs des romans malins. Aujourd’hui encore, ces histoires entraînantes et souvent souriantes restent extrêmement agréables à lire.

 

« FAUX NUMEROS » (Un Mystère,undefined 1956)

Alain Vinel, 30 ans, marié, auteur de théâtre, rentre chez lui au milieu de la nuit (sa femme est en vacances). Huguette, son ancienne petite amie perdue de vue depuis sept ans, l’attend devant sa porte. Elle s’inquiète pour son fiancé et futur mari, Serge, qu’elle ne parvient pas à joindre. Intrigué, Alain téléphone puis visite l’appartement de cet homme. Personne ! Le lendemain, ils découvrent Serge assassiné chez la jeune femme. L’inspecteur Toussaint soupçonne Alain et Huguette d’être impliqués dans ce meurtre. Huguette est la plus suspecte. Pourtant, elle affirme à Alain qu’elle est innocente. Elle lui transmet un indice important pour retrouver le vrai coupable. Peu après, le suicide d’Huguette semble mettre un terme à l’affaire. Pas pour Alain, qui se sert du fameux indice. Il rencontre M.Challier. Cet ancien avocat, infirme, lui révèle que Serge était son fils. Il espère qu’Alain trouvera l’assassin. Le témoignage de l’épouse de Challier donne un nouvel éclairage à cette affaire...

 

« REPRODUCTION INTERDITE » (Un Mystère, 1957)

Marc Kelber tient une galerie de tableaux à Paris. Il sait bien que sa vie n’est pas une réussite. Marié à Clara, une femme beaucoup plus jeune que lui, il déteste le fils et la famille de son épouse. Il a voulu s’affranchir de leur fortune et de leur mode de vie, mais il admet avoir du mal à sortir du pétrin. Quand un nommé Lacroy lui propose un lot de tableaux, il ne croit d’abord pas en sa chance. Vérification faite, il y a bien un authentique Gauguin parmi ces croûtes. De quoi faire un joli bénéfice… dont son épouse n’a pas à profiter. Marc s’empare des bijoux de son épouse, vend sa voiture, et emporte les toiles. L’expert est formel : la première fois qu’il a vu le tableau, c’était un vrai. Celui-ci est un faux Gauguin. Marc est ruiné, et les rapports familiaux se détériorent encore plus...

 

 

« DANS MON JOLI PAVILLON » (Un Mystère, 1961)

Germain Lormont, auteur de théâtre qui prépare une nouvelle pièce, vit dans sa propriété de l’Eure (où il fait effectuer de gros travaux) entouré de sa femme Rika, de son collaborateur Louis (qui est en réalité l’auteur de ses pièces), de son ami pique-assiette Robert, et de sa secrétaire Josette. Un soir où il revient tard de Paris, Germain échappe de peu à un accident : une cheminée de sa maison s’écroule sur son passage. Plus tard, Germain est victime d’un curieux accident de voiture. Il s’inquiète, espère des réponses en contactant un détective privé. Le rapport de ce dernier est décevant. Germain décide de prendre les devants : au lieu d’être la victime désignée, il décide de devenir l’assassin. Son premier projet vise son ami Robert. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. De même pour la mort de Louis (qui venait de terminer la pièce de théâtre en cours). La vérité n’était peut-être pas telle que Germain l’avait lue dans le rapport du détective. Même s’il n’est pas exactement coupable, Germain risque gros…

 

« LA PROIE DU FEU » (Un Mystère, 1962)

Philippe découvre un tableau chez un brocanteur. Une œuvre non signée pas tellement originale (un paysage), mais dont il est certain de connaître l’auteur. Ou plutôt de l’avoir connu, car il a perdu sa trace depuis plusieurs années. Pour retrouver ce peintre, il se lance dans une enquête ayant peu de chance d’aboutir. Après des investigations vouées à l’échec, il parvient à identifier le décor de ce tableau. Francis – son auteur – est certainement allé sur les lieux. Peut-être se souviendra-t-on de lui ? Non, nul ne peut lui donner de renseignements utiles. Pourtant Philippe trouve une piste qu’il entend exploiter : Francis avait-il pris un autre nom ? Ce Jacques Leclerc, mari d’Odile Leclerc, c’était sûrement Francis. Il apprend qu’il s’est tué à l’époque dans un accident de voiture. Philippe a besoin d’en savoir plus. Il s’arrange pour rencontrer Odile, prise de contact assez insolite. Puis il espère bien que son charme l’aidera à conquérir le cœur de la jeune femme. Elle reste plutôt réticente au début. Un peu à cause de Michel, son ami-amant, un peintre possédant un certain talent. Sans doute aussi parce que ses expériences masculines n’ont jamais été une parfaite réussite...

