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14 juin 2010 1 14 /06 /juin /2010 06:11

 

Coup de cœur pour le roman de MudroorooChat sauvage en chute libre, publié par un nouvel éditeur, Asphalte.

Ça se passe au début des années 1960 à Fremantle, ville portuaire d’Australie. C’est un métis, anonyme comme le sont à l’époque tous les aborigènes, même de sang-mêlé. Âgé de dix-neuf ans, il vient de passer dix-huit mois en prison. Une peine méritée pour un délinquant récidiviste comme lui. Élevé par sa mère, veuve d’un Blanc, il fut jugé pour la première fois alors qu’il n’avait que neuf ans.

Débute un parcours, qu’il évoque d’un ton sarcastique : “[à l’école] c’est là que j’ai appris à survivre seul contre tous. Puis je me suis fait piquer pour vol et on m’a envoyé dans un foyer pour jeunes garçons, où j’ai été formé aux techniques criminelles de base contre la rudesse de la charité chrétienne. Dans le camp des Noongar [aborigènes], j’ai suivi une spécialisation pour devenir totalement inexploitable et saboter les efforts illusoires pour améliorer le sort des indigènes. J’ai également appris l’art de boire comme un trou et coucher comme un sauvage. En prison, j’ai reçu mon diplôme du vice et abandonné mes dernières illusions sur la vie. Je sais maintenant qu’espoir et désespoir sont aussi absurdes l’un que l’autre.”

MUDROOROO-2010Ce jour-là, il sort de prison, déjà certain d’y revenir sans tarder, de replonger aussitôt dans la délinquance. “Les lois sont faites de telle façon qu’un type comme moi ne peut pas s’empêcher de les violer, quoiqu’il fasse […] Le seul endroit où nous pouvons nous faire des amis, c’est en taule, mais s’ils nous prennent en train de leur parler une fois libérés, ils nous coffrent pour association de malfaiteurs.” Ce solitaire ne voit pas de bonnes raisons de quitter la prison. Même s’il rejoint sa bande du milk-bar, ce séjour en taule ne le fera pas davantage accepter parmi les bodgies, petits voyous type “blousons noirs”.

La liberté ne calme pas ses réminiscences d’enfance, tel le souvenir (entre religion et punition) du foyer de Swanview, dont il tenta vainement de fuguer. Il pense à sa pauvre mère, perdue de vue, ou aux moments plus heureux avec Monsieur Willy. Sur une plage, il rencontre l’étudiante June, à laquelle il ne cache rien. Elle l’invite à l’Université de Perth. Par curiosité, il accepte de faire connaissance avec les amis de la jeune fille.

Sans doute ces gosses de riches se montrent-il ouverts et cordiaux. Pourtant, ils en restent à la rhétorique des Blancs vis-à-vis des Aborigènes, trop de clichés encombrant leur compréhension de ce peuple. Même cette autre étudiante aux idées larges n’a aucune chance de comprendre que, pour lui qui ne croit en rien, le monde n’est qu’une vaste illusion, qu’il refuse l’esprit de compétition, que c’est son état de métis qui l’a conduit à cette vision de la vie. Seul peut-être “En attendant Godot” pourrait allumer une lueur chez lui.

Puisque cette bande d’étudiants sont aussi bidons, autant rejoindre celle de bodgies, et son ami de prison Jeff pour préparer un casse dans sa ville natale. “Jeff se montre optimiste et confiant. Il est assez bête pour croire en moi.” L’avenir est déjà écrit, et ce n’est pas un vieillard installé dans le bush qui pourra le sauver de lui-même…

Cet authentique roman noir, le tout premier roman publié par un Aborigène en 1965, est une référence dans la littérature anglophone. Sans cesse réédité, il est étudié dans les collèges et les universités. Sans doute contribua-t-il à faire admettre aux Australiens non seulement la culture aborigène, mais l’existence de ce peuple alors marginalisé. Car si le héros métis n’a pas de nom, c’est que lui et ses semblables n’ont aucune place dans la société qui les entoure. Le récit prend l’aspect d’une autofiction, pour mieux nous interpeller. Le contexte est présenté sans apitoiement ni agressivité, bien qu’on perçoive la sourde haine intérieure du personnage. Elle nous est expliquée par les nombreux flash-back, retraçant ses rapports avec sa mère, la justice des Blancs, les autres aborigènes.

Bien qu’intelligent et curieux d’apprendre, l’inévitable destin du jeune homme est de continuer dans la délinquance, de s’abriter derrière les murs de la prison. Un univers dont il parle avec une certaine forme d’humour : “De l’extérieur, on peut imaginer que les matons sont des types ordinaires, accomplissant une tâche utile pour la société, mais à nos yeux ce n’est q’une bande d’esclaves salariés avec un goût prononcé pour la violence gratuite. Entre nous, qui leur donne du travail ? Sans nous, les voyous, ils ne seraient rien.”

Ce n’est pas un monstre froid, pas un vrai cynique, admettant d’ailleurs être peu convaincant lorsqu’il tente de jouer au petit caïd. Faute de reconnaissance, de respect, il s’affiche insensible au reste du monde, et suit l’unique chemin qui lui semble le sien. Voilà un roman puissant, riche de vérité, fort bien servi par la traduction où se devine une légitime empathie.

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