Publié dans la collection Le Riffle Noir, “À minuit, les chiens cessent d’aboyer” de Michaël Moslonka met en scène un policier désabusé (dans la bonne tradition du roman noir) face à une population qu’il n’a guère de raisons d’apprécier…
Auchel est une commune de l’Artois, dans le Pas-de-Calais. Un corps poignardé à l’Opinel vient d’être signalé sur l’aire de stationnement du McDo local. Le policier David Blacke et sa collègue la lieutenante Laribi sont chargés d’élucider le crime. La victime ne risquait pas d’attirer la sympathie de Blacke. Certes, il est habitué à côtoyer le racisme ordinaire au bistrot Le Joker. Pénible, mais il supporte. Par contre, ce nazillon trentenaire de Dylan Druelles s’affirmait activiste. Il venait de créer le FDL, groupuscule fascisant inspiré par un mouvement similaire anglais. Il suffit à Amélie Laribi de visiter la chambre de Druelles pour mesurer la haine raciale qui l’animait. Un décor abject voué à l’intolérance la plus violente. Pour Blacke, l’assassin a souhaité que ce meurtre soit visible, spectaculaire. Aussi le policier autorise-t-il le journaliste Valéry Bullitt à étaler cette affaire. Ce qui ne va pas être du goût du commissaire Lheureux, le supérieur de David Blacke.
Il n’est pas difficile de désigner un suspect idéal. Frère d’une employée du McDo, Johnny Tarjeski est repris de justice sans envergure. S’il rôdait la nuit par là, c’était pour protéger après son service sa sœur qui l’héberge, semble-t-il. Si Johnny disparaît volontairement, c’est quand même qu’il n’est pas si clair. Bien que plusieurs pistes soient explorées, l’enquête n’aboutit qu’à des impasses. Elle est bientôt relancée par un nouveau meurtre, à Marles-les-Mines. S’étant introduit au domicile de la victime, l’assassin s’est acharné sur cet homme. Il s’agissait d’un internaute signant Rintintin, proférant des opinions extrémistes sur de nombreux sites. Si la lieutenante Laribi est sûre d’un lien avec le premier crime, Blacke s’est mis en arrêt-maladie, ne se passionnant plus pour tout cela.
Amélie Laribi insiste, et réussit à le convaincre de ne pas abandonner. Le journaliste Valéry Bullitt apporte des éléments à Blacke. Le patron du bar Le Joker confirme que Johnny Tarjeski connaissait les deux victimes. Sans doute est-il en danger, aujourd’hui. Blacke interroge Scarlett Mechelle, une lesbienne ayant eu une vive altercation avec Dylan Druelles. De son côté, Amélie Laribi rencontre l’oncle de Johnny. Il prétend s’être éloigné de la famille Tarjeski, et nie avoir la moindre influence sur son neveu. La policière n’y croit guère, et fait surveiller la maison de l’oncle. Tandis que Valéry Bullitt est hospitalisé après une violente agression, David Blacke est sanctionné par sa hiérarchie. Pourtant, la suite de l’affaire sera encore meurtrière, et même explosive…
L’auteur nous présente donc un bel exemple de flic désabusé. Ancien vendeur en librairie ayant compris la bassesse humaine, David Blacke n’est pas seulement un être tourmenté. Il n’y a pas que les chiens du voisinage qui l’importunent. La meute de ses contemporains, pétris d’idées franchouillardes et de certitudes xénophobes, alimente sa misanthropie et un certain cynisme. “L’humidité qui sature l’air et la grisaille des cieux ont sur son état d’esprit un effet d’allégresse malsain : il exulte à l’idée de tous ces gens qui se lamentent sur la météo pourrie.” Moins drôle que dans les "Brèves" de J.M.Gourio, la clientèle du bar Le Joker est l’illustration de l’abêtissement général. Néanmoins, ces vains aboyeurs sont un peu moins détestables que les victimes, plongées dans leurs délires racistes et leur violente propagande.
Ambiance noire pour une vraie enquête, où se mêlent pistes et suspects, mais aussi dégoût et amertume. Cette tonalité sombre convient parfaitement au récit, dans lequel la jeune collègue de Blacke apporte une lueur plus positive. Michaël Moslonka nous propose un polar bien maîtrisé, donc fort réussi. À découvrir !