 

« LES OGRES » (Mystère, 1971 & Le Masque)

Virginie Boistel et son vieux cousin Pierre-Armand vivent dans une grande propriété entourée de hauts murs, en Normandie. Un endroit plutôt isolé. Par petites annonces, ils recrutent des jeunes filles pour leur service. Celles-ci sont destinées à devenir leurs victimes. Roselyne (dite Bogey) et Geneviève (dite Rosebud), des marginales, ont décidé de se mettre au vert. C’est Bogey qui a répondu à une annonce, mais c’est son amie qui va se présenter à sa place. Bien étrange domaine que celui de Virginie Boistel, se dit Geneviève. Elle réalise vite qu’il s’y trame de drôles de choses. Qu’importe ! Si elle s’y planque pendant quelques semaines, ni les trafiquants qu’elle fuit, ni sa famille qui la recherche, ne l’y trouveront. Pourquoi y a-t-il de la vaisselle pour quatre, alors qu’ils ne sont qu’à trois personnes ? Pourquoi les restes de nourriture disparaissent-ils ? Quels sont ces bruits nocturnes au dessus de sa tête ? Quels sont les rapports réels entre Virginie et Pierre-Armand ? Les chiens vont-ils la dévorer si elle tente de sortir ? La menace est partout.

 

« UN REVOLVER, C’EST COMME UN PORTEFEUILLE » (Mystère 1971 & Le Masque)

Daniel est un révolutionnaire. José est un petit truand. Ils cambriolent une banque. Deux flics interviennent. Daniel est blessé. José tire sur le deuxième gardien de la paix. Les voleurs s’enfuient. José trouve refuge dans une maison, dont la propriétaire est bientôt de retour. Elle joue un drôle de jeu pour garder José. Le revolver, José s’en est débarrassé. Oscar Zing l’a trouvé, ce qui l’arrange bien car son propriétaire veut l’expulser de son appartement. Il peut ainsi supprimer ce gêneur, avant de se séparer de l’arme. Un jeune couple récupère le revolver. Ils sont conviés à finir la soirée chez de vieux partouzards. Des dingues, qui ont voulu jouer à la roulette russe. Qui est responsable du dérapage ? Ennuyeux : la jeune femme a perdu son sac à main, contenant l’arme. C’est Victor qui hérite du revolver. Détesté par sa femme (qui le trompe) il voudrait divorcer. Et s’il profitait des circonstances pour en finir avec elle ? Réussira-t-il enfin quelque chose de valable, Victor ?

 

« LOUBARD ET PECUCHET » (Fleuve Noir 1982, Engrenage)

Comme tous les jeunes gens de dix-sept ans et demie, Pécu (de son vrai nom Pécuchet) a envie de liberté, et besoin d’argent pour réaliser ses rêves. Pas des projets fastueux : un grand voyage, ou posséder un wagon-appartement sur un bout de voie ferrée. Mais Pécu n’est pas un « jeune homme » ordinaire. Ce qui l’avantagera lorsqu’il s’attaquera à ses victimes. Qui se méfierait de Pécu ? Ni les volés, ni son voisin l’inspecteur Montescourt – dont les renseignements seront utiles. Puis Hélène surgit dans la vie de Pécu. Hélène, et sa chienne Didine. Hélène et son estafette bariolée. Elle lui a sauvé la mise, mais est-ce une raison pour être aussi collante ? Pécu n’a pas besoin d’une nounou dans son genre ! D’autant qu’Hélène a des projets. Pas des braquages à quat’sous. Non, il faut s’en prendre à ceux qui sortent beaucoup d’argent de la banque. Voire même braquer un transport de fonds...

