C’est à Montmartre que se situe l’univers du commissaire Léon. C’est là qu’il habite, avec sa envahissante mère Ginette. Plus Belge qu’elle, ça n’existe pas. Plus intrusive dans la vie de son fiston Léon, c’est pas imaginable. Il y a aussi le chien du commissaire, Babelutte. À peu près inutile, car sans le moindre flair. Toujours prêt à fuguer, dès que ses instincts sexuels se réveillent. Le QG de Léon, c’est Le Colibri, le bistrot de Jeannot (pas loin du Lux Bar, cher au regretté Bernard Dimey). La fine fleur de la faune montmartroise y est ancrée quasiment du matin au soir. Il paraît même qu’on y croise parfois des auteurs de polars, Thierry C. ou Mouloud A. Et puis, il y a le commissariat où Léon tricote en cachette de ses adjoints, pour s’empêcher de fumer. Nina Tchitchi, Pinchon et Bornéo, voilà une équipe de policiers hors norme qui s’active, même si leurs résultats peuvent laisser sceptique.
Le commissaire Léon part enfin en vacances, et même en croisière. Pas aux antipodes, sur un paquebot luxueux. Tout en restant aux portes de Paris, Léon et Babelutte vont naviguer sur le Canal de l’Ourcq. Un voyage bucolique et solitaire pour le commissaire, qui n’a pas embarqué sa mère Ginette et qui évitera de trop répondre au téléphone, si possible. Sauf que Léon découvre du côté de Sevran le cadavre d’une jeune rousse de dix-huit ans, complètement défigurée, attachée à une échelle sous l’eau, près de la rive. Si elle n’a pas été violée, elle a le lobe d’une oreille arraché. Léon appelle Nina, Bornéo et Pinchon à la rescousse, pour mener l’enquête tandis qu’il poursuit sa croisière sur l’Ourcq. Dans un coin de forêt, il découvre une maison lugubre, habitée par la petite Aurélie, qui ne parle pas, et par sa grand-mère impotente, à l’allure de vieille sorcière digne des contes d’antan.
Bien que Léon l’ignore, la fillette Aurélie est sacrément perturbée par l’image fantôme de sa mère disparue, qui s’adresse à elle dans sa tête. S’il est vrai que rôde un être pervers, la gamine pourrait être séquestrée dans la cale d’un bateau à l’abandon. Encore qu’elle soit capable de se sortir, momentanément, de ce mauvais pas. Un peu plus loin, dans les bois de Claye, c’est le cadavre d’un jeune pendu qui est à son tour retrouvé, le visage arraché comme pour la rousse. Rebelote pour l’équipe du commissariat. Léon rencontre alors Minouche et surtout son frère Bilou, drôle de bonhomme. Suspect, ce cantonnier de Villeparisis obsédé par les nains de jardin est longuement interrogé par les limiers-adjoints de Léon. Plus sûrement le profil d’un chtarbé que d’un criminel, le Bilou : en le cuisinant à point, peut-être livrera-t-il malgré tout un ou deux détails intéressants ?
Dans le même secteur géographique, une infirmière assez moche a été agressée par un type tout juste évadé de prison. En soupçonnant ce nommé Bullit, les enquêteurs sont-ils enfin sur la piste du tueur ? Rien n’est moins certain, mais en voilà un autre capable de fournir des indices. Tout en poursuivant son périple pas si paisible sur le canal, Léon va s’occuper de la petite Aurélie, tout en n’oubliant pas qu’un tueur reste dans l’ombre…
…Et s’il était entré dans la police, les histoires de sa grand-mère y étaient pour quelque chose. Elle lui avait donné le goût de l’intrigue et une fascination pour l’inexplicable. Pour lui, un criminel était une énigme.
La nature lui faisait du bien. Elle lui redonnait la force dont il avait besoin. Toutes ces nuits, il les avait passées à reconstituer les crimes. Il s’était mis tour à tour dans la peau des victimes et dans celle de l’assassin. Être flic, c’est comme être comédien ou écrivain. C’est se mettre dans la peau des autres pour ressentir et chercher à comprendre. Et le grand danger, c’est la compassion. Tant pour les bourreaux que pour les victimes. C’est là qu’on risque de basculer. De se prendre pour Dieu.
Inutile de préciser que “Le silence des canaux” est un jeu de mot en référence au roman de Thomas Harris “Le silence des agneaux”, mettant en vedette le célèbre Hannibal Lecter. Toutefois, ce sont plutôt des allusions à Georges Simenon et à son œuvre qu’il faut voir dans le présent roman. À bord de la péniche l’Ostrogoth, le créateur de Maigret navigua sur les canaux à travers la France vers 1930. De “La maison du canal” au “L’Écluse n°1”, en passant par “Le charretier de la Providence”, “Chez les Flamands” ou “Le baron de l’écluse”, canaux et cours d’eau lui servirent bien des fois de décors. Ici, le commissaire Léon embarque sur une péniche nommée “Le bateau d’Émile”, une nouvelle de Simenon. Il sera encore question d’un château de Saint-Fiacre, bien que celui de Maigret se situe dans l’Allier, alors que nous restons sur le Canal de l’Ourcq à quelques encablures de Paris.
Dans ses romans pleins d’inventivité, Nadine Monfils nous offre un feu d’artifice coloré de fantaisie, d’humour débridé, de caricatures réussies. Néanmoins, jamais elle n’omet que la "comédie policière" se base obligatoirement sur une intrigue criminelle, si possible forte. La noirceur qu’elle décrit est héritée des contes d’autrefois qui, s’ils sont édulcorés pour les enfants, étaient d’une férocité cruelle. Le crime n’épargne pas les petites filles, c’est un des thèmes souvent exploités par cette auteure. Le surnaturel ou l’ésotérisme ne suffisent pas toujours à les sauver des griffes d’obsédés martyrisant leurs victimes (et les ours en peluche), quel que soit le rôle joué par une sorcière dans l’histoire. Une drôle d’alchimie entre noirs mystères et francs sourires, voilà ce qui rend vraiment agréable la lecture des suspenses originaux de Nadine Monfils.
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