Dans la collection Grands Détectives chez 10-18, la première enquête de François-Claudius Simon est intitulée “La valse des gueules cassées”. Un vrai polar historique de qualité, signé Guillaume Prévost…
Printemps 1919. Blessé durant la guerre, François a suivi une formation à l’école de police. Âgé de vingt-six ans, il intègre aujourd’hui la Brigade Criminelle, Quai des Orfèvres. Il est affecté dans le service de l’inspecteur principal Robineau, une figure de la police, proche de Clemenceau et des Anciens Combattants. S’il garde quelques traumatismes, François n’en montre rien. Il est très vite plongé dans une enquête, au côté de son supérieur. Un cadavre est retrouvé dans un atelier vide de la gare Montparnasse. Robineau et François s’aperçoivent bientôt que des travaux souterrains ont été effectués sous le bâtiment en question. Grâce à une facture de quincaillier, François essaie d’identifier la victime. Une autre affaire met à l’épreuve la sagacité du jeune policier.
Un vol de diamants a été commis au domicile du couple Maupin, qui rentre d’un voyage en Afrique. Le seul suspect est leur domestique Noir. François ne tarde pas à le disculper. Il trouve le chemin emprunté par les voleurs, établissant un rapport avec le crime de Montparnasse. Un autre meurtre est commis dans un garni, rue de Montmorency. Là encore, l’homme a subi des mutilations au visage qui rappellent celles des soldats blessés, les gueules cassées. La victime était un locataire discret, sans doute un ancien prisonnier rentré d’Allemagne. “Force est de constater que tout cela a été pensé [déclara François]. Fort bien pensé, même. La serrure sabotée, le vin trafiqué envoyé à un voisin porté sur la bouteille. Notre assassin est habile, et il ne manque pas de sang froid.”
L’inspecteur Lefourche, autre jeune policier, est bien plus impliqué que François en politique. Alors qu’il participe à une réunion syndicale interdite en vue de la manifestation du 1er mai, Lefourche a une altercation avec François, qu’il prend pour un espion de Robineau. L’incident permet au jeune inspecteur de rencontrer la belle Elsa, peintre et pilote de side-car. Si Lefourche protège jalousement la jeune femme, celle-ci explique la situation à François. Tandis que son supérieur Robineau tente de récupérer l’affaire Landru confiée aux Brigades Mobiles, François fait le lien entre le vol des diamants du couple Maupin et les meurtres. Le cas n’est qu’à demi élucidé, mais l’enquêteur sait qu’il progresse.
Après un détour par Gambais et le défilé réprimé du 1er mai, François intervient trop tard pour empêcher un troisième assassinat, au Port-aux-Vins. Délégué général aux pensions, au Ministère de la Guerre, la victime n’a pas le même profil que les précédentes. François découvre un indice décisif, même si le monogramme VdG ne désigne pas encore le criminel…
On pourrait se croire dans une aventure de Fantomas ou d’Arsène Lupin, grands personnages de la littérature populaire de l’époque. D’autant qu’est évoquée la célèbre affaire Landru, ainsi que le décès vaguement suspect d’Émile Zola. Ce qui marque surtout, c’est la période choisie. Six mois après l’Armistice, ce n’est pas encore le retour à la vie normale, ni le début d’une nouvelle ère prospère. D’un côté, il y a les vainqueurs, suivant Clemenceau dans la reconstruction du pays, censurant toute opposition politique. De l’autre, on trouve les survivants, brisés par les séquelles de la guerre. Les “gueules cassées”, mais aussi leurs familles sans grandes ressources.
Le parcours de François, abandonné tôt par sa mère, éduqué en orphelinat, soldat blessé cauchemardant toujours, logeant désormais chez une épicière sexagénaire, le rapproche des gens du peuple. Bien qu’encore maladroit, il utilise à bon escient son intuition. Non sans se servir des analyses plus techniques, déjà disponibles en ce temps-là. Il nous apparaît donc tel un témoin humaniste, mais aussi un très bon enquêteur. L’intrigue criminelle est fort bien maîtrisée, avec ses multiples péripéties et hypothèses, ses scènes d’action et son excellent suspense. La souplesse du récit est le meilleur atout de ce polar historique parfaitement convaincant.