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16 janvier 2008 3 16 /01 /janvier /2008 15:51

Viviane Veneault : La disparue des Baronnies
(Ravet-Ance07-VENEAULT-copie-1.JPGau, Polars en région n°4, décembre 2007)


Dans ce village de la Drôme, vivent trois amis. Homme mûr, Paul produit des abricots, avec sa famille. Veuf de 48 ans, Stanislas est un romancier reconnu. Jeune gendarme, Manu a de l’ambition. Dans l’intention d’aider son protégé Paco, qui ignore encore le secret de sa naissance, Paul rend visite à la vieille et acariâtre Mme Raplin, grand-mère du jeune homme. Il aimait bien Mina, la défunte fille de celle-ci. Dans sa fureur, Mme Raplin est prise d’un malaise. Paul s’enfuit, sans lui apporter d’aide. Par la suite, il hésite à se confier à Stan, et ne parvient pas à en parler à Manu. La disparition de Mme Raplin n’est que tardivement signalée par son voisin, Raoul Malvers, qui était absent. Voulant se dénoncer, Paul tergiverse. Gagné par des idées suicidaires, il est gravement blessé dans un accident de la route. Manu enquête sur le cas de la vieille dame. Sans être suspect, le vieux voisin ne dit sans doute pas tout ce qu’il sait.

C'est le qualificatif « roman de secrets » qui convient ici. Tous les protagonistes dissimulent des aspects de leur vie, de leurs sentiments. Les personnages annexes ne sont pas moins dignes d’intérêt. Non pas un « pur polar », mais une intrigue psychologique très réussie.

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16 janvier 2008 3 16 /01 /janvier /2008 11:26

GERARD ALLE EN DEUX QUESTIONS undefined

 

Né en 1953, Gérard Alle est un romancier guidé par une exigence de qualité, dans un univers proche du roman noir. Depuis ses débuts chez Baleine en 2000, il a publié six romans, dirigé ou participé à plusieurs recueils de nouvelles, et sorti en 2007 Les papys féroces, regroupant trois courts “romans gris”. Sur RayonPolar.com, il a largement répondu à deux questions qui l'inspirent.

 

Claude Le Nocher : Dans quelle mesure le roman doit-il être le reflet de la réalité ?

Gérard Alle : Le rapport à la réalité est en effet préoccupant. Je vois le romancier comme un conteur. Il doit être capable de faire avaler des couleuvres au lecteur. Plus la couleuvre est grosse tout en restant consommable, plus le livre est réussi. C'est sans doute l'intérêt premier de l'écriture de fiction, car chacun peut constater à quel point la réalité est déjà incroyable et peu crédible. La fiction doit nous affranchir des contraintes de l'espace et du temps. Dans ce sens, les contraintes de la langue sont parfois un frein à l'imaginaire et au basculement nécessaire du point de vue. Il faudrait pouvoir écrire à la première personne quand il s'agit de toucher le réel de l'émotion, du ressenti, au plus près, et passer à la troisième personne quand on veut donner de la distance. Il faudrait en même temps pouvoir écrire au présent, pour être au plus près de l'action, et au passé, pour installer la narration. Il faudrait aussi être ici et ailleurs, au même instant, et puis vivant et mort. Il faudrait se débarrasser de la structure même du langage, parfois, pour traduire l'urgence, la fulgurance d'un instant.  G--rard-ALLE.JPG

Mais la réalité est le port d'attache du lecteur. Et il faut l'entraîner à larguer les amarres. Pourquoi ? Parce que l'imaginaire c'est l'aventure de l'esprit, la subversion. Celui qui n'entre jamais dans l'imaginaire d'un auteur a peu de chance de libérer le sien, d'imaginer sa propre vie, et risque fort de se laisser dicter ses choix. Mais il ne faut pas oublier pour autant le port d'attache. Le réel contient sans doute toutes les merveilles du monde, là, à portée de la main, dans notre quotidien. Mais notre sensibilité est émoussée, on ne veut pas voir, on ne veut pas entendre, on ne veut pas savoir, on veut oublier, aussi. Embrasser dans l'instant toute la réalité passée, présente et à venir est sans doute quelque chose d'insupportable pour notre cervelle et nos sens. Et comme notre vision de la réalité est forcément partielle, il faut changer de temps en temps d'angle de vue.

Souvent, imaginer, ce n'est pas inventer de toutes pièces une situation, mais c'est coller ensemble deux situations réelles ou vécues qui n'avaient rien à voir au départ; c'est aussi créer un personnages en assemblant les morceaux épars de plusieurs caractères bien réels. La littérature est là au moins pour nous proposer d'aborder les choses sous un angle inattendu. Tout part du réel, l'important c'est de ne pas y rester. Le reflet pur et simple de la réalité est sans intérêt. Il faut pour le moins que le reflet trouble nous trouble, que le miroir déformant nous déforme. S'il fallait donner un seul exemple, je citerai cet écrivain irlandais (Joyce ? Becket ? Oscar Wilde ?... je ne sais plus) qui a dit : “La réalité n'est qu'une hallucination due au manque d'alcool.”

 

Le roman peut-il cultiver la prise de conscience citoyenne sur l’environnement et l’écologie (respect de la nature et du cadre de vie, pollutions évitables et risques pour la santé) ? 

Gérard Alle : Il est toujours risqué d'utiliser la fiction romanesque pour essayer de faire passer un message, quelle que soit la pertinence de ce message. Il m'est arrivé de décrire certaines dérives agri-environnementales, notamment dans un roman intitulé Il faut buter les patates [Baleine, 2001], et l'absence de réaction de la part des lobbies mis en cause montre à quel point la littérature n'est pas faite pour changer le monde - tout au plus peut-elle changer les gens (une personne, ici ou là, pourra être chamboulée par la lecture d'un ouvrage). En fait, les coupables sont cyniques, sûrs de leur puissance, et les citoyens, quelque peu fatalistes, alors, l'inertie est immense.

Le plus efficace - j'entends au sens littéraire du terme, est peut-être la science-fiction, le roman d'anticipation, quand il nous projette dans un avenir inquiétant et nous oblige à refuser cette fatalité. Le roman noir, aussi, peut nous bousculer, en nous faisant voyager dans la réalité glauque d'un complexe chimico-oligo-mafieux du fin-fond de la Russie ou de la Chine, par exemple, mais il risque, alors,  de nous faire croire que le danger vient d'ailleurs, alors qu'il vient surtout de nous-mêmes.

Le roman que je suis en train d'écrire en ce moment, troisième d'un cycle intitulé Lancelot fils de salaud (*), nous projette dans une vingtaine d'années. La technologie y côtoie le chaos, plein de choses en lesquelles nous croyons aujourd'hui ne fonctionnent plus, ou par intermittence; il y a des vieillards séniles dans les maisons; il fait un brin plus chaud, ce qui permet de faire du vin en Bretagne et même en Suède (en fait ce sont les amplitudes climatiques qui augmentent, ainsi que les tempêtes). Le chaos qui règne dans certaines zones fait des dégâts socialement, mais il permet aussi des expériences originales, lorsque les hommes savent désobéir et se réinventer un vivre ensemble.

En fait, la question centrale, dans ces histoires de littérature et d'écologie est celle du contrôle social. Agiter la peur de la pollution, de la maladie et de la mort est très contre-productif, politiquement parlant : si tout est foutu, pourquoi se battre ? Si l'on joue avec cette matière explosive, il faut aussi, en face, jouer avec l'utopie. Aujourd'hui, nos enfants nous entendent dire à longueur de temps que le monde est pourri, et que leur vie sera plus dure que la nôtre. Or, demain leur appartient et sera ce qu'ils en feront. En ce sens, le catastrophisme littéraire est réactionnaire. Vive l'utopie !

 

(*) La fugue de l’escargot et L’arbre aux chimères. En 2007 est paru Les papys féroces, tous aux éditions Coop Breizh. 

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