Est-il indispensable de présenter Jack Taylor, le détective privé déglingué de Galway ? Sa jambe abîmée traînante, son oreille appareillée d'un sonotone, ses mélanges de Jameson, de bière et de médicaments, son addiction à la cigarette, son habitude forcenée d'aller au devant des pires ennuis. En outre, Jack compte aujourd'hui plus d'amis morts que vivants. Stewart, l'ex-taulard qui a vécu de sévères expériences avant d'adopter le zen, lui reste fidèle. Ridge Ni Iomaire, la policière homosexuelle qui a fait un mariage de convenances afin de préserver sa carrière, est la moins hostile des flics. Pour le reste, à part quelques barmen et serveuses de pubs, plus vraiment de gens fiables autour de Jack. Il a vécu un bonheur fugace avec une Américaine, la belle Laura. Lucide sur son propre cas, il a le droit de se demander si ce coup de chance peut durer.
Le père Malachy a été agressé, il est dans le coma. Peu après, un trisomique adulte est victime du même genre d'attaque, par trois ou quatre jeunes. Mais c'est une autre affaire, sans rapport, que le père Gabriel soumet à Jack. Trésorier d'un mouvement catholique, le père Loyola s'est évanoui dans la nature avec tout l'argent de l'association. La froideur distinguée de Gabriel ne risque pas d'inspirer confiance à Jack. L’ecclésiastique paie bien, et on ne peut pas toujours cracher sur le pognon. Aucun indice sur la disparition de Loyola jusqu'à ce que Jack contacte sœur Maeve, qui n'apprécie guère Gabriel non plus. C'est en rusant avec la gouvernante du père Loyola, lors d'une visite à son presbytère, que Jack va finalement dénicher la bonne piste. Ce qui satisfait le père Gabriel, lequel ajoute un bonus lorsque le problème en question semble réglé.
Jack, Stewart et Ridge ont chacun reçu une stèle funéraire miniature. Loin d'être naïfs, ils savent qu'une menace plane dès lors sur eux. Les agresseurs du père Malachy forment un gang qui s'est donné pour mission le nettoyage de Galway. Le jeune chef Bine, la gothique Bethany, les larbins Sean et Jimmy, projettent d'éliminer les pauvres, les handicapés, tout ce qui fait tache à leurs yeux. L'alcoolique Jack Taylor fait partie de leurs cibles. S'ils le kidnappent et le mutilent, ils le laissent en vie. Ridge, qui a eu des tracas à cause d'eux, trouve refuge chez Stewart, tandis que Jack récupère à l'hôpital. Il pense que Bethany est le pivot de la bande, mais ignore que Bine mijote une idée monstrueuse. Avant d'affronter le gang, Jack met les choses au point avec le père Gabriel. Le truand Kosta, qui lui doit un service, fournit une arme puissante à Jack. Peut-être que, face aux embrouilles auxquelles il s'expose, la protection du pieux médaillon de Medjugorje qu'on lui a offert sera utile...
Qu'est-ce qu'on aime chez Jack Taylor, dont voici la neuvième aventure ? Question piège, sans véritable réponse. Chez lui, alcoolisme rime avec humanisme, narration cynique avec humeur nostalgique, amitié avec rareté, et bonheur rime avec erreur. Pour lui qui subit à chaque fois de terribles chocs avec séquelles, il faut une sacrée dose de fatalisme assumé afin d'endurer une telle vie. Et ce n'est pas la foi qui le sauvera, car l’Église d'Irlande abrite trop de brebis galeuses, flirte trop souvent avec le Diable. Entre déluge pluvieux et froid verglaçant, dans ce nouvel épisode, même la météo accable le brave Jack. Oui, malgré sa perpétuelle poisse, bravoure (au sens du courage et de l'honnêteté) est probablement le meilleur qualificatif à son sujet. La transgression est une vertu, dans son cas.
L'intrigue concoctée par Ken Bruen apparaît particulièrement réussie, les affaires traitées étant d'une belle noirceur. Plus que jamais, sa tonalité “humour amer” rend attachant Jack Taylor. Comme toujours, on s'amuse à relever maintes allusions culturelles. Quentin Tarantino est largement à l'honneur. Sans oublier les romanciers, de James Lee Burke à Tom Piccirilli, en passant par Megan Abbott (ce que l'on ne peut qu'approuver). On sait que ce sont les livres qui aident Jack à surmonter bien des ennuis. Même la policière Ridge commence à lire des polars dans cet opus. Un authentique roman noir démontrant, s'il en était besoin, que Ken Bruen reste un des maîtres du genre.