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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 05:55

L’affaire Grégory Villemin figure parmi les cas criminels restant vivaces dans la mémoire collective. Malgré le temps écoulé, elle est entourée de la même opacité qu’au départ. Ce n’est pas faute d’avoir mené des investigations dans tous les méandres du dossier. Quand le crime concerne la mort d’un enfant, c’est encore plus atroce et on exige des réponses. Outrageusement médiatisée, l’enquête a passionné la population. Chacun a émis une ou plusieurs hypothèses, accablant telle ou tel, selon ce que l’on a cru comprendre. Ce qui ne faisait qu’ajouter de la confusion, de malsaines interprétations.

L’histoire commence donc le 16 octobre 1984, après 17 heures. Le petit Grégory Villemin, quatre ans, est kidnappé alors qu’il joue autour de la maison de ses parents. Sa mère va alerter la police une demie-heure après s’être aperçue de son absence. Sans doute est-il déjà trop tard, car Grégory est retrouvé mort dans la Vologne à 21h15. L’enfant étant ligoté, le meurtre ne fait aucun doute. D’ailleurs, une lettre anonyme postée vers l’heure où Grégory a été kidnappé revendique l’assassinat. Et un appel téléphonique adressé à un des frères de Jean-Marie Villemin, le père, confirme la macabre intention du tueur.

Le véritable début de l’affaire se situe environ trois ans plus tôt. Quand Albert et Monique Villemin, les parents de Jean-Marie, reçoivent une série de lettres anonymes et autres coups de téléphone émanant d’un "corbeau". Sous prétexte de défendre les aînés des frères, l’inconnu s’en prend au père, à la mère et à Jean-Marie Villemin. Ce dernier est souvent surnommé "le chef" par d’autres membres de la famille, qui le jalousent. Marié à la ravissante Christine Blaise, père d’un charmant bambin, contremaître dans son usine, propriétaire d’une maison neuve, tout cela excite la malveillance de certains.

À qui attribuer les errements initiaux de ce dossier ? Plutôt qu’au juge Lambert ou au capitaine Étienne Sesmat, c’est à cause de la nature même de ce meurtre d’exception que naquirent les failles de l’enquête. L’ensemble du cercle familial fut mis sur la sellette, tous les proches des Villemin – les Laroche, les Jacob, les Bolle – ont été interrogés. On a fait appel à la graphologie et aux techniques disponibles pour cerner les suspects. Il serait faux d’évoquer des négligences, des complaisances. Soupçonnée, désignée par vox populi, Christine Villemin bénéficie d’un non-lieu en février 1993 pour absence totale de charges.

Il se produit un terrible coup de théâtre quand Murielle Bolle, quinze ans, témoigne contre son beau-frère, Bernard Laroche, cousin des Villemin. Pour les enquêteurs, un suspect très crédible : il n’a jamais caché son animosité envers Jean-Marie Villemin, ironisant souvent sur "le chef" et sa réussite socio-professionnelle. Plus laborieux peut-être, le parcours de Laroche n’a pourtant rien à envier par rapport à celui de son cousin Jean-Marie. À moins que la détestation ait atteint des sommets dans l’esprit de Laroche. Après la rétraction de Murielle Bolle, il affiche une forme d’indifférence face au meurtre qui en agace beaucoup.

Jean-Marie Villemin est convaincu de connaître l’identité du coupable. Il va donc "se faire justice" en abattant Bernard Laroche. Il sera condamné pour ce meurtre, à cinq ans de prison dont quatre ferme. Cette deuxième mort pourrait clore l’affaire. Ponctuellement, on entend parler d’éventuels "éléments nouveaux", mais le dossier n’est pas relancé pour longtemps. Grâce à l’ADN, on a l’espoir de pistes sérieuses, mais la plupart des pièces ne sont plus guère exploitables. En 2008, suite à une demande des parents de Grégory, la cour d'appel de Dijon ordonne néanmoins la réouverture de l'enquête.

Patricia Tourancheau : Grégory – La machination familiale (Éd.Seuil-Les Jours, 2018)

Au réveillon de Noël 1982, les relations s’enveniment. Marcel Jacob reproche vertement à Gilbert Villemin, cadet de Jean-Marie, de l’avoir doublé en voiture sans feux stop sur la route, et le pourrit d’injures. Son beau-frère Albert en prend aussi pour son grade. À son tour, Jean-Marie tente de calmer le jeu mais se fait copieusement rembarrer. "Je ne serre pas la main à un chef, tu n’es qu’un rampant qui n’a pas de poil sur la poitrine". Jacqueline Thuriot en rajoute et traite Jean-Marie de "raclure". Marcel Jacob attrape Jean-Marie Villemin par le colbac et, voyant qu’il n’a pas le dessus, retourne à son véhicule récupérer une matraque. Monique Villemin s’interpose et finit par apaiser les tensions, du moins en apparence.

C’est en juin 2017 que s’ouvre un nouvel épisode, semblant faire bouger les choses. Âgés de 73 et 72 ans, Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante paternels de Grégory, sont mis en garde à vue. Les grands-parents Villemin sont également interrogés une nouvelle fois, en parallèle de ces arrestations. La version de Monique, la grand-mère, qui n’a jamais accusé Bernard Laroche, est assez ambiguë. Il se peut qu’elle profite de son influence sur son mari Albert. Quant au couple Jacob, il répète son alibi pour la journée du 16 octobre 1984, plausible autant que mal vérifiable. Ça n’exclut pas leur complicité.

À son tour, Murielle Bolle est interpellée fin juin 2017, et incarcérée. Un cousin inconnu a témoigné que, suite aux accusations qu’elle porta contre Laroche, Murielle Bolle aurait été battue par des membres de sa famille. Ce qui expliquerait sa rétractation, et pourrait même indiquer une complicité avec son défunt beau-frère. Car on en est désormais à une hypothèse de machination familiale, de complot collectif contre "le chef" Jean-Marie, où chacun aurait tenu un rôle défini. Si les témoignages passés et présents sont passés au crible, la Justice ne dispose toujours pas d’indices matériels suffisants.

Pour le site d’information Les Jours, la journaliste Patricia Tourancheau a réexaminé tous les détails – connus ou oubliés – de l’affaire Grégory. Elle pointe l’évidence : l’ambiance est infernale dans et autour de la famille Villemin. Elle explore avec le plus grand soin les détails du contexte, ce qui rapproche les uns, ce qui divise les autres. Il est impossible de se contenter d’un regard superficiel, si l’on veut mettre au jour les arcanes familiaux des protagonistes. On parle là de gens vivant dans les mêmes villages et bourgades, qui se côtoient fréquemment lors de réunions familiales, employés dans le même type d’entreprises.

Mais il s’agit également de personnes qui, probablement dépassées par l’ampleur de cette affaire criminelle, ont choisi une forme d’omerta. Ce qu’ils savent, ils ne le révéleront plus. À l’exemple de Murielle Bolle, qui s’en tient à une position définitive. L’auteure nous fait vivre les derniers développements en date du dossier, remontant à 2017. D’une manière réaliste, elle relate les témoignages de chacun, un tiers de siècle plus tard. On mesure la complexité – du premier jour jusqu’à aujourd’hui – d’un dossier où les questions restent identiques, faute de preuves concrètes et déterminantes.

Le mérite du livre de Patricia Tourancheau est d’effectivement nous proposer un récit le plus complet possible, le plus proche des caractères de tous ceux qui sont impliqués. Car c’est fatalement la haine qui a provoqué la mort de l’innocent Grégory Villemin, pas de simples jalousies ruminées ou amplifiées par l’un ou l’autre. Des hypothèses, il n’est pas interdit d’en suggérer. Mais ce que l’on retient, c’est le sentiment d’une noirceur indélébile qui entoure cet assassinat, la mort de Bernard Laroche et le suicide du juge Lambert. Un drame sans réponse finale, ni dénouement acceptable.

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