Ce n’est pas un titre, c’est une revendication : “Je suis un terroriste” de Pierre Brasseur est publié chez Après La Lune. Ce n’est pas une autobiographie, mais un roman noir illustrant le militantisme exacerbé et excessif de ceux qui se sentent définitivement exclus par choix, ou par l’égoïsme de nos sociétés…
Stéphane, Maude, Guillaume, Agnès, Raoul. Pour ces étudiants de Nancy, les manifs de 2006 furent une étape de leur vie, vers la radicalisation pour certains. Dans la mouvance anarchiste, ils participaient à la revue Catharsis ? dirigée par Raoul, l’intellectuel du groupe, fréquentaient les milieux marginaux nancéens. Espérant devenir photographe pro, Agnès prit un grand nombre d’images des manifestations, qui virèrent bientôt à l’émeute violente. Son appareil fut détruit par un CRS. Le témoignage de Maude n’intéressa pas le journaliste qu’elle contacta. Peu après, le décès de Stéphane amena chacun à prendre une autre direction. Agnès s’investit dans le social. Guillaume devint veilleur de nuit dans un hôtel. Raoul s’enferma en ermite avec son ordinateur pour seul interlocuteur. Maude passa plusieurs années au Venezuela, satisfaite d’avoir quitté la France.
Début 2009, Maude revient dans sa famille bourgeoise de Nancy. Observant la population, elle réalise vite pourquoi elle s’y sent mal : “Elle passa devant un Roumain vendeur de marrons chauds, qui haranguait joyeusement les passants, et Maude comprit alors, par contraste, la nature du problème : toutes jolies qu’elles fussent, les passantes ne souriaient guère.” Entre le contexte de crise et une parenté trop passive à ses yeux, son excitation d’antan lui revient au cœur. Si Raoul théorise toujours avec ardeur sur son site Internet, Guillaume se sent parfois des envies de supprimer son méprisant patron. S’opposer à sa famille, c’est trop peu pour Maude. Elle dérobe les puissantes armes à feu appartenant à son père, ainsi qu’un peu d’argent, avant de rejoindre ses amis Guillaume et Raoul. Leur marche vers la clandestinité terroriste vient de commencer.
Le trio peut compter sur Yoann, un punk qui avec sa compagne Émilie s’occupe d’une ferme bio. Non loin de chez lui, le groupuscule peut s’entraîner au tir. Ils disposeront d’une planque grâce à Yoann, la maison vide de sa grand-mère dans un coin isolé des Vosges. Leurs cibles sont choisies, des membres du MEDEF qui logent à l’Hôtel de Mercy, où Guillaume est gardien de nuit. L’hécatombe se produit au milieu de la nuit, en une demie-heure. Tandis que le trio rejoint son refuge, on découvre les meurtres et leurs revendications au matin. Le policier Izarra, de l’Anti-terrorisme, enquête sur l’affaire. Les réactions médiatiques étonnent peu le trio, qui n’a d’autre choix que d’assumer ses actes : “Avant, nous avions des idées politiques, des énervements, des idées de meurtre. Nous devons donc accepter que, de nous-mêmes, nous sommes devenus des tueurs.” Si Izarra repère aisément Yoann, celui-ci ne trahira pas ses amis…
On ne peut cautionner aucun terrorisme meurtrier, qu’il soit commis par des groupuscules fascistes, racistes, religieux ou d’ultra-gauche. Le passage à l’acte par aveuglement politique, mystique ou racial, reste toujours criminel autant que condamnable. Quant à savoir d’où viennent ces actions radicales, par quel processus de marginalisation des gens dérapent ainsi, les sociologues se perdent trop souvent dans des thèses nébuleuses. Certains discours idéalistes, vindicatifs et fumeux, n’ont aucun impact. D’autres, non dénués de fondements, construits et cohérents, permettent le débat. Et puis, dans notre monde individualiste où personne n’écoute les autres, où le mépris est banalisé, où les médias sont trop souvent complices des pouvoirs en place, une infime partie des agitateurs se transforment en terroristes.
C’est ce manque de prise en compte de la réalité sociale et quotidienne qu’illustre ici l’auteur, pour expliquer sans excuser les actions de ses personnages. S’ils sont dans un “no future”, ce n’est pas dans celui des punks d’autrefois, c’est dans le prétexte de la crise perpétuelle censée être l’argument imparable. Sans doute est-ce aussi pourquoi, on date les faits dans le monde actuel, même si la référence au passé est inévitable. Le propos n’est pas anodin, il aide à la réflexion. À l’opposé d’un tract mal rédigé, on doit souligner que l’écriture de Pierre Brasseur s’avère de très belle qualité. Comme un témoin qui aurait suivi le dossier d’assez près pour relater la situation, qui cherche à la comprendre honnêtement, sans l’approuver.