À l’origine, publié en 1954 dans la Série Noire, “Le cave se rebiffe” est le deuxième volet de la trilogie dédiée au personnage de Max-le-menteur, entre “Touchez pas au gribi” et “Grisbi or not grisbi”. Il n’est probablement pas inutile de rappeler l’intrigue initiale du roman.
Max-le-menteur et son associé le Gros Pierrot vont acquérir un troquet. Surtout une idée de Pierrot, manière d’avoir une façade, pas tant pour tirer des bénéfices. Et puis, ce bistrot pourrait porter la poisse, vu qu’il y a eu là une fusillade tuant le patron précédent. Par contre, ce qui plait bien à Pierrot, c’est la cave fournie et de qualité. Max reçoit des appels téléphoniques lui déconseillant d’investir dans cet établissement. S’il ne tenait qu’à lui, une vie plus tranquille avec sa maîtresse Fabienne suffirait presque. Entre-temps, revenu des tropiques, le Dabe propose une affaire de faux talbins, sa spécialité, à Pierrot et Max.
Tout est quasiment bouclé pour fabriquer ces faux billets. “Le Dabe, abstraction faite de sa voix de sirène qui enjolivait un peu les choses, c’était l’homme sûr. Pas plus pour l’accepter que pour la rejeter, son offre ne pouvait se prendre à la légère. D’autant que des associations, on lui en avait pas connu lerche.” Tandis qu’ils se mettent sur le coup, Max est encore mis en garde par son vieux copain Francis. Et peu après, il se retrouve avec le cadavre de Francis sur les bras. Les règlements de compte, ça attire fatalement les flics. En particulier l’inspecteur Larpin, et son collègue Maffeux. Pierrot feint la méprise : “Parait qu’une gonzesse a téléphoné tout à l’heure à Police-Secours pour prévenir qu’on s’entretuait dans notre bar !… Tout ce qu’on constaté les collègues de ces messieurs en arrivant, c’est qu’on a débouclé la porte de notre cave, et d’après le concierge il manquerait pas mal de bouteilles.”
Larpin pense savoir que celui qui cherche des embrouilles à Max, c’est Augustin Maillotin, dit Tintin-le-sourdingue. S’approvisionner en flingue chez son ami Théo, c’est la première chose que fait Max. La seconde, c’est de tenter d’approcher Tintin, sympathisant avec sa môme Irène. En séducteur, Max contribue à l’opération lancée par le Dabe, l’affaire de fausse monnaie. Elle ne va pas se passer comme l’avait imaginé le spécialiste. Quant aux problèmes de Max et de Pierrot, ce n’est qu’à coups de flingues qu’ils peuvent se régler…
L’adaptation cinématographique de Gilles Grangier date de 1961. Elle est due au réalisateur, à Albert Simonin et à Michel Audiard. Jean Gabin, Bernard Blier, Martine Carol, Maurice Biraud, Franck Villard, Françoise Rosay, Ginette Leclerc, et Antoine Balpétré tiennent les rôles principaux. Dans le film, le personnage de Max le Menteur disparaît. Charles Lepicard, Maître Lucas Malvoisin et Éric Masson veulent monter une affaire de fausse mornifle. Éric pense avoir “à sa pogne” un graveur hors pair, Robert Mideau, car il est l’amant de son épouse. Mais, le trio n’y connaissant rien, l'affaire n’est jouable qu'avec l’aide de Ferdinand Maréchal, dit Le Dabe. Cet ancien faux-monnayeur chevronné vit retiré sous les tropiques après une affaire ratée. Charles vient lui proposer un dernier coup d'anthologie. Le Dabe accepte de s'occuper de l'affaire et revient à Paris. Déjouant la surveillance policière, l’opération se met en place. Ni le Dabe, ni Robert Mideau, ne sont impressionnés par le frimeur Éric. Robert va effectivement fabriquer les faux billets dans l’imprimerie achetée par le Dabe. Mais pour la suite, gare aux entourloupes…
On l’ignorait, mais “Le cave se rebiffe” existe dans une troisième version, une pièce de théâtre qui ne fut jamais jouée. On l’a certainement oublié, mais dans le Paris de l’après-guerre et des années 1950, il n’y a pas que le cinéma en guise de distractions. Les petites salles de théâtre sont assez nombreuses, proposant des programmes extrêmement variés, incluant aussi des pièces policières. Dès 1954, Frédéric Dard propose à Albert Simonin une adaptation de ce roman, pour la scène. Jeune auteur déjà expérimenté, Dard a bien compris ce qui fait l’intérêt de l’histoire : “Appliquant les méthodes d’adaptation éprouvées, Frédéric Dard resserre l’intrigue, met en avant les personnages du Dabe et de Lucien [le cave], et place l’histoire de faux-monnayage au cœur de la pièce. Celle-ci en découpée en trois actes : l’appartement de Max, le clandé de Marinette, l’imprimerie” explique en préface Clément Pieyre, qui a ressuscité cette œuvre. Le texte de Frédéric Dard est revu et corrigé par Albert Simonin. “S’il colle davantage au roman, et notamment au vocabulaire argotique, il s’engage résolument dans la voie initiée par Frédéric Dard : le roman noir laisse peu à peu la place à la comédie policière.”
Il s’agit bien d’une version intermédiaire entre le roman et, encore très largement remanié, ce qui fera le scénario du film de Gilles Grangier. Sans doute cela s’adresse-t-il en priorité aux passionnés, mais il est aujourd’hui possible de lire cette savoureuse pièce de théâtre. Si Michel Audiard fut un maître en matière de dialogues, Frédéric Dard n’était pas moins doué, on peut ici le vérifier. Parrainé par Marie-Hélène Simonin, l’ouvrage contient la préface (évoquée plus haut) de Clément Pieyre, la version de Frédéric Dard, un cahier documentaire sur la sortie du livre et les relations entre les deux auteurs, la version théâtrale reprise par Albert Simonin, une biographie de Frédéric Dard et une autre de Simonin (signée Claude Mesplède). On peut se procurer ce livre (tirage limité) auprès des Éditions Sillage, 17 rue Linné, 75005 Paris. Avis aux amateurs de raretés.
[Merci à Marie-Hélène Simonin et à Claude Mesplède]