Il y a des gens qui mettent toute leur énergie dans le travail salarié. D'autres s'y refusent catégoriquement, optant pour le banditisme. Dans ce cas, si l'on espère faire carrière au sein de la pègre, il faut débuter tôt. Élevé par sa compréhensive tante, Alexandre commet des petits larcins dès son enfance. Non sans être repéré parfois, mais il est prudent. Son entrée dans la "vie active", il va carrément la saboter, tant ça le rebute. Né en 1949, il n'a pas encore dix-neuf ans quand se produit un élément déclencheur : mai 1968. L'époque est à la rébellion, ça lui convient. Il descend sur la Côte d'Azur, où il va pratiquer le vol à la roulotte dans les voitures, du côté de Cannes. Il se fait prendre, on le classe SP/SDF, sans profession et sans domicile fixe, avant de lui offrir un petit séjour en prison.
Auprès de ses codétenus, Alexandre apprend quelques bonnes combines. Ça lui sera utile, une fois sorti après un jugement avec sursis. Il reprend son activité délictueuse, devenant un pro du cambriolage. Ce qui exige davantage de maîtrise. Tout comme ses arnaques aux jeux de cartes, avec son complice Branco, qui rapportent bien. Chaque nuit, il claque aussi beaucoup de cet argent volé. Alexandre n'a que vingt-et-un ans quand il fait à nouveau de la prison, pour recel. Il est attentif au parcours des autres taulards : “J'écoutais goulûment et le temps passait ainsi, assez tranquillement. Parfois à mon tour, je me faisais, en promenade, conseiller ès cambriolage auprès d'un type plus jeune que moi, afin que l'expérience continue à se transmettre.” Il retrouve bientôt la liberté.
Dépensier, Alexandre doit multiplier les petits braquages. C'est alors que se présente son premier "gros coup" : l'attaque d'un convoi de fonds, avec deux complices. Une action qui a été bien préparée, qu'ils exécutent à la perfection, et qui leur rapporte quelques millions de francs. Il s'agit de ne pas dilapider ce fric. Les deux autres étant repérés, Alexandre renoue brièvement avec sa mère qui fut si absente, avant de fuir la France. Une cavale qui le mène de l'Italie jusqu'à Mexico. Sur place, la belle Lucia succède dans sa vie à sa compagne française Michelle, du moins le temps d'un voyage à travers le Mexique. Quand sa réserve d'argent commence sérieusement à baisser, il est temps pour Alexandre de rentrer au pays, d'autant qu'on lui fait miroiter une affaire intéressante.
Coup de malchance, il frôle la mort et doit être hospitalisé. Dans un premier temps, il joue à l'amnésique, même s'il sait que ce n'est pas convaincant pour les policiers. On ne tarde pas à le renvoyer derrière les barreaux. Âgé de vingt-quatre ans, il choisit d'apparaître tel un rebelle à toute autorité. Néanmoins, son avocat est optimiste pour la suite, car on n'a guère de preuve directes contre lui. À leur procès, Jean-Claude n'a rien à dire, le Gros se repens, Alexandre répète qu'il n'y était pas : “Et sur ces trois mensonges supplémentaires, jurés et magistrats se retirèrent pour délibérer.” Alexandre récolte quinze ans de prison. Il en fera une dizaine, passant de mitards en QHS, faisant la grève de la faim, tentant de s'évader. Un parcours du combattant qui cessera finalement…
Non sans une belle ironie, Alexandre Dumal (pseudonyme de Charles Maestracci) raconte son parcours de repris de justice, sa vie avant de se reconvertir comme auteur de romans noirs à connotation sociale. C'est aux éditions L’insomniaque que fut publié “Je m'appelle reviens” en 1993, avant d'être repris dans la Série Noire en 1995, avec la bénédiction de Jean-Patrick Manchette. En préface de ce roman autobiographique, Manchette situe l'auteur :
“Alexandre Dumal est de ce temps. Il a passé par les barricades de Mai 68, mais il avait fait son choix avant, il l'a maintenu après. Et il s'élève au-dessus de ce temps, en ayant perdu le respect mais aussi la peur… Pour savoir écrire, il faut savoir vivre. Certains qui ne savent ni lire ni vivre auront hâte d’oublier ce livre. Qu’ils se dépêchent ! Car le refus qui habite ce texte n’a pas fini de revenir, lui aussi, dans la gueule de la servitude.”
Sans doute le banditisme a-t-il changé depuis ces années-là, ces décennies 1960 et 1970 où les truands avaient encore une âme d'aventurier. Ce qui, disons-le, ne fit jamais d'eux des "héros", car ils passèrent généralement plus de temps en prison que dehors. Leurs cavales furent rarement flamboyantes, plus souvent désargentées. Par contre, l'itinéraire du petit délinquant vers la criminalité décrit ici, a-t-il tellement évolué ? L'incarcération continue à endurcir ces repris de justice, le goût du risque et leur détermination grandit à l'ombre des cellules. Récidivistes, ils le seront fatalement…
Alexandre Dumal est aussi l'auteur de “Burundunga !” (Éd.Baleine 1996), “La Coupe immonde” (coll.Alias, Fleuve noir 1998), “En deux temps trois mouvements” (Folio Policier 2003), “Dans la cendre” (Éd.Après la lune 2007). Son prochain titre, “La confrérie des chats de gouttière”, est annoncé aux éditions L'insomniaque pour mi-octobre 2015.
serie noire 70 ans - Le blog de Claude LE NOCHER
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