Chez Plon, la collection Noir Rétro réédite un des grands romans noirs de Pierre Lesou “Le doulos”. L’occasion de redécouvrir ce polar, et d’en savoir un peu plus sur l’auteur…
En France, au milieu des années 1950. Maurice Faugel, dit Maur, est sorti de prison six mois plus tôt. Il a purgé une peine de cinq ans après un cambriolage raté, sans dénoncer ses complices. Pendant son séjour en taule, sa femme Arlette a été assassinée. Aujourd’hui, Maur traîne presque tous les jours à Bondy chez son complice Gilbert, en attendant de futures rentrées d’argent. Celui qui a supprimé Arlette, Maur est certain que c’est justement Gilbert. Ce soir-là, Maur le tue avec l’arme qu’il lui a emprunté. Puis il vole les bijoux et le magot de sa victime, avant d’enterrer son butin dans un terrain vague. Ensuite, il rentre chez Thérèse, qui l’abrite provisoirement.
Silien est le meilleur ami de Maur. Ce petit truand jamais condamné a mauvaise réputation dans la pègre. On le sait proche de l’inspecteur Salignari, avec lequel il a partagé quelques épreuves avant que leurs chemins divergent. Silien serait le principal indic du policier. Même s’il a pu aussi s’interroger, Maur refuse que l’on critique son ami. Silien apporte chez Thérèse du matériel pour le cambriolage que Maur doit commettre cette nuit-là avec son comparse Rémy, mais reste étranger à ce coup. Pourtant, à peine Maur est-il parti que Silien est de retour. Silien ne tarde pas à agresser Thérèse, l’obligeant à lui révéler où se passe le cambriolage. Alors que Maur et Rémy ont pénétré dans la propriété de Boulogne où est prévu le casse, ils sont bientôt cernés par la police. Rémy est mortellement blessé. Maur abat l’inspecteur Salignari, avant de fuir.
Tandis que Maur se planque chez son ami Jean-Jean, Silien est questionné par les collègues du défunt Salignari. Prétendant n’être informé de rien, il n’a pas l’intention de les aider, mais y sera peut-être contraint. Quant à la mort de Thérèse dans un étrange accident de voiture à Sucy-en-Brie, ni les flics, ni les truands n’ont d’explications claires. Connu de la police pour ses liens avec la victime, Maur est interpellé au sujet du meurtre de Gilbert à Bondy. Il affirme crânement n’y être pour rien. Le policier Clain n’a que faire de ses dénégations. Bien qu’il redoute ce retour en prison, Maur est à nouveau incarcéré. Silien va habilement manipuler Mado, la maîtresse d’un caïd, afin de disculper son ami…
Réédité aujourd’hui dans la collection Noir Rétro, ce roman publié dans la Série Noire en 1957 reste un des meilleurs classiques parmi les histoires de truands. Si on a vu le film de Jean-Pierre Melville (1962) avec Serge Reggiani (Maur) et Jean-Paul Belmondo (Silien), sans doute est-on obligé d’associer leur image à notre lecture. Ce qui ne gâche rien, au contraire. L’intrigue imaginée par Pierre Lesou est diablement bien pensée, plus complexe que beaucoup de scénarios ordinaires de l’époque. Il ne s’agit pas seulement d’une amitié virile entre deux malfaiteurs, l’un plus malchanceux que l’autre. Le monde de la pègre n’a ici rien d’héroïque, ni de brillant. Entre deux minables cambriolages, on s’entretue, on se trahit, on se venge. On est dans un pur roman noir : les personnages glissent sur la pente fatale de leur inéluctable destin. C’est avec grand plaisir qu’on redécouvre ce roman, qui témoigne également d’une époque.
Pierre Vial-Lesou est né à Paris le 4 février 1930. Au divorce de ses parents, dix-huit mois après sa naissance, il est confié à son père, alors agent de police. Sa sœur, son aînée de deux ans, est envoyée au Luxembourg chez ses grands-parents maternels. Il a quatre ans quand son père se remarie. Il est confié à une sorte d’orphelinat religieux, "authentique bagne pour enfants" dira-t-il. Il y reste huit longues années, tentant par deux fois de s’en évader. Malade, il est de retour chez son père en 1942. Trois ans plus tard, il devient apprenti typographe à l’imprimerie de France-Illustration, à Bobigny. En 1947, la mort de sa belle-mère lui offre l’occasion de renouer avec sa vraie mère et sa sœur. Son père décède à son tour, tandis que sa mère s’embarque pour l’Extrême-Orient. C’est sa sœur, coiffeuse, elle-même divorcée après cinq ans de mariage, qui va le prendre en charge en 1957. Elle n’hésite pas à procurer à son frère l’aide matérielle dont il a besoin, lorsqu’il se sent une vocation d’écrivain. Il a depuis longtemps abandonné le métier de typographe, survivant grâce à de menues besognes d’occasion.
C’est “Le doulos”, son premier titre, qui apporte une belle notoriété à Pierre Vial-Lesou. Plusieurs de ses romans publiés à la Série Noire sont adaptés au cinéma. Puis il change d’éditeur, intégrant la collection Spécial-Police du Fleuve Noir. Il y publie d’abord six romans, avant de quitter la France pour l’Amérique du Sud. Il y séjourne de 1964 à 1966, sans souci financier grâce aux droits cinématographiques versés par un producteur, Raoul Lévy. Quand il revient en Europe, il doit de nouveau compter sur sa sœur, le temps d’écrire plusieurs nouveaux romans. Ceux-ci seront publiés jusqu’en 1973 chez Fleuve Noir Spécial-Police, dont plusieurs sont adaptés au cinéma. Un dernier titre, “Viva Zapatouille”, parait en 1985. (Biographie inspirée d’une notice parue en 1972, in Les chefs d’œuvres de la littérature d’action, Cercle Européen du Livre).
Parmi les romans de Pierre Vial-Lesou, on pourrait se souvenir de : “On ne tue pas n’importe qui” (1962). Pour assassiner sa femme Simone et Denizal, l’amant de celle-ci, Bob Révian a imaginé un crime parfait. Il s’est assuré la complicité de sa maîtresse Maria, la femme de Denizal. Tout doit se passer à l’insu de Janie, la sœur de Simone, qui vit avec eux depuis qu’elle est séparée de son brutal mari. Bob est conscient que le crime parfait apparaît illusoire, aussi va-t-il vouloir démontrer le contraire. Tout va se dérouler sur une douzaine d’heures, une nuit mouvementée pour chacun des protagonistes. Bob n’étant pas un tueur plein de sang-froid, son plan initial va vite déraper. Un suspense riche en dérision, dont le héros est totalement dépassé par l’évolution des faits…
Son roman suivant, “La rogne” (1962) est probablement le plus méconnu. C’est pourtant un des très bons titres de cet auteur…
Marty est tout le contraire d’un chanceux. Pourtant, il peut compter sur sa compagne coiffeuse Louise et sur son grand ami Bob, qui vient de lui prêter une grosse somme. Après quelques années passées en prison, ce prêt peut lui apporter une nouvelle vie. Le chèque, il ne l’a pas encore encaissé. Tant mieux, car ce soir-là, son copain Bob lui en offre un plus gros encore à la place. Du moins, c’est ce qu’il prétendait. Car en réalité, Bob a décidé de supprimer Marty pour vivre avec Louise qui est sa maîtresse depuis longtemps. Cocu sur toute la ligne, Marty apprend aussi que c’est à cause de Bob qu’il a fait sept années de prison. Bien que désabusé, Marty défend sa peau. Quand il tue Bob, c’est de la légitime défense. Mais dans son cas… D’abord, faire disparaître le corps de Bob afin qu’il ne soit pas retrouvé trop vite. Ainsi, la question de l’alibi se posera moins. Ensuite il faudra revenir à la villa afin de récupérer dans le coffre-fort la reconnaissance de dettes que Marty a signé. Il ne sait trop s’il prendra aussi la grosse somme d’argent liquide… Filer cacher le cadavre, pour commencer.
Robert, un sergent qui sera bientôt porté déserteur, oblige Marty à le prendre à son bord (il a vu le corps dans le coffre). Que faire, sinon obéir ? Le sergent veut faire un détour pour récupérer Cora (son ex-petite amie) et le nouveau fiancé de la jeune femme, Jérôme. Robert va se servir de ce dernier pour changer d’identité, avant de disparaître avec Cora. Marty et Cora comprennent d’instinct qu’ils doivent s’allier. Leurs tentatives pour reprendre l’avantage contre Robert ne sont pas couronnées de succès. Ce n’est pas ce lâche de Jérôme qui les aide beaucoup. Mais la chance naîtra-t-elle de cette rencontre, ou bien un dernier coup du sort empêchera-t-il Marty de s’en sortir ?
La tonalité ironique convient parfaitement à cet excellent roman, captivant du début à la fin, aux rebondissements entre espoir et malchance. On sympathise avec ce brave Marty, qui vit une nuit si mouvementée.