Chez Krakoen, le cru 2012 d’Hervé Sard est intitulé “Le crépuscule des Gueux”. Ni vinasse, ni bibine : un grand cru du polar, un pur nectar du roman noir.
Le Quai des Gueux, c’est un petit bidonville le long des voies, du côté de Chaville. Quelques cabanes formant un camp de SDF, vivant quasiment en autarcie.
“Ils ne faisaient de mal à personne, ne salissaient rien. Au contraire, ils nettoyaient. On ne les voyait même pas. Juste les passagers du RER, qui allaient ou revenaient du boulot,
sur Saint-Quentin ou Versailles. Et eux, ils pensaient voir des cabanes de jardiniers…” Capo gère un peu la discipline, mais ne revendique pas un titre de chef. Bocuse, dit Boc’,
organise une sorte de cantine pour eux tous. Luigi, après dix-sept ans de prison pour le meurtre d’une femme, a bien le droit de se reposer parmi eux. Krishna fut certainement un intellectuel
avant d’échouer ici. Et puis, Betty Boop, qui ignore même d’où vient son sobriquet. Et encore Môme, encore plus fragilisée depuis un accident. Des gens au vécu plus compliqué que la moyenne, au
présent moins incertain grâce à ce groupe.
Ils gênent peu les voisins, mais n’aiment guère voir traîner les Bleus dans leurs parages. Depuis qu’il y a eu non loin de là “trois mortes, dont deux graves”, les flics rôdent autour d’eux. Des jeunes femmes ont trouvé la mort près sur la voie du RER, peut-être victimes d’un dingue. Avec son passé judiciaire, Luigi sait qu’il ferait un excellent suspect. Alors, il prend son chariot de supermarché et décide d’aller rejoindre à pied Jérôme et, surtout, Lula. Une longue balade solitaire qui ne l’effraie pas. Il songe au dingue, qu’il croit avoir remarqué. Il pense aux trois victimes, qui auraient aussi bien pu se suicider. Son absence du Quai des Gueux le rend plus soupçonnable que tout autre, il ne l’ignore pas. Un nouvel arrivant s’y est présenté, chez les SDF. Timothée est un jeune type longiligne mesurant deux mètres. Âgé de vingt-six ans, plus paresseux qu’étudiant, il garde un air naturellement absent. Timothée n’est pourtant pas là par hasard.
Son amie Christelle est stagiaire à la PJ, dans le service d’Évariste Blond. Elle n’a rien fait de très passionnant, jusqu’à cette affaire des trois mortes. Le contact avec Blond passe mieux, cette fois. Il demande à Christelle d’envoyer Timothée en mission dans le “sous-monde” de Chaville. Il risque de passer plus de temps à philosopher avec Krishna qu’à chercher des informations. De son côté, Luigi finit par trouver dans son chariot les têtes coupées des deux principales victimes de l’hypothétique dingue. Une collègue d’Évariste Blond, la lieutenant Florence Sonier, finit par identifier ces jeunes femmes. Elle fouille dans leur ordinateur, ce qui fait que l’enquête progresse enfin d’un grand pas. Mais la vie et la mort continuent au camp des SDF. Et pour Luigi, rien n’est encore réglé…
Je ne peux faire autrement que de m’adresser directement à l’auteur.
Ça y est, Hervé ! Voilà le roman que tu voulais écrire. Celui qui était
sûrement dans tes tripes. Tu nous as raconté de bonnes histoires : “Vice Repetita”, “Mat à mort”. Avec “La mélodie des
cendres” et “Morsaline”, tu as trouvé une tonalité enjouée qui convenait à ton écriture. Il y a d’aimables dilettantes et, à l’opposé, des graines
d’écrivains. Depuis cinq ans, je n’ai jamais douté que tu fasses partie de la meilleure catégorie. Celle des auteurs portent en eux un beau roman.
“Le crépuscule des Gueux”, ton authentique roman noir. Avec intrigue criminelle de bon aloi, évidemment. Mais l’essentiel, c’est de montrer la réalité des gens, avec cet humanisme qui nous est indispensable. La valeur ne se mesure pas dans le compte en banque. Elle est dans la capacité d’assumer même une vie d’échecs, selon les critères de la société. Passé un seuil de pauvreté, on s’adapte à tout, on ne craint plus tant les épreuves. C’est là que réside la richesse de ces miséreux; c’est là que se trouve celle de ce roman. Pas d’apitoiement inutile, juste une saine dose de compréhension et de vérité sociale. Ce que tes lecteurs vont partager en lisant ce livre.
Mes chroniques sur les romans d'Hervé Sard : "Morsaline" - "La mélodie des cendres" - “Vice Repetita” et “Mat à mort” .