La romancière Lalie Walker assignée en justice, avec son éditeur, pour un des ses livres ? Ça semble absurde, puisqu'il s'agit d'une œuvre de fiction. Dans l'interview qui suit, notre amie Lalie réagit en exposant la situation.
Dans ton roman “Aux malheurs des dames”, publié en 2009 aux éditions Parigramme, l'intrigue a pour décor le marché Saint-Pierre, temple du tissu au mètre. Menaces, phénomènes étranges,
enlèvements et meurtres nourrissent un suspense intense. Tout est fiction dans ce thriller, personnages comme situations, la butte Montmartre étant heureusement épargnée par les agissements de
tueurs psychopathes. Le propre d’un roman est d’inventer des histoires, d’animer des personnages de papier qui n’ont pas d’existence réelle, ni même de rapport avec la réalité. Mais il semble que
ce roman entraîne quelques complications ?
Lalie Walker : Effectivement, on peut parler de complications.
Lorsque j'ai été contactée par l'huissier correctionnel, je n'en croyais pas mes oreilles : diffamation…
Ça m'a sonné.
Je ne prends pas ça à la légère.
J'ai répondu à la commande des éditions Parigramme, car ce projet d'une collection polar où les auteurs allaient pouvoir développer leurs intrigues (fictives rappelons-le) dans le Paris d'aujourd'hui était vraiment enthousiasmant.
Alors, trois mois plus tard, le fait de me retrouver face à cette situation qui menace mon travail, puisqu'il y a, en dehors des dommages et intérêts exorbitants – 2 millions d’euros - une demande d'interdiction de vente, c'est aussi inattendu que perturbant.
J'en éprouve une réelle difficulté à écrire. Soudain, c'est comme si chacun de mes mots pouvaient être déformés, et se retourner contre moi. Sans aucune paranoïa, simple répercussion. Comme je le disais plus haut, ça sonne. Ça remet brutalement en cause mon travail d’écrivain. Si les gens du réel tentent de vouloir prouver par voie judiciaire qu’ils sont "des personnages", ce qui n’est en l’occurrence absolument pas le cas, que faire ? Comment délimiter après ça les frontières entre fiction et réel ? Qu’écrire ? Et chez qui ? Car il y a aussi cette question, quel éditeur est capable de supporter ce type d’action qui semble devenir de plus en plus courante, sans doute en raison d’une vision du monde où l’on devient de plus en plus procédurier. Comme aux Etats-Unis.
Pourtant, on peut dire que tu était honorée et heureuse que “Aux malheurs des dames”parmi les sélectionnés du Prix SNCF du polar 2010 ?
Lalie Walker : Et je le suis toujours ! Si j’ai choisi ce quartier et ce décor des marchands de tissus, c’est bien parce que j’adore cet endroit où j’ai vécu pendant des années. Et je ne suis pas la seule, comme j’ai pu le constater lors de mes derniers salons, les lecteurs ont plaisir à retrouver ce lieu qu’ils ont un jour découvert et apprécié. En écrivant ce récit, je voyais donc l’intrigue policière s’inscrire en forme de clin d’œil sympathique.
Quant au Prix SNCF du polar, nous savons bien dans le milieu que c’est important, que ça porte notre travail et que c’est un acte de reconnaissance qui compte. Il n’y a qu’à avoir la réaction des lecteurs de littérature noire qui m’ont immédiatement fait part de leur solidarité – concernant la procédure tant à mon encontre qu’à celle de mon éditeur – et de leur soutien en allant voter pour ce prix qu’ils connaissent bien. Le train, le voyage et la littérature noire, c’est une rencontre qui se décline à l’infini.
Tu viens également de publier chez Actes Sud/Actes Noir un nouveau suspense noir : “Les survivantes”. Quelques mots sur cette histoire ?
Lalie Walker : C’est l’histoire – fictive – d’une femme, Anne Boher, médecin légiste à Strasbourg, qui glisse dans l’irrationnel, elle qui est habituée au pragmatisme et à la rigueur de son métier. C’est une femme dont l’équilibre psychique se rompt sous diverses pressions – professionnelles, psychiques, familiales.
J’ai choisi Strasbourg qui est une belle ville, avec un centre-ville très agréable. J’avais besoin que mon personnage de légiste en vienne à voir tout de travers – que même ce qui est beau et doux lui devienne insupportable et laid. Si j’avais planté l’action dans une ville glauque, je n’aurais pas obtenu le bon contraste entre l’état de mon personnage et celui de la ville. Le lecteur aurait pu croire qu’Anne Boher glissait dans une sorte de psychose à cause du sale climat ou d’un environnement déprimant. Alors que les raisons viennent d’ailleurs.
Je travaille également autour des processus de culpabilité et d’exclusion, de l’incroyable difficulté pour certains individus à survivre, avec en fond les difficultés d’un milieu hospitalier harassé par une canicule bien pire que celle de 2003… puisque imaginaire !
Revenons à “Aux malheurs des dames” et à ce procès qui s'annonce. Comment peut évoluer la situation ?
Lalie Walker : Je l’ignore... Un journaliste me demandait s’il n'aurait pas mieux fallu prendre contact avec les dirigeants du Marché Saint Pierre avant d’écrire mon roman.
Je suis romancière, je fais de la fiction, je ne vais pas enquêter au préalable (au risque pour le coup de laisser le réel envahir le champ fictionnel, ce qui n’est pas mon registre d’écriture dans le roman) ou demander l'autorisation ou la biographie des habitants d'un quartier sous le prétexte que je vais déployer une intrigue dans telle rue, tel décor. Autant faire des articles de presse ou du documentaire sinon.
J’enfonce un peu le clou sur cette question du fictif, mais ce n’est pas parce que j’installe mes romans dans telle ville ou tel décor emblématique que ce qui s’y passe en terme d’intrigue vient du réel. On me "reproche" habituellement d’être trop baroque, pas assez rigoureuse avec une certaine réalité… Il semble que cela ne suffise pas, ou plus.
Vais-je devoir me reconvertir à la science-fiction ?
(Ici, la chronique sur "Aux malheurs des
dames")
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de votre soutien.
8 mars 2010 - message de Lalie
Walker - remerciement collectif
"Bonjour à toutes et à tous
Je suis désolée de ne pouvoir répondre à chacun, vous êtes si nombreux !
Aussi, je passe par notre ami Claude pour vous remercier, et vous dire combien je suis touchée de votre soutien.
Chaque message compte.
Chacun de vous exprime une part de ma stupeur, et de mes interrogations. De ce choc à être en quelque sorte sur le banc des accusés pour une intention que l’on me prête et qui n’a jamais été mienne.
À chaque fois que je vous lis, ça me donne de la force. Et des émotions, n’en doutez pas, car je n’imaginais pas vivre une telle situation.
Et si nous avons parfois des doutes sur la validité et la finalité d’avoir créé des sites où nous exprimer et défendre nos coups de cœur (parfois nos coups de gueule), je crois que Claude Le Nocher et vous-mêmes, ainsi que bien d’autres ailleurs, démontrent par leur réaction, leur soutien et leur liberté d’expression que ces lieux virtuels ne sont pas qu’une simple vitrine.
Encore merci,
Amicalement,
Lalie Walker"
20 novembre 2010 - Voici le communiqué des éditions
Parigramme, annonçant la conclusion de cette affaire, au grand soulagement des amis et lecteurs de Lalie Walker : « La 17e chambre correctionnelle de Paris vient de rendre son jugement dans
l’affaire opposant le Marché Saint-Pierre aux éditions Parigramme et à Lalie Walker, auteur du roman "Aux malheurs des dames".
En déboutant la partie civile qui réclamait deux millions d’euros et l’interdiction de l’ouvrage, en la condamnant à
verser une indemnité à l’auteur et à l’éditeur et en soulignant le caractère abusif de la procédure, le Tribunal a montré l’inanité des prétentions des dirigeants du Marché
Saint-Pierre.
Il a surtout affirmé son attachement à la liberté de la création littéraire, y compris lorsque cette dernière utilise
des éléments de réalité dans le seul but de nourrir une œuvre de fiction. La bonne foi de l’éditeur et de l’auteur, conjointement défendus par Maître Emmanuel Pierrat, a été pleinement reconnue.
Ce jugement conclut donc heureusement une affaire qui avait suscité une grande émotion en raison des menaces qu’elle laissait planer non seulement sur un auteur et son éditeur, mais plus
généralement sur les prérogatives de l’écrivain aujourd’hui